Citations de Isabelle Monnin (492)
Par quels sentiers ruissellent les souvenirs ? Vient à Michelle la mémoire d'une autre main - détourne les yeux de sa chair de poule d'enfant, ne pas confondre les peaux. C'était de l'autre côté, sur la rive ouest, là où le soleil se couche. Ils s'y installaient l'été avec les copains, mobylettes près des arbres, plongeons depuis le plus haut rocher, maillots de bain sous les pulls, pommes de terre dans l'aluminium, nuits blanches autour d'un haut feu, Californie au bord du lac.
Il a soixante-neuf ans, cet âge où les hommes deviennent vulnérables, leurs forces s'en vont, ils ont peur de tomber de l'échelle, de ne plus pouvoir se défendre si on les attaque, de perdre la vue, les dents, la vie. Il a l'âge émouvant où l'on se fait une raison. Et puisque je le lui demande, il ne voit pas pourquoi ne pas me raconter sa vie. A côté de nous, à moins que ce ne soit grimpé sur ses épaules, s'est installé le petit garçon qu'il était. Nous reprenons.
" Autour de la table s'assoient les années ; sur leurs genoux, bien droit se tiennent les souvenirs."
Où vont les secrets quand il n'y a plus personne à qui les cacher ?
Raymond la rejoint le premier, son corps d'arbre centenaire. Il sourit, peut-être. On ne sait pas. Sa bouche est en permanence un peu ouverte, personne ne veut imaginer qu'elle a donné des baisers, avant. Il ne dit plus rien depuis longtemps.
Comme papa travaille, je passe mes vacances chez mamie Poulet. Le matin je vais au cheval. Je monte Pacotille, elle est douce et forte, elle comprend tout ce que je lui dis, même les secrets qu'on n'entend pas
Nos peaux sont des enveloppes qui entourent ce que nous sommes vraiment et qu'on ne verra jamais.
Si on le veut vraiment, il est assez facile de pleurer sans que personne le voie. Il suffit de bien contrôler sa respiration. Mon père n'y arrive pas trop ; ça le prend surtout quand Hervé Vilard chante " Nous, c'est une illusion qui meurt / d'un éclat de rire en plein cœur / Une histoire de rien du tout / comme il en existe beaucoup". Mon père au volant, faut le voir, grosses larmes, un de ces bruits, renifle, coule dans la bouche et tout et tout. Je préfère " Ti amo, tiamotiamotiamotiamotiamotiamo - amo - et je m'enlace comme si je dansais un slow.
Certaines choses ne s'écrivent que lorsque personne ne peut les lire.
"Alors les photos de famille restent là, dans leurs petits cercueils de carton, et on peut les oublier, elles sont comme des croix plantées, elles appellent le plaisir mélancolique. Quand on ouvre le carton, aussitôt c'est la mort qui saute aux yeux, et c'est la vie, toutes les deux nouées et enlacées, elles se recouvrent et elles se masquent."
Hervé Guibert, L'image fantôme
On ne retient pas la vie, on peut juste s'en souvenir. La vie est comme les secondes, elle se fiche de nos efforts, elle coule dans son perpétuel effacement. Du sable entre les doigts, une goutte d'eau sur une pierre chaude.
Les heures de rêverie, que deviennent-elles quand on s'en échappe ? Elles imprègnent les murs et les plafonds, s'y gravent à l'encre secrète, elles sont pareilles aux souvenirs : glissées sous les choses. Chaque maison, chaque sentier, chaque arbre est couvert de ces couches invisibles, on peut bien poncer les enduits et arracher les écorces, elles ne disparaissent jamais vraiment.
La tristesse est une solitude illimitée, elle sépare même ceux qui s'aiment.
Je crois que toute vie vaut la peine d'être racontée, chaque vie est un témoignage de toutes les autres.
On dirait qu’elle a trouvé le secret de la vie, ça irradie d’elle entière, je voudrais m’y frotter comme à une lampe magique, qu’elle me prête un peu de son fluide, qu’elle m’en maquille les yeux et la bouche.
Les romans sont des abris où retrouver les disparus. Ecrire, c'est construire leur refuge, assembler des branchages, bâtir des murs, préparer les lits, penser à la liste des courses et aux chansons que l'on chantera après le repas. C'est les attendre au bout du chemin, la nuit est tombée déjà, ils sont en retard.
La tristesse est une solitude illimitée, elle sépare même ceux qui s’aiment.
Sa tendresse est la mer que j'attendais pour savoir nager.
Inoubliable et légendaire, tu es le héros de toutes mes aventures. Toujours courageux et fulgurant, jusque dans la mort. Tu n'es pas un centenaire qui s'éternise, tu vis peu mais concentré; tu exploses en bouche, condensé de vie, puissant comme une pointe de piment. Tu as toutes les vies, tiens, je te les offre. Tes vies extraordinaires.
A la mort qui vient, elle offre mains ouvertes sa solitude grise et ses odeurs froides. Elle offre aussi ses bocaux à la cave, les haricots verts que personne ne prend plus, elle donne les pommes alignées sur le papier journal, son couteau noir et ses bouteilles de bouillon, elle cède sans un regard les tricots commencés pas terminés et ses photos mélangées, n'emportera que celles qui trempent dans le lait. Elle lui offre tout, ses importants et ses regrets, le même jour hagard toujours recommencé.
... je n'ai pas d'ami. Je ne sais toujours pas si c'est parce que je n'aime personne ou si c'est parce que personne ne m'aime.