Citations de Jean-Claude Pirotte (411)
Je dirai la pluie à Rethel. (...)
Je voudrais ne produire qu'une averse de mots, être ce nuage considérable et futile qui nous fit la pluie plus noire, et pluie mélodieuse, et plus tragique, et plus élémentaire, cette nuit-là de la première pluie. Mais ne faut-il pas aussi, pour éprouver cette pluie, que je réveille les couleurs qu'elle a délavées ?
(Table Ronde, La Petite Vermillon, 2018, p.98)
Je me suis attribué plusieurs pères parmi lesquels Max Jacob, Desnos et Fondane.ce fut ma manière à moi d'être orphelin.
( p.145)
nous n'avons que deux mains
pour écarter les murs
qui se dressent la nuit
entre le plein de l'île
et le vide du temps
Je compris alors que je ne m’étais engagé que pour déserter. L’état de déserteur serait le mien. J’avais enfin découvert ma vocation.
de plus en plus branlante ma démarche…
de plus en plus branlante ma
démarche quand je sors du lit
les jambes dont le corps m’arma
flageolent et c’est la chienlit
je prends médecine l’oreille
est sourde et la douleur s’éveille
au point que je n’ai qu’une envie
passer au lit ma fin de vie
le moindre effort me coûte cher
je titube autour de ma chaise
je perds les muscles et la chair
s’est enfuie au diable vauvert
je ne serai jamais à l’aise
et mon visage devient vert
qu’importera le temps qu’il fait…
qu’importera le temps qu’il fait
je boirai toujours du café
je marcherai dans les ruelles
que j’ai toute ma vie rêvées
car la vie est exponentielle
et rime avec n’importe quoi
mais pas question de rester coi
plutôt saluer le vieux ciel
le vieil arbre et le vieux soleil
qui fait de la neige une telle
ombre bleue dans l’éloignement
que l’on peut compter les instants
l’ombre s’étend sur la pelouse…
l’ombre s’étend sur la pelouse
et le frêne murmure au vent
que la température est douce
et qu’il n’abrite qu’un enfant
un enfant mort mais qui murmure
aussi des paroles au vent
de lentes paroles qui durent
sous le frêne depuis longtemps
la solitude se déploie
comme des ailes des nuages
ou comme un grand manteau de roi
sur l’enfant mort dont le visage
rayonne encore un pur instant
dans le soir triste et dans le vent
Il y avait toujours des enfants…
Il y avait toujours des enfants
dans ce petit coin de vent triste
à l’ombre d’un talus très nu
surmonté d’un vieux mur oblique
restait le butoir d’une ancienne voix ferrée
où s’était garée la locomotive imaginaire
de l’enfance et le vent pensif et lent
tournait autour de son fantôme
aujourd’hui je suis revenu voir
si c’est toujours la même souffrance
légère et tendre de s’asseoir
au pied du talus quand le soir descend
je n’ai surpris qu’une petite fille elle danse
toute seule on ne l’attend nulle part
personne ne sait comment elle s’appelle
ni quel dieu lui fit don de ses ailes
Parfois le temps s'arrondit
comme une clairière
dans le demi-jour inespéré
les nuages vont lentement
au rythme du feuillage
qui se penche et prend la lumière
venue d'on ne sait quelle source
toute cette lenteur vous caresse
endort toute inquiétude
alors que vous êtes perdu
et qu'il n'y a pas de chemin
ne bousculez pas la table aux poèmes
les vers tomberaient par terre
briser du vers cent ans de malheur
et qui lirait les vers cassés ?
(...)
Maintenant c'est octobre
déjà la fin d'octobre
et j'ai quarante ans
depuis quelques jours
puis ce sera novembre
(comme chacun sait)
décembre avant l'hiver
serai-je encor vivant?
vivant dans cette chambre
où je vis à moitié
où j'attends le miracle
derrière mes volets
il n'y a pas de miracle
pas de nuit lumineuse
pas de vendredi gras
dans les prisons privées
si tu viens ce n'est que
pour t'en retourner vite
et j'ai plus faim de toi
que du pain dont je manque
comme le corps est résistant
fût-il amputé lacéré
fût-il contraint à la famine
on dit vous avez bonne mine
l'ouvrier de la dernière heure
cloue le cercueil en sifflotant
et la fleuriste bat des mains
mais halte-là ce sera sans
fleurs ni couronnes ni discours
on meurt comme on aura vécu
sans avoir passé de concours
on a vécu comme un stagiaire
et la mort est notre salaire
(P172)
Que mangeait-il, et que buvait-il, Max, à Saint-Benoît-sur-Loire ? A Drancy, dans sa dernière lettre, il affirme que les gendarmes sont très gentils pour lui.
(p 29)
« Cette soif brutale, à quelle source de vie pourrons-nous jamais l’étancher ? À quelle source de mort ? Et comment obtenir de l’aujourd’hui qu’il nous abreuve sans mesure de ce liquide inconnu dont nous rêvons de préserver la saveur incorruptible, au moment précis où nous entreprenons de la corrompre d’un mot, d’un geste ou d’un signe. » (p. 21)
« De ce que nous ferons de notre vie, nous ne voulons rien savoir. Notre indifférence au réel n’a d’égale que notre attention passionnée aux images entrevues dans une lumière soudaine, qui est peut-être celle que diffusent les éclats troubles du vin bourru. » (p. 15 & 16)
il n'y a pas de fleurs des champs
ni d'herbes des sous-bois
il a mis longtemps à se concevoir
à tel point rocheux et désert
il tousse le matin
il tousse le midi
il tousse aussi la nuit
cette île a son volcan
Sonnet
la voisine parle à son chat, le soleil
aujourd'hui dimanche est absent et le ciel
grisonne autant que ma barbe vieille
d'une semaine ou deux, le chat surveille la rue
nous n'avons que le temps d'un poème écrit
à la hâte et nous serons vieux dans l'instant
où vibre un carillon sur les rangs de vigne
noirs qui cernent le faubourg de Faramand
les pigeons picorent le grésil des toits
puis un envol soudain, le mur rose éteint
du bistro comme Morandi l'aurait peint,
à peine avons-nous frôlé ce monde étroit
que le souffle trouble du soir qui se penche
nous aura dérobé l'âme du dimanche
Cette nuit, je me sustente de thé très sucré, arrosé de jus de citron. Breuvage écoeurant à la longue. La bouteille de vin est vide. C'était un muscat d'Alsace aux arômes de fruit blet, mais étourdissant de lumière. J'essaierai de parler, si j'y pense, de la lumière de l'est, quand le soleil rasant dessine les colombages de Colmar, et nimbe de safran poudreux le vignoble.
Epigraphe
"La nuit, ce qui a disparu dans la lumière pourrait reparaître"
Henri Thomas