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Critiques de Ivan Tourgueniev (389)
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Dimitri Roudine

“L'âme d'autrui a dit Tourgueniev, c'est la forêt obscure,......”

Dimitri Roudine, figure central du très beau roman éponyme, est un personnage complexe. La forêt obscure s'éclaire au fur et à mesure que se déploient les divers opinions et ressentis qu'il suscite dans le récit, un procédé narratif dont s'inspirera aussi Henry James. "Le domestique annonça M. Dimitri Nikolaitch Roudine ", et dés son entrée théâtrale tardive qu'au quart du livre, le dit Roudine enclenche l’euphorie collective,

“C'est un homme comme il faut .... il faut l'apprivoiser “,

“Il avait ce grand fonds de bonhommie indifférente que possède ceux qui se sentent supérieurs aux autres. Mais dans les discussions il laissait rarement le dernier mot à son adversaire, et l'écrasait de sa dialectique impétueuse et passionnée .”

Et pourtant ......



Outre Roudine, dans cette province russe où se déroule l'histoire, Tourgueniev nous présente une galerie de personnages intéressants dont il esquisse en quelques mots et phrases prononcés, des portraits physiques et morals d'une étonnante vérité. À ce qu'il paraît, Tourgueniev écrivait la biographie complète de chacun de ses personnages , même des moindres, pour dire à quel point il les maîtrise. Daria Michaelovna, la veuve mondaine riche de Moscou en vacances sur ses terres, qui tient salon, chez qui débarque Roudine, sa fille Natalie une timide bien plus futée que son apparence, Pigassof le négaton de service qui emmerde le monde, Lejnieff le voisin « cool » qui snob La Daria et qui a connu Roudine dans le passé.......et dans tout ce petit monde, Roudine le joker, qui observe, sous son masque de fin psychologue 😁. Un Roudine que nous allons voir et entendre sous toutes ses coutures. Un homme qui suscitera en nous tour à tour divers sentiments et dont il est difficile d'en faire une synthèse. Qui est-il vraiment ?Un homme d'esprit ? Un comédien ? Un parasite ? Un imposteur ? Un juif errant ? Un homme sincère et bon ? Un tombeur de femmes ?.....sûrement un peu de tout ça, mais en tout cas un homme qui possède de l'enthousiasme et l'amour de la vérité et le temps d'un été il réchauffera coeurs et esprits, dans ce petit coin de la province russe . Sacré Roudine ! Sacré Tourgueniev !



J'ai beaucoup aimé ce roman et son épilogue triste mais magnifique, un petit tour dans la Russie du XIXéme siècle de Tourgueniev qui fait du bien. Toujours heureuse de le retrouver, avec encore en perspective plusieurs de ses livres à découvrir.
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Mémoires d'un chasseur

"Connais l'oiseau à la plume et le faucon au vol."

(proverbe russe)



Quand Tourgueniev publie en 1852 ses "Mémoires d'un chasseur", on le contraint aussitôt à se retirer dans son domaine à la campagne. Il faudra une année entière avant qu'il puisse revenir et continuer ses activités littéraires. Lors de ses voyages en Europe, il va ensuite écrire les grands romans qui le propulseront aux côtés des géants comme Tolstoï ou Dostoïevski.

Je suis une inconditionnelle du roman "réaliste" classique, mais cela ne m'empêche pas d'apprécier les proses plus courtes qui remplacent la vision critique par quelque chose de plus lyrique, voire un brin métaphysique. "Les soirées du hameau" de Gogol ne sont pas "Guerre et Paix", mais je les aime tout autant...



"Mémoires d'un chasseur" sont exactement cette sorte de prose bizarrement indéfinissable que j'affectionne plus que tout.

On devine que Tourgueniev, issu d'une famille de propriétaires terriens, connaissait très bien la campagne russe, et qu'il l'aimait - les gens et la nature.

Cependant, ceux qui espèrent de palpitantes aventures de chasse seront déçus.

Ces histoires sont plutôt des tableaux de la vie campagnarde russe ; des portraits de paysages, de gens, de destins. Ceci dit, tous ces portraits sont enchanteurs et fascinants, grâce à l'art du peintre de brosser sur un tout petit espace un être humain dans son intégralité... de façon que le lecteur s'y attache immédiatement et en toute spontanéité. C'est sans doute la raison principale qui m'a fait tant apprécier cette lecture : la profondeur de cette empathie, grâce à laquelle l'auteur peut lire dans ses semblables comme dans un livre ouvert, et nous transmettre ensuite cette lecture. Une raison pour laquelle ces "Mémoires" me charment et m'irritent. Bien consciente que dans cet art le plus humain qui soit je n'arrive même pas aux genoux de Tourgueniev, je lui rends ici l'hommage le plus grand.



Une chose reste pourtant à préciser. J'ai insinué qu'il ne se passe nota bene rien, dans ces histoires. Notre chasseur, avec sa fidèle chienne Diane et son non moins fidèle compagnon Ermolaï arpentent la province d'Orel et font des rencontres. Il y a malgré tout un fort potentiel dramatique. Il se cache dans le contraste entre la misère d'un homme ordinaire russe, dont le statut social équivaut à peu près à une tache de boue sur la botte d'un noble (et qui vit dans la boue, qui se nourrit de la boue, et dont l'âme devient parfois aussi bien boueuse...) et les moments de grâce et de beauté qu'il arrive à vivre et à porter en lui. Dans ce sens, j'ai retenu surtout l'histoire d'un iurodivy surnommé Blokha, celle sur un concours de chant, ou le récit sur les petits gardiens de chevaux au milieu de la nature sauvage, eux-mêmes sous la surveillance constante de la mort.



On dit que ce livre a grandement contribué à l'abolition du servage en Russie. Je ne sais pas à quel point c'est vrai, mais cela me fait penser aux "Raisins de la colère" de Steinbeck, qui a provoqué d'importantes réformes sociales aux États-Unis et aidé à sauver des millions de démunis de la famine. A côté de telles œuvres pâlissent forcément toutes les profondes introspections des auteurs qui ne s'intéressent à rien d'autre qu'à eux-mêmes. Ce n'est peut-être pas assez, pour qu'une vie et une oeuvre acquièrent leur véritable sens.

Ce petit livre est écrit selon la nature de Tourgueniev - il est simple et économe, souvent drôle, russe et universel. Le reflet de la vie n'est pas obscurci par le rationalisme sec ni par les jugements moraux, il n'avance aucune opinion ni aucune explication - on est davantage en présence de l'inexplicable ; d'un respect devant le mystère des hommes.

Le mal est racheté et vaincu, pour ainsi dire, par le silence qui pardonne, la beauté de la nature et la calme monotonie de la campagne, dans laquelle les années qui passent refondent lentement la douleur en sagesse. 5/5

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Faust, récit en neuf lettres

Tourgueniev, Faust (1856)

Faust est une brève nouvelle de quarante-trois pages, rédigée sous la forme de neuf lettres envoyées à un ami.

Nous sommes le 6 juin 1850. Il pleut. Impossible de sortir. Paul Alexandrovitch en profite pour écrire à un ami, une lettre qui sera suivie de huit autres, jusqu’au 11 mars 1853. Elles racontent son retour sur ses terres après neuf ans d'absence, puis la rencontre de son voisin, homme peu cultivé, et de sa femme, Véra Vassilievna, qu’il a autrefois aimée, mais dont la mère lui avait refusé la main, et qu’il retrouve avec plaisir (Le portrait que Tourgueniev dresse d’elle est celui de la femme réelle d’un de ses voisins de campagne qu’il a aimée, Maria la sœur de Léon Tolstoï, qui a épousé un autre Tolstoï, Valérien Pétrovitch). Les longs bavardages de ces lettres parlent aussi longuement de la nature qui a bien changé depuis qu’il était parti, comme des tilleuls qui ont poussé, de même que les chèvrefeuilles qu’il avait plantés.

Paul Alexandrovitch raconte qu’il a découvert les plaisirs de la littérature, et est bouleversé par le Faust de Goethe qu’il fait partager à la femme de son voisin, laquelle lui avoue un soir son amour. Il est heureux un moment, mais en homme d’honneur, songe à s’éloigner d’elle et à se résigner. Ils échangent encore un unique baiser avant qu’elle rentre chez elle, épuisée par les émotions de cette journée. Le lendemain soir, elle n’est pas au rendez-vous. Le jour d’après, il apprend par son mari qu’elle est malade et qu’elle délire. Il se dit qu’il en est responsable et qu’il aurait dû fuir plus tôt. Elle meurt, lui survit, figé dans sa solitude. Il ne lui reste que le souvenir.





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Premier Amour. Nouvelles et poèmes en prose

Attention ! Ceci n'est pas de la littérature de jeunesse comme je l'entend parfois dire (même si les protagonistes sont jeunes).

Considérer cette nouvelle comme une littérature de jeunesse, sous prétexte que le narrateur raconte avec ses yeux de 16 ans serait, selon moi, une erreur de taille.

Le synopsis est le suivant : trois hommes de belle condition, dans le XIXème siècle mondain, se proposent, à titre de divertissement, de raconter leur premier amour (on sait par ailleurs combien les hommes des salons aimaient multiplier les aventures) et finalement un seul ose se lancer dans un développement.

S'en suit une narration dans la lignée des romantiques, première passion platonique, amours avortées et dénouement malheureux.

En somme, une nouvelle bien écrite, sans fioriture, pas non plus des plus captivantes. Un bon livre, mais pas, à mon sens, un chef d'œuvre inimitable, mais ce n'est là que mon avis, c'est-à-dire, bien peu de chose.
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Premier amour

« Premier amour » est sans doute le texte le plus connu de Tourgueniev. C’est pour cela que je me suis dit qu’il était la porte d’entrée idéale pour découvrir cet auteur. Je ressors ravie de cette lecture. Ce court roman qui explore les affres du premier émoi m’a beaucoup plu.



Si l’amour est le cœur même du roman de Tourgueniev, le récit est dénué de toute mièvrerie et ne ressemble absolument pas à une bluette à l’eau de rose. « Premier amour » ne joue pas dans le registre du badinage léger. L’amour est ici assez cruel, source de souffrance et même d’humiliation. L’auteur ne cherche pas à raconter une histoire romanesque qui divertira le lecteur avec des péripéties sentimentales au ton léger. Avec « Premier amour », Tourgueniev s’attache à observer l’évolution du sentiment amoureux de la façon la plus précise et réaliste possible, quasiment comme le ferait un scientifique. Le récit est totalement centré sur les personnages, il ne laisse qu’une place très restreinte au décor. Les descriptions des lieux et paysages sont donc presque inexistants. Le seul élément extérieur aux personnages qui nous est dépeint est le temps qu’il fait et cela dans le but de nous éclairer encore davantage sur les sentiments des personnages, les conditions climatiques s’accordant aux émotions des personnages ou au contraire offrant un décalage avec ceux-ci. Cette véritable dissection d’un amour de jeunesse est fine et subtile.



La forme est donc totalement en accord avec le fond, qualité que j’apprécie particulièrement. De plus, il y a dans « Premier amour » un sens du rythme remarquable qui rend la lecture vraiment prenante.

J’ai tellement aimé cette lecture qu’il est impensable que ne je lise pas d’autres livres de Tourgueniev. Une très belle découverte.



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Premier amour (précédé de) Nid de gentilhomme

Voici la critique de :

Tourgueniev - Premier Amour (mars 1860)



Premier Amour (Первая любовь), le roman le plus connu de ce chantre des amours impossibles qu’est Tourgueniev, est l’un des plus autobiographiques, et l’un de ceux où culmine son pessimisme romantique dans une langue toute de fraicheur, de poésie, et de pénétration psychologique.



Un soir, trois amis décident de se raconter leur premier amour, mais nous n’aurons droit qu’à un seul récit, celui de Vladimir Petrovitch dont le roman situe les évènements au début de l'été 1833 quand Vladimir a 16 ans (C’est l’âge de Tourgueniev en 1833). Sur les terres de ses parents, il se prépare sans beaucoup d’ardeur à l’examen d'entrée à l'université. Les jours se suivent et ressemblent, jusqu’au jour où des locataires viennent occuper le pavillon d’à côté, au confort très relatif. Vladimir est ébloui par la vision, dans leur jardin, d’une jolie femme habillée de blanc, et cherche d’emblée le moyen d’entrer en contact avec elle. Par chance, sa mère l’y envoie faire une commission. La jeune femme s’appelle Zénaïde, a 21 ans, et vit avec sa mère, la princesse Zassékine, endettée, réduite à la pauvreté, et aussi négligée que sa fille est raffinée. Le jeune adolescent tombe amoureux de cette Zénaïde de cinq ans plus âgée que lui, et devient vite un habitué de la maison, mais au même titre qu’une cour d’adorateurs que le jeune coquette s'amuse à rendre jaloux, et traite comme des marionnettes sans rien leur accorder: le docteur Louchine, le poète Maïdanov, le comte Malievski, le hussard Belovzorov et le capitaine en retraite Nirmatski, outre donc Vladimir pour qui elle manifeste tantôt une douce et curieuse tendresse, tantôt une froideur imprévisible qui désespère l’adolescent. On passe le temps en jeux, en gages, en conversations. Brulant de ses premiers émois d’adolescents et de ce premier amour impossible, Vladimir se ronge à essayer de deviner qui est le préféré de la jeune femme parmi tous ces soupirants, car – se dit-il - il doit bien y en avoir un.



Comme dans tous ses romans, l’auteur s’attache à décrire la nature: les pins, les framboisiers, la fontaine, les fourrés denses. C’est là qu’un soir, il épie les allées et venues pour savoir avec qui elle a rendez-vous, et celui qu’il voit rejoindre Zénaïde, et gagner sa chambre, n’est autre que son propre père. Il devient fou de jalousie.



Ce n'est qu'après avoir quitté la propriété parentale et repris ses études qu'il pourra guérir de cette blessure. Quant à Zénaïde et à son père, ils subiront tous deux le sort tragique des fins pessimistes propres au romantisme. La première, difficile à marier à cause de ce scandale, est devenue un peu plus tard Mme Dolskaïa, et est morte en couches, et le second succombe à une attaque cardiaque, non sans laisser à son fils une lettre dans laquelle il l'exhorte à se méfier de l'amour, de ce bonheur, de ce poison.



L'histoire de Vladimir est celle de Tourgueniev, puisque ce récit au charme cruel est une histoire vraie, sauf que Tourgueniev avec alors 13 ans et que Zénaïde, qui était en réalité la fille de la princesse Chakhovski, n’avait que 19 ans et se prénommait Catherine. Elle était effectivement la jeune maitresse de son père. Tourgueniev a légèrement vieilli Vladimir et Zénaïde pour rendre l’histoire plus vraisemblable. Il a écrit ce roman à 42 ans, et n’avait rien oublié.



C’est l’une des rares œuvres de Tourgueniev où il ne met pas en scène des protagonistes représentant des types sociaux, ce qui lui sera reproché par les progressistes, tandis qu’il scandalise en même temps les conservateurs à cause de ce sujet fort scabreux pour l’époque: outre l’adultère de cet homme marié, la rivalité entre un père et un fils épris d'une même femme, bien que présenté très pudiquement et par sous-entendu dans le roman. En 1787, Schiller avait pourtant déjà fait de cette rivalité le thème central de Don Carlos, mis en musique en 1867 par Verdi, mais cela n’apaisa pas la vieille garde. Consolation, le roman fut apprécié par le tsar. Tourgueniev en modifia plusieurs fois l’épilogue. Plusieurs années après, en 1875, Dostoïevski publiera L’Adolescent, qui décrit également les tourments amoureux de cet âge.



Dans ce récit autobiographique, Vladimir, alias Tourgueniev, laisse entendre que son père Piotr aurait épousé sa mère, nettement plus âgée mais riche héritière, par intérêt, et la décrit de manière peu flatteuse.



Le roman a été adapté au cinéma une petite dizaine de fois, y compris au Japon, au Mexique, en Espagne, en Russie, en Angleterre, mais pas en France



Je commence par le commentaire sur Un nid d'un gentilhommes", le commentaire d'un "Premier amour" suivra un peu plus tard.



Tourgueniev, le Nid d'un gentilhomme (1859)



Écrit vers 1856 et porté à l'écran en 1969, Un nid de gentilshommes (Дворянское гнездо, textuellement Nid de nobles, également traduit en français sous le titre Une Nichée de gentilshommes ou Le Nid des Seigneurs) est le deuxième roman de Tourgueniev, après Dimitri Roudine, sur un thème qui sera récurrent chez lui, celui de l'amour impossible, et ici deux fois éphémère. le roman fut achevé en 1858 et parut en 1859. Tourgueniev en écrivit trois versions, avec d'abord Lisa comme titre, l'éditeur imposant le titre définitif.

L'action se passe dans les années 1840, une vingtaine d'année avant l'abolition du servage par Alexandre II, au sein de la noblesse terrienne d'une petite ville de province.

Théodore (Fedor dans la version russe) Lavretski, 35 ans, de petite noblesse, revient dans la région qu'il avait quittée onze ans plus tôt. La Russie de l'époque était partagée entre les partisans du mode de vie européen et les slavophiles qui campaient sur les valeurs traditionnelles. Lavretski est sensible aux idées de ces derniers tout en ayant été éduqué à l'occidentale. Il faut rappeler que Tourgueniev lui-même, profondément russe, a toujours tenté de concilier les deux tendances, mais dans ce roman, il penche nettement du côté slavophile, se moquant des fausses valeurs de l'Occident.

À la mort de son père, à 25 ans, Lavretski se marie, un peu trop rapidement, et part en voyage avec sa femme, un être superficiel qui songe moins à lui qu'à se faire une place dans la société. le bonheur s'achève brusquement quand il apprend qu'elle l'a trompé avec un artiste français. Il retourne alors illico en Russie, où il veut plonger dans le travail de la terre pour tout oublier, un peu comme Tourgueniev trouve refuge dans son art.

Après ce rappel du passé de Lavretski, le récit commence vraiment à son retour, quand il retrouve ses terres, et passe la plupart de ses soirées chez Maria Dmitrievna Kalitine, une voisine, veuve d'une cinquantaine d'années.

Tourguéniev décrit finement - comme dans d'autres oeuvres - les veillées de cette société de province, nid de petits nobles menacés par les inéluctables réformes sociales que l'auteur aborde dans Pères et fils. Lors de ces soirées, Lavretski rencontre notamment Lise (Liza), la fille de Maria – 19 ans – modèle de jeune fille russe idéale dont il admire la beauté et les qualités morales, Marthe, la vieille tante de Maria, Gédéonovski, un ami de la famille, Lemm, un musicien allemand pauvre d'une soixantaine d'années, et Panchkine, jeune fonctionnaire vantard qui a demandé la main de Lise. Lavretski tombe lui-même amoureux de la jeune fille, et le coup de foudre est réciproque. En lisant le journal, Lavretski apprend le décès de sa femme, Barbe (Varvara) Pavlovna, et du coup peut épouser Lise et évincer Panchkine. Ils se fiancent, mais le bonheur du héros est à nouveau de courte durée. L'annonce du journal était fausse. La femme de Lavretski n'est pas morte et de plus, revient sous prétexte de se faire pardonner, mais en réalité pour réclamer de l'argent. Lise renonce à l'amour par respect de ses principes religieux, et les amoureux se voient pour la dernière fois. Elle se retire tristement dans un couvent tandis que Lavretski envoie sa femme vivre loin de lui sur une de ses terres, et sera malheureux toute sa vie.

L'épilogue se passe, comme souvent chez l'auteur, quelques années plus tard, avec une plongée mélancolique dans le passé. Huit ans se sont écoulés depuis ces évènements. Barbe Pavlovna est retournée à Paris, où elle passe ses soirées au théâtre, grâce à l'argent de son mari. Maria et sa tante sont mortes. Lavretski revient en pèlerinage sur les lieux où il a vécu un éphémère moment de bonheur, et se laisse tomber sur un banc, témoin de cette époque à jamais révolue.



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Pères et fils

Ivan Tourgueniev, Pères et Fils (1863)



Pères et Fils (en russe Отцы и дети, littéralement Pères et Enfants), une des oeuvres phares de Tourgueniev, a été traduit en français par l'auteur lui-même et par Louis Viardot. Ce roman social déclencha de vives polémiques car il décrit avec réalisme le conflit entre la vieille et la nouvelle génération aux idées opposées, c'est-à-dire entre les adversaires farouches des réformes, les réformistes partisans d'un libéralisme évolutif à l'anglaise, et Evgueni, un jeune radical pour lequel Tourgueniev crée le terme nihiliste parce qu'il refuse toute autorité, n'obéit qu'à sa propre loi et de manière destructrice, renie en bloc l'art, la famille, l'amour et la religion, mais il sera le premier à être détruit.



Le roman se passe à la campagne, en 1859, époque charnière de l'histoire de la Russie, deux ans à peine après l'abolition du servage par Alexandre II, le tsar qui a régné de 1855 à 1881, année où il a été assassiné par des révolutionnaires au moment où il se préparait à octroyer une constitution et à libéraliser davantage encore le régime. Cet attentat a provoqué un retour en arrière de son successeur, Alexandre III, et un virage particulièrement funeste pour le destin de la Russie et des Romanov. le personnage de Bazarov a inspiré Fiodor Dostoïevski dans son roman Les Démons pour la peinture de la jeunesse nihiliste, notamment à travers le personnage de Stavroguine. Ce roman est en partie autobiographique, puisque Tourgueniev a vécu toute son enfance à la campagne, où il a été choqué par la condition misérable des serfs qu'il voyait autour de lui.

Au début du roman, après trois ans d'absence, Evgueni (Eugène) Bazarov, futur médecin gagné au nihilisme durant son passage à l'université, regagne son village natal et la maison de ses parents, petits propriétaires, accompagné de son ami Arkadi Kirsanov, fils de propriétaires un peu plus aisés, et un moment son disciple admiratif. Evgueni, le personnage central du roman, prône un renversement politique avec un discours aussi radical sur le fond qu'arrogant et intolérant dans la forme («Je ne partage les idées de personne»), et c'est ce qui séduit d'abord Arkadi avant de le décevoir, car Evgueni parle et mais réalise rien. Il rejette tout ce qui permet le vivre-ensemble, en contraste avec les idées nuancées et constructives d'Arkadi qui finit par prendre ses distances, et avec celles des père et oncle de ce dernier, les frères Kirsanov.



Arkadi le convie un jour à un bal. Evgueni qui n'a que mépris pour l'amour et pour les femmes, tombe amoureux d'une jolie veuve fortunée, Anna Odintsova, qui l'invite dans sa propriété. Mais il n'éprouve pas de réelle affection, ce qui ne peut le mener qu'à l'échec, en même temps que cet évènement perturbe sa théorie qui rejette les sentiments. Il se plonge alors dans des recherches scientifiques au cours desquelles il se blesse. Il ne se soigne pas, la plaie s'infecte, et le typhus l'emportera. Confronté à la mort en disséquant un cadavre comme médecin, il réalise la vanité de son existence et s'écrie «Moi, utile à la Russie ? Non, mais un boucher, un cordonnier, un tailleur, oui». C'est encore le thème de l'homme de trop.



Le roman confronte pour le lecteur les idées sociales d'Evguéni, d'Arkadi et de leurs parents. le père du premier, Vassili Bazarov, propriétaire d'un petit domaine agricole, reste globalement fidèle aux idées traditionnelles, plus par habitude que par conviction, tandis que sa mère, la pieuse et réaliste Arina, est partagée entre l'amour de son fils et une inquiétude certaine devant ses discours destructeurs. C'est elle qui interpelle son mari en ces termes «Qu'y faire, Vassili ? Un fils est comme un morceau qui se détache… et nous deux sommes comme deux petits champignons dans le creux d'un arbre. Nous resterons là fixés pour toujours, l'un près de l'autre, moi sans changer pour toi, et toi sans changer non plus pour ta vieille femme».



Arkadi Kirsanov, l'ami d'Evgueni Bazarov, est d'abord perméable à ses idées, mais à l'issue d'une sorte de parcours initiatique, finit par rejeter son radicalisme, préférant l'acquis des réformes, mêmes lentes, au rêve incertain d'un futur violent. Tourgueniev décrit avec beaucoup de finesse l'amitié entre ces deux jeunes issus de milieux sociaux différents, et qui partagent le même idéal avant de voir leurs chemins diverger.



Le père d'Arkadi, Nicolaï Kirsanov, veuf timide a concrétisé ses convictions démocrates en offrant la liberté à ses serfs deux ans avant l'abolition du servage, mais n'a pas encore poussé le modernisme jusqu'à épouser sa maitresse, Fénetchka, une femme du peuple qui lui a donné un enfant. Ce sera pour la fin du roman, Tourgueniev abordant ici brièvement, comme dans d'autres oeuvres, le thème de l'amour entre personnes de classes sociales différentes.



Ce Nicolaï qui attend avec impatience le retour de son fils parti il y a trois ans, a un frère, Pavel (Paul), libéral opposé aux idées extrêmes du jeune Bazarov à qui il dame le pion plusieurs fois. C'est le plus proche des idées de Tourgueniev, adversaire de toute violence.



Contrairement à Evgueni, Arkadi trouvera le bonheur en épousant la soeur cadette d'Anna, la calme et douce Ekaterina (Katia). Les autres iront aussi vers leur destin. Pavel partira en voyage, Nicolaï épousera la mère de son enfant, et Anna se mariera à Moscou.



Roman à thèse en filigrane, Père et fils est davantage un roman de moeurs décrivant le pouls et le rythme lent de l'identité russe au 19ème siècle. Au-delà des conflits générationnels, Tourgueniev y brosse un tableau réaliste des mentalités et traditions des différentes classes sociales, des paysages de la ruralité de l'époque, de l'atmosphère des causeries qui animent les salons aristocratiques, et d'événement gais ou tragiques comme un bal, une conversation près d'une meule de foin voisine de la maison de Bazarov, ou un duel au pistolet entre Pavel et Evgueni. En cela, il est proche des autres grands auteurs russes de son temps, et notamment de Pouchkine, Tolstoï et Dostoïevski. Tous ses personnages sont décrits avec une grande pénétration psychologique, y compris Evgueni pris entre ses fanfaronnades et ses doutes, situation qu'on retrouve dans d'autres oeuvres du romancier, et qui ont fait parler d'hamletisme et de donquichotisme.



Tourgueniev cite plusieurs dictons qui reflètent l'esprit de cette époque, comme "Plus le maître est exigeant, plus il est aimé du paysan". Les contrastes sont permanents entre pères et fils, propriétaires et serviteurs, conservateurs et progressistes, slavophiles et occidentalistes, idéalistes et matérialistes,…



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Deux amis

Tans que je suis lancée avec Tourgueniev, je continue !

Ivan Tourguéniev, Deux amis (1854)

Avec ses divers personnages secondaires, Deux amis (Два приятеля) s'inscrit dans la veine satirique, un genre moins abordé par Tourguéniev, quoique avec le thème récurrent de la faillite sentimentale.

Nous sommes dans les années 1840. Le jeune Boris Viazovnine - 26 ans - démissionne à contrecœur du service pour se retirer sur ses terres, en Russie centrale, n’arrivant plus à soutenir le train de vie d’un jeune noble à Moscou.

Malgré un caractère assez différent, le voisinage l’amène à se lier avec Pierre Kroupitsine, ancien lieutenant de cavalerie un peu plus âgé, retiré également sur ses terres.

Viazovnine s’ennuie, et confie à Kroupitsine son désir de se marier. Ce dernier organise une série de rencontres qui sont l’occasion de portraits bien dessinés et souvent drôles au sein de cette vie rurale de la Russie profonde. Viazovnine est difficile, refuse plusieurs propositions de femmes aux caractères variés, et finit par épouser, sans la connaître, Vérotchka Barsoukov, 19 ans, jeune fille simple, dévouée, qui tient bien son ménage, mais dont le calme contraste avec sa propre nervosité, et le mariage est vite un échec. Viazovnine s’ennuie, ne parle plus à sa femme, qu’il quitte sous prétexte d’affaires à mener à St Pétersbourg, écrivant à son ami pour lui demander d’informer son épouse. Il arrive à Paris, rencontre une demi-mondaine, et se fait tuer en duel par un officier de cavalerie.

Un an plus tard, Kroupitsine épouse la veuve avec qui il vivra une vie simple et heureuse.







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Le Roi Lear des steppes

Dans une nouvelle traduction, les éditions Stock nous proposent quatre écrits de Tourgueniev au titre évocateur : Le Roi Lear des steppes, Faust, Le Dîner ou le Hamlet du district de Chtchigry, Hamlet et Don Quichotte. Un clin d’œil à Shakespeare, Goethe et Cervantés par le biais de ces récits ( Le dernier étant un essai rédigé sous forme de discours ), inspirés des figures emblématiques de la Littérature classique européenne; un clin d’œil aussi à la vie cosmopolite de l’auteur, qui parlait plusieurs langues, fit une part de ses études universitaires à Berlin et vécu entre la Russie et la France, où d’ailleurs il achèvera sa vie.

Le premier récit est celui de Kharlov, le Roi Lear des steppes, un propriétaire terrien dans la stature d’un colosse, qui décide de léguer ses biens avant sa mort, à ses deux filles. Un Lear provincial trés russe, qui nous surprendra et se surprendra.

Suit, Faust, « Dans les vagues de l’existence, mon orageuse activité..... ». Souvenirs et nostalgie d’un homme à la quarantaine qui retourne de Moscou dans son domaine en province après neuf ans. Rattrapé par le temps et Méphistophélès, “ce quelque chose qui pourrait se trouver dans chaque être humain”, en proie au danger des relations, quelles qu’elles soient, entre un homme et une jeune femme (“Un sentiment glisse imperceptiblement vers un autre”), il succombera à Faust !

Le Dîner ou le Hamlet du district de Chtchigry, est l’’histoire d’un dîner de la noblesse, une critique au vitriol de la “haute société russe” de l’époque, suivie de l’échange nocturne du narrateur avec un parfait inconnu, un bonhomme pommé, au pseudo de Hamlet, « un homme de trop » qui peine à trouver sa place en société et se méprise, tiens, tiens.....

Trois histoires, où les protagonistes sont exclusivement des propriétaires terriens de la province russe et leurs principales préoccupations, argent, dîners, badinage, jeux de cartes, littérature.... une vie bien ennuyeuse quoi. Une écriture raffinée pour raconter toute une époque, avec moult détails précis,aussi bien dans la description que la psychologie des personnages, croqués sans pitié. Minutieuses descriptions aussi des lieux et paysages, et des procédures administratives sur papier et dans « la réalité ». Agrementé d’une préface et de notes d’Olga Gortchanina sur chaque nouvelle, un recueil intéressant, qui ne nécessite pas forcément une profonde connaissance des fameux personnages.

Le dernier opus du livre, Hamlet et Don Quichotte, est un discours de Tourgueniev prononcé lors d’une lecture publique, où il assume “que chaque être humain relève plus ou moins de l’une de ces deux catégories, que chacun d’entre nous se rapporte soit à Don Quichotte, soit à Hamlet”. Entre l’idéaliste totalement dévoué à son idéal ( aujourd’hui aussi difficile d’en trouver qu’une aiguille dans une meule de foin ), et l’égoïste centré sur sa propre personne, un discours intéressant sur les deux tendances fondamentales de l’esprit humain, “Sans énergumènes du type de Don Quichotte, sans inventeurs farfelus, l’humanité n’avancerait plus guère… et les Hamlet n’auraient plus matière à méditation.”



Je remercie de tout cœur les éditions Stock et NetGalley pour l’envoie de ce beau livre ! L’occasion pour moi de belles retrouvailles avec Tourgueniev , ma dernière lecture de ses livres datant d’une décennie !



“....nous vivons entourés de Hamlet, de Don Quichotte et autres Lear, aux traits reconnaissables entre tous malgré les évolutions sociales de plus en plus rapides qui ont émaillé l’histoire pendant les deux siècles nous séparant de la rédaction de ces écrits.” Olga Gortchanina
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L'Exécution de Troppmann

Merci aux éditions Sillage qui rééditent trois récits de Tourguéniev initialement publiées dans un recueil plus vaste chez Stock datant du début des années 1990. Ces trois nouvelles sont des récits d'événements ou de situations où l'auteur a été lui-même impliqué ou dont il a été le témoin extérieur.



Le récit le plus fameux et qui donne son titre au recueil est L'Exécution de Troppmann. Il s'agissait d'un jeune criminel français né en Alsace, Jean-Baptiste Troppmann, condamné à mort à vingt ans pour l'assassinat de huit membres d'une même famille en 1870. Cette affaire, connue sous le nom de " massacre de Pantin ", a beaucoup ému en son temps et a fait l'objet de nombreux écrits par des auteurs de renoms tels que Jules Barbey d'Aurevilly, Alexandre Dumas ou Gustave Flaubert, pour ne citer que quelques uns des grands noms associés à cette affaire.



Ivan Tourguéniev, quant à lui, a eu le " privilège " d'assister à sa mise à mort et c'est ce qu'il nous relate dans cette nouvelle. C'est un récit éminemment politique où l'auteur nous avoue qu'il se répugne lui-même d'avoir accepter d'assister à ce triste spectacle. Chemin faisant, ce récit devient un forme de plaidoyer contre la peine de mort, contre l'inhumanité, contre l'inutilité de cette peine.



Il décrit le comportement de la foule avide de voir le sang couler, de son pouvoir d'édification nul vis-à-vis du peuple et rejoint en ce sens certains de ses grands devanciers, au premier rang desquels on peut probablement placer Victor Hugo.



Les deux récits, intitulées Un Incendie En Mer et Une Fin ont été dictés en français par Tourguéniev à sa maîtresse de toujours Pauline Viardot, quelques semaines avant sa mort des suites d'un cancer.



Un Incendie En Mer relate un voyage entre Pétersbourg et Lübeck, dans le nord de l'Allemagne, où le jeune Tourguéniev, alors âgé de dix-huit ans n'a manifestement pas fait preuve d'un très grand courage dans la réalité et s'est mis à se lamenter comme une jeune fille, tandis même que les jeunes filles manifestaient un grand courage. Le récit a tendance à amoindrir la pusillanimité réelle de Tourguéniev manifestée à cette occasion, laquelle couardise est reportée sur les hommes en général, et pas sur lui en particulier.



Enfin, Une Fin nous narre la mort tragique d'un original russe, issu d'une famille naguère noble et prospère et dont les générations successives ont dilapidé les biens par des coups d'éclats extravagants. Le dernier représentant, Platon Sergéïtch Talagaïeff, en terme d'argent n'ayant plus rien, ne lui reste plus que l'extravagance, et ça, il en a à revendre.



Cependant, son extravagance et ses bravades n'étant pas forcément du goût de tout le monde, je vous laisse le loisir de découvrir par vous-même comment celles-ci le conduiront inéluctablement à une mort certaine.



Au total, un petit recueil agréable, qui se lit vite et facilement mais qui n'atteint tout de même pas des sommets. Mais ce n'est bien sûr que mon avis, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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Pères et fils

Nous sommes en 1859, à la campagne, au lendemain de l'abolition (tardive) du servage. Bazarov, jeune médecin étudiant les sciences naturelles et prônant le nihilisme, rentre chez ses parents, de petits propriétaires. Il est accompagné d'Arcade qui lui est fils de propriétaires terriens plus aisés - sans pour autant être aristocrates. Arcade Nikolaïévitch est plus jeune que son maître à penser dont il cherche à conforter l'amitié mais un bref séjour chez son père et son oncle - qui, veufs, vivent ensemble au domaine familial - suffit à lui montrer le fossé qui sépare les thèses de son ami et les pensées traditionnelles de ses parents...



Avec "Pères et fils", Tourgéniev trouve prétexte à aborder des sujets de société sensibles tel que le conflit de générations à une période charnière de l'histoire politique et économique de la Russie, ou encore l'enracinement des idées nouvelles dans un terreau aussi archaïque que celui de la ruralité russe du XIXème siècle et, comme c'est généralement le cas avec la littérature classique russe, le lecteur ne s'immerge pas seulement dans une autre dimension temporelle mais aussi dans une autre dimension sociale et identitaire.



D'un point de vue psychologique, ce roman est remarquable. En peu de pages, l'auteur brosse une galerie très complète et diversifiée de personnages masculins et féminins forts, la plupart très fouillés. Quel régal de découvrir toujours plus avant la Russie dans les différentes classes sociales qui la composaient. Je ne manque jamais de m'attendrir sur les figures les plus chétives et les plus émotives comme les parents de Bazarov, totalement inénarrables et si criants de réalisme.



D'un point de vue intellectuel, ce roman est également très intéressant. Il apporte un éclairage supplémentaire sur la pensée russe, sur ses traditions, sa spiritualité, son folklore, sa politique et son peuple. Un peuple tout en contrastes qui, à l'heure de l'abolition du servage, se révèle encore par des dictons tels que "Et tant plus le maître est exigeant, tant plus il est aimé du paysan".



A travers le parcours initiatique d'Arcade, à travers les idées nouvelles de Bazarov, à travers l'amour plus d'une fois au rendez-vous, à travers les causeries de salon et les autres rencontres qu'il ménage, ce roman apporte sa touche à une meilleure compréhension de la complexe identité russe.



Un bon témoignage de la littérature romantique russe.

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Premier Amour. Nouvelles et poèmes en prose

A tous ceux qui ne savent par où aborder la sacro-sainte littérature russe, pourquoi ne pas commencer par « Premier Amour » ? En plus d’être une lecture très rapide - en deux heures, il est facilement terminé - elle présente de très belles qualités littéraires. Pour ma part, le seul reproche que je puisse faire à ce livre est que je le trouve justement bien trop court, et alors, il me semble que le lecteur s’imprègne un peu moins bien de l’histoire, des personnages, et donc de l'essence même du livre.



Cette histoire m’a fait penser à « L’Education Sentimentale » de Gustave Flaubert, puisque dans les deux cas, le jeune héros découvre dans la souffrance, la frustration et la jalousie le sentiment amoureux. J’aime le fait que l’amour soit vécu et ressenti par tous comme une maladie incurable et destructrice ; le père du jeune héros lui écrira d’ailleurs peu avant sa mort : « mon fils, méfie-toi de l’amour d’une femme, méfie-toi de ce bonheur, de ce poison… »

Le personnage de la belle Zinaïda est cruel et passionné à souhait, et que de mystères l’entourent !

Le dénouement inéluctablement malheureux est digne d’une tragédie grecque, je l’ai trouvé absolument délicieux.

Voilà une citation qui, pour moi, illustre et résume parfaitement le message que nous fait passer l'auteur à travers ce court roman : « Je n'étais plus simplement un jeune garçon, j'étais amoureux. » On grandit, on évolue parce qu’on aime, et surtout parce qu’on souffre d’aimer.



Une belle lecture en somme, je suis contente d’avoir découvert Ivan Tourgueniev - dont l’écriture est magnifique soit dit en passant. A lire, pour ceux qui aiment les romans d’apprentissage, qui relatent les premiers émois, la découverte du monde et des sentiments, et pourquoi pas par tous les autres !

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Les eaux tranquilles

«Quel art vous avez! Quel mélange d’attendrissement, d’ironie, d’observation et de couleur! Et comme tout cela est combiné!»

Flaubert avait raison. Il y a une très belle finesse dans l’écriture de Tourgueniev, c’est à la fois âcre et doux, tendre et ironique, et plus j’y pense plus je suis séduite par cette «sensibilité profonde et cachée» dont parle le créateur d’Emma, et plus j’ai envie de monter ma note - je crois bien que finalement ce sera 4,5 et pas 4 comme je pensais en refermant le livre. Merci mh17, de m’avoir donné l’envie de faire cette lecture.



Pour un homme instruit, il n’y a que Saint Pétersbourg qui vaille, c’est ce que pense Vladimir Serguéïtch, alors les eaux tranquilles de son domaine de Sassovo, il n’a pas l’intention d’y rester plus que le temps nécessaire à l’inspection de l’exploitation. Mais son voisin Ipatov l’invite à dîner, il hésite, et puis finalement, bon, pourquoi pas?

Des «eaux tranquilles», vraiment? C’est Ipatov qui caractérise ainsi les lieux:

«Nous ne sommes pas ici dans un trou perdu, si j’ose ainsi m’exprimer, mais dans des eaux tranquilles, oui, vraiment des eaux tranquilles, dans une retraite protégée, c’est bien cela!».

Le moins qu’on puisse dire, c’est que l’auteur ne semble pas partager l’opinion de son personnage et que sa nouvelle n’a de cesse de lui apporter un cinglant démenti.

Mais Vladimir Serguéïtch saura-t-il saisir la chance qui lui est ici offerte, saura-t-il s’abandonner à l’attirance qu’exercent sur lui aussi bien la grave et farouche beauté de Marie Pavlona que l’énergie joyeuse et si charmante de Nadiejda Alekséïevna? C’est que Vladimir Serguéïtch est un homme raisonnable, qui se méfie de tout ce qui sort de l’ordinaire, qui certes veut faire «un mariage d’inclination» mais qui tient à ce qu’il soit «en même temps avantageux».

Et puis au fond y a-t-il moyen, là comme ailleurs, comme partout, d’échapper à la vieille malédiction: «il n’y a pas d’amour heureux», y a-t-il moyen d’échapper à l’amertume de vivre sa vie pour rien, bêtement, médiocrement?
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Terres vierges

Tourgueniev, Terres vierges (1876)

Terres vierges (en russe Новь, textuellement Nouvelle), dernier roman de Tourgueniev, est aussi l’un des plus importants. Il date encore du vivant d’Alexandre II, à qui la Russie doit d’importantes réformes, notamment l’abolition du servage. L’empereur sera assassiné en 1881 alors qu’il se préparait à octroyer une constitution à cette Russie qui se cherche. Son successeur, Alexandre III, dernier empereur avant Nicolas II, revint à une rigueur funeste qui n’est pas pour rien dans la brutale réaction de 1917. A travers une série de personnages qui vont d’un extrême à l’autre de l’éventail idéologique, Tourgueniev s’invite dans le débat, et s’adresse à son pays d’une manière assez prémonitoire. Le titre français se réfère à la pensée de Solimine, esprit réaliste pour qui les paysans ne sont pas encore mûrs pour l’action révolutionnaire. Ils doivent être éclairés comme une «terre vierge doit être labourée en profondeur».

Nous sommes en 1868 et le récit est d’abord centré sur un jeune étudiant en rupture de ban. Alexis Niedjanov, fils naturel d’un prince. Avec toute l’ardeur de ses 23 ans, il fait partie du mouvement révolutionnaire des intellectuels narodniki ou populistes (« Aller vers le peuple») de Saint Péterbourg pour lesquels Tourgueniev a créé le mot de nihiliste.

Comme Alexis Niedjanov doit gagner sa vie, il accepte une place de précepteur chez le prince Sipiaguine qui se dit réformiste mais qui, comme haut fonctionnaire, doit surtout se montrer opportuniste, et qui l’emmène dans sa maison de campagne – nouveau décor - pour s’occuper de son fils Kolia.

Alexis va y rencontrer notamment l’odieux Simon Kaloméïtsev, le voisin de Sipiaguine, aux idées ultra-conservatrices, Marianne, nièce de Sipiaguine, et le beau-frère de celui-ci, Serge Markiélov, l’un des leaders des militants révolutionnaires. On discute des moyens de susciter le soulèvement des paysans et des ouvriers de la région, mais dans ce qui ressemble parfois à des conversations de salon plus théoriques que pratiques. Marianne partage également les idées d’Alexis Niedjanov, et tous deux s’avouent leur amour au point qu’Alexis en arrive un moment à oublier ses objectifs révolutionnaires.

On croise de nombreux autres personnages pittoresques et inefficaces comme par exemple Golouchkine qui est plus pris par l’alcool que par l’action.

Niédjanov et Marianne quittent la campagne et la maison de Sipiaguine pour gagner le chef-lieu et la maison de Solomine, gérant d’une usine et comme tel, seul personnage confronté au réel.

Dans cette dernière partie du roman, Solomine devient le personnage central et le véritable héros, partisan d’un changement sans chimères et sans heurts, comme le prônait Tourgueniev qui se disait «l’homme du progrès pas à pas». Solomine poursuit le même but que les narodniki, mais avec les pieds sur terre, et surtout, il agit et ne se limite pas à brasser des idées.

Contrairement à Marianne, Niédjanov n’arrive pas à «aller vers le peuple» duquel un fossé le sépare. Distribuer des tracts lui répugne et il n’arrive pas à comprendre les paysans, qui ne le comprennent pas non plus. Un monde sépare ces intellectuels agités qui tiennent des réunions passionnées, et passent leur temps à rédiger des programmes, coupés des difficultés réelles et des mentalités des paysans. Pire, les paysans censés déclencher la révolution dénoncent les narodniki aux autorités et les font arrêter.



Pour Alexis, ça n’ira pas mieux en amour et il finit par se suicider, tandis que Markiélov est déporté en Sibérie. Les vieux propriétaires se raccrochent à un passé en passe d’être définitivement mort. Quant à Solomine et Marianne, ils se sont mariés et ont réussi à mettre sur pied un atelier fondé sur les principes coopératifs et démocratiques qui leurs sont chers.

Ainsi, et comme souvent, Tourgueniev termine un roman sombre sur une note d’espoir, mais il met surtout en évidence la différence entre le monde de la rhétorique et des intentions, et celui de l’action qui fait avancer les choses au rythme de ce qui est possible.

Bien plus tard, Mikhaïl Cholokhov, défendant la politique stalinienne, répliquera dans Terres défrichées, Prix Lénine 1963, où le jeune Davidov, envoyé par le parti, réussit à faire accepter la collectivisation des terres par les paysans.



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Le Journal d'un homme de trop

Un beau livre de Tourguenieff sur le non-sens de la vie, sur les sentiments d'un homme qui se sent fondamentalement superflu...

Un amour impossible, une ambivalence des sentiments sont superbement décrits ici, pour le plaisir du lecteur... Et "l'homme de trop" sait qu'il va mourir... L'homme sans nécessité trempe ici sa plume dans la noirceur d'une intériorité, ouverte, jusqu'à la mort, sur une "nature indifférente" qui brille "d'une éternelle beauté"...
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Premier Amour. Nouvelles et poèmes en prose

Dans cette nouvelle, Tourgueniev a su échapper des griffes du romantisme exagéré de certaines oeuvres de son époque, en choisissant un jeune homme comme héros (larmes et mélancolie justifiées), et en adoptant un point de vue distant des faits racontés (le narrateur mûr relate des événements de sa jeunesse avec un oeil critique). Par ailleurs, Ivan Sergueïevitch a fait preuve de pénétration psychologique en décrivant cet amour naissant, ce fameux premier amour du jeune garçon de seize ans et en brossant ce portrait de la femme mystérieuse (on sait ce que représentait le personnage féminin dans les oeuvres de cette époque).



La narration est bien menée, embellie par des descriptions romantiques et allégées par des dialogues qui viennent à propos. L'atmosphère mystérieuse qui règne autour des événements a participé à la beauté de cette nouvelle.



En somme, Premier amour, sans être considéré comme un incontournable de la littérature russe, est à lire sans doute, pour découvrir un aspect du talent de Tourgueniev, et revivre cette époque romantique du XIXème siècle.
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Fumée

Un Russe d’une trentaine d’années, Grègoire Mikhaïlovitch Litvinof est à Baden-Baden - à l’époque (1862) ville très cosmopolite et fort prisée de nombreux Russes - où il attend sa fiancée Tatania.

Il y revoit Irène, une femme dont il fut éperdument amoureux et qui l’avait abandonné. Celle-ci est mariée à un général.

Le voilà dès lors fort perturbé…



Outre la relation de l’imbroglio de la vie sentimentale du héros, de ses hésitations, de ses regrets, de son désespoir, de ses colères, de son amour, Ivan Tourguénief nous dresse un tableau peu reluisant de la société mondaine russe, il nous décrit les dialogues creux qui s’y font, les ragots, la prétention de certains de ces Russes à chercher l’approbation de l’Occident sans pour autant ne pas s’extasier devant l’avenir aux couleurs de l’arc-en-ciel de leur pays.

J’avoue que ces conversations mondaines ont pu de temps à autre me lasser mais elles sont nécessaires à l’auteur pour brosser le portrait de ces Russes de la haute société.



Les tourments ressentis par Litvinof sont bien exposés et font pressentir une issue douloureuse qu’un happy end inespéré viendra compenser.











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Premier amour

Peut-être l'oeuvre la plus connue de Tourgueniev, "Premier amour" est un court roman (ou une longue nouvelle) qui dépeint les affres des premiers émois adolescents.



Si le thème est assez classique, le traitement qu'en fait l'auteur est aussi plein de sensibilité que de surprise dans son dénouement. Le style de Tourgueniev est très accessible, proche de celui de Pouchkine de mon point de vue. Plutôt minimaliste quant aux décors, l'auteur s'attarde davantage sur les émotions et les caractères de ses personnages.



Vladimir Petrovitch a seize ans lorsque, résidant à la campagne avec ses parents fortunés, il s'éprend de sa voisine, nouvellement emménagée, de quelques années plus âgée que lui et qui a d'elle-même une assez haute opinion. Cette disposition d'esprit l'incline à séduire tous les hommes passant à sa portée et à se comporter comme une reine au milieu de sa cour d'adorateurs. Notre "héros", ingénu comme un poussin né de la veille, encore aveuglé par l'éclair du coup de foudre qui vient de le terrasser, plonge la tête la première dans la toile savamment tissée par l'élue de son cœur. Mais tel l'arroseur arrosé, gare aux âmes qui se jouent des sentiments d'autrui lorsqu'un amour profond et passionné habite enfin leur propre cœur...



Le roman est court, je ne vais donc pas en dévoiler davantage. Si j'ai prêté assez peu d'intérêt à la romance en elle-même, j'ai apprécié le style et la structure de l'oeuvre, tout comme l'évolution des sentiments, depuis l'extase jusqu'à l'indifférence, en passant par la joie, la souffrance et le ressentiment. C'est typiquement le genre de récit dont la brièveté nuit à l'attachement qu'on peut ressentir pour les personnages.



Je lui préfère le romanesque "Pères et fils" du même auteur.





Challenge XIXème siècle
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Premier amour

Vladimir tombe sous le charme de sa délicieuse voisine qui s’amuse d’une cour de soupirants, mais réalise rapidement que son amour n’est pas réciproque. Dans ce long monologue, Tourgueniev décrit admirablement les affres de la passion puis la jalousie lorsqu’il découvre l’identité de l’amant.

La chute bouleversante sonne comme un châtiment divin.





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Un mois à la campagne

2018 sera l'année Tourgueniev.

Un mois à la campagne (Месяц в деревне)



D’après un vieux programme de théâtre, donc je n’ai pas l’éditeur.



Pièce de théâtre (1850) créée en 1879 à Paris et portée à l’écran à plusieurs reprises.



La vie se déroule un peu morne à la campagne, sur un thème proche des Trois Sœurs de Tchekhov, et avec le même style littéraire en demi-teintes. Natalia Petrovna – 29 ans - s'ennuie auprès de son mari, Arkadi Sergueïevitch Islaïev, riche propriétaire de 36 ans, plus intéressé par son domaine que par sa femme à qui il n’accorde qu'une attention très relative, loin de la passion à laquelle elle aspirait. Un ami de la famille, Mikhaïl Aleksandrovitch Rakitine, un peu plus jeune que son mari la distrait et lui sert de chevalier servant, quand arrive un jeune étudiant dont elle tombe amoureuse, Alekseï Nikolaïevitch Belyaev, engagé comme précepteur de Kolia, le fils du couple, âgé de 10 ans.



Problème: le jeune étudiant fait aussi battre le cœur de Vera Aleksandrovna (Verotchka), 17 ans, orpheline élevée dans la maison, qui découvre avec les émois d'un «premier amour», pour reprendre le titre d’une autre œuvre de Tourgueniev. Un peu jalouse, Natalia manoeuvre pour lui ravir Alekseï. Afin d’évincer Véra, elle la pousse à épouser un prétendant vieux, sot, riche, ridicule et malade, mais qui lui assurerait à la fois fortune et position dans la société. Elle renonce cependant à son plan quand elle voit que le jeune homme n’est pas amoureux de Véra. Prise de remords, elle avoue son amour à Alekseï qui est près de succomber quand Rakitine, l’oublié, arrive inopinément, et met fin à leur conversation. Bouleversé, Alekseï démissionne. Vera décide d’épouser son vieux soupirant. Le mari de Natalia croit à tort que sa femme est courtisée par Rakitine qui s’en va aussi, et Natalia retombe dans son ennui. Ainsi prend fin ce “mois à la campagne”, sur une fin analogue à celle des Trois Soeurs,qui clot la brève parenthèse de la passion adultère de Macha pour Verchinine, de passage pour quelques jours avec son régiment dans une autre bourgade de province. Ici aussi, tout rentre dans l’ordre.







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