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Critiques de Jerzy Andrzejewski (12)
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Cendres et diamant

Deux officiers communistes, Szczuka et Podgorski, rentre dans une ville polonaise peu de temps après la capitulation allemande. Ils ont la tête plein d’idéaux et de plans pour la suite des choses. Peu de jours avant est aussi rentré le vieux et intègre juge Kossecki. Il a passé une grande partie de la guerre dans un camp de concentration et, là, pour survivre, il a accepté le rôle de blockältester. Pour le compte de des Allemands, il a commis des gestes horribles. Pendant tout ce temps, un groupe de jeunes rebelles nationalistes qui a résisté aux nazis, Maciek Chelmicki en tête, voient d’un mauvais œil que la prise de pouvoir des communistes soutenus par l’URSS, craignant que la Pologne ne se retrouve à nouveau sous la domination étrangère. Autant de trames en opposition (et d’autres encore, secondaires) ne peuvent que mener à une lutte terrible.



Toutefois, Cendres et diamant n’est pas qu’un roman politique. Il traite des horreurs de la guerre, du retour à une vie qui n’est jamais complètement normale et du sentiment de culpabilité. Ou de son absence ! Et, une fois la paix revenue, doit-on punir ou pardonner ? Quoiqu’il en soit, on ne peut revenir en arrière, alors comment vivre avec soi-même et passer à autre chose ? Surtout quand l’avenir ne semble pas plus prometteur ? Ces thèmes sont universels, même si l’intrigue est centrée sur la situation de la Pologne de l’après-guerre. Ça en fait une lecture peu facile à l’occasion (je ne suis pas familier avec cette partie de l’histoire, sans mentionner tous ces noms polonais impossibles) mais je l’ai beaucoup appréciée.



L’auteur Jerzy Andrzejewski soulève plusieurs questions (ou dilemmes éthiques) mais il se retient de donner des réponses ou des leçons. Et la fin ouverte laisse l’opportunité au lecteur d’en arriver à ses propres conclusions. Une belle surprise. Au-delà de toutes les considérations morales et de la rigueur historique avec laquelle il a été écrit, Cendres et diamant est un roman intéressant à lire. La galerie de personnages complexes, avec leurs atouts et leurs imperfecitons. Conséquemment, ils sont tellement crédibles qu’ils prennent vie sous nos yeux. Pareillement pour les décors, reconstitués avec soin. C’est comme si on y était. Mais tout n’est pas que réalisme car, à l’occasion, l’écriture peut se montrer sensible, lyrique, allant jusqu’à intégrer des chansons populaires et des poèmes. C’est vraiment une grande œuvre qui m’a merveilleusement surpris !
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Les Portes du paradis

Les portes du paradis est un court roman du siècle dernier qui semble avoir sombré dans l’oubli, tout comme son sujet, la Croisade des enfants, quelque part entre la quatrième et la cinquième. Cet événement m’était complètement inconnu (à moins que je ne l’ai qu’oublié) et, vraisemblablement, il n’a pas eu de répercussion. Pourquoi lire le roman, alors ? Ses principaux thèmes ne sont plus d’actualité. Mais est-ce vraiment le cas ? Plus on avance dans notre lecture, plus on se rend compte que ladite expédition n’est qu’un prétexte. La critique qu’en a faite 5Arabella résume magnifiquement mon impression, je vous invite à la lire. Je la trouvais complète et concise à la fois, tellement que j’allais continuer mon chemin. Quoi ajouter ? Mais je me suis ravisé : ce roman, comme d’autres de Jerzy Andrzejewski, est trop peu connu et mérite davantage de publicité. D’où ce billet.



Les portes du paradis raconte l’histoire de quelques uns de ces jeunes du cortège français menés par le mystique Jacques de Cloyes, se dirigeant vers Jérusalem avec l’intention de délivrer la Ville Sainte des Turcs. En réalité, ces enfants provenaient de divers pays mais Andrzejewski se concentre essentiellement sur un petit groupe de français. Chacun raconte – confesse ? – son expérience personnelle, celle qui l’a mené vers cette aventure extraordinaire. On se rend compte que, pour eux, Jérusalem n’est qu’un concept. Ce qui les pousse à cheminer sur les routes de France, c’est tout autre, même s’ils n’en sont pas complètement conscients. À travers leur histoire, le lecteur comprend que ces enfants recherchent la compagnie, l’amour, le bonheur, et sans doute beaucoup d’autres choses qu’ils ne savent pas eux-mêmes.



Au-delà de l’intrigue, ce qui fait la particularité du roman, c’est son style. Après quelques pages à lire une seule et même phrase qui semble s’étirer éternellement, le lecteur se demande quand il peut reprendre son souffle. À un moment, je me suis dit qu’Andrzejewski n’avait rien à envier à Proust ! En effet, on comprend assez rapidement que le roman n’est consitué que d’une seule unique phrase, qui ouvre et ferme le roman. Au début, je n’étais pas totalement convaincu mais, finalement, ça impose un rythme intéressant et ça fonctionne assez bien, d’autant plus qu’il s’agit d’une succession de dialogues intérieurs qui se complètent très bien. Toutefois, le lecteur doit être attentif aux transitions car ces changements sont conséquemment subtils. Les premières fois, je n’y ai pas pris garde et je n’ai pas compris immédiatement qu’un autre personnage avait pris le relais et s’exprimait.



En terminant, dans Les portes du paradis, on peut y voir plusieurs autres thèmes. L’un de ceux-là, c’est la manière dont les adultes traitent (ou abusent, quoi que c’est peut-être un peu fort) les enfants, ces petits êtres innocents et purs. Ceux-ci étaient sensibles aux idées de péchés qu'on leur inculquait et desquels ils voulaient se libérer, d'où ce besoin de rédemption. Et ce thème de l'exploitation aurait pu être davantage exploité si le roman avait été plus long ou s’il avait couvert une période plus grande. En effet, l’histoire de la Croisade des enfants – que j’ai vérifiée pendant ma lecture – nous apprend que la majorité des jeunes (et quelques adultes) qui ont atteint les ports de la Méditerranée y ont été capturés ou vendus comme esclaves. Il aurait été intéressant de connaître la suite de leur dialogue intérieur dans de telles situations. Leur foi et leurs convictions auraient-elles été ébranlées et, si oui, jusqu’à quel point ?
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Sautant sur les montagnes

« Ainsi, le vieil Antonio Ortiz, le sacré bougre, le bouc génial, étonna encore une fois le monde ! » Ces mots, qui ouvrent le roman Sautant sur les montagnes, donnent le ton. À Paris, en 1960, un peintre mondialement connu a retrouvé l’inspiration. On le croyait fini et le voilà qui revient à nouveau. Et sa jolie (et jeune !) maîtresse n’est pas étrangère à ce regain. Ces impressions sur le génie des pinceaux, c’est à travers le regard des autres qu’on les découvre. En effet, dans la première moitié du roman, la colonie artistique se prépare à aller à son vernissage à la galerie Barba. Il y a bien son agent André Gageot puis le jeune Giulio Barba, le petit-fils du propriétaire de la galerie, lequel était un ami d’Otriz. Alain Piot, un jeune artiste qui aimerait bien prendre la place « […] je le hais, je suis incapable d’aucun autre sentiment que la haine à son égard, je le hais et peut-être que cela me soulagerait si je pouvais le lui jeter à la face. » (p. 27) Suivent Pierre Laurens, historien de l’art, Jean Clouard, cinéaste, la duchesse d’Uzerche, présente à toutes les mondanités, même William White, le dramaturge américian de passage dans la capitale française. Et bien d’autres encore, prêts à sauter sur toutes les occasions qui se présentront.



Sautant sur les montagnes, c’est un roman foisonnant. Considéré du point de vue d’Ortiz, c’est axé sur les doutes liés au travail de créateur, au travail d’artiste. La peur de n’avoir plus l’inspiration, ses rêves, ses espoirs, ses tiraillements. Sur les muses, aussi. Il est fort probable que Jerzy Andrzejewski les partageait-il, même si lui se consacrait à l’écriture. Toutefois, considéré du point de vue de tous les autres personnages, c’est essentiellement une critique acerbe mais assez juste sur le monde de l’art, sur la place qu’il occupe dans la vie de beaucoup de gens mais surtout sur celle que l’argent accapare. Certains n’y voient qu’un gagne-pain (quand ce n’est pas l’art lui-même, c’est tout ce qui y est rattaché : du critique qui espère que les lecteurs achèteront le journal le lendemain à l’acteur qui espère croiser le réalisateur qui l’embauchera dans son prochain film), d’autres une monnaie d’échange, une façon de démontrer leur libéralité, d’étaler leur culture. Même quand il est évident qu’elle n’est pas là.



Pendant toute cette journée importante, la narration se promène de personnage en personnage, évoluant selon l’individu sur lequel elle s’attardait à faire connaître la pensée. Entrer ainsi dans leur tête, entendre ce que tous pensent les uns des autres, joussif ! Chapeau à l’auteur qui a réussi à trouver une voix, un vocabulaire et un niveau de langue à chacun. Dans certains cas, je lui trouvais un rythme très proche de celui de l’oral. Je me demande si, à sa parution au début des années 1960, quelques personnalités se sont reconnues dans des personnages. Et, puisque l’auteur n’y va pas de main morte, plusieurs ont dû grincer des dents devant ce portrait peu flatteur.



Aussi, Andrzejewski ne pouvait écrire sur le monde des arts sans disséminer un peu de sa culture. En effet, même si l’occasion est un vernissage, ceux qui y participent sont des artistes au sens large, ou des gens qui gravitent dans l’univers des arts. Tout s’entremêle. C’est l’occasion de glisser un mot sur Martin Eden, de Jack London, sur Le mythe de l’éternel retour, de Mircea Eliade, sur les films de Visconti, sur Marlon Brando et Ingrid Bergman, etc. Baigner dans un pareil univers doit être enivrant mais un travail de tous les instants. Gardons le sourire !
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La Pulpe

La pulpe, c’est une expérience littéraire difficilement qualifiable. D’ailleurs, Jerzy Andrzejewski ne se faisait guère d’illusions quant à sa réception, tant à cause de la censure qui sévissait en Pologne dans les années 70 que par ses idées (trop) originales. « Je puis et je veux écrire comme je le veux et comme je le puis […] » Exercer pleinement sa souveraineté créatrice peut mener à l’incompréhension. C’est un peu ainsi que je me suis senti pendant que je lisais l’histoire d’un type qui veut écrire un roman intutilé justement La pulpe. Ainsi donc, une histoire dans une histoire, qui correspond à la situation même de l’auteur. Ouf ! Mais il ne s’agit pas d’une intrigue linéaire. Le roman s’ouvre par des extraits d’un journal intime puis, éventuellement, vient s’y entremêler une narration plus conventionnelle mais précédés de didascalies. Certains passages sont clairement présentés sous forme de dialogues, comme au théâtre. Et on revient toujours à ce journal. Passé la moitié du roman, une partie complète est constituée d’un répertoire des personnages présents, mentionnés dans l’ouvrage et de leur biographie. Aussi, puisque l’auteur en profite pour exposer certaines de ses idées (ne serait-ce qu’à travers son protagoniste, ça peut ressembler par moments à un pamphlet. Bref, ça va un peu dans toutes les directions. Comme je l’écrivais au tout début, La pulpe est véritablement une expérience littéraire. Les lecteurs qui aiment sortir des sentiers battus pourront peut-être apprécier, ou bien ceux qui sont intrigués par l'univers créé par l'un des membres les plus proéminent de littéraire de l'intelligentsia polonaise censurée. Quoique la longueur risque d’en décourager plus d’un... Reste aussi les admirateurs d’Andrzejewski car ce roman est propablement celui qui lui ressemble le plus et qui lui était le plus cher. En effet, il y a travaillé les sept dernières années de sa vie et l’a écrit sans tenir compte de quoi que ce soit d’autre que son aspiration créatrice.
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La semaine sainte

Il s’agit de ma deuxième incursion dans l’univers de l’auteur polonais Jerzy Andrzejewski. La couverture de son roman La semaine sainte promettait «la révolte du ghetto de Varsovie racontée par un chrétien». Sujet intéressant (pour moi, 75 ans plus tard, pas pour ceux qui y ont péri à l’époque ni leurs familles) et point de vue original. Eh bien, petite déception de ce côté-là. On nous présente Irène Lilien et ses parents, des juifs qui n’ont pas trop souffert des premières années d’occupation allemande mais voilà que le vent change. Heureusement, elle a pu se réfugier chez les Malecki, des amis catholiques habitant dans un quartier excentré de la capitale polonaise. Quand les nazis décident d’en finir avec le ghetto, c’est de là qu’on «assiste» au drame. De loin. De très loin. Quelques brefs épisodes sont brièvement résumés par la narration à la troisième personne mais, pour l’essentiel, la révolte est absente, distante. «Un immense nuage noir était suspendu au-dessus de Varsovie.» (p. 155) Elle se résume essentiellement à ça. De la fausse publicité, donc ? Le reste du roman n’est pas sans mérite, on apprend que beaucoup de Polonais sont satisfaits du sort réservé aux Juifs, les Allemands (et leurs alliés) faisant le sale boulot à leur place, certains les y aidants. D’autres se montrent indifférents. Évidemment, d’autres aussi leur viennent en aide, comme Malecki qui cache Irène chez lui, à ses risques et à celui de sa femme enceinte. La majeure partie du roman se concentre sur eux, sur la façon dont ils perçoivent les événements (le sort réservé aux juifs mais aussi la guerre en général). Les moments intimes entre ceux-là étaient touchants, des moments volés au quotidien, des souvenirs qui émergent, des espoirs auxquels on se rattache, etc. Mais la révolte ? Que des échos ! Ce n’était pas mauvais pour autant. Pareillement pour le style d’Andrzejewski, s’il n’était pas mauvais, il ne se démarquait pas non plus. J’ai bien aimé la fin, le sort réservé à Irène. C’était prévisible, inévitable, triste mais en même temps ouvert. Chacun peut imaginer ce qu’il adviendra d’elle, espérer qu’elle s’en sorte. Bref, La semaine sainte était très loin des exploits héroïques des résistants du ghetto auxquels je m’attendais. Peut-être pas aussi enlevant ni particulièrement intéressant par rapport à d’autres romans qui traitent du même sujet mais quiconque souhaite voir un autre visage de ce terrible drame pourrait l’apprécier.
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Les Portes du paradis

En 1959, lorsque Jerzy Andrzejewski écrit ce livre, il a quitté le parti communiste polonais depuis 3 ans, après en avoir été un soutien, et un député assidu.

Comme la Pologne à ce moment, un pays resté profondément catholique, il revient avec « les portes du paradis », vers une approche plus mystique de l'histoire de son pays.

Certains voient dans ce roman, une réécriture du récit de Marcel Schwob publié en 1896, intitulé « la croisade des enfants », « de manière à faire lire dia – et anachroniquement, une oeuvre par l'autre » (Didier Coste in Marcel Schwob d'hier et d'aujourd'hui)

La référence à Schwob n'est pas neutre, en effet, l'auteur « des vies imaginaires », propose de soustraire la biographie à la question de la vérité, proposition qui influença Borges, et bien d'autres, comme ce dernier le reconnut enfin dans la préface de l'édition espagnole de 1986.

Si « Les portes du paradis » s'appuient sur la croisade des enfants, le roman de Schwob et le fait historique qu'il décrit, le livre d'Andrzejewski est avant tout l'histoire d'une illusion ou des illusions qui travestissent la réalité :

- Illusion des chrétiens persuadés de devoir libérer le tombeau du Christ tombé aux mains des infidèles.

- Illusion de ceux qui décident des croisades, surtout pour des raisons de politique interne comme nous dirions actuellement.

- Illusions des croisés convaincus de la pureté de leur engagement.

- Désillusion du retour.

Si je m'autorise une parabole, ce livre qui reste un classique en Pologne, est aussi une tentative masquée de dénoncer la situation économique et politique de la Pologne d'alors. Pour mémoire, le pays fait sa première crise d'anti-communisme en 1956 et conduit l'URSS à nommer un polonais (Gomulka) à la tête du PC. Celui-ci entreprend alors, une dé-collectivisation des terres, crée des conseils ouvriers, et desserre l'étau autour de la religion. Il libère le cardinal Stefan Wyszyński emprisonné à la demande de l'URSS en 1953. Ce mouvement est connu sous le nom d'Octobre Polonais ; hélas, la réalité rattrape très vite ce souffle de liberté et le réduit à une parenthèse.

Mais revenons aux « Portes du paradis », l'histoire, simple dans sa trame, s'appuie sur quelques personnages principaux, outre le millier d'enfants censés les suivre :

Jacques le Trouvé, un enfant abandonné, trouvé le jour de la Saint Jacques, et recueilli par le ferronnier de Cloyes, d'où son nom de Jacques de Cloyes.

Maud, la fille du ferronnier, amoureuse de son frère adoptif.

Robert, le fils du meunier de Cloyes, amoureux de Maud.

Philippe, le confesseur, accompagnateur de la croisade.

Blanche, la fille perdue.

Alexis de Missen l'enfant grec enlevé par les croisés et ramené en France.

La communauté rurale de Cloyes, vit d'agriculture et d'élevage, les enfants gardent le bétail : « Jacques nous enjoignit encore de rentrer chacun chez nous et de traire pour la dernière fois les bêtes confiés à notre garde »

Jacques est un mystique, il exerce une autorité spirituelle sur les jeunes pâtres : « Il levait les mains à sa bouche et jetait dans l'espace ouvert et dans le silence un cri guttural….à ce cri de tous les coins du pâturage les pâtres se levaient et répondant de la même manière de leurs voix encore enfantines commençaient à rentrer les vaches encore dispersées… »

Un matin, après trois jours de retraite dans sa hutte, il délivre un message à 14 jeunes pâtres et pastourelles : « le seigneur Dieu tout-puissant m'a révélé que face au lâche aveuglement des rois, des princes et des chevaliers il convient que les enfants chrétiens fassent grâce et charité à la ville de Jérusalem qui est aux mains des Turcs infidèles… »

Ils partent.

Maud avoue en confession à Dieu, puis au confesseur : «si ce n'est pas l'amour de vous qui me fit quitter père et mère et qui me pousse maintenant vers le lieu lointain de votre sépulture, mais il y a un autre amour en moi, un amour qui emplit toutes mes pensées et mon corps tout entier… »

Robert lui n'est parti que pour protéger Maud : « je n'ai jamais voulu être un fils dénaturé et pourtant j'en suis devenu un, tout cela, mon père, par amour d'une fille qui a nom Maud… »

Blanche et Alexis se débattent dans un trip « mensonge, sexe et trahison », cherchant eux aussi comme Maud, l'absolution de leurs péchés, qu'ils avouent dans des versions différentes selon les interlocuteurs. Eux aussi sont tous les deux amoureux de Jacques…

La troupe progresse, au rythme de l'écriture du livre, du début à la fin, une seule phrase nous emmène, pendant 150 pages, sur les chemins, ponctuée de virgules et d'ornières, cahotante et lisse à la fois, pierreuse parfois, surmontant les obstacles, dévorant tout sur son passage, créant espoir et désespoir, ombre et lumière, orage et temps clair :

« …qu'il se rendit compte du nombre de jours et de nuits qui dans leur écoulement indifférent, mais aussitôt qu'il l'eut pensé il comprit que les jours et les nuits qui allaient rythmer leur route ne seraient pas porteurs d'une longue indifférence mais au contraire de chaleurs torrides, de tempêtes et d'averses tournoyantes au-dessus de grands espaces découverts, de pluies lancinantes et de de coups de soleil et de tout ce que le ciel et la terre des jours et des nuits peuvent charrier d'hostile à l'homme, que ces jours et ces nuits impossibles à dénombrer les poursuivraient impitoyablement tout le long de la route… »

La phrase est dans la phrase comme le chemin est dans le chemin.

Cette phrase pourtant, n'est pas univoque, elle est portée par le ciel et la terre, les forêts, les champs et les plaines, elle est traversée par les pensées tourmentées des marcheurs qui viennent, comme des tourbillons de mots, s'enrouler autour du lecteur par intermittence et de façon récurrente :

« …les nuits donc remplies du bruit monotone de quelques milliers de pas… »

« …la foi confiante et l'innocence des enfants sont à même d'accomplir les plus grandes merveilles… »

« …comme si à chaque fois que ses pieds lourds et enflés touchaient terre il essayait de la pénétrer du mieux qu'il put… »

« …car ce n'est point le mensonge mais la vérité qui tue l'espoir… »

Comme si ceux qui les prononcent voulaient se convaincre de la justesse de leur point de vue.

Cette phrase unique enferme la croisade et les marcheurs dans un cocon, qui vu d'en haut, parait lisse, homogène et parfait. Dès que l'on pénètre à l'intérieur de ce cocon, les passions se déchaînent et le mensonge, ou la duplicité, règnent en maîtres.

Robert et le confesseur représentent le principe de réalité, s'ils jouent le jeu de la croisade, ils n'en sont pas dupes.

« …c'est maintenant qu'il faudrait que je me retourne et de tout mon être, bien que seul et solitaire, j'essaie d'endiguer c cortège de folie, de folie et d'innocence, d'innocence et de désirs, de désirs et de mensonges, mais je ne trouve pas assez de force en moi pour m'opposer à mes espoirs et à mes désirs… »

Maud est subjuguée par Jacques, elle avoue au confesseur « aimer son péché » mais attend son absolution pour être sauvé de l'enfer. le personnage de Jacques est le plus ambiguë, il joue de son autorité, accordant et retirant ses faveurs, jouant l'illuminé, le messager de Dieu.

Le millier d'enfants, comme un paysage, servent de décors, ils piétinent, portent les dais et les oriflammes.

A mesure que la croisade avance l'écriture s'accélère, nous révèle de plus en plus de secrets sur les personnages et leurs côtés obscurs, la progression des marcheurs sur le chemin de Jérusalem est identique à notre progression dans la connaissance des personnages, nous marchons avec eux et partageons leurs pensées, entendons leurs confessions, comprenons pourquoi ils sont partis.

C'est la confession ultime, celle de Jacques de Cloyes, qui libère notre lecture et révèle les secrets qui lient entre eux les personnages. Mais à vous de le découvrir en lisant « Les portes du Paradis » le livre inoubliable de Jerzy Andrzejewski !











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Les Portes du paradis

Le livre fait référence à un événement historique, La croisade des enfants, qui a eu lieu en 1212 en France et en Allemagne, mais dans le livre nous ne suivons que les enfants français. Le livre est très court, c'est plus une longue nouvelle qu'un roman. Il décrit la confession de quelques enfants par un moine franciscain pendant quelques heures, et permet de voir leurs histoires et les raisons qu'ils ont d'être là, de même que la genèse de ce qui s'est passé et qui a poussé tous ces enfants sur les routes.



C'est très peu religieux en réalité, et traite plus de problématiques d'une recherche de bonheur individuel, d'un besoin d'amour, d'une peur de la solitude. Et aussi de la jeunesse, de ses forces et faiblesses, de la façon dont elle fascine les adultes et aussi comment ils l'utilisent et la pervertissent. Des thèmes déjà traités ailleurs, ce qui fait l'intérêt de ce livre c'est la forme, une succession de dialogues intérieurs qui se complètent et se répondent, le livre est en fait une seule phrase, et cela dans une belle écriture.

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Cendres et diamant

Il est très difficile de résumer ce roman polyphonique, aux personnages très nombreux et aux intrigues enchevêtrées. L’action du roman se déroule entre le 5 et le 8 mai 1945, donc tout à la fin de la deuxième guerre mondiale. Le pouvoir communiste s’installe en Pologne, avec le soutien de l’armée soviétique, et contre le désir de la majorité de la population. Des anciens résistants reviennent dans leurs foyers, des gens rentrent des camps. Certains profitent de la nouvelles situation pour faire des affaires ou pour essayer d’occuper des postions de pouvoir. La violence fait toujours des victimes, d’autant plus insupportables que la guerre s’achève officiellement.



L’intrigue principale, qui sera quasiment la seule conservée dans le film tourné par Wajda, est l’histoire de Maciek, un jeune résistant lié à l’opposition fidèle au gouvernement en exil à Londres, à qui il est donné l’ordre d’exécuter Szczuka un communiste juste revenu des camps, et qui occupe des fonctions importantes, il dirige le comité du parti de la région dans laquelle se passe l’action du livre. L’homme représentant les communistes, il est l’homme à abattre. Mais en même temps Maciek fait la connaissance de Krystyna, avec qui il éprouve le désir de vivre et d’organiser sa vie, «normalement ». Mais les personnages abondent, et les motifs secondaires se mêlent au récit principal.

J’ai été émerveillée et emportée par l’écriture, dense, à la fois retenue et lyrique d’Andrzejewski, par sa capacité à dessiner les personnages, à les caractériser, à leur donner vie, avec une sorte de simplicité et d’intensité. Et aussi par sa capacité à soutenir l’intérêt du récit, il est difficile de s’arracher à ce livre une fois commencé, on vaut absolument connaître la suite. C’est magistral au niveau de l’écriture et de la construction.



Ce qui a été souvent reproché à ce livre, c’est qu’il présentait un point de vue communiste des événements. C’est incontestablement un moment de la vie de l’auteur pendant laquelle, comme les disent certains de ces personnages, « le communisme est le sens de la marche de l’histoire », quelque chose d’inévitable. Mais ces personnages sont complexes, on peut difficilement dire qu’il brosse un portrait idéalisé des gens qui représentent le communisme, même Szczuka est en fin de compte dogmatique, et son seul argument est le fameux sens de l’histoire, il se montre incapable de dialoguer réellement avec son ancien ami socialiste qui est plus que réticent devant l’évolution de la situation.



Et puis d’une certaine façon, les opinions qu’il représente existaient réellement, l’auteur lui-même y a adhéré pendant un certain temps et le livre en est le reflet. Il est facile à dire plus d’un demi siècle après que ce fut une erreur, mais à l’époque les choses pouvaient être plus compliquées.



Il faut donc lire ce livre en ayant en tête le contexte de l’époque pour relativiser certains éléments, néanmoins les qualités de ce livre sont vraiment très grandes et me donnent envie d’explorer les autres œuvres de l’auteur.

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Cendres et diamant

L’Œuvre d’ Andrzejewski, cendres et diamant, bénéficie d’une lecture exceptionnelle avec le film d’Andrzej Wajda de 1958, récemment restauré et visible en DVD.



La Pologne de 1945 s’éveille à la nouvelle de la capitulation allemande, et à l’arrivée des chars russes qui matérialisent la prise de pouvoir par le parti communiste, au détriment des maquis nationalistes tentés par un sursaut de résistance.



« Au-dessus de quoi s’élève donc cet arc de triomphe de la victoire ?



Au dessus d’un champ de décombres, Au-dessus de l’avilissement de la dignité humaine, Au-dessus d’un fourmillement de gnomes abâtardis et rendus invalides, empoisonnés par la peur et le désir venimeux de profiter de la vie à tout prix … »





Le roman est foisonnant par le nombre des personnages, bien différents, et la multiplicité des intrigues ourdies par ambitions personnelles ou politiques, sans oublier les calculs sordides, soit pour masquer le passé trouble de la collaboration et des camps, soit pour « assurer l’avenir ».



Il est aussi dense par la diversité des options, la nature des enjeux, et les tissus existant entre les protagonistes.



Il repose sur des contrepoints multiples entre les lieux d’ombre et la scène publique officielle de la victoire : Les arrière-cuisines et les toilettes face au banquet - qui finalement n’a rien à leur envier, car à la saleté matérielle des lieux privés correspond la laideur morale des calculs en public.



D’autres zones sombres mortifères ( grottes, cimetières) servent de décors à la décomposition morale de la société, face occulte de la misère des appartements délabrés, des rues défoncées, etc.



Le romancier pose un regard acéré et caustique sur les comportements grotesques des individus, que Wajda a su traduire par une interprétation musicale parodique de la « Polonaise héroïque »(Chopin).



Rares sont les purs - le responsable communiste Szcuzca, Podgorski, le nationaliste Maciek Chemilcki, qui se trompe ou de combat ou de cible !-



L’Erreur n’épargne personne :

« qu’est-ce qui compte, ce sont nos actions. Et rien de plus. Tout le reste peut être vrai, mais peut-être, tout aussi bien, illusion ou mensonge. Tant qu’un homme ne s’est pas confronté avec lui-même dans l’action, il se fait des idées. »



La tragédie touche chacun, avec le deuil d’un être cher ou d’une espérance.



le Destin s’acharne donc à contrecarrer tous les projets, à coups de méprises et de malentendus, broyant les vies comme les projets, ces bouquets de violettes de Maciek Chemilcki, « diamant » possible dans cet univers de décombres.

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Les ténèbres couvrent la terre

Il s'agit d'un très court roman ou d'une très longue nouvelle, selon l'optique dans laquelle on se place, 120 pages dans mon édition. Nous sommes en Espagne, et nous suivons Torquemada, l'instigateur rigoureux de la mise en place de l'Inquisition. Il arrive avec sa suite à Villa-Réal, lors d'une prière nocturne il rencontre un jeune moine, opposé à priori à ses idées et qu'il retourne comme une crêpe et dont il fait son secrétaire particulier. Nous suivons quelques épisodes suivants, jusqu'à la mort de Torquemada.



C'est bien écrit, fluide et efficace. L'essentiel du livre est de démonter le langage de l'idéologie, par lequel tout est démontrable, tout est logique, lorsqu'on se place dans le cadre du système. Andrzejewski a évidement dans l'idée l'idéologie communiste, à laquelle il ne peut s'attaquer au moment où il écrit, mais les mécanismes sont les mêmes et c'est ce qui l'intéresse. Même si c'est une bonne lecture, c'est tout de même prévisible et attendu, bien fait mais il me manque un petit quelque chose, une surprise, la petite dimension supplémentaire qui ferrait sortir ce livre de la masse et donnerait envie de le relire un jour. Mais là il n'y a pas ce petit quelque chose à mon sens, une fois la dernière page lue, j'ai eu la sensation d'en avoir définitivement fait le tour.

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Personne

'' Je ne veux pas savoir quand, où ni comment je mourrai. La seule chose que je voudrais, c'est pénétrer le mystère de la mort."

Enfermé dans son mythe, le héros de la guerre de Troie s'ennuie. Pénélope est morte et son fils Télémaque est parti. Même les charmes de la blonde Euryclée ne le tirent plus de sa langueur. Alors, neuf ans après son retour à Ithaque, il décide de s'embarquer vers de nouvelles aventures.Pour son dernier voyage, il choisit dix-huit compagnons, dont le bouffon Ris-en-Pleurs et un jeune homme d'une troublante beauté qui le suivra comme son ombre. Leur périple les amènera d'abord à l'île d'Aiaié. Là, parmi les vergers et les vignes, ils trouveront Circé l’enchanteresse changée en monstre.Ulysse sera attaqué par son propre fils naturel Télégonos et le tuera. de souffrance en souffrance, toujours plus solitaire, l'éternel errant connaîtra enfin les limites de l'existence.

Seul un écrivain de notre siècle, et de surcroît de l'Europe centrale, pouvait imaginer cette anti-Odyssée désabusée dans un monde où les dieux sont irrémédiablement absents.

Jerzy Andrzejewski est né à Varsovie en 1909. Il est l'auteur des Portes du paradis(1961) et de Cendres et diamant (1967) porté à l'écran par Andrzej Wajda.Personne est son dernier roman.
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Les Portes du paradis

Le style d’écriture est des plus intéressants: aucun point, une phrase, un roman. Ça l’air lourd? Nie, il se lit agréablement tant c’est bien fait.



Les personnages sont juteux:



Jacques le Trouvé, un enfant abandonné, trouvé le jour de la Saint Jacques, et recueilli par le ferronnier;

Maud, la fille du ferronnier, amoureuse de son frère adoptif;

Robert, le fils du meunier, amoureux de Maud;

Philippe, le vieux confesseur, accompagnateur de la croisade des jeunes francs;

Blanche, la fille perdue hypersexuée;

Alexis de Missen, l'enfant grec enlevé par les croisés et ramené en France, gay de surcroît et amoureux de Jacques le trouvé...





Oeuvre basée sur des faits historiques réels.
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