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Critiques de Henry Miller (261)
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Nexus 2 : Vacances à l'étranger

" Conçue comme une conclusion à sa trilogie de la Crucifixion en rose commencée avec Sexus et Plexus, la publication de Nexus devait, dans l'esprit de son auteur, être suivie d'un second volume. Pour une raison jamais explicitée, Miller abandonna en 1962 le projet de Nexus 2 au bas du cent douzième feuillet. Conservé par ses proches, ce manuscrit refait surface aujourd'hui et fait enfin l'objet d'une publication grâce à la présente traduction française."



Cet appendice inédit peu ou prou éclairci de la Cruxifixion en rose me conduit (de cheminée) à deux commentaires :

Un :Henry Miller nous fait partager ici ses relations dans le creuset artistique du Montparnasse des Années folles. C'est Brassaï, Picasso, Cocteau, Chagall .. Sans oublier Mona naturellement comme s'il écrivait à travers elle ; Mona est la cerise sur le gateau, peut-être le charme le plus exquis et le plus en phase dans ce continuum de la Cruxifixion en rose qui montre bien la relativité et l'ambivalence de ce monde qu'il côtoie ! Il n'est pas utile de dire son enthousiasme connu dans cette effervescence parisienne où il acquit sa liberté pleine et entière ..

Deux : ces 138 pages qui s'ajoutent à la Crucifixion .. amplifient s'il en était besoin le gros livre de sa vie dont rêvent tous les grands écrivains. Merci à l'Editeur Autrement pour le premier paragraphe.
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J'suis pas plus con qu'un autre

C'est le premier texte que Henry Miller écrit en français. Il avait fui dans les années 30 son pays en raison des attaques dont il faisait l'objet pour pornographie, comme un paria. Il y est retourné en 1942 poussé par la guerre qui fait rage !.. Son lyrisme échevelé,- à défaut de cheveux sur le caillou - ne s'est pas démenti. En matière de création, la France a été sa planche de salut : il a pu écrire sa littérature qui va lui assurer la consécration à travers le monde, cette littérature extravagante, luxuriante, ambitieuse. Il veut écrire comme Dostoïevski dont il admire le génie. Ce tremplin, cette chance que lui offrit la France va lui permettre d'aborder les années sixtises comme un mentor qui va éclairer toute une jeunesse carapatée éprise de liberté totale : ce seront ses Tropiques magistraux, péremptoires, ses grands tomes de la Cruxifixion en rose qui vont définitivement le classer parmi les plus grands littérateurs américains du 20 e siècle. Il aura assurément la place qu'il convoitait, d'entrer dans le sillage de Dostoïevski à travers une prose plus débridée encore et très contemporaine.



Ce court texte ici est un exercice de ce que peut être ce Henry Miller débridé à outrance qui ici nous fait surtout vivre son puissant souffle lyrique, fort de sa culture littéraire sans limites, artistique aussi, fort de ses rencontres avec les grands de son époque. Il y raconte ses amours, ses détestations. Je ne peux me soustraire de son idée autour de Simenon, voici ce qu'il en dit :

"Quand j'ai visité la Suisse, j'étais l'invité de Georges Simenon. Il habitait à cette époque un petit château où il y avait une chambre à travailler. Les matins nous tenions des entrevues dans son atelier. La première chose qui attira mon attention était un vase rempli de crayons à mine de plomb. La première chose qu'il faisait chaque matin c'était d'aiguiser ses crayons. Il ne savait pas se servir de la machine à écrire. C'est sa femme qui était adepte de cela et qui a fait énormément de travail pour lui. Un jour, il m'a enmené à l'arbre où il fallait pisser chaque matin !.. (..) J'aimais bien Simenon et ses livres. Gide l'a appelé "le Boccaccio ou le Balzac de notre époque. Il avait une connaissance énorme sur toutes sortes de choses. Poussé sans doute par sa curiosité, il semblait toujours à l'aise .."



Je crois qu'on a tous des manies ainsi, voire les plus saugrenues. C'est aussi dire que Simenon écrivait beaucoup et plutôt en accéléré. Ils avaient en commun en tout cas, ce qui les détachait indubitablement du commun des mortels, cette allure de géant de la littérature qu'ils avaient chevillée au corps comme personne dans ce siècle.
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Jours tranquilles à Clichy

Jours tranquilles à Clichy ? Heu .... pas si tranquilles en vérité !

2 potes, l'un américain,l'autre tchèque, tous deux écrivains et fauchés, vivent d'amour et d'eau fraîche, non en fait de sexe et d'alcool, ce qui est beaucoup plus excitant.

C'est la vie au jour le jour, sans projets, en perpétuelle errance, en quête incessante de bonnes fortunes féminines dans la fréquentation des bas fonds. Les rencontres ce sont des putains, des filles un peu frappadingues ou complètement paumées. Certes, il n'y a pas une once d'amour ici, et parfois même une certaine cruauté, mais aussi de la tendresse et de l'empathie.

Les scènes de sexe, contées crûment et sans fioritures, n'en sont pas vulgaires pour autant.

Henry Miller sait écrire, c'est d'une évidence criante, on le lit, non on le boit comme du petit lait, c'est dire !

Son style sonne percutant, incisif et plein d'humour et je ne puis résister à l'envie de vous en livrer quelques exemples :

"C'était un endroit tranquille, replet, qui se vautrait dans la musique allemande ; le visage de ses habitants portait l'estampille d'une espèce de béatitude bovine."



"On resta trois jours au Luxembourg, mangeant et buvant tout notre soûl, écoutant les excellents orchestres allemands, observant la vie terne et tranquille d'un peuple qui n'a aucune raison d'exister, et qui en réalité n'existe pas, sinon sur le mode des vaches et des moutons."



"On passa toute une journée dans la vallée des moines, le Pfaffenthal. Une paix de mille ans paraissait régner sur ce vallon somnolent. On aurait dit un couloir que Dieu avait tracé avec son petit doigt pour rappeler aux hommes que, lorsque leur insatiable soif de sang serait apaisée et qu'ils seraient las du combat, ils trouveraient ici la paix et le repos."



Il n'y a pas que du sexe dans ce court récit, n'est-ce pas ?

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Tropique du Capricorne

Tropique du Capricorne

Oeuvre semi-autobiographique

Dans les années 20 ..

New York

Suite de Tropique du Cancer, censuré en Amérique, écrit à Paris.



Quelqu'un m'a dit que j'utilisais les citations pour placer mon baratin, il ne me l'a pas dit comme ça, mais l'a laissé sous-entendre, alors je vais utiliser la critique pour placer une citation d'Henry Miller.



Dans le livre que j'ai : Editions du Chêne, 1970 que j'aime et qui ne me quittera jamais, il y a en préface un portrait d'Henry Miller fait par un ami Michael Fraenkel (1930). Il en parle en termes élogieux, évoque son dur combat pour être reconnu écrivain chez lui en Amérique puritaine. Sa vie fluctue comme celle d'un gosse livré à la rue, vit au jour le jour. Il a un pécule, il vit le temps que ça lui permet .. Il vit comme un de ses héros : Dostoïevski, la faim au ventre, mais l'âme chevillée au corps dans la grande ville. "Je n'ai pas d'argent, pas de ressources et d'espérance ; je suis l'homme le plus heureux du monde". Ce sont des êtres qui embrassent l'univers, hors catégorie ..

Mais ce sera long, c'est une phrase pour un temps long.



Juste ici une parenthèse, dans les interviews qu'il donne à Belmont plus tard, tout auréolé de gloire bien méritée, il faut souligner l'humour corrosif, puissant du personnage. Ses mots partent à l'écoute de l'autre, sifflant aux oreilles, implacables, péremptoires, impérieux .. avec une force vertigineuse qui n'a pas pris une ride quand il s'attache à son passé, chose qu'on lui renvoie toujours à la figure, tellement c'est une mine d'or, un excellent client dont on boit les paroles comme une bonne bière fraîche par temps de canicule. Il n'y a pas d'acrimonie, qu'un humour corrosif, puissant ..

Et Michael Fraenkel a pris soin dans le portrait qu'il fait de son ami d'adjoindre en premier un portrait dessiné de HM par Brassai, un autre ami : superbement croqué !



Le juif

Page 200, 201,202

"..Et puis survint un évènement qui endeuilla tout le quartier -la défaite de Joe Gerhardt par Joey Silverstein. Ce dernier était le fils du tailleur ; garçon de quinze à seize ans, plutôt tranquille et d'allure studieuse, que les grands tenaient à l'écart, parce qu'il était juif. Un jour qu'il allait livrer un pantalon à Fillmore Place, Joe Gerhardt l'accosta, - il était à peu près du même âge et se prenait pour un être supérieur. Il y eut un échange de mots, puis Joe Gerhardt arracha au fils Silverstein le fameux pantalon et le jeta dans le caniveau. Personne n'eût jamais songé que le jeune Silverstein répondrait par la force à un tel affront ; en sorte que, lorsque d'un coup de poing il chopa Joe au coin de la mâchoire, tout le monde fut soufflé, Joe Gerhardt le premier. Il s'ensuivit une bagarre qui dura une vingtaine de minutes et à la fin de laquelle Joe Gerhardt se retrouva sur le trottoir, incapable de se relever. Sur quoi le fils Silverstein ramassa le pantalon et s'en revint calmement et dignement à la boutique de son père. Personne n'osa lui dire un mot. On tint l'affaire pour une calamité. Qui avait jamais entendu dire qu'un juif pût rosser un gentil ? C'était inconcevable, et pourtant le fait était là, et tous l'avaient pu voir. Soir après soir, assis à notre habitude sur le bord du trottoir, le problème fut tourné et retourné par nous sous tous les angles, sans que nous trouvions de solution, jusqu'au jour ... ma foi jusqu'au jour où le frère cadet de Joe Gerhardt, johnny, à force de ruminer l'histoire, décida de régler le compte par ses propres moyens. Johnny, plus jeune et plus petit que son frère, n'en était pas moins solide et invincible comme un jeune puma. Il avait tout de l'irlandais type, de l'irlandais de taudis dont était fait le quartier. Son plan de revanche était fort simple : il attendit un soir le jeune Silvertstein, à l'heure où il sortait de la boutique, et l'étala d'un croc-en-jambe. Auparavant, il avait pris la précaution de se munir de deux cailloux de bonne taille qu'il tenait cachés dans ses poings. Ayant descendu le jeune Silverstein, il lui sauta dessus et, bravement, lui battit le crâne de ses pierres. A son grand étonnement, le pauvre Silverstein n'offrit pas la moindre résistance ; même après que Johnny se fut relevé et lui eut laissé la chance de retrouver son aplomb, Silverstein s'entêta à ne pas vouloir broncher. Alors Johnny prit peur et s'enfuit. Il dut avoir une sacrée frousse même, car plus jamais on ne le revit ; les seules nouvelles qu'on eut de lui, furent qu'il s'était fait ramasser quelque part dans l'Ouest où on l'envoya dans une maison de correction .."
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Le Colosse de Maroussi

La rencontre décisive de Miller avec la Grèce, qui fonde sa nouvelle vision de la vie...



Publié en 1941, ce "récit" par Henry Miller de son voyage en Grèce en 1939-1940, interrompu par la guerre qui le renvoie, contre sa volonté en quelque sorte, aux États-Unis, marque un important tournant dans son écriture comme dans sa conception de la vie, qui trouveront leur achèvement provisoire par la suite avec "Big Sur et les oranges de Jérôme Bosch".



Saisissant rencontres et découvertes, des moments passés avec son ami Lawrence Durrell et son épouse, ou plus encore avec le "colosse de Maroussi", Katsimbalis, et d'autres compagnons de hasard, souvent fugitifs, du premier contact avec la Crète ou avec le Péloponnèse, Henry Miller dégage et renforce peu à peu, bien au-delà de la bohème des années passées, les éléments d'une mystique laïque, faite d'un curieux panthéisme, d'une célébration de la vie, de la simplicité et de la bienveillance, nimbées d'une profonde culture et d'une intense curiosité refusant tout estampillage académique...



Un étonnant tour de force, dont même certaines naïvetés occasionnelles (et certaines colères mémorables) ne peuvent gâcher la profonde incitation à penser et à vivre qu'il constitue.



"Ce fut là qu'un soir je rencontrai Katsimbalis. (...) Pour une rencontre, c'en fut une. De toutes les autres que j'ai faites dans ma vie - s'agissant d'hommes, s'entend - il n'y en a que deux qui puissent se comparer à celle-ci : celle avec Blaise Cendrars et celle avec Lawrence Durrell. Je n'eus pas grand-chose à dire, ce premier soir. J'écoutai, sous le charme, sous l'enchantement de chaque phrase qui tombait des lèvres de cet homme. J'ai vu tout de suite qu'il était fait pour le monologue, comme Cendrars (...). J'aime le monologue ; je le préfère encore au duo, quand il est bon. C'est comme si vous regardiez quelqu'un écrire un livre expressément pour vous : il l'écrit, le lit à haute voix, le joue, le révise, le savoure, s'en délecte et se délecte de votre joie, et puis le déchire et le disperse aux quatre vents. Spectacle sublime, car, tout le temps où il est en scène, vous êtes Dieu pour lui - à moins que, par hasard, vous ne soyez le dernier des veaux, des impatients et des butors. Auquel cas, l'espèce de monologue dont je parle ne se produit jamais."

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Lire aux cabinets

Voilà longtemps que ce petit livre m'interpelle, autant pour son titre que pour sa couverture. N'y allons pas par quatre chemins : il y a ceux qui lisent aux toilettes, et ceux qui trouvent ça trop dégueu - j'en suis. Mieux vaut, pour ces derniers, ne pas penser aux adeptes de cette pratique qui ont emprunté un livre avant eux à la médiathèque, ou à qui ils prêtent leurs ouvrages chéris...



Henry Miller part de ce mode de lecture (qu'il déplore) pour se lancer dans des diatribes obscures pleines de condescendance sur les Américains moyens des années 50 - entendez par là : personnes intellectuellement limitées -, sur le choix de leurs livres, sur le temps qu'ils estiment gagner en joignant de cette façon l'utile à l'agréable. S'éloignant beaucoup du sujet, et totalement intolérant, Miller ne manque pas, avec quelques citations éminentes en prime, de bien laisser entendre que lui-même appartient à l'élite. A tel point que l'on peut se demander quel est le véritable objet de ce court essai.



Une lecture totalement vaine, en ce qui me concerne. L'auteur s'est soulagé avec cette br*nlette philosophico-intello, si j'ose dire... mais vu le titre...



Pour couronner le tout : l'emploi de termes complètement désuets, alors que l'ouvrage a été réédité (qui parle encore de 'water closet', de 'petit coin' ou de 'cabinets' pour désigner les toilettes ?).



PS : il fallait vraiment que je lise les 57 pages non-stop sinon je n'aurais jamais eu envie de reprendre ce livre.



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La crucifixion en rose, tome 1 : Sexus

Sexus : Book One of the Rosy Crucifixion


Traduction : Roger Giroux (pour le Livre de Poche)





Plus construit - du moins est-ce l'impression que j'en ai retirée - que les deux "Tropique", "Sexus" est le premier volume de la "Crucifixion en Rose." C'est aussi une ode à Mara-Mona, c'est-à-dire à June, la seconde épouse de l'auteur, celle qu'il célèbrera d'ailleurs maintes fois dans son oeuvre.


Le premier chapitre s'ouvre d'ailleurs dans le dancing où, la veille même, le narrateur vient de rencontrer une hôtesse qui vend ses danses et sa compagnie aux hommes seuls.


A partir de là, Miller entraîne son lecteur dans une ronde de personnages dont il nous a déjà fait admirer certains specimens. Je ne citerai qu'un nom - qui se passe de tout commentaire : l'ineffable Kronski.


Mais Sexus, c'est surtout l'occasion pour Miller de peaufiner son personnage hyper-viril, capable de contenter toutes les femmes - ou presque. Qu'il soit avec Mara, laquelle, à un certain moment, demande "humblement" à Kronski si "elle est vraiment digne de Henry" (!!!), ne l'empêche pas de forniquer à droite et à gauche, et même avec son épouse légitime alors que tous deux ont pourtant entamé leur procédure de divorce. Le lecteur note tout de suite que c'est pratiquement Maude qui le lui demande.


Je crois à l'auteur américain beaucoup trop d'intelligence et de subtilité pour ne pas avoir brossé en vain de lui-même un portrait aussi peu flatteur. Parce qu'il s'attèle en profondeur au récit de sa vie - le fait qu'il enjolive nombre de détails ou les arrange en une perspective plus théâtrale n'enlève rien à cette profondeur - Miller sait qu'il ne peut plus reculer : cette fois-ci, il ne pourra pas se contenter d'effleurer le Miller gigolo, le Miller macho, le Miller lâche et fuyant qu'il fut aussi. Par conséquent, avec une habileté joviale et un talent qu'on ne saurait lui contester, l'écrivain dévoile alors tout ce qui, en lui, choque et scandalise comme jamais n'y sera parvenu le langage crû qu'il affectionne.


Le plus extraordinaire, c'est que, tout au long de ces 670 pages (en édition de poche), on ne songe pas un seul instant à planter là Henry, son sexe, ses blenmorragies, ses femmes, ses arnaques à l'argent, ses chantages aux sentiments, ses cuites et les invraisemblables amis qu'il traîne dans son sillage. Parfois, c'est vrai, on s'arrête, on s'interroge : voyons, ce funambule exhibitionniste qui, complètement saoul, nous fait des pieds-de-nez tout là-haut, sur cette corde qui a le tranchant d'une lame de rasoir, c'est vraiment le grand Henry Miller ? Incroyable ! Malgré tout ce qu'on savait déjà sur sa frénésie sexuelle, sur ses complications sentimentales et sur la vie d'homme entretenu qu'il mena par exemple auprès d'Anaïs Nin, on n'aurait jamais cru ça de lui ...


Et pourtant, malgré tout, on lui conserve une petite place tout au fond de notre coeur. Nul n'est parfait, se dit-on et au moins ne pourra-t-on taxer d'hypocrisie cet écrivain qui s'acharne à se peindre sous de telles couleurs.


Ultime clin d'oeil adressé au lecteur par le texte lui-même : l'anecdote que Miller rapporte sur Knut Hansum, l'un des auteurs qu'il aimait. Je vous laisse la découvrir, elle resssemble à la part d'ombre de Miller : agaçante, pitoyable, rusée, arrogante et cependant si naïve qu'on ne peut s'empêcher de sourire ainsi qu'on le ferait devant les frasques d'un gamin mal élevé mais brillant. ;o)
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Un diable au paradis

Mais quel boulet ce mec !!

“Quand un homme se noie sous vos yeux, est-ce qu’on ne lui tend pas la main ?” nous demande l’auteur, alors vous, je vous connais, vous qui avez le cœur sur la main, vous lui répondez, mais évidemment, on va voir ce qu’on peut faire pour vous venir en aide. Eh ben savez-vous que votre bonté légendaire risque fort de se transformer en cauchemar ? Pour peu que l’invité ait des dettes, il va compter sur vous pour les solder. Il va réagir à votre manière d’éduquer votre fille, dire à votre femme qu’elle n’a rien à espérer d’un anarchiste comme vous. Sans compter que le vieux Téricand est atteint de la gale et se gratte toute la journée. Il ne supporte plus la chambre que vous lui avez généreusement cédée, vous lui achetez du talc mais cela ne convient pas car Môssieu a besoin du talc Yardley.

Alors vous, avec votre esprit positif (je vous l’ai dit, je vous connais), vous l’encouragez à sortir de ses emmerdements, vous tentez de le valoriser, vous le mettez en relation avec vos amis pour qu’il sorte de cette spirale infernale, vos amis qui, du reste vous demandent qu’est-ce que vous foutez avec ce type, qu’il n’y aura rien à en tirer et que le mieux est que vous le mettiez dehors manu militari. Bref, c’est la cata car lorsqu’enfin vous vous décidez à rompre avec ce parasite, eh ben vous savez quoi ? Il vous menace. Si, je vous jure.

Tiré d’une histoire vraie, cette lecture est un régal, elle m’a rappelé la façon dont nous avions hébergé un américain à Toulouse au début des années 80 le temps qu’il se trouve un logement, sauf qu’il ne cherchait pas et que nous le faisions pour lui. Un jour, après des mois de cohabitation forcée, il nous annonce qu’il a fait connaissance avec d’autres américains sur la place du Capitole et qu’il les avait invités à manger chez nous le soir même. Ce fut la goutte d’eau. Eh ben ce fils d’universitaire de la prestigieuse université de Stanford est parti en nous piquant notre unique rouleau de PQ.



Non mais dans quel monde on vit !!



Challenge Multi-Défis 2023

Challenge Riquiqui 2023.



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J'suis pas plus con qu'un autre

Ce matin c'était ma crise Charlebois avec Ordinaire car cette symbiose de chanteur piano quand c'est fort c'est vraiment la classe et si tragiquement beau ; ce soir c'est Henry qui me berce, Henry Miller qu'aime aussi Charlebois. J'ai toujours adoré sa manière d'entrer en littérature, les premières pages de ses nombreux livres m'emportent toujours comme ici : "Je me suis décidé à écrire un petit bouquin en français. J'étais encouragé de le faire par Melle Sylvie Crossman qui est en train d'écrire une thèse sur moi et mon oeuvre..". (..) En général, j'aime ceux qui sont un peu ou largement fous, l'imbécile non ! Etre fou, c'est être poète. Ce sont des imbéciles qui gouvernent le monde.."

J'aime bien quand il dit : de ça j'en m'en fous au fait, tout ce que je sais c'est que ..

A propos de la taille du livre, celui-ci fait 50 pages. S'il y a bien quelqu'un qui ne fait pas de différence entre la nouvelle et le roman, c'est bien Henry Miller. Ses oeuvres vont inégalement de 30 pages à 1600 pages, on a l'impression que seul le nombre de pages compte et que pour le reste comment définir ses textes : il écrit en fonction de tout ce qui lui passe par la tête , par ordre d'importance, d'intérêt dans la vie. Il nous raconte le livre de sa vie, sans pudeur, sans entraves, libre, anarchiquement libre, fort de sa passion pour la littérature, les arts et les personnages qui les jalonnent. La vie est philosophie. On n'a pas l'impression qu'il s'accorde des limites, et pourtant si, un ordre d'importance, une sélection, charpente l'ensemble : il semble écrire par omission tellement son lyrisme est un fleuve. il a sa morale à lui en fonction des gens qu'il aime, il en fait religion, il trouve beaucoup de qualités et de vertus aux gens qu'il aime et fait son hygiène de tout ce qui lui paraît médiocre et insincère, sans s'attarder plus que ça.

Il a tellement galéré notre ami Henri que j'aurais tendance à le lire de préférence quand il est enfin tiré d'affaire et qu'il paraît plus libre et plus fort encore. Quand il est invité chez Simenon dans son château en Suisse, on voit qu'il est à l'aise parce ce qu'il sait qu'il est aimé pour lui-même, comme un artiste à part entière.. Je n'aurais pas pu voir Henry terminer sa vie comme un vagabond ou l'épigone de sa génération. Sa vie s'est conçue comme un voyage antique fait de sacrifices et d'humiliations pour s'achever sur la consécration dans le monde de ses pairs .. Si bien qu'il a vécu son dernier tiers de vie avec allégresse et joie, en sage. Dans ses interviews nombreuses, il jette un regard sur son passé qui lui revient sans cesse de manière obsessionnelle, semblant ne pas le regretter, il en sourit presque. Il faut dire aussi qu'on l'interroge beaucoup sur ces années terribles !

Quand au sexe, on ne va pas faire semblant de tourner autour du pot. Quand il parle de ses amours sexuelles, il dit que ce sont des amours frustrées. de son vrai amour, il n'en parle pas, juste un peu Mona que l'on retrouve régulièrement dans ses livres.. "Je n'aime pas parler du véritable amour, c'est sacré ! Pour les autres, ce sont des liaisons. "

"La dernière 'image que je conserverai avant de mourir est curieusement celle de la première femme que j'ai connue. J'étais tellement amoureux d'elle que j'en étais désespéré .. C'était une sorte d'ange, un amour idéal !" Sa vie avec Mona dix ans plus tard quand il commença à écrire lui rappelle des moments de grandes souffrances ..

La vie est philosophie, ai-je dit à son propos. Sa vie intérieure était riche, elle a pris le pas sur ses états d'âme nombreux. Il n'a pas arrêté de se nourrir d'elle : peut-être là sa force morale hors normes qui me paraît à la fois si douce et si puissante quand elle est apaisée ?..

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Tropique du Capricorne

Dis-don' Henry, c'est quoi cette merde ? Il est pénible, ton tropique du capricorne, et c'en est un d'origine qui te parle, un vrai, un avec des cornes sur le front et une queue de poisson qui sent le large, un qui relie le Paraguay au Botswana par la grâce de pi 3.14 et d'une géographie approximative. Alors laisse-moi te dire, Henry, que ton tropique de carte postale jaunie, il vaut pas tripette. Et encore, avec une carte postale jaunie on voyagerait au moins un peu. Mais là... on se fait chier, Henry, avec tes métaphores de quinze pages (presqu')aussi imbitables qu'un cancer de Ginsberg, ton moi intérieur qui sent le renfermé comme tous les moi intérieurs. T'es tellement plus intéressant, Henry, quand tu parles de la vraie vie, quand tu racontes tes premiers amours foireux comme le sont les premiers amours et les autres, quand tu racontes ton père tonitruant et bancal, quand tu goguenardes le monde interlope qui te mendie un emploi, et toi-même qui mendie de quoi manger-boire-vivre-baiser, mais putain Henry, qu'est-ce que tu peux être emmerdant quand tu te la joues underground de mes deux, avec des litanies à n'en plus finir sur... on ne sait trop sur quoi d'ailleurs. Il n'en reste pas moins que tu ponds des sacrées putains de phrases, mon Henry, comme celle-là : "J'ai fait un rêve sexuel merveilleux qui se terminait par la guillotine", et des sentences à faire ravaler son stoïcisme à papi Sénèque : "Personne ne soupçonne qu'il peut y avoir un sens à se contenter de demeurer bien assis sur son cul. [...] Personne n'aurait pu dormir plus profondément que moi au cœur de ce cauchemar" ; à faire vomir son bouddhisme au Dalaï-lama : "mais mieux vaut, infiniment mieux, en attendant la mort, vivre en état de grâce et d'émerveillement naturel. Infiniment mieux, tandis que la vie progresse vers une perfection de mort, n'être qu'un brin d'espace qui respire, une étendue de vert, un coin de fraicheur, un petit lac d'eau pure. Mieux vaut aussi accueillir les hommes en silence, les envelopper dans les plis de son manteau, car il n'y a pas de réponse à leur faire tant qu'ils se ruent comme des fous pour voir ce qu'il y a de l'autre côté du tournant" ; et à faire savourer son verre de limonade à Bukowski : "En tout lieu où j'allais, je fomentais la discorde – non parce que je servais un idéal, mais parce que je ressemblais à un projecteur qui éclaire brutalement les stupidités et les futilités du monde". Quel dommage, Henry, que tu t'égares si souvent dans une soupe indigeste de monologues vaporeux comme une soirée chez des cons dépourvus de bonnes bouteilles.

Bon, comme tu as quand même le don de tourner des belles phrases et que tu as baisé Marilyn Monroe, je vais pas être trop sévère.

Quoi ? C'est Arthur ? C'est Arthur qui l'a baisée ? Pardon Henry, désolé, j'vous confonds tout l'temps.

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Les livres de ma vie

Voilà. Lecture terminée, et il m'en reste carrément une douleur au ventre. Comment résumer, et surtout sans le trahir? En fait, Miller ne dresse pas une liste de livres comme le serait une liste de courses. Certes il aborde des dizaines, voire des centaines de livres, mais chacun est un prétexte (légitime ) pour aborder un chapitre , une conception de la vie, la sienne, celle de sa famille, ses amis, son pays, l'Europe, le monde, aujourd'hui, hier, du temps de l'antiquité. Ainsi, les lectures d'enfance et l'importance incommensurable qu'elles peuvent avoir. Les livres "vivants" , c'est à dire les hommes et femmes qu'il a connu, Le patriotisme via Giono, l'amour irrésolu de la vie avec Cendrars, la religion et l'illumination avec Whitmann et Dostoievsky (chapitre abordé dans une longue , très longue lettre à Pierre Lesdain), la cosmogonie, le zodiaque, et même....la lecture aux cabinets. Mais toujours la vie. Le dernier chapitre, nommé théâtre, est une envolée, typiquement à la Miller, où un tourbillon de noms, de rues, d'usines, de théâtres, de cimetières, de marchands, de cirques , j'en passe et des meilleurs, défilent sans aucune interruption et sans pour autant fatiguer les yeux ou faire perdre le fil de la lecture, au contraire, on est entraîné malgré soi et avec plaisir, en se demandant: pourquoi je ne vois pas ça dans ma vie de tous les jours? pourquoi je ne lis pas comme il lit?" d'ailleurs, à un moment donné, Miller dit:"Je suis de ceux que l'on accuse souvent de lire dans les chose plus qu'elles ne renferment, ou plus qu'on n'a voulu y mettre.".....Je pense pour finir, que c'est cette phrase qui représente le mieux ce livre:"Mais c'est ainsi que les livres se mêlent aux événements de la vie.
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Tropique du Cancer

Je commence par une introduction frappante de l'oeuvre par l'auteur, qui en dit long sur ce qui nous attend



"Je n'ai pas d'argent, pas de ressources, pas d'espérances. Je suis le plus heureux des hommes au monde. Il y a un an, il y a six mois, je pensais que j'étais un artiste. Je n'y pense plus, je suis! Tout ce qui était littérature s'est détaché de moi. Plus de livres à écrire, Dieu merci! Et celui-là alors? Ce n'est pas un livre. C'est un libelle, c'est de la diffamation, de la calomnie. Ce n'est pas un livre au sens ordinaire du mot. Non! C'est une insulte démesurée, un crachat à la face de l'Art, un coup de pied dans le cul de Dieu, à l'Homme, au Destin, au Temps, à la Beauté, à l'Amour! ... à ce que vous voudrez. Je m'en vais chanter pour vous, chanter en détonnant un peu peut-être, mais chanter. Je chanterai pendant que vous crèverez, je danserai sur votre ignoble cadavre..." Henry Miller



Un mot sur l'auteur ne sera pas de trop non plus pour comprendre ce roman totalement hors norme, façonné de pensées décousues d'un homme anticonformiste, complètement révolté et atypique, voir inclassable.

Henry Miller est un romancier américain né en 1891 à New-York. Il s'est éteint le 7 juin 1980 en Californie. Ses oeuvres sont largement autobiographiques, dont le style cru et choquant a suscité une série de controverses dans une Amérique puritaine. La jeunesse de Miller est marquée par l'errance; enchainement de petits boulots, brèves études. En 1924, il abandonne tout et décide de se consacrer à la littérature.



En 1928, délaissant femme et enfant, il se rend en Europe et s'installe en France jusqu'à la Seconde Guerre mondiale. Il vit misérablement, dort dans la rue, lutte contre le froid et la faim. Mais comme il le dit sur plusieurs supports que j'ai parcourus, c'est comme cela qu'il se sent heureux et surtout libre.



Ce roman "Tropique du Cancer", publié en 1934, entraînera aux Etats-Unis des procès pour obscénité, selon les lois contre la pornographie en vigueur à l'époque. En 1964, la Cour Suprême casse le jugement de la Cour d'Etat en affirmant la valeur littéraire de l'oeuvre de Miller. Ce choix de l'auteur de lutter contre le puritanisme fit beaucoup pour libérer les tabous sexuels dans la littérature américaine, à la fois d'un point de vue moral, social et légal. Il continuera à écrire des romans, tous censurés aux Etats-Unis pour obscénité.



Mon avis sur cette oeuvre



Un conseil de lecteur, il faut s'accrocher! Approcher et aborder pour la première fois un roman d'Henry Miller demande à mon sens un peu de concentration et une largeur d'esprit malléable. Si vous voulez faire connaissance avec l'une de ses oeuvres, mettez de côté votre esprit cartésien et oubliez votre caractère rationnel! Je m'y suis lancé car je voulais absolument approcher ce classique de littérature dite étonnante et fascinante. Ce "roman" sans style précis est totalement impossible à classer, à définir. L'auteur nous emmène dans son antre malsain, dur et choquant. Henry Miller enchaîne les mots, avec adresse, mais sans réellement suivre un fil rouge. Une série de mots, de phrases, de paragraphes pour exprimer son quotidien dans un Paris qu'il découvre. Henry Miller s'est lancé le défit de ne rien corriger, ne rien supprimer et de laisser couler sa plume. C'est remarquablement difficile à suivre.



Le narrateur - l'auteur - débarque à Paris en laissant derrière lui sa vie américaine. Sans le sou, d'une chambre d'hôtel à une autre, Henry Miller nous dévoile de quelle manière il gère son quotidien dans la capitale française, tout en nous livrant sa façon de voir le monde. Il vivra au dépend des autres, profitant de la charité des amis qu'il rencontre, sans pour autant être envahissant. C'est un peu sa façon de voir les choses, vivre au jour le jour. Si quelqu'un veut bien l'aider à pouvoir manger, avoir un endroit où dormir ou à obtenir un peu d'argent, tant mieux, le cas échéant, il se débrouillera autrement. Il trouvera quelques petits boulots pour gagner un peu d'argent, afin de pouvoir se taper des "grues" et se remplir un peu la panse.



Des prostituées... Henry Miller nous parle de ces femmes de joie à profusion! Celle qui fait son travail remarquablement, sans état d'âme, en passant par celle qui bosse avec trop de sentiments, trop de tendresse - et mon Dieu que ça gâche tout pour lui! Henry Miller peut nous parler du vagin d'une prostituée en remplissant plus de dix pages de son roman! Descriptions, précisions, analyses... Franchement, lorsque je lis un bouquin j'attends autre chose qu'une description d'un organe génital... Et pourtant, je dois dire que son roman tourne beaucoup autour de ce sujet, trop à mon goût. A en attraper "la chaude-pisse", comme presque tous les personnages de ce livre. Si le lecteur suit les réflexions et le parcours de l'auteur dans la capital, il découvrira un Paris malsain et pervers. Comme les femmes décrites dans ce roman - des tas de viande - et pas que les "grues"...



Pour apprécier ce roman, il faut que le lecteur garde les passages qu'il a aimés et oublie le reste. Pour ma part, j'ai rapidement laissé une bonne partie de l'oeuvre derrière moi pour la simple et bonne raison que je n'ai rien compris! Et je soupçonne Henry Miller de n'avoir lui-même pas tout à fait saisi ce qu'il voulait parfois nous dire. J'exagère un peu bien entendu, mais est-ce qu'il n'a tout simplement pas réussi à faire passer son message? Henry Miller part subitement - sans nous prévenir! - dans des délires hors du commun. Des pensées profondes, des réflexions complexes sur le monde qu'il perçoit d'une manière pessimiste, remplies de métaphores et d'analogies. On perd le fil, obligatoirement, pas possible autrement. L'expression "sauter du coq à l'âne" prend toute sa valeur dans ce livre. Henry Miller nous décrit une scène, une rencontre, et tout à coup, il nous kidnappe et nous emmène dans son imagination, ses rêveries les plus saugrenues, les plus abracadabrantes et loufoques. Un personnage complexe, dur à cerner, déroutant. Il se qualifie lui-même d'inhumain. Et oui, rester humain c'est passer à côté de beaucoup de choses. Je vous laisse méditer et comprendre comme vous voulez.



Si j'ai aimé? Je crois bien que non. J'ai apprécié les rencontres de Miller, sa façon de nous les présenter. Les dialogues. J'ai aimé certains personnages, ces hommes et ces femmes qui vivent dans un Paris complètement différent qu'aujourd'hui. J'ai aimé son style d'écriture, bien que sybillin, lorsqu'il ne nous attire pas dans ses délires excentriques. Mais j'ai détesté ces trop nombreuses ruptures abstraites - poétiques? - qui à mon sens donnent un aspect très négatif de l'oeuvre. Je n'ai pas aimé ces parties de jambes en l'air, décrites d'une manière répugnante, abjecte et méprisable. Un chef-d'oeuvre? Pas à mes yeux, désolé.
Lien : http://passion-romans.over-b..
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Tropique du Capricorne

Tropic of Capricorn


Traduction : Jean-Claude Lefaure





Avec « Tropique du Capricorne », auquel il mit le point final en 1938, alors qu’il s’était installé en France, Henry Miller nous offre une œuvre qui, comme le « Tropique du Cancer », éclate et se disperse encore un peu dans toutes les directions, tel un magnifique feu d’artifice conçu par un pyrotechnicien à la fois génial et complètement « allumé ». Mais l’ensemble est déjà beaucoup plus structuré et l’on peut y lire l’un des hymnes les plus poignants, les plus sincères et les plus humbles qu’un écrivain ait jamais dédié à la Passion d’Ecrire.


Pourtant, si l’on s’en tient au titre donné par l'auteur à la première partie de son roman – qui est aussi la plus longue – on ne s’attend guère à ce qu’il y soit beaucoup question de l’acte d’écrire (ou de l’impossibilité dans laquelle on se trouve d'y parvenir). Intitulé en effet, en toute (fausse Laughing ) candeur millerienne, « Sur le Trolley Ovarien », ce premier acte a surtout pour objet de nous décrire en long et en large les splendeurs et les misères qui présidèrent au passage de l’auteur à la "Compagnie Cosmodémonique du Télégraphe pour l’Amérique du Nord" : un mélange de Kafka et de Jarry, avec l'humour ravageur d'un Rabelais, et cette « patte » qui n’appartenait qu’à Miller lui-même.


«[ …] … Au bout de quelques mois, » confie-t-il au lecteur avec la jubilation que l'on devine, « je trônais place du Soleil-Couchant, engageant et saquant que c’en était de la démence. Un véritable abattoir, à Dieu ne plaise. Un pur non-sens, du haut en bas. Un gâchis d’hommes, de matériel, d’énergie. Une farce hideuse avec, en toile de fond, la sueur et la misère. Mais, tout comme j’avais accepté de servir de mouche, j’acceptai d’engager, de saquer et tout le tremblement ….[…] »


Toutefois, au-delà son cynisme habituel, on sent bien la réelle tendresse que Miller portait à tant de pauvres bougres rencontrés à cette époque dans les locaux de la Compagnie. Quant aux bougresses … Non, nous laisserons au lecteur le soin d’apprécier les pages que leur consacre un Miller qui, comme d’habitude, ne se gêne pas pour appeler … un chat un chat. (!!!) Il le fait d’ailleurs avec un naturel si désarmant qu’on se demande bien pourquoi l’Anasthasie américaine eut si longtemps des vapeurs en déchiffrant sa prose.


Dans la deuxième partie, ou plutôt dans l’ « Interlude », l’écrivain donne libre cours à sa logorrhée scriptrice. Aux scènes de sexe toujours explicites mais jamais vulgaires - enfin, c'est mon avis et libre à vous de ne pas le partager ! - et aux évocations du Brooklyn de sa jeunesse, se mêlent désormais des digressions d’une beauté à vous couper le souffle sur ce qu’est Dieu ou sur ce qu’Il n’est pas, sur les mille-et-une tensions de cette créature éternellement rebelle qui s’appelle Henry V. Miller et qui L’injurie tout en niant Son existence, sur la Vie avec tout ce qu’elle comporte de merveilles et de hideurs, sur les livres bien sûr, sur l’écriture évidemment, sur le Temps … Se succèdent alors des passages extraordinaires comme celui-ci :


"[…] …Si je me dresse contre la condition actuelle du monde, ce n’est pas en moraliste – c’est parce que j’ai envie de rire plus, toujours plus. Je ne dis pas que Dieu n’est qu’un énorme rire : je dis qu’il faut rire dur avant de parvenir à approcher Dieu. Mon seul but dans la vie est d’approcher Dieu, c’est-à-dire d’arriver plus près de moi-même. C’est pourquoi peu m’importe le chemin. Mais la musique est très importante. La musique est tonique pour la glande pinéale. La musique, ce n’est pas Bach, ni Beethoven ; la musique, c’est l’ouvre-boîte de l’âme. Calme terrible en dedans de soi ; conscience que l’être est doté d’un plafond et d’un toit… […] »


Ce « Tropique » se clôt enfin sur « Coda », troisième et dernière partie où un Miller enivré de sexe et d’amour évoque sa rencontre avec celle qui deviendra sa deuxième épouse, la fameuse June du film « Harry & June », et, poète toujours mais aussi drogué lucide, il a pour elle cette phrase sublime : « … Je t’accepte et te prends comme l’incarnation du Mal, la dévastation de l’âme, Maharani de l’ombre … »


Pour tous ceux qu’intéressent l’œuvre et la personnalité d’Henry Miller, il convient d’ajouter que c’est dans « Tropique du Capricorne » qu’il commence à s’étendre sur ses souvenirs d’enfance, tout particulièrement sur ses relations avec ses parents et avec sa sœur cadette. L'écrivain y reconnaît que, sans la "différence" de sa soeur, sans doute ne serait-il jamais devenu Henry Miller.;o)
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La crucifixion en rose, tome 1 : Sexus

Quand j'ai embrassé Henry Miller dans les années 75, j'ai failli tout laisser y compris Léon Tolstoï que je vénérais et que je vénère toujours, non pas Léon, je lui ai commis une infidélité en le laissant dormir un peu. En fait C'est Georges Moustaki qui me l'a suggéré. Georges était fan d' Henry Miller, au delà de la raison ..Et comme j'aimais énormément Georges, le personnage, la singularité, la liberté, sa beauté de pâtre grec, j'étais tout jeune, sur un petit nuage, je me suis mis comme un fan à aimer ce qu'il aimait..

Et comme tout a une triste fin, quand Georges au crépuscule de sa vie a sorti un livre sur les artistes qui ont compté pour lui dans sa vie, je n'ai même pas retrouvé le nom d'Henry Miller qui l'avait tant enchanté dans ses années canoniques ! Je fus intimement déçu, mortifié !

Je suis avec sur les bras Henry Miller avec sa Cruxifixion en rose, mais je le garde près de moi comme une étoile qui a illuminé ma vie à un moment donné, et j'entends le garder près de moi irrépressiblement.

PG 29 08 2022



(En fait je ne fais que rebondir sur le clin d'oeil d' AnnaCan

voir son remarquable billet sur Lady Chatterley de Lawrence)
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Virage à 80 - Insomnia

Insomnia ou le Diable en liberté, 1973, publié chez Stock traduit par Georges Belmont et Hortense Chabrier.



Que c'est chiant de lire en écriture manuscrite, coquetterie de l'éditeur, à la faveur des 80 ans de l'auteur, cette histoire d'amour, autobiographique touchante et passionnée, qui lui est arrivée à 75 ans, comme si on lisait une ordonnance de médecin, pour ceux qui ne sont pas du sérail évidemment. Maintenant qu'on s'est habitué au texte dactilographié, il ne faut pas nous la refaire, le temps du parchemin a ses limites :

Henry Miller excelle dans ces récits comme Jours tranquilles à Clichy écrit en 3 semaines, inspiré, la plume qui crisse sur le papier sans discontinuer et voilà l'air de rien emballé, pesé, un petit chef d'oeuvre. Ici même je pense qu'il lui a fallu moins de temps encore pour écrire ce court récit d'une quarantaine de pages. C'est brillant et tellement Henry Miller !

"Cela a commencé par un doigt de pied cassé, puis c'est la tête que je me suis cassée , et pour finir c'est le coeur qui s'est brisé. Mais, comme je l'ai dit quelque part, le coeur résiste à tout. On croit seulement qu'il est brisé. La râclée, c'est l'esprit qui la prend. Mais l'esprit aussi est fort ; on peut toujours le ressusciter : question de volonté.."
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Lire aux cabinets

Deux petits récits autobiographiques : le premier est un bijou qui a trouvé exactement les mots décrivant ce que je ressens quand je lis et que je parle de mes lectures autour de moi :)

Une ode enchanteresse à la lecture, avec une mention spéciale au roman Les hauts de Hurlevent, une merveille que j'ai relu dernièrement.

Le second, Lire aux cabinets est une critique sarcastique des personnes remplissant leurs toilettes de livres et ce besoin de ne jamais perdre une seule seconde.

Un cri de révolte aussi : laissez votre corps se purger en paix :)

Lecture sympathique!
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Entretiens de Paris

Je parlais hier pour un autre livre d'Henri Miller de la qualité des interviews que celui-ci a accordées à certains de ses amis, en voici une longue interview de 125 pages chez Stock en 1970 accordée à Georges Belmont, de son vrai nom Pelerson, d'origine américaine, installé à Paris après-guerre, normalien, traducteur, éditeur de son état. L'interviewer a travaillé sur Joyce, Beckett, Gide qu'il côtoie et naturellement Henri Miller dont il est question ici. Il a traduit en outre de grands auteurs américains à succès : Chaise, Irish, Waugh, ainsi que Burgess..



Une sorte d'identification émerge dans ce livre où finalement deux hommes qui se connaissent bien, des mêmes origines se retrouvent. On ne perd pas de temps, on va droit au but, les présentations sont faites depuis longtemps entre les deux hommes qui ont fait de leur vie, une vie consacrée à la littérature et, pour le traducteur, à ses plus éminents représentants. Georges Belmont restera en France, Henri Miller regagnera l'Amérique. le coeur du livre cela dit, son objet, sa vedette, c'est Henri Miller.

GB : Mais pourquoi cette persistance du personnage de Mona dans l'essentiel de vos oeuvres ?

HM : Pourquoi ? Parce que, quand j'ai commencé à écrire, dix ans après .. quand j'ai commencé à écrire, ici, à Paris, j'ai voulu raconter mes souffrances pendant les sept années - oui, seulement sept années - où j'avais vécu avec elle? Et j'ai cité Abélard. Oui c'est dans Capricorne, je crois .. J'ai cité les mots d'Abélard où, parlant de lui-même, il déclare qu'il a souffert plus qu'aucun autre homme au monde. Je pensais que, moi aussi, j'avais souffert comme lui.. plus qu'aucun autre homme au monde. Et je n'avais envie de parler que de ces sept années. mais je ne sais quel esprit s'est emparé de moi et je me suis lancé toujours plus au large, si je puis dire, malgré moi. J'ai débordé !

En même temps, cela n'empêche pas que, visiblement dans mes livres, tout soit bien concentré sur ces sept années, enfermé dans elles. Je ne dis pas grand chose des années qui suivent, quand on y pense. Je parle de mon enfance, des années qui précèdent, mais pas de celles qui suivent ! "



Henri Miller raconte cela comme s'il avait fait un séjour en prison de 7 ans et qu'il revenait sur cette période de manière obsessionnelle comme le tolar rattrapé par son passé, poussé par le syndrome de Stockholm.



Page d'après on peut lire ceci : C'est par une sorte de désespoir, vous savez, que je suis devenu écrivain .. après avoir tenté de faire tout sauf cela. Tout oui, j'ai fait plus de cent métiers avant d'en arriver là, et finalement je me suis dit : " Tu n'es bon à rien ; pourquoi , au fond n'essaierais-tu pas d'être un écrivain"



Je me délecte quand je lis sous la plume d'Henri le voir répondre à une question par une question de mot ou de pensée d'auteur qui éclaire à la fois sur son humilité et sa culture. On a le sentiment de le voir se fondre dans mille autres personnalités de renom, mais il est bien clair qu'il tire la couverture vers soi, comme on dit. Il n'y a là ni dérobade, ni bien sûr effacement de personnalité, bien au contraire. J'y vois aussi un souci de clarté dans son propos et d'impériosité, en sachant que sa vraie vie est la passion pour tous ces personnages dont il nous abreuve à satiété, mais voyons plutôt :

"L'autre soir, relisant les pages d'André Gide sur Dostoïevski, j'ai été frappé en voyant que Dostoïevski lui aussi, a toujours méprisé l'intellect. IL dit même que c'est cela le diable.. ses personnages essentiels, comme le prince Muichkine, sont tous des êtres qui placent le sentiment plus haut que la tête. Oui c'est la tête la grande tentation .."



En fait, je ne vois pas ici d'interview au sens journalistique, quelque peu galvaudé, je vois de la littérature empreinte de réflexions profondes qui consacrent un livre à part entière.



Oui il est rare de voir une interview faite avec une telle intensité. Je ne vois pas d'autre explication que celle d'un homme qui parle admirablement de lui-même, avec les mots qu'il faut, comme un auto-portait sans concession, magnifiquement croqué, avec tout ce sel de la terre, et cette sagesse du coeur.



Avec Henri, désolé, mais j'y trouve ce que j'ai envie d'y voir en littérature, c'est-à-dire rarement, toute la dimension d'un homme face à son destin qui revient sur lui-même avec une force incroyable sans doute due au fait qu'il a fini par vaincre ses démons et les obstacles de la vie qui ne l'ont pas épargné, loin s'en faut.
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Printemps noir

Henry Miller, c'est simple : si vous êtes parvenu à aimer sa petite musique folle, son humanité pleine avec sa saleté, et ses lumières, ses impostures et ses courages, alors vous aimez Henry Miller.

Et si vous aimez Henry Miller, vous aimerez tout ce qu'il fait. Même quand c'est un peu moins bien. Objectivement.

Ce livre-ci est moins abouti que la trilogie de la Crucifixion en rose, par exemple. C'est un ensemble de textes-nouvelles relativement longs où Miller se perd, se retrouve, son style est là, débridé, parfois chiant, il faut le dire. Mais méfiance car une claque se trouve très vite au détours de certaines lignes.

Enfin bref, j'aime Henry Miller, j'aime donc ce Printemps noir, mais je ne le recommanderai pas à un lecteur vierge de cet auteur.
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La crucifixion en rose, tome 1 : Sexus

Contre toute attente, je me suis régalée. Oui, j'ai aimé !

Pourquoi, moi qui ne suis pas franchement portée sur les histoires pornographiques, j'ai malgré tout pu lire ce texte ? C'est simple ! La puissante énergie vivante qui s'en dégage.

(Et ma maturité aussi, certainement, sourire).

Ce type est un jouisseur pur et dur ! Aucun doute là-dessus ! (quand même marié 5 fois l'énergumène). Il adore la vie et tout de la vie, absolument tout. D'ailleurs, il le dit lui-même à la fin de l'ouvrage par l'intermédiaire de son lui « fictionnel ».

Mais il l'adore à sa façon, sa façon débridée de pur animal instinctif.

On sait que pour les animaux, le bien, le mal, çà n'existe tout simplement pas.

Et qui a déjà vécu avec ou fréquenté un individu de sexe mâle, est en général immunisé contre leur obsession du ‘chose' comme il dit, le salace, la lubricité et l'obscénité, le graveleux bien graisseux. Le pipi caca typique des mâles on connaît, au bout d'un moment on a l'habitude. On sait qu'on moque, on charrie la chair, parce qu'on a conscience d'en être et de ce qu'elle est ; d'en être dépendant, prisonnier. On la moque parce que cela nous débecte d'y être asservi de cette manière, comme de vulgaires bêtes, incapables de se détacher de leurs instincts.

- - - - -

Mais finalement, dans ses scènes de ‘sexe', il reste dans du pornographique assez classique. Il s'offre la jouissance de la réalisation des fantasmes masculins les plus banals, c'est à dire en majorité et en général, une domination totale sur des objets de concupiscence, sur lesquels ils reportent de façon simpliste ce qu'ils sont eux et leur propre vision et vécu des choses ; en gros comme en détail, toutes les nanas sont des « chaudasses » qui n'attendent que çà et eux, il leur suffit de mettre leur tuyau à pisse dans un trou pour faire grimper au plafond n'importe quelle 'conne'. C'est valorisant pour eux, çà flatte ce qu'ils considèrent comme leur « virilité », centrée autour de leurs organes génitaux, mais ce n'est pas très réaliste, ni crédible. Et à mon avis, c'est là qu'on trouve le plus de fiction et le moins d'autobiographique.

- - - - - -

Toutefois, dans ce texte, on sent qu'il s'est fait plaisir, qu'il a pris son pied.

Et de toutes les manières, c'est le cas de le dire.

C'est … pff ! Plantureux, copieux. Crise de foie assurée (sourire).

Un gueleton gargantuesque ! Rabelaisien !

- - - - -

Dans ce premier volet de la crucifixion, on assiste à la mise bas de Miller par Miller. Miller écrivain sortant de Miller l'animal, obsédé sexuel et érotomane compulsif, comme un Alien lui crevant la poitrine et déchiquetant la viande à grands coups de crocs rouillés en dents de scie. Portrait d'un porc priapique, épique ! Dégénéré typique, « s'embarquer dans l'aventure charnelle » dit-il, donc « dans la démence», si on suit son raisonnement.

- - - -

Au début, le tableau qu'il nous brosse de lui-même est celui d'un raté de base comme notre société actuelle, dite ‘humaine', en fabrique par milliers. Le parcours habituel. Il saute par-dessus les illusions des débuts et passe directement à l'amertume sur les rêves qu'on a dû laisser crever, désillusion de n'avoir pas accompli quelque chose de grand et résignation. Job de merde exercé par défaut, faute de mieux et pour survivre, et vie de merde à l'avenant qui s'épuise en longueur. Sauf que lui, il a maintes fois l'occasion de faire mieux mais il ne préfère pas. C'est pourtant un exalté, un passionné ; il est dans l'expression spontanée et enthousiaste des choses, il réagit au quart de tour, bourré d'énergie vitale, mais il est aussi et clairement un ‘glandeur' (du point de vue de la société productiviste, s'entend) très actif et un jouisseur qui s'assume complètement, conscient et heureux de l'être. Alors qu’il est encore marié, il rencontre Mara, une "poufiasse" à l'équivalent, ratée de base elle aussi, qui vivote dans un job de merde qui ne dit pas ouvertement son nom, mais on sait à quoi s'en tenir. En effet, elle bosse dans ce qui est pudiquement appelé un « dancing », autrement dit, à l'époque et dans ce New-York là, un bordel déguisé qui sous couvert de faire danser le « pecno » pratique d'autres activités ludiques (pour pas dire lubriques ;) et rémunératrices.

Bref, leur libido débridée les fait s'agripper l'un à l'autre comme deux damnés bestiaux sur le radeau de la méduse et ils se mettent à la colle. Lui, çà ne lui pose aucun problème de partager la femme, qu'il dit ‘aimer' avec moult et plus d'un ‘admirateur' ; il va peu à peu glisser ‘macro' comme une anguille, sans heurts et sans bruits et sans s'en apercevoir ou même s'en émouvoir, un souteneur quoi. Mais il faut dire que c’est elle qui se propose et lui qui dispose. ( heu… Oups ! Là j’anticipe un peu, j’ai malheureusement commencé par le second volet, Plexus). Toutefois il faut préciser qu'il a une définition bien à lui de « l'amour » et du verbe ‘aimer'. D'ailleurs, il traite les femmes qu'il prétend « aimer », exactement comme les autres, comme de la viande qu'il trouve appétissante. Et souvent, dans ses descriptions de copulations, ce ne sont pas des femmes qu'il décrit, mais des morceaux de corps, comme un dépeçage en règle façon Hannibal Lecter. Il y a effectivement quelque chose de la dévoration et du cannibalisme dans son attitude. Il dévore la vie, sa vie, et celle des autres comme un vampire. La greluche, aidé en cela par tous ses potes et connaissances qui poussent dans le même sens, lui met dans le crâne qu'il est destiné à écrire et celui-ci se monte le bourrichon et finit par y croire dur comme fer. On suit alors leurs tribulations dans la ville ; deux cloches paumées avec une ribambelle de fondus du même calibre qui gravitent autour d'eux, et qui passent tout leur temps en beuverie, ripailles, arnaques en tout genre et coups tordus pour survivre.

Bouffe, alcool et « sexe » à gogo, enfin… plutôt copulation animale que sexe ; recherche de fric facile - quels que soient les moyens ils sont bons - comme dans l'urgence et l'imminence d'une catastrophe, comme s'ils allaient mourir demain.

Le tout, dans une soumission absolue à tout ce qui fait notre animalité la plus brutale, sans fard et sans finesse, mais de façon si naturelle, si spontanée, presque naïve, qu'elle semble innocente et ingénue. Cela parait étrange de dire çà, ici et dans ce contexte ; mais après tout… est-ce qu'on en veut aux animaux d'être ce qu'ils sont et de se comporter selon ce que la biologie à fait d'eux ? Non ! Et même… on les aime bien en général (sourire).

- - - -- - - -

Au début du texte donc, nous avons affaire au « Bestiau » Miller pas encore à l'écrivain. Il se dépeint comme un simple spécimen qui gesticule parmi les autres au sein du cloaque qu'est toute grande ville ; et tout rassemblement de bipède hominidé en général. Il se livre pieds et poings liés à l'absurdité de l'existence de bête humaine pur jus et il n'y va pas de main morte, c'est le moins qu'on puisse dire. Ce n'est pas qu'il n'ait pas de volonté, car ce n'est ni un tiède, ni un frileux et quand il décide d'agir réellement il le fait, c'est simplement qu'il choisit de ne pas l'utiliser la plupart du temps, à part pour ce dont il a envie. Là encore, c'est la bête Miller qui s'exprime. Et il a décidé en toute conscience de fonctionner à l'instinct.

C'est donc avec un enthousiasme sans fards et un consentement total à la seule règle qui vaille dans ce pays là, c'est-à-dire qu'il n'y en a aucunes, qu'il se livre à l'occupation de survivre.

Mais sous la peau du jouisseur, se trouve un animal des profondeurs. Il se sent piégé entre être et devenir. Voilà un homme qui démarre mal dans la vie ; comme les plus nombreux d'entre nous. Seulement lui, suite au hasard d'une rencontre, il décide de secouer le joug sociétal, d'envoyer valser le jeu truqué dans lequel nous sommes tous embarqués, de s'extirper résolument de l'animalité ordinaire, pour s'élever et atteindre à la personne pensante, ayant son libre arbitre. Comme un boxeur, il monte alors sur le ring de la vie et frappe, frappe et frappe encore, comme le poids lourd qu'il est, jusqu'à s'étourdir, se saouler, s'imbiber de vivant, au propre comme au figuré et à tomber sonné, knock-out.

-- - - -

Reprendra-t-il connaissance, tout fripé, englué et vagissant dans la peau d'un écrivain ?

Seule la lecture de la suite vous le dira ! (sourire)
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Lire aux cabinets

J’ai acheté ce bouquin 2 euros / L’idée était de faire l’appoint / Pour payer la somme en chèque-cadeau / Je sais, ça fait un peu radin / J’eusse pu tomber sur un ouvrage idiot / A ce prix là, c’est pas malin ! / Mais non, Henry écrit avec brio /. Les deux essais sur la lecture qui constituent ce petit bouquin sont extraits des « Livres de ma vie » d’Henry Miller. Le 1er : « Ils étaient vivants et ils m’ont parlé » pourrait être une sorte de cahier des charges à l’usage des « citoyens » de Babélio, un genre de constitution de la « république » Babélio. Je vous note quelques citations pour argumenter mon propos : Un livre vit grâce à la recommandation passionnée qu’en fait un lecteur à un autre (...) J’estime qu’ils se trompent ceux qui affirment que la base de la connaissance, de la culture ... sont nécessairement ces classiques que l’on trouve énumérés dans toutes les listes des « meilleurs » livres. A mon avis, tout homme doit bâtir lui-même ses propres fondations. C’est le caractère unique de chacun qui fait un individu. (...) Ce qui est important, ce n’est pas quels livres, quelles expériences un homme doit connaître, mais bien ce qu’il a à apporter de lui-même dans ses lectures et dans sa vie. (...) Un des impondérables les plus mystérieux de la vie, c’est ce qu’on appelle les influences. Elles obéissent sans nul doute aux lois de la gravitation. (...) Bien sûr, il y avait toujours une catégorie d’auteurs dont les pouvoirs magiques me déconcertaient. (...) Ce qui permet mieux que tout d’apprécier un art, c’est de le pratiquer. (...) avec ceux qui sont sincères, ceux qui s’efforcent honnêtement de s’exprimer, je suis plus clément, plus compréhensif (...) Je trouve un enseignement auprès du plus pauvre des écrivains, pourvu qu’il ait donné le meilleur de lui-même (...).

J’ai trouvé le second texte : « Lire aux cabinets » un peu moins pertinent, Miller y digresse encore et toujours, notamment de l’utilisation du temps de lecture, comment, pourquoi etc. Pourtant, contrairement à ce qu’on pourrait croire, il ne conseille pas de lire aux toilettes. Mais personnellement, je vais continuer à y lire les programmes télé, j’ai, en effet, l’illusion d’y gagner un peu de culture télévisuelle car je la regarde assez peu, la téloche. Les résumés de « Game of Thrones » (que je n’ai jamais regardé) sont, par exemple, particulièrement adapté à ce lieu :-) Allez, salut.

P.S. Bonnes fêtes de fin d'année à tous et à l'année prochaine.

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