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Critiques de Julio Cortázar (186)
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Tous les feux le feu

Eh bien par pur hasard, après "Feu" de Maria Pourchet, j'enchaîne avec "Tous les Feux Le Feu " de l'écrivain argentin Julio Cortazar, dont c'est ma première rencontre grâce au billet d'un ami babeliote c128057 ( agent secret babeliote 😁, aah ces pseudos !), que je remercie en passant. J'espère que ce Feu qui me poursuit est de bonne augure 😊!

Ceux sont des nouvelles, genre que j'adore ( je sais, peu apprécié sur Babelio 😊), et débute avec une histoire très forte avec une chute irrésistible, celle d'un embouteillage sur l'Autoroute du Sud ( le titre) , qui a d'ailleurs inspiré une comédie au cinéaste italien Luigi Comencini, "L'ingorgo". Un embouteillage surréaliste qui bloque la route pour une éternité va créer une micro société, où les personnages sont désignés par leurs voitures et où La Ford Mercury et une Porsche en profiteront pour faire du traffic de victuailles 😁.....

Par la suite on assiste à une pieuse comédie joué en famille, on rencontre Che Guevara asthmatique, sans ventoline qui débarque à Cuba avec 81 guérillas pour renverser Battista, un steward italien qui s'amourache d'une île grecque, un ado à l'hosto qui veut jouer les grands avec l'infirmière, un clin d'œil au théâtre de Peter Brook,metteur en scène britannique qui jette les conventions du théâtre, le bon goût et le savoir-vivre, et propose des formes différentes, des récits improvisés,.....et dans la nouvelle qui donne son nom au titre, la tromperie, le jeu de dupes, la mesquinerie des hommes et la violence des sentiments qui finiront par tout embraser.



On n'est pas loin du fantastique, l'auteur change de genre d'une nouvelle à l'autre, brouille nos repères spatio-temporels et narratifs , joue sur des effets de style pour corser des anecdotes banales, bref c'est surprise à chaque coût et réjouissant !



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Marelle

Me voilà perdu.



J’étais parti avec une paire de dés nacrés de belle qualité ;

un joli crayon de bois, pas trop gras ;

une gomme blanche, bien propre ;

j’avais en réserve quelques dés singuliers, comme cet octaèdre, brillant de ses huit faces…



Un défi fantastique à relever, ce « Livre dont vous êtes le héros », premier du genre, parent littéraire du fameux « Labyrinthe de la Mort », ou autres aventures du Loup Solitaire…

Sauf que celui-ci n’a pas de règles bien établies.



On ne peut pas tricher — garder le doigt sur la page précédente, afin d’y revenir si la mort, cette abrupte fin, se présente après un mauvais choix — il faut juste choisir si l’on veut le lire dans sa linéarité, ou bien plutôt suivre ses renvois au gré d’une apparente anarchie.



J’avais opté pour la seconde solution, tout en parfois l’oubliant, continuant sur ma lancée au chapitre d’après, usant de petits marque-pages colorés afin de m’y retrouver… jusqu’à ce que ceux-ci se volatilisent sans raison, emportant avec eux dans le void leur code numérique, leur reste de sens perdu, petits cailloux semés sans peur de mourir de faim, juste pour voir jusqu’où l’on pouvait aller avec la liberté.



Je vous renvoie donc illico vers la critique de mon ami chauve-souris-mouton — démontrant encore une fois que la langue anglaise est un meilleur outil d’adaptation, voire d’hybridation — batlamb nous pondant un agréable pastiche, lui qui en a trouvé la sortie.



Je pense de mon coté avoir lu trois fois certains chapitres, et en garder beaucoup d’inconnus. Le problème étant que je ne sais plus m’y retrouver, et qu’il faudra sûrement recommencer, de manière plus académique.



Je déconseille formellement toute désinvolture à la lecture de ce livre.

On ne court pas deux lièvres (de Patagonie) à la fois.



Voilà, j’ai fait un 6.



P.S. : (il y aura peut-être une suite, quand j’aurais retrouvé…)
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Crépuscule d'automne

" Une soupe d'étoiles et de lettres "



Poésie et prose entremêlées, assemblées à l'automne de sa vie par Cortazar lui-même pour en faire ce recueil, paru en 1984 pour la première édition mexicaine, l'année de sa mort.

C'est toute l'originalité de ce Crépuscule d'automne - Salvo el crepusculo - traduit en français en 2010.



Pourquoi attirer l'attention sur ces textes ? Comment des mots trouvent le chemin de l'attention, de l'émotion ? Difficile à exprimer. Je crois qu'il y a d'abord un ton, direct et libre, à la fois révolté et tendre, nostalgique et si présent ; puis des associations de mots, d'idées insolites, graves ou pleines d'humour, qui claquent au fil des pages et des textes d'une grande variété de thèmes, avec en fond, toujours, l'amour et la musique. Un petit air de tango...sans doute.



" Ne pas accepter un autre ordre que celui des affinités, une autre chronologie que celle du cœur, un autre horaire que celui des rencontres à contretemps, les véritables. (...) "

" ...Ce fut une parole de tango pour ton indifférente mélodie. "

" Il est certain dans son incertitude, il est nu de silence. "



Reflets miroitants du crépuscule : le recueil divisé en une quinzaine de parties est largement émaillé de citations d'auteurs de continents et d'époques variés, un peu comme des feux littéraires allumés par d'autres et dont Cortazar prolonge la flamme. Et franchement, ce florilège de citations est aussi un pur régal.
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Les armes secrètes

La couverture du livre fait immanquablement penser à un tableau de René Magritte et l'écriture de Julio Cortázar pourrait s'approcher de l'écriture surréaliste si l'on cherchait à établir une parenté.

Bien sûr, comme Cortázar est argentin, on chercherait bien aussi du côté du réalisme magique cher aux écrivains d'Amérique du Sud.

Cet opus nous livre cinq nouvelles qui paraissent parfois étranges mais sont toutes reliées, à mon sens, à l'introspection des êtres.

La première, au titre évocateur porte le nom de: lettres à maman. Un couple d'origine argentin vit à Paris une vie ordinaire lorsque Cortázar nous fait comprendre tout le mystère, les non-dits de la construction de ce couple et de son fonctionnement. La femme était la fiancée du frère du mari. L'arme secrète, ici pourrait être le silence qui va détruire progressivement ce couple.

Une autre nouvelle, très déstabilisante pour le lecteur teur est celle de bons et loyaux services où une femme de ménage est payée pour garder des chiens dans une fête déjantée.

La nouvelle la plus longue, est celle de l'homme à l'affût, l'histoire d'un critique de jazz lié à un saxophoniste qui voit et comprend des choses que les autres ne perçoivent pas.

Au total, un livre qui se lit bien, qui nous laisse peut-être un peu sur notre faim surtout si on n'a jamais lu cet auteur.

Peut-être faut-il commencer par un autre titre ?

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L'homme à l'affût

« L’homme à l’affût » est une nouvelle extraite du recueil « Les armes secrètes » paru en 1959, l’année où Miles Davis réalisa, accompagné de Bill Evans et de John Coltrane, le chef-d’oeuvre du jazz modal, « Kind of Blue ».



Julio Cortázar, écrivain argentin né en 1914 et installé en France à partir de 1951, inscrit ses premiers écrits dans la tradition de Jorge Luis Borges, le fameux réalisme magique sud-américain, qui, en explorant des thèmes aussi divers que la dualité, la circularité, l’éternité ou l’infini plonge le lecteur dans un vertige spéculatif saisissant.



« L’homme à l’affût », de facture plus classique, ne s’inscrit pas dans cette veine borgésienne, et se veut un hommage à Charlie Parker, à qui est dédiée la nouvelle. Dans le Paris des années 50, le narrateur, écrivain et critique de jazz, accompagne la déchéance de Johnny Carter, un saxophoniste de génie qui sombre dans nuit. Il vient de publier une biographie du musicien qui s’abîme chaque jour davantage dans la drogue et l’alcool, et va tenter de venir en aide au pauvre Johnny qui vient de perdre son saxophone dans le métro et vivote dans un hôtel miteux en compagnie de Dédée, sa dernière conquête.



Le narrateur tente sincèrement de secourir Johnny Carter, en lui procurant au pied levé un saxophone, qui lui permettra de sortir pour un temps du marasme dans lequel il se trouve. Pour autant, il ne se fait aucune illusion sur la violence des addictions à la drogue et à l’alcool qui entrainent inéluctablement le saxophoniste vers le néant.



La destinée tragique de Johnny Carter est évidemment une métaphore de la trajectoire d’un météore du bebop, le génial Charlie Parker, saxophoniste alto disparu à trente-cinq ans, la santé ravagée par une existence dissolue.



Et pourtant. Le véritable sujet de « l’homme à l’affût » est sans doute une réflexion sur le génie. En abordant le noeud de sa nouvelle, Cortázar retrouve sa magie latino-américaine, qui nous conduit dans un lieu improbable, à la lisière du réel et du fantastique, dans le monde de Johnny, là où les minutes durent un quart d’heure.



« Je ne prends pas très au sérieux, généralement, les radotages de Johnny, mais cette fois il a eu un regard qui m’a donné froid dans le dos.

À peine une minute et demie de ton temps et du temps de l’autre tordue, là-bas, a dit Johnny avec rancune. Une minute et demie du temps du métro et celui de ma montre, qu’ils aillent se faire foutre. Alors comment c’est possible que j’aie pensé, moi, pendant un quart d’heure, hein, Bruno ? Comment on peut penser un quart d’heure en une minute et demie ? »



« L’homme à l’affût » est une plongée dans la psyché tourmentée d’un musicien touché par la grâce. Éternel insatisfait, Johnny évolue dans une réalité parallèle, égare régulièrement son saxophone, arrive en retard aux sessions d’enregistrement organisées à Saint-Germain-des-Prés, ne se reconnaît pas lorsqu’il se regarde dans la glace et aperçoit des urnes funéraires lorsqu’il traverse un champ.



Il touche du doigt la beauté absolue lors d’une session new-yorkaise improvisée avec Miles Davis et ne parvient pas à accepter que la magie de cette rencontre avec les anges fût si fugace. Son génie est aussi sa malédiction. Johnny vit dans un temps qui se dilate, dans un univers qui n’est pas le nôtre, et qui nous est inaccessible. Lors de ses longs dialogues avec le narrateur, il tente en vain de construire un pont entre son monde intérieur et la réalité, mais la destinée semble l’avoir condamné à vivre comme un étranger en ce monde.



« L’homme à l’affût » dissimule derrière un hommage à la destinée de Charlie Parker, une spéculation sur la nature du génie qui habite, malgré eux, les créateurs. Cette interrogation spéculative permet à une autre forme de génie de se déployer : le génie littéraire de Julio Cortázar. À travers un récit dénué de mièvrerie, l’auteur argentin porte un regard touchant sur la trajectoire d’un musicien surdoué, la trajectoire d’une étoile filante qui éclaire une nuit sans lune avant de disparaître à tout jamais dans l’inconnu.



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L'homme à l'affût

L'homme à l'affût est une nouvelle extraite du recueil Les armes secrètes, publié initialement en 1958, soit trois ans après la mort de Charlie Parker. Bruno V..., le narrateur et critique, suit Johnny Carter, le saxophoniste dont il a écrit la biographie, à Paris avant son retour aux Etats-Unis, où il meurt peu de temps après. La nouvelle est composée de dialogues marquants qui arrivent à l'improviste dans la narration réaliste léchée, comme des improvisations de Jazz.

Les deux personnages sont duels, auto-destructeurs et à l'affût de quelque chose. d'un côté le génial Johnny Carter (notez les initiales) et de l'autre Bruno le narrateur, son cynique évangéliste, un peu Judas sur les bords et conscient de l'être.

Johnny survit dans une chambre d'hôtel crasseuse où pendouille une ampoule pleine de mouches. Il est assis sur un fauteuil galeux, nu sous une couverture. Il est fiévreux. En manque. Il a oublié son saxophone dans le métro. Dédée sa dernière compagne doit lui en trouver un avant le surlendemain car elle lui a dégotté un contrat. Johnny se moque du contrat et des dates. Bruno sort une bouteille de rhum. Et là Johnny tente d'expliquer à son biographe à l'aide de belles métaphores (ascenseur, métro) que lorsqu'il joue, il change d'endroit, part dans un voyage qui dure rempli de réminiscences. Un voyage qui dure deux minutes à peine dans la réalité. Johnny voudrait vivre pour toujours dans ce pays enchanté. Mais cette éternité lui échappe et il pleure, inconsolable. Sur le coup Bruno comprend vaguement ce qu'il veut dire mais à peine est-il dans la rue, il est irrité, il n'arrive pas à rationaliser, il a pitié de lui, il le méprise. Bruno l'aide cependant à trouver un saxophone. La biographie que Bruno a écrite masque des aspects de la vie réelle de Johnny et ses voyages hors du temps. Il fait l'éloge de sa musique divine en l'expliquant doctement. Johnny ne s'y reconnaît pas du tout et ne veut pas de son bon Dieu. Mais il ne lui en veut pas.
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Tous les feux le feu (nouvelle)

Je n'ai écouté grâce aux conseils de mh17 (merci à elle) que la nouvelle Tous les feux le feu, lue merveilleusement par André Dussolier.

C'est une comédien que j'apprécie et il transmet de façon subtile et sobre le texte de cette nouvelle.



Une nouvelle surprenante au premier abord. Deux histoires très différentes sont racontées tour à tour, les extraits de chacune s'entremêlent sans que l'on comprenne d'abord le rapport entre les deux. Jugez :

Une scène de cirque dans l'empire romain. Un proconsul envoie à la mort dans un combat inégal, un gladiateur à laquelle sa femme a souri lors d'un combat précédent qui l'avait vu vaincre son adversaire.

Une femme à l'époque actuelle qui apprend par sa remplaçante que son amant la trompe. Elle l'appelle pour lui dire qu'elle sait ... Ce coup de téléphone est ponctué par une autre conversation : un homme qui égrène des chiffres...



Alors, rien de commun à part les sentiments éprouvés, possession, jalousie, attitude hautaine et méprisante des hommes, violence des émotions, qui feront jaillir le feu...

Pour un dénouement commun.



Encore une fois, je suis impressionnée par cette aptitude de certains écrivains à créer un monde, des personnages, brosser toute une histoire, en peu de pages. Et là il y en a deux. Bravo.



https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-nuits-de-france-culture/andre-dussollier-lit-tous-les-feux-le-feu-de-julio-cortazar-9474207
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Fin d'un jeu

Julio Cortázar, auteur argentin né en 1914 ayant émigré en France en 1951, est surtout connu pour ses nouvelles, empreintes d’un mélange saisissant de réalisme magique, d’onirisme et de précision quasi-mathématique.



Ses recueils les plus connus, « Les armes secrètes », « Tous les feux le feu », « Octaèdre » et « Fin d’un jeu » contiennent de nombreuses pépites inoubliables, qui mêlent une forme de surréalisme à une rigueur formelle et à un sens du fantastique remarquables.



Julio Cortázar a souvent été comparé à son illustre compatriote, le génial Jorge Luis Borges, inventeur du conte métaphysique, dont le recueil le plus célèbre est « Fictions ». Comme l’explique Roger Caillois qui a traduit son oeuvre en français, ses récits sont souvent « des exposés quasi-axiomatiques d’une situation abstraite qui, poussée à l’extrême en tout sens convenable, se révèle vertigineuse ».



Si les deux écrivains argentins partagent un goût commun pour une pensée spéculative qui donne effectivement parfois le vertige, les nouvelles de Cortázar sont plus incarnées, moins abstraites, et accordent une empathie à leurs personnages, souvent absente des écrits borgésiens. Son oeuvre est ainsi plus accessible, plus charnelle et gagne en humanité ce qu’elle cède en génie pur et en inventivité conceptuelle à celle de son contemporain. Souvent plus émouvante et plus touchante, l’oeuvre de Cortázar se contente toutefois de frôler les éblouissements quasi-magiques qui parsèment les ouvrages de Borges.



« Axototl » est sans doute la nouvelle la plus connue de « Fin d’un jeu ». L’auteur nous annonce le dénouement dès les premières lignes et nous conte avec un détachement et une rigueur qui n’appartiennent qu’à lui la transformation progressive de son héros en axototl, ces curieux poissons « au petit visage aztèque » qui exercent une fascination croissante sur le narrateur qui leur rend visite chaque jour à l’aquarium du Jardin des Plantes et va imperceptiblement passer de l’autre côté du miroir.



Le texte qui suit, reprend la trame narrative de « Continuité des parcs », la première nouvelle de « Fin d’un jeu », et tente modestement d’y insérer une forme de « style » borgésien en y intégrant des thèmes chers à l’aîné de ces deux grands Messieurs de la littérature argentine.



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« Parmi les tigres blancs » 



Dans cette majestueuse demeure que l’on dit hantée

Au milieu d’une immense pièce au charme suranné

Un vieil homme lit un livre tombé de la bibliothèque

Lorsqu’un vent terrible s’est engouffré

Par ces grandes fenêtres ouvertes par l’orage

Seul au milieu de cette tempête terrestre

Le vieil homme s’est rappelé ses anciennes peurs d’enfant

Devant la beauté sauvage des éléments déchaînés

Puis, il a fermé, sans hâte, toutes les fenêtres

Repoussant ce vent du nord vers d’autres contrées

Ne trouvant plus le sommeil

Il s’est confortablement installé dans son fauteuil de cuir usé

Et a commencé « Parmi les tigres blancs»

Ce livre ancien contant une histoire d’un autre temps 



Un homme s’est enfui dans la nuit,

Il a quitté sa prison de marbre blanc

Où déambulent des tigres apprivoisés

Le sultan et ses magnifiques compagnes

N’ont eu de cesse de l’interroger

Usant tantôt de menaces,

Aussi effrayantes que ces animaux étranges

Mi-sauvages, mi-apprivoisés

Qui hantent ce palais à la beauté froide

Usant tantôt de charmes mystérieux et oniriques

D’une douceur suave et maléfique

Mais l’homme n’a jamais rompu

Il a ployé sous la peur, sous le désir

Son corps tout entier réclamait la délivrance

Mais son cœur dur comme la pierre n’a pas cédé

Son esprit n’a jamais succombé

Aux délices trompeurs du renoncement



Et cette nuit sans lune

Il s’est enduit le corps d’un onguent sacré,

Il a prié les dieux jusqu’à l’aube

Et leur a offert son âme en sacrifice

Nul n’a entendu ses pas glissant sur le marbre

Même les magnifiques tigres blancs du sultan

Même le souffle du vent de l’orient

Sont resté figés, comme aveuglés par la lumière si claire

De la renaissance d’un homme au cœur pur

Quittant ce lieu de tortures et de délices

Emportant à jamais son secret



Rapide comme le vent

Agile comme un tigre

Il a traversé un désert de sel

Franchi des montagnes glacées

Terrassé une mer déchainée

Il court à présent dans une autre nuit

Serrant tout contre son cœur

Une dague en argent

Dans ce grand parc si sombre

A peine éclairé par une lune rousse

Il entend le gravier qui crisse sous ses pieds

Il voit les ombres chancelantes

De grands hêtres rouges

Qui tremblent sous les derniers

Assauts d’un orage finissant

Devant lui un étrange manoir

Une lourde porte qui s’ouvre comme par enchantement

Au fond du vestibule

L’homme aperçoit l’escalier

Qui conduit à une pièce immense

Et à un vieillard mélancolique

Indifférent à la pluie

Ainsi qu’au bruit des pas

Qui résonnent dans la nuit

Sans doute attend-t-il depuis bien longtemps

La terrible vengeance

Qui sera peut être

Sa délivrance
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L'homme à l'affût

José Muñoz rend un bel hommage au magnifique texte de Julio Cortázar, L'homme à l'affût, qui rendait lui même hommage au grand Charlie Parker, avec El Perseguidor, album puissamment illustré. Cette vingtaine de dessins à l'encre de Chine qui accompagne la nouvelle de l'auteur argentin est une oeuvre en soi.

Après Gardel, après Billie Holiday mais sans son compère Sampayo, Muñoz continue son incursion dans la musique, avec ce sens unique du noir et blanc qu'il maîtrise parfaitement et qui est devenu sa signature. Les planches voyagent des Etats-Unis à Saint-Germain-des-Près, racontent le génie d'un homme brûlé par ses excès, accompagnent la lente et inexorable déchéance d'un musicien hors norme qui se perd dans l'alcool et les drogues.

Muñoz n'occulte pas le texte de Cortázar, il le magnifie. Charlie Parker méritait bien un double hommage, et comme chaque fois que l'on relie la nouvelle, on retient toujours cette phrase incroyable, "Esto lo estoy tocando mañana" "ça je suis en train de le jouer demain ».
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Les armes secrètes

« Les Armes secrètes » (1959) est un récit machiavélique à la Hitchcock. Ce qui semble à première vue n'être qu'une banale histoire de couple dans laquelle la jeune Michèle, se refuse à son ami Pierre se transforme peu à peu en une histoire fantastique de possession. Difficile de vous en dire plus, on comprend qu'il y a plusieurs niveaux d'interprétation dans les deux dernières pages seulement.

Le récit est très bien construit dans une ambiance parisienne « existentialiste » entre terrasse à café et pavillon de banlieue. Derrière les péripéties réalistes, on trouve des présages, des évocations, des motifs répétés qui nous inquiètent et nous préparent à la résolution finale. Ces présages s'insinuent peu à peu dans le flux de conscience de Pierre qui semble avoir depuis le début une personnalité particulièrement angoissée. Il fume beaucoup trop de Gauloises, ratiocine sans fin sur les atermoiements de Michèle jusqu'à avoir des hallucinations. Elle se refuse à lui, elle repousse ses avances, elle s'enfuit. On attend la révélation de son secret tout en pressentant de terribles répercussions sur la suite des événements. Roland et Babette le couple d'amis de Michèle est possessif et omniprésent. Ils connaissent son secret et contaminent notre lecture par des fragments de dialogues inquiétants. Qui sont les victimes ? Qui sont les bourreaux ? Au lecteur d'imaginer car tout demeure ambigu jusqu'au bout.

« "J'espère qu'il y a du cognac", dit Roland ».
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L'homme à l'affut (BD)

José Muñoz rend un bel hommage au magnifique texte de Julio Cortázar, L'homme à l'affût, qui rendait lui même hommage au grand Charlie Parker, avec El Perseguidor, album puissamment illustré. Cette vingtaine de dessins à l'encre de Chine qui accompagne la nouvelle de l'auteur argentin est une oeuvre en soi.

Après Gardel, après Billie Holiday mais sans son compère Sampayo, Muñoz continue son incursion dans la musique, avec ce sens unique du noir et blanc qu'il maîtrise parfaitement et qui est devenu sa signature. Les planches voyagent des Etats-Unis à Saint-Germain-des-Près, racontent le génie d'un homme brûlé par ses excès, accompagnent la lente et inexorable déchéance d'un musicien hors norme qui se perd dans l'alcool et les drogues.

Muñoz n'occulte pas le texte de Cortázar, il le magnifie. Charlie Parker méritait bien un double hommage, et comme chaque fois que l'on relie la nouvelle, on retient toujours cette phrase incroyable, "Esto lo estoy tocando mañana" "ça je suis en train de le jouer demain ».

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La porte condamnée et autres nouvelles

Je referme ce court recueil de nouvelles, La porte condamnée et autres nouvelles, quatre nouvelles extraites d'un autre recueil plus fourni de Julio Cortázar, Fin d'un jeu et je me pose encore cette question lancinante qui me taraudera peut-être le coeur à jamais : qui avait-il au juste derrière la porte condamnée ?

Une invasion de fourmis dont les nids prolifèrent dans les jardins des voisins ? Une mystérieuse jeune femme seule dans sa chambre d'hôtel d'où la nuit viennent les pleurs d'un enfant ? Un orchestre symphonique dont le final se termine en bacchanale ? Un accident de moto qui plonge la victime dans un monde onirique ?

Chaque nouvelle est une histoire ordinaire arrachée à un quotidien désopilant... Mais chacune d'entre elles est une porte qui déchire le réel et s'ouvre brusquement sur le fantastique, mais un fantastique qui dit à peine son nom. Il y émane quelque chose d'étrange, d'inquiétant, d'envoûtant, de presque dérangeant.

Ce sont tour à tour les yeux d'un enfant, ceux d'un insomniaque, d'un mélomane, d'un blessé qui nous invitent à venir au devant de l'imaginaire... La force de chaque récit est de savoir nous plonger en dedans d'un tableau tout en continuant de le contempler comme je devenais à la fois sujet et objet d'une contemplation.

Il y a dans chacune de ces histoires une force d'évocation insoupçonnée qui traverse de manière souterraine les pages qui deviennent sables mouvants, séismes, plongées abyssales en un univers brusquement irrationnel où la raison perd pied peu à peu...

C'est une porte sur l'humanité où les chemins s'égarent pour revenir à la réalité.

J'étais là justement dans cette chambre d'hôtel à tenter d'écrire mon billet sur ce livre qui m'avait envoûté et ému, lorsque les pleurs se firent de nouveau entendre de l'autre côté de la cloison. Je m'approchais de la porte, la porte condamnée, qui me séparait de cette autre chambre de l'autre côté du décor... Elle était verrouillée et quand bien même en aurais-je possédé la clef, je ne suis pas sûr que j'aurais eu le courage de l'ouvrir, franchir le pas.

Le gérant de l'hôtel m'avait affirmé que la jeune femme était seule, qu'aucun enfant ne l'accompagnait. Pourtant, à ce moment-ci j'aurais juré que ce n'était pas vrai...

Nous étions au milieu de la nuit. Un enfant continuait de pleurer de l'autre côté de la porte... Alors je ne sais pas ce qui m'a pris, je décidai brusquement de descendre à la réception, je descendis sur la pointe des pieds, muni d'une lampe-torche. Je balayai du faisceau de ma lampe le comptoir de l'accueil, le mur, le tableau des clefs... Une seule y était encore fixée, comme si elle m'attendait. Il y avait une petite étiquette accrochée à celle-ci. Je savais qu'il était déjà trop tard pour faire machine arrière, mais j'étais comme happé dans un élan vers l'impossible. Sur la petite étiquette étaient écrits ces trois mots : la porte condamnée...
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L'Autoroute du sud

L'Autoroute du Sud est une nouvelle formidable de Julio Cortazar, écrite en 1966. On peut la retrouver dans le recueil Tous les feux le feu. Ce n'est pas un récit réaliste, mais plutôt une parabole du monde moderne qui prend les allures d'une chronique. Elle n'a rien perdu de sa pertinence avec en plus une belle saveur 60's. Comme souvent, Julio Cortazar plonge des gens normaux dans une situation anormale et nous donne à observer ce qu'il leur arrive.

Dès le début nous sommes au milieu d' un gigantesque embouteillage sur la fameuse autoroute du Sud qui aurait dû conduire les automobilistes à Paris au retour des vacances. Les personnages n'ont aucune nouvelle par la radio. Ils sont coupés du monde et le temps est comme suspendu. Des gens qui ne se connaissaient pas, qui ne se regardaient pas, qui regardaient fixement vers l'avant en conduisant à toute allure vont devoir vivre ensemble pour un temps absurdement dilaté, en vase clos.

Dans cette petite communauté, les personnages anonymes sont désignés par leur auto, ce qui bien entendu rappellera d'agréables souvenirs à ceux qui ont connu ces bonnes vieilles marques . On trouve l'ingénieur à la Peugeot 404 ( le personnage principal), deux religieuses en 2 Chevaux , la jeune fille à la Dauphine (bien séduisante) , le monsieur pâle au volant d'une Caravelle, un couple marié avec leur fille en Peugeot 203 , un soldat et sa femme en Wolkswagen, un couple de paysans en Ariane, deux gamins agaçants en Simca, deux hommes avec un enfant blond dans une Taunus, etc. On spécule sur les raisons de l'accident, on descend pour se dégourdir les jambes, on explore l'environnement (les autres groupes, les fermiers craintifs du coin, les riverains hostiles), on entend des rumeurs parfois dramatiques et souvent contradictoires. Et puis on a soif, on commence à avoir faim etc : il faut agir collectivement. On improvise des modes d'organisation. Une certaine solidarité s'installe, on aide les plus faibles : les vieux, les malades, on noue quelque romance (sur l'autoroute des vacan-ances), on se fait des copains mais on rencontre aussi de la mesquinerie, des tensions, de la violence, des drames, l'imprévu, la mort. La situation s'éternise. Il n'y a aucune référence directe au temps écoulé, les saisons semblent défiler ( la canicule du début fait place à la pluie, à la neige) et les événements parfois dramatiques sont invraisemblables (pas de pompiers, pas d'hélico). Les personnages anonymes, indifférents, prisonniers sans le savoir de leur mode de vie agité et de la modernité s'humanisent. L'embouteillage, phénomène improbable, les révèle. On les suit, on s'intéresse à eux, on s'enthousiasme pour l'utopie communautaire, l'entraide, la fraternité, l'amour... Et puis soudain, il se passe un événement exceptionnel...

Cette histoire est très riche et vraiment sympa à lire.
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Tous les feux le feu (nouvelle)

J'ai écouté sur mon vélo la nouvelle Tous les feux le feu magnifiquement interprétée par André Dussolier. Et j'ai beaucoup aimé. Laissez-moi reprendre mon souffle. Un coup d'eau. Voilà. Alors il y a une double histoire. La première se déroule dans une arène de la Rome antique où s'affrontent des gladiateurs sous le regard apparemment blasé du proconsul, de sa femme Irène et de leur amie . Irène est secrètement amoureuse du beau Marco (qui semblera secrètement téléguidé par l' intelligence d'Irène dans son combat ) mais son mari pour l'humilier (quel salopard, je le verrais bien incarné par Peter Ustinov) lui a donné un adversaire redoutable et inattendu. Son amie a parié sur lui. Irène sourit pour donner le change. Dans la seconde histoire, on est à Paris au XXe siècle. Jeanne téléphone à son mari Roland, alors qu'elle vient d'apprendre qu'il la trompe avec leur amie Sonia. A côté d'elle son chat et un tube de comprimés. Leur conversation est parasitée par une étrange dictée de chiffres. Les deux histoires se font écho et fusionnent à la fin. du grand art.



https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-nuits-de-france-culture/andre-dussollier-lit-tous-les-feux-le-feu-de-julio-cortazar-9474207
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Les rois

Les Rois/Los Reyes est un court texte dramatique en cinq scènes que Julio Cortazar (1914-1984) écrivit en 1947 à Buenos Aires. Il propose une version transgressive du mythe du Minotaure,« délibérément anachronique et esthétisante ». le texte s'apparente à un dialogue poétique écrit dans une langue riche en métaphores. L'édition bilingue est précédée d'une préface de l'auteur (1982).

Minos est un roi terrible qui tient son pouvoir de la terreur qu'inspire le Minotaure à son peuple. Le monstre habite les cauchemars du tyran qui décide de le supprimer. Thésée est son bras armé. Loin du héros rusé et généreux qu'on connaît, il est au service de l'oppresseur et amoureux de sa gloire héroïque à venir. Ariane n'est pas amoureuse de Thésée mais de son demi-frère le monstre qui vit au centre du labyrinthe. Elle méprise totalement son père. Elle pressent que la liberté est à l'intérieur du labyrinthe et que le demi-frère, qu'elle a connu petite, est bon et doux. Elle désire donc que son monstre chéri se serve du fil pour s'échapper. Mais l'histoire demeure tragique : en dépit des intentions d'Ariane, le monstre choisit de mourir des mains de Thésée.

Le personnage central du texte est bien le Minotaure. Ce n'est pas le monstre sanguinaire qui dévore les jeunes gens. C'est un poète «  capable d'appréhender une réalité plus riche que la réalité habituelle  » et doué d'une parole très libre mais aussi très mélancolique . Sa liberté inquiète le tyran et sa parole poétique inquiète le héros égoïste, avide de gloire jusqu'à la fin. le labyrinthe est un endroit ludique et poétique pour ceux qui ont de l'imagination. Les jeunes gens s'y amusent et y dansent. A la fin du combat, pendant qu'il agonise, le Minotaure demande au Cithariste et aux autres jeunes gens de l'oublier. le jeune cithariste pense qu'ils devront mentir à la foule cruelle et manipulée pour payer leur rançon mais Nydia la danseuse continue de danser. La fin est donc ouverte.

Je suis sûre que vous ne l'oublierez pas non plus.
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La porte condamnée et autres nouvelles

Les quatre nouvelles m'ont enchantée. Julio Cortazar (1914-1984) est un maître de la nouvelle fantastique. Un enchanteur de première catégorie. Je me suis ré-ga-lée !

Déjà il vous embarque en quelques lignes dans un univers apparemment banal et intéressant à observer. Ensuite doucement il vous fait entrer dans un univers parallèle par une porte magique dont il se garde bien de vous donner la clé. Il vous laisse en suspens, troublé, bouleversé, ou effrayé mais aussi ravi de l'expérience. Et il vous laisse libre d'interpréter le texte à votre guise.

Les quatre nouvelles, extraites de Fin d'un jeu (1956), sont très variées et n'ont pas pris une ride.



1. Les poisons

La nouvelle est d'inspiration autobiographique. Elle est simple, intense, subtile, colorée, suggestive et vous transporte dans le monde de l'enfance durant lequel un rien vous émeut profondément.

le narrateur est un jeune garçon qui joue encore aux cow boys et à la marelle avec sa soeur dans le quartier de Banfield à Buenos Aires. Son oncle Carlos arrive avec une machine à exterminer les fourmis qui ravagent le jardin. Il faut injecter un poison violet à l'intérieur et après enfumage, le gaz se répand dans les galeries jusque dans les jardins des maisons voisines, tuant les fourmis. Et avant qu'elles n'empoisonnent leurs fleurs, le jeune narrateur doit reboucher les trous fumants avec de la terre. C'est une affaire de garçons. Nous faisons connaissance avec tout le petit monde du narrateur : les parents, l'oncle Carlos, la grand-mère mais surtout sa petite idiote de soeur, les trois petites voisines niaiseuses Negri toutes amoureuses de son cousin Hugo. Celui-ci un peu plus grand que le narrateur va rentrer au lycée à Buenos Aires et il fait rougir Lila, l'autre petite voisine dont le narrateur est secrètement amoureux…



2. La porte condamnée

Petrone est un homme d'affaires qui séjourne à l'hôtel Cervantes de Montevideo. Un endroit calme, ombragé, presque désert qui lui convient bien car il est très fatigué. Il essaye de dormir mais c'est impossible à cause des pleurs d'un petit enfant dans la chambre voisine. Or le gérant un homme gentil apparemment fiable lui a bien spécifié que dans l'unique chambre contiguë vit une femme célibataire, employée quelque part, qui ne rentre que la nuit. La deuxième nuit après s'être rendu dans un cabaret qui l'ennuie, il découvre que l'armoire bloque une porte condamnée menant à la chambre voisine. Les pleurs de l'enfant s'intensifient. Pourtant le gérant jure qu'il n'y a pas d'enfant à l'étage.

Il est difficile de parler de cette nouvelle sans dévoiler la fin, énigmatique. Petrone est un type assez désagréable, il méprise la femme qu'il trouve insignifiante et puis le narrateur suggère qu'il n'est pas très fiable. Les pleurs de l'enfant le déstabilisent, on s'imagine des choses, des perversions, on se demande ce qu'elle cache et aussi ce qu'il cache.



3. Les ménades

La nouvelle repose sur une métamorphose.

Le narrateur se prépare à assister à à un concert de musique classique variée, de bon ton et sans surprises dans une ville de province. le public bourgeois est calme et bien disposé. A sa gauche Madame Jonathan qu'il ne connaît pas très bien, lui parle de sa passion sans bornes pour le Maestro qui fête cette nuit là son cinquième anniversaire à la tête de l'orchestre. Les filles du Docteur Epiphanie sont elles aussi enthousiastes comme beaucoup d'autres femmes. le narrateur se sent exclu de ce petit monde fraternel et admiratif. Il y a seulement un aveugle qui n'applaudit pas beaucoup. Au milieu du public, il aperçoit une femme en rouge qui accourt sur la scène en battant des mains et qui se jette aux pieds du Maître. Il entend alors des cris et des convulsions. le Maître les ignore. le public se lève et se précipite vers la scène….

Les Ménades, dans la mythologie grecque, sont des femmes disciples de Dionysos, le dieu du vin, de l'ivresse qui organisait des rituels orgiaques. Ce sont des femmes sauvages qui apparaissent dans les festivités en extase et viennent dévorer leurs victimes. L'excitation du public monte au rythme du programme musical de plus en plus frénétique. La foule devient incontrôlable. La nouvelle me semble très moderne.



4. La nuit face au ciel

Cette nouvelle à chute repose sur une inversion entre le cauchemar et la réalité. C'est la nouvelle la plus angoissante des quatre.

Un motard distrait ne peut éviter une vieille dame qui croise sa route. Il perd connaissance. Lorsqu'il se réveille à l'hôpital, il est encore sous le choc et fébrile. Un homme en blanc s'approche de lui souriant et tient à la main quelque chose qui brille. Le blessé s'endort et rêve qu'il est membre de la tribu des Moltèques, poursuivi dans un sombre marais bourbeux par une tribu aztèque ennemie qui fait la chasse à l'homme. Il faut fuir car "cela sent la guerre" et il s'assure que son poignard de pierre est bien passé dans sa ceinture de laine tressée…



Bien évidemment je dégusterai le recueil fin d'un jeu en entier.
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Tous les feux le feu

Ce recueil, le dernier de Julio Cortazar (1966), est une merveille. Chaque nouvelle est différente dans sa forme ciselée comme dans son contenu.

Parmi les huit "contos" j'ai préféré :



1.L'Autoroute du Sud

Ce n'est pas un récit réaliste, mais plutôt une parabole du monde moderne qui prend les allures d'une chronique. Elle n'a rien perdu de sa pertinence avec en plus une belle saveur 60's. Comme souvent, Cortazar plonge des gens normaux dans une situation anormale.

Dès le début nous sommes au milieu d' un gigantesque embouteillage sur la fameuse autoroute du Sud qui aurait dû conduire les automobilistes à Paris au retour des vacances. Les personnages n'ont aucune nouvelle par la radio. Ils sont coupés du monde et le temps est comme suspendu. Des gens qui ne se connaissaient pas, qui ne se regardaient pas, qui regardaient fixement vers l'avant en conduisant à toute allure vont devoir vivre ensemble pour un temps absurdement dilaté, en vase clos.

Dans cette petite communauté, les personnages anonymes sont désignés par leur auto, ce qui bien entendu rapellera de bons souvenirs à ceux qui ont connu ces marques . On trouve l'ingénieur à la Peugeot 404 ( le personnage principal), deux religieuses en 2 Chevaux , la jeune fille à la Dauphine (bien séduisante) , le monsieur pâle au volant d'une Caravelle, un couple marié avec leur fille en Peugeot 203 , un soldat et sa femme en Wolkswagen, un couple de paysans en Ariane, deux gamins agaçants en Simca, deux hommes avec un enfant blond dans une Taunus, etc. On spécule sur les raisons de l'accident, on descend pour se dégourdir les jambes, on explore l'environnement (les autres groupes, les fermiers craintifs du coin, les riverains hostiles), on entend des rumeurs parfois dramatiques et souvent contradictoires. Et puis on a soif, on commence à avoir faim etc : il faut agir collectivement. On improvise des modes d'organisation. Une certaine solidarité s'installe, on aide les plus faibles : les vieux, les malades, on noue quelque romance (sur l'autoroute des vacan-ances), on se fait des copains mais on rencontre aussi de la mesquinerie, des tensions, de la violence, des drames, l'imprévu, la mort. La situation semble s'éterniser. Il n'y a aucune référence directe au temps écoulé, les saisons semblent défiler ( la canicule du début fait place à la pluie, à la neige) et les événements parfois dramatiques sont invraisemblables (pas de pompiers, pas d'hélico). Les personnages anonymes, indifférents, prisonniers sans le savoir de leur mode de vie agité et de la modernité s'humanisent. L'embouteillage, phénomène improbable, les révèle, on les suit, on s'intéresse à eux, on s'enthousiasme pour l'utopie communautaire, l'entraide, la fraternité, l'amour... Et puis soudain, il se passe un événement exceptionnel...

Cette histoire est très réussie et vraiment sympa à lire.



2. La santé des malades

Célia va mourir. Avant cela les membres de la famille ont caché à leur mère cardiaque que son fils préféré Alexandre était décédé. Ils ont crée toute une vie fictive au défunt par lettres interposées pour épargner la mère. Tout le monde y a trouvé son compte en particulier la mère qui a des nouvelles régulières de son fils chéri et l'autre fils qui se substitue à l'aîné, mais voilà maintenant il faut lui dissimuler les malaises et la mort de sa fille Célia évoqués succinctement entre parenthèses...Cortazar manie l'humour noir jusqu'au coup de théâtre final.



5.L’île à midi.

La nouvelle raconte l'obsession de Marini, un jeune steward, pour une île grecque qu'il aperçoit tous les jours à la même heure sur la ligne Rome Téhéran.. Cette fascination est telle qu'il décide de s'y rendre et de de vivre avec ses habitants...Fantasme ou réalité ? Les deux plans se chevauchent jusqu'à la chute finale.



6. Directives pour John Howell

J'ai écouté Directives pour John Howell, interprétée par la comédienne Loleh Bellon. J'ai vraiment beaucoup aimé cette écoute d'autant plus que le récit se passe au théâtre. La première phrase annonce la couleur: « "Un théâtre n'est rien d'autre qu'un pacte avec l'absurde". Comme souvent chez Cortazar, le texte joue sur le thème du double, entre illusion et réalité. Et puis il réserve bien des surprises.

Rice assiste au premier acte d'une pièce bourgeoise médiocre qui l'ennuie profondément. A l'entracte, un homme en gris s'invite dans sa loge et le somme de l'accompagner en coulisses. Rice le suit sans savoir s'il s'agit d'une plaisanterie ou non. L'homme lui dit qu'il doit jouer John Howell, le mari d'Eva, qui le trompe avec Michael. On le coiffe d'une perruque et on lui enfile des lunettes d'écailles. Rice proteste, il n'est pas acteur. Justement, répond l'homme, il n'est pas acteur il est Howell. Il peut faire ce qu'il veut sur scène. Et ils le poussent sans le pousser sur la scène. Il se sent nerveux, crispé, Eva lui tend sa main froide, le fait assoir, le rassure, les mots s'enchaînent comme un château de cartes ». Mais, à la fin de ce deuxième acte elle chuchote à son oreille : « Empêche-les de me tuer »…

Le récit est fameux, difficile de vous en parler sans dévoiler les péripéties et la vertigineuse mise en abyme du texte, qui va au-delà du récit fantastique traditionnel. Cortazar instille dès le début un climat d'angoisse et conditionne le lecteur à penser qu'il y aura un meurtre. Mais la phrase d'Eva fait-elle partie de la pièce ou de la réalité ? Cette phrase restera dans un coin de votre tête. Comment réagira Rice-Howell sur les deux plans ? Va-t-il jouer banalement, comme une marionnette ou bien improviser sans suivre les directives comme le ferait un acteur de premier ordre ? Va-t-il continuer à accepter les directives menaçantes ou se rebeller ? Et après pourra-t-il reprendre sa place de spectateur banal et désabusé qui regarde un mauvais acteur jouer ou devra-t-il fuir pour sauver sa peau ? Tout au long de l'histoire, il se pose des questions concernant sa servilité et sa lâcheté ainsi que sur les limites de sa liberté d'action. Cortazar semble s'adresser au spectateur et/ou au lecteur peu exigeants qui se laissent facilement embobiner mais peut-être pense-t-il également aux comportements des gens sous une dictature ou dans la vie en général.

La fin est ouverte, Cortazar ne donnera évidemment pas de directive.

C'est vraiment une nouvelle riche et je suis curieuse de connaître votre opinion.



7.J'ai écouté sur mon vélo la nouvelle Tous les feux le feu magnifiquement interprétée par André Dussolier. Et j'ai beaucoup aimé. Laissez-moi reprendre mon souffle. Un coup d'eau. Voilà. Alors il y a une double histoire. La première se déroule dans une arène de la Rome antique où s'affrontent des gladiateurs sous le regard apparemment blasé du proconsul, de sa femme Irène et de leur amie . Irène est secrètement amoureuse du beau Marco (qui semblera secrètement téléguidé par l' intelligence d'Irène dans son combat ) mais son mari pour l'humilier (quel salopard, je le verrais bien incarné par Peter Ustinov) lui a donné un adversaire redoutable et inattendu. Son amie a parié sur lui. Irène sourit pour donner le change. Dans la seconde histoire, on est à Paris au XXe siècle. Jeanne téléphone à son mari Roland, alors qu'elle vient d'apprendre qu'il la trompe avec leur amie Sonia. A côté d'elle son chat et un tube de comprimés. Leur conversation est parasitée par une étrange dictée de chiffres. Les deux histoires se font écho et fusionnent à la fin. du grand art.



https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-nuits-de-france-culture/andre-dussollier-lit-tous-les-feux-le-feu-de-julio-cortazar-9474207
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Heures indues

Les heures indues est la dernière œuvre du grand auteur argentin Julio Cortazar, parue à peine un an avant sa mort en 1984. Il s’agit d’un recueil de nouvelles qui commence assez bien. En effet, la première nouvelle, « Fin d’étape », m’a beaucoup plu. Il ne s’y passe pas grand chose, mais tout est dans l’atmosphère. Une femme s’arrête dans un petit village perdu, prend un café et décide d’explorer les deux-trois artères principales. Il y a un petit musée, qu’elle visite, une œuvre d’art attire son attention, le tableau exposé dans la dernière salle. Comme je l’écrivais plus haut, c’est presque rien. Mais quelle ambiance. Dès le début, on réussit à se sentir proche de cette femme, probablement en train de se remettre d’un séparation, qui veut à tout prix se changer les idées, s’en aller loin. Tout sauf cette solitude et ces souvenirs qui l’a ronge intérieurement. C’est alors que le tableau opère en elle, elle doit le revoir. Nous aussi, en tant que lecteur, on est intrigué par cette peinture. Inexplicablement, le personnage réussit à nous transmettre sa curiosité et bientôt, nous aussi, nous trouvons qu’il a un quelque chose, ce tableau. À moins que ce ne soit notre imagination…



Quel début fascinant ! J’espérais que le reste soit du même calibre, j’aurais aimé le trouver intéressant, de mon goût. Mais non. La seconde nouvelle ne m’a pas du tout intéressé. J’ai mis ça sur le compte du thème, la boxe, qui m’est complètement égal. L’autre aussi. Avec « L’école, la nuit », mon attention s’est relevée d’un cran. J’ai été intrigué par cette excursion de deux lycéens dans leur école, mais je n’ai pas compris la fin et, malheureusement, ça a teinté mon appréciation du reste du recueil. Assez, c’est assez ! Je tournais les pages, presque machinalement, jusqu’à la fin complètement, mais plus rien ne retenait mon attention. Je ne me rappelle même plus des dernières nouvelles. Sauf peut-être de celle intitulée « Anabel » mais, rendu à ce point, mon opinion du recueil était à ce point mauvaise que je n’ai pas su apprécier cette nouvelle à sa juste valeur. Dommage. Cortazar a une belle plume, mais toutes les belles tournures de phrases, tous le vocabulaire et les bons jeux de mots, ils ne servent à rien s’ils ne peuvent s’appuyer sur une trame narrative qui ne soit pas capable de m’intéresser un tout petit peu.
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Directives pour John Howell

J'ai écouté Directives pour John Howell, une nouvelle fantastique extraite du recueil Tous les feux le feu (1966) de Julio Cortazar interprétée par la comédienne Loleh Bellon. J'ai vraiment beaucoup aimé cette écoute d'autant plus que le récit se passe au théâtre. La première phrase annonce la couleur: «  "Un théâtre n'est rien d'autre qu'un pacte avec l'absurde". Comme souvent chez Cortazar, le texte joue sur le thème du double, entre illusion et réalité. Et puis il réserve bien des surprises.

Rice assiste au premier acte d'une pièce bourgeoise médiocre qui l'ennuie profondément. A l'entracte, un homme en gris s'invite dans sa loge et le somme de l'accompagner en coulisses. Rice le suit sans savoir s'il s'agit d'une plaisanterie ou non. L'homme lui dit qu'il doit jouer John Howell, le mari d'Eva, qui le trompe avec Michael. On le coiffe d'une perruque et on lui enfile des lunettes d'écailles. Rice proteste, il n'est pas acteur. Justement, répond l'homme, il n'est pas acteur il est Howell. Il peut faire ce qu'il veut sur scène. Et ils le poussent sans le pousser sur la scène. Il se sent nerveux, crispé, Eva lui tend sa main froide, le fait assoir, le rassure, les mots s'enchaînent comme un château de cartes ». Mais, à la fin de ce deuxième acte elle chuchote à son oreille : « Empêche-les de me tuer »…



Le récit est fameux, difficile de vous en parler sans dévoiler les péripéties et la vertigineuse mise en abyme du texte, qui va au-delà du récit fantastique traditionnel. Cortazar instille dès le début un climat d'angoisse et conditionne le lecteur à penser qu'il y aura un meurtre. Mais la phrase d'Eva fait-elle partie de la pièce ou de la réalité ? Cette phrase restera dans un coin de votre tête. Comment réagira Rice-Howell sur les deux plans ? Va-t-il jouer banalement, comme une marionnette ou bien improviser sans suivre les directives comme le ferait un acteur de premier ordre ? Va-t-il continuer à accepter les directives menaçantes ou se rebeller ? Et après pourra-t-il reprendre sa place de spectateur banal et désabusé qui regarde un mauvais acteur jouer  ou devra-t-il fuir pour sauver sa peau ? Tout au long de l'histoire, il se pose des questions concernant sa servilité et sa lâcheté ainsi que sur les limites de sa liberté d'action. Cortazar semble s'adresser au spectateur et/ou au lecteur peu exigeants qui se laissent facilement embobiner mais peut-être pense-t-il également aux comportements des gens sous une dictature ou dans la vie en général.

La fin est ouverte, Cortazar ne donnera évidemment pas de directive.

C'est vraiment une nouvelle riche et je suis curieuse de connaître votre opinion.



https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/un-ete-de-lectures-ete-14/amerique-du-sud-nouvelles-d-amerique-latine-tous-les-feux-le-feu-et-directive-pour-john-howell-de-julio-cortazar-2-5-7831973
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Façons de perdre

Julio Cortazar était un grand écrivain. J’apprécie sa plume, fluide, qui me portait comme dans un rêve. J’apprécie également sa façon d’installer une atmosphère précieuse, presque capiteuse. Et c’est sans oublier sa manière d’amener ses personnages. Ils sont réalistes, crédible… vivants! On arrive à les cerner, à les comprendre et à ressentir leurs émotions malgré la brièveté de la plupart des nouvelles de ce recueil, Façons de perdre.



Ceci dit, malgré son grand talent, Cortazar n’a pas réussi à m’interpeler avec ses histoires. C’est qu’elles ne sont pas si mémorables. Une fois finies, je les oubliais rapidement (à deux exceptions) et elles se fondaient dans mes souvenirs. Peut-être leurs thèmes sont trop ressemblants? Les histoires et leur développement aussi? Il est souvent question de rendez-vous manqués, d’amours difficiles, de rencontres prometteuses mais qui, finalement, ne débouchent sur rien, toute la chimie disparue.



Apocalypse de Solentiname était différent, puissant. Un artiste revient de voyage d’où il a ramené des photographies d’un drame terrible. Comment vivre avec ces souvenirs? Comment continuer comme si de rien n’était? Et c’est exactement ce que fait son épouse à qui il n’arrivait pas à se confier. A-t-elle vu ses photos ou bien n’est-ce qu’un autre exemple d’un couple à la dérive, qui ne parvient plus à communiquer? Aucun des deux cas n’est réjouissant.



La barque ou nouvelle visite à Venise est un autre exemple de la difficulté à communiquer, à se respecter mutuellement, à se croire au-dessus de tout et, éventuellement, à perdre le grand amour. Je crois que je l’ai bien aimé à cause de sa longueur (relative) et du fait que la majeure partie de l’intrigue se déroule dans la Sérénissime. C’est très personnel comme raison mais c’est ainsi.
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