Ce matin c'était ma crise Charlebois avec Ordinaire car cette symbiose de chanteur piano quand c'est fort c'est vraiment la classe et si tragiquement beau ; ce soir c'est Henry qui me berce,
Henry Miller qu'aime aussi Charlebois. J'ai toujours adoré sa manière d'entrer en littérature, les premières pages de ses nombreux livres m'emportent toujours comme ici : "Je me suis décidé à écrire un petit bouquin en français. J'étais encouragé de le faire par Melle
Sylvie Crossman qui est en train d'écrire une thèse sur moi et mon oeuvre..". (..) En général, j'aime ceux qui sont un peu ou largement fous, l'imbécile non ! Etre fou, c'est être poète. Ce sont des imbéciles qui gouvernent le monde.."
J'aime bien quand il dit : de ça j'en m'en fous au fait, tout ce que je sais c'est que ..
A propos de la taille du livre, celui-ci fait 50 pages. S'il y a bien quelqu'un qui ne fait pas de différence entre la nouvelle et le roman, c'est bien
Henry Miller. Ses oeuvres vont inégalement de 30 pages à 1600 pages, on a l'impression que seul le nombre de pages compte et que pour le reste comment définir ses textes : il écrit en fonction de tout ce qui lui passe par la tête , par ordre d'importance, d'intérêt dans la vie. Il nous raconte le livre de sa vie, sans pudeur, sans entraves, libre, anarchiquement libre, fort de sa passion pour la littérature, les arts et les personnages qui les jalonnent. La vie est philosophie. On n'a pas l'impression qu'il s'accorde des limites, et pourtant si, un ordre d'importance, une sélection, charpente l'ensemble : il semble écrire par omission tellement son lyrisme est un fleuve. il a sa morale à lui en fonction des gens qu'il aime, il en fait religion, il trouve beaucoup de qualités et de vertus aux gens qu'il aime et fait son hygiène de tout ce qui lui paraît médiocre et insincère, sans s'attarder plus que ça.
Il a tellement galéré notre ami Henri que j'aurais tendance à le lire de préférence quand il est enfin tiré d'affaire et qu'il paraît plus libre et plus fort encore. Quand il est invité chez
Simenon dans son château en Suisse, on voit qu'il est à l'aise parce ce qu'il sait qu'il est aimé pour lui-même, comme un artiste à part entière.. Je n'aurais pas pu voir Henry terminer sa vie comme un vagabond ou l'épigone de sa génération. Sa vie s'est conçue comme un voyage antique fait de sacrifices et d'humiliations pour s'achever sur la consécration dans le monde de ses pairs .. Si bien qu'il a vécu son dernier tiers de vie avec allégresse et joie, en sage. Dans ses interviews nombreuses, il jette un regard sur son passé qui lui revient sans cesse de manière obsessionnelle, semblant ne pas le regretter, il en sourit presque. Il faut dire aussi qu'on l'interroge beaucoup sur ces années terribles !
Quand au sexe, on ne va pas faire semblant de tourner autour du pot. Quand il parle de ses amours sexuelles, il dit que ce sont des amours frustrées. de son vrai amour, il n'en parle pas, juste un peu Mona que l'on retrouve régulièrement dans ses livres.. "Je n'aime pas parler du véritable amour, c'est sacré ! Pour
les autres, ce sont des liaisons. "
"La dernière 'image que je conserverai avant de mourir est curieusement celle de la première femme que j'ai connue. J'étais tellement amoureux d'elle que j'en étais désespéré .. C'était une sorte d'ange, un amour idéal !" Sa vie avec Mona dix ans plus tard quand il commença à écrire lui rappelle des moments de grandes souffrances ..
La vie est philosophie, ai-je dit à son propos. Sa vie intérieure était riche, elle a pris le pas sur ses états d'âme nombreux. Il n'a pas arrêté de se nourrir d'elle : peut-être là sa force morale hors normes qui me paraît à la fois si douce et si puissante quand elle est apaisée ?..