Citations de Jean-Claude Carrière (445)
Un adolescent japonais se rendit auprès d'un maître en arts martiaux, grand spécialiste de la pratique de l'épée, et lui demanda combien de temps serait nécessaire pour apprendre cet art.
-Dix ans, lui dit le maître.
- Dix ans ! Mais c'est trop ! Beaucoup trop! Je n'aurai jamais la force d'attendre!
-Alors vingt ans, lui dit le maître.
Lorsque nous nous regardons dans un miroir, nous nous voyons à l'envers. Nous nous sommes familiarisés, à la longue, avec une fausse image de nous-mêmes. De là notre surprise quand, sous l'œil du peintre, nous nous voyons soudain tels que nous sommes, ou presque.
Dans des époques récentes, et encore au XXe siècle, des pasteurs protestants fanatisés expliquaient que les ouragans qui frappaient de sud des États-Unis étaient dus à la présence, dans cette région, d’un trop grand nombre de lesbiennes.
Cet exemple de colère divine provoquée par des débordements sexuels n’est pas rare. De la même façon, dans l’Iran islamique, vers la fin du XXe siècle, des ayatollahs assuraient – très sérieusement – que les relations sexuelles illégitimes favorisaient les tremblements de terre.
Les adultes n'évitaient pas à l'enfant le spectacle de la mort humaine, au contraire. Les vieux mouraient tous à la maison, la famille exposait leur corps sur un lit, dans leur dernier habit, et tout le village venait les saluer, en lançant au passage quelques gouttes d'eau bénite avec un rameau de buis. Les morts tenaient souvent un chapelet entre leurs mains froides.
Le premier cadavre que je vis fut celui de ma grand-mère Germaine, mère de mon père, quand j'avais cinq ans. Ma mère me conduisit devant elle - toute blanche dans une robe noire - pour un dernier regard.
- Regarde-la, me dit-elle, tu ne la verras plus.
Ainsi la mort devenait familière avant même qu'elle ne fût comprise et admise. Elle n'avait rien d'ef-frayant.
P.91
SEPÚLVEDA : Ces Indiens dont vous nous parlez, vous avez été aveuglé sur leur véritable nature.
LAS CASAS : Par exemple ?
SEPÚLVEDA : Vous dites avec insistance qu'ils sont doux comme des brebis. Mais s'ils sont comme des brebis, alors ils ne sont pas des hommes ! Qui peut dire que l'homme est doux ?
LAS CASAS : Mais le Christ le dit ! Il ne cesse de le dire ! "Si on vous frappe, tendez l'autre joue ! (*)"
SEPÚLVEDA : Il ne dit pas que nous sommes doux. Il dit que nous devons nous efforcer de l'être. Et il dit aussi : "Je ne suis pas venu apporter la paix, mais l'épée ! (*)" Le Christ aime ce combat ! Il aime cette conquête ! Sinon, croyez-vous qu'il aurait permis ce nouveau massacre des innocents ?
(*) Evangile de Matthieu
Hibou
"Moi ? Oh moi je vis à l'écart, dans une maison délabrée.
Je suis né dans les ruines et je m'y plais.
J'ai bien trouvé des centaines de lieux habités, mais les uns sont dans le trouble, les autres dans la haine.
Celui qui veut vivre en paix doit aller parmi les ruines."
(p. 47)
Rossignol
"Quand la rose répand dans le monde, au commencement du printemps, son odeur suave, je lui ouvre gaiement mon cœur.
Mes peines s'effacent. Lorsqu'elle ne se montre pas, je me tais.
Mes secrets ne sont pas connus de tout le monde, mais la rose les sait avec certitude. Je suis entièrement plongé dans l'amour de la rose.
Ma propre existence, je n'y songe pas. Je ne désire pour moi que la rose.
Atteindre le simorgh est au-dessus de mes forces.
L'amour de la rose suffit au Rossignol. Comment pourrais-je rester une seule nuit loin de cet amour ?"
(p.42)
JCC: Fermez aussi les théâtres, tant que vous y êtes, et les cinémas, et les librairies, et les musées, et les salles de concert. Qu'aucun élément de culture ne vienne plus jamais nous troubler l'esprit.
JA: C'est le rêve de quelques-uns.
JCC: De tous ceux qui sont épouvantés par le mouvement du temps et par les émotions des hommes. de tous ceux qui considèrent que toute expression artistique relève du crachat, du déchet, de l'ordure - en tout cas d'une dangereuse, d'une dégradante aventure. De tous ceux qui en appellent à la "pureté" - la plus cruelle, la plus dangereuse des vertus - et qui voudraient que plus rien ne change.
JA: Que la terre cesse de tourner, les étoiles de briller avec obstination dans le ciel de la nuit.
[...] la très célèbre 'Veuve Poignet', dame musclée et toujours secourable.
Parfois je me demande si les langues ne sont pas comme les peuples. Elles voyagent, et elles se métissent. Dans a nôtre, pourtant si riche, nous accueillons des mots venus d'ailleurs, parfois clandestins. Il me semble même que, plus une langue est riche, plus elle est accueillante. Comme les peuples ?
Les fakirs et les acrobates ont la corde raide. Il faut savoir en profiter.
Les plus grandes vérités peuvent être dites dans un murmure.
Chère Mademoiselle,
Je vous remercie de votre lettre, qui m'a profondément touché, et qui est venue secouer la torpeur du vieil homme que je suis (mais que je n'ai pas toujours été).
La thèse à laquelle vous faites allusion, et qui est aujourd'hui introuvable, s'appelait exactement Considérations sur l'évolution du vocabulaire érotique en France. Je l'ai publiée il y a longtemps déjà et j'oserai dire qu'aucun travail ne l'a surpassée. Bien entendu, un certain nombre d'expressions nouvelles ont surgi depuis cette date, car une langue est chose vivante, mais dans la mesure du possible je me suis tenu au courant.
Lotus - [...] La fleur de lotus est l'image même de l'existence, de la vie. Elle est le symbole premier. Sans elle, tout discours serait impossible.
Il n'est pas sûr que ce symbole soit né en Inde, mais qui peut dire où naissent les images? En tout cas, la fleur de lotus est omniprésente dans toutes les représentations indiennes. Chaque regard la rencontre. [...]
Cette popularité tient à deux particularités de la fleur. Lorsqu'elle n'est pas encore ouverte, elle a la forme d'un oeuf, où les Indiens retrouvent aisément Brahmanda, l'oeuf cosmique, où toutes les possibilités sont contenus, ne demandant qu'à se manifester.
D'autre part, la fleur de lotus apparaît à la surface des eaux troubles, où elle reste cependant immaculée et rayonnante. D'où le symbole majeur, celui de l'esprit échappant, par sa nature même, aux souillures du corps, de la matière fangeuse. [...]
Traiter l'autre de menteur peut être une insulte, ce n'est jamais un argument.
Laisse-moi m'habiller. Ma robe est tâchée de sang, je suis dans le jour de mes règles.
C'est dans le Nord du pays, d'abord, que cet appel est entendu, en particulier par Francisco "Pancho" Villa, un ancien bandit, génie de la guérilla, qui sera le combattant nordiste le plus célèbre.
p.391
UNE BONNE PROTECTION
Nasreddin Hodja entourait un jour sa maison d'un cercle de miettes de pain. Un passant s'arrêta et lui demanda les raisons de cette pratique singulière.
- C'est pour me protéger contre des tigres, répondit Nasreddin.
- Mais il n'y a pas de tigres ici!
- - Oui, dit Nasreddin. Tu vois que ça marche.
L'ARGENT RÊVÉ
Nasreddin Hodja, à sa manière, choisit entre rêve et réalité. Son fils lui dit un jour:
- Cette nuit, j'ai rêvé que tu me donnais cent dinnars.
- C'est parfait, lui dit son père. Comme tu es un enfant très sage, tu peux garder ces cent dinars. Achète-toi ce que tu voudras.
LE ROSSIGNOL
Une autre histoire japonaise, à raconter la nuit, met en présence deux hommes. L'un dit à l'autre:
- À chaque nuit de la nouvelle année, le rossignol chante.
Entendant cela, le rossignol s'écria:
- Comment saurais-je que c'est la nouvelle année? Je chante, c'est tout.
Jean-Claude Carrière. – Et d’autre part, Krishna nous le disait déjà dans la Bhagavad-Gita, « Il faut abandonner tout espoir ». L’espoir est absurde, il est trompeur, il ne sert à rien. Aucune force, aucun hasard ne se manifestera en dehors de nous. Nous de devons compter que sur nous-mêmes.
Je me rappelle ce que me dit une fois un vieux dominicain qui me confessait : la vérité s’avance toujours seule et fragile, le mensonge au contraire a beaucoup d’auxiliaires.