Voici la critique de :
Tourgueniev - Premier Amour (mars 1860)
Premier Amour (Первая любовь), le roman le plus connu de ce chantre des amours impossibles qu’est Tourgueniev, est l’un des plus autobiographiques, et l’un de ceux où culmine son pessimisme romantique dans une langue toute de fraicheur, de poésie, et de pénétration psychologique.
Un soir, trois amis décident de se raconter leur premier amour, mais nous n’aurons droit qu’à un seul récit, celui de Vladimir Petrovitch dont le roman situe les évènements au début de l'été 1833 quand Vladimir a 16 ans (C’est l’âge de Tourgueniev en 1833). Sur les terres de ses parents, il se prépare sans beaucoup d’ardeur à l’examen d'entrée à l'université. Les jours se suivent et ressemblent, jusqu’au jour où des locataires viennent occuper le pavillon d’à côté, au confort très relatif. Vladimir est ébloui par la vision, dans leur jardin, d’une jolie femme habillée de blanc, et cherche d’emblée le moyen d’entrer en contact avec elle. Par chance, sa mère l’y envoie faire une commission. La jeune femme s’appelle Zénaïde, a 21 ans, et vit avec sa mère, la princesse Zassékine, endettée, réduite à la pauvreté, et aussi négligée que sa fille est raffinée. Le jeune adolescent tombe amoureux de cette Zénaïde de cinq ans plus âgée que lui, et devient vite un habitué de la maison, mais au même titre qu’une cour d’adorateurs que le jeune coquette s'amuse à rendre jaloux, et traite comme des marionnettes sans rien leur accorder: le docteur Louchine, le poète Maïdanov, le comte Malievski, le hussard Belovzorov et le capitaine en retraite Nirmatski, outre donc Vladimir pour qui elle manifeste tantôt une douce et curieuse tendresse, tantôt une froideur imprévisible qui désespère l’adolescent. On passe le temps en jeux, en gages, en conversations. Brulant de ses premiers émois d’adolescents et de ce premier amour impossible, Vladimir se ronge à essayer de deviner qui est le préféré de la jeune femme parmi tous ces soupirants, car – se dit-il - il doit bien y en avoir un.
Comme dans tous ses romans, l’auteur s’attache à décrire la nature: les pins, les framboisiers, la fontaine, les fourrés denses. C’est là qu’un soir, il épie les allées et venues pour savoir avec qui elle a rendez-vous, et celui qu’il voit rejoindre Zénaïde, et gagner sa chambre, n’est autre que son propre père. Il devient fou de jalousie.
Ce n'est qu'après avoir quitté la propriété parentale et repris ses études qu'il pourra guérir de cette blessure. Quant à Zénaïde et à son père, ils subiront tous deux le sort tragique des fins pessimistes propres au romantisme. La première, difficile à marier à cause de ce scandale, est devenue un peu plus tard Mme Dolskaïa, et est morte en couches, et le second succombe à une attaque cardiaque, non sans laisser à son fils une lettre dans laquelle il l'exhorte à se méfier de l'amour, de ce bonheur, de ce poison.
L'histoire de Vladimir est celle de Tourgueniev, puisque ce récit au charme cruel est une histoire vraie, sauf que Tourgueniev avec alors 13 ans et que Zénaïde, qui était en réalité la fille de la princesse Chakhovski, n’avait que 19 ans et se prénommait Catherine. Elle était effectivement la jeune maitresse de son père. Tourgueniev a légèrement vieilli Vladimir et Zénaïde pour rendre l’histoire plus vraisemblable. Il a écrit ce roman à 42 ans, et n’avait rien oublié.
C’est l’une des rares œuvres de Tourgueniev où il ne met pas en scène des protagonistes représentant des types sociaux, ce qui lui sera reproché par les progressistes, tandis qu’il scandalise en même temps les conservateurs à cause de ce sujet fort scabreux pour l’époque: outre l’adultère de cet homme marié, la rivalité entre un père et un fils épris d'une même femme, bien que présenté très pudiquement et par sous-entendu dans le roman. En 1787, Schiller avait pourtant déjà fait de cette rivalité le thème central de Don Carlos, mis en musique en 1867 par Verdi, mais cela n’apaisa pas la vieille garde. Consolation, le roman fut apprécié par le tsar. Tourgueniev en modifia plusieurs fois l’épilogue. Plusieurs années après, en 1875, Dostoïevski publiera L’Adolescent, qui décrit également les tourments amoureux de cet âge.
Dans ce récit autobiographique, Vladimir, alias Tourgueniev, laisse entendre que son père Piotr aurait épousé sa mère, nettement plus âgée mais riche héritière, par intérêt, et la décrit de manière peu flatteuse.
Le roman a été adapté au cinéma une petite dizaine de fois, y compris au Japon, au Mexique, en Espagne, en Russie, en Angleterre, mais pas en France
Je commence par le commentaire sur Un nid d'un gentilhommes", le commentaire d'un "Premier amour" suivra un peu plus tard.
Tourgueniev, le Nid d'un gentilhomme (1859)
Écrit vers 1856 et porté à l'écran en 1969, Un nid de gentilshommes (Дворянское гнездо, textuellement Nid de nobles, également traduit en français sous le titre Une Nichée de gentilshommes ou Le Nid des Seigneurs) est le deuxième roman de Tourgueniev, après Dimitri Roudine, sur un thème qui sera récurrent chez lui, celui de l'amour impossible, et ici deux fois éphémère. le roman fut achevé en 1858 et parut en 1859. Tourgueniev en écrivit trois versions, avec d'abord Lisa comme titre, l'éditeur imposant le titre définitif.
L'action se passe dans les années 1840, une vingtaine d'année avant l'abolition du servage par Alexandre II, au sein de la noblesse terrienne d'une petite ville de province.
Théodore (Fedor dans la version russe) Lavretski, 35 ans, de petite noblesse, revient dans la région qu'il avait quittée onze ans plus tôt. La Russie de l'époque était partagée entre les partisans du mode de vie européen et les slavophiles qui campaient sur les valeurs traditionnelles. Lavretski est sensible aux idées de ces derniers tout en ayant été éduqué à l'occidentale. Il faut rappeler que Tourgueniev lui-même, profondément russe, a toujours tenté de concilier les deux tendances, mais dans ce roman, il penche nettement du côté slavophile, se moquant des fausses valeurs de l'Occident.
À la mort de son père, à 25 ans, Lavretski se marie, un peu trop rapidement, et part en voyage avec sa femme, un être superficiel qui songe moins à lui qu'à se faire une place dans la société. le bonheur s'achève brusquement quand il apprend qu'elle l'a trompé avec un artiste français. Il retourne alors illico en Russie, où il veut plonger dans le travail de la terre pour tout oublier, un peu comme Tourgueniev trouve refuge dans son art.
Après ce rappel du passé de Lavretski, le récit commence vraiment à son retour, quand il retrouve ses terres, et passe la plupart de ses soirées chez Maria Dmitrievna Kalitine, une voisine, veuve d'une cinquantaine d'années.
Tourguéniev décrit finement - comme dans d'autres oeuvres - les veillées de cette société de province, nid de petits nobles menacés par les inéluctables réformes sociales que l'auteur aborde dans Pères et fils. Lors de ces soirées, Lavretski rencontre notamment Lise (Liza), la fille de Maria – 19 ans – modèle de jeune fille russe idéale dont il admire la beauté et les qualités morales, Marthe, la vieille tante de Maria, Gédéonovski, un ami de la famille, Lemm, un musicien allemand pauvre d'une soixantaine d'années, et Panchkine, jeune fonctionnaire vantard qui a demandé la main de Lise. Lavretski tombe lui-même amoureux de la jeune fille, et le coup de foudre est réciproque. En lisant le journal, Lavretski apprend le décès de sa femme, Barbe (Varvara) Pavlovna, et du coup peut épouser Lise et évincer Panchkine. Ils se fiancent, mais le bonheur du héros est à nouveau de courte durée. L'annonce du journal était fausse. La femme de Lavretski n'est pas morte et de plus, revient sous prétexte de se faire pardonner, mais en réalité pour réclamer de l'argent. Lise renonce à l'amour par respect de ses principes religieux, et les amoureux se voient pour la dernière fois. Elle se retire tristement dans un couvent tandis que Lavretski envoie sa femme vivre loin de lui sur une de ses terres, et sera malheureux toute sa vie.
L'épilogue se passe, comme souvent chez l'auteur, quelques années plus tard, avec une plongée mélancolique dans le passé. Huit ans se sont écoulés depuis ces évènements. Barbe Pavlovna est retournée à Paris, où elle passe ses soirées au théâtre, grâce à l'argent de son mari. Maria et sa tante sont mortes. Lavretski revient en pèlerinage sur les lieux où il a vécu un éphémère moment de bonheur, et se laisse tomber sur un banc, témoin de cette époque à jamais révolue.
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