Laura Alcoba vous présente son ouvrage "
Les rives de la mer Douce" aux éditions Mercure de France.
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L’essentiel, avec le reblochon, c’est de ne pas se laisser impressionner. Il y a clairement une difficulté de départ, cette barrière que l’odeur du fromage dresse contre le monde extérieur. Mais il ne faut surtout pas se méprendre à son sujet. Ce n’est pas de l’agressivité de sa part, c’est juste la manière qu’a le fromage de dire : as-tu vraiment envie ? es-tu prêt ? Cette senteur, c’est qu’il a trouvé pour être là, pleinement – c’est qu’il ne veut pas être avalé sans qu’on s’en rende compte, être gobé comme si de rien n’était.
En fait, il paraît que Dieu est très abordable, il suffit de lui faire signe et de croire en Lui. On appelle ça l'espérance ou la foi.
Les gens ici se défont de choses neuves, c'est incroyable ! Ma mère s'étonne à chaque fois, et moi avec elle. C'est que de l'autre côté de l'océan, on ne jette rien : les vieilles nappes engendrent des mouchoirs par dizaines et on détricote les pulls devenus trop petits pour en faire des chaussettes.
Pour les u, du temps de mes cours à La Plata, Noémie m’avait donné une astuce : placer les lèvres comme si l’on voulait dire ou mais dire i. Tu verras, ça marche.
C’est vrai que ça marche. Il faut faire croire à ses lèvres qu’on va dire une chose et en dire une autre. Au début, c’est comme si on leur tendait un piège. Les premières fois, c’est vraiment étrange de découvrir qu’on peut les berner aussi facilement – on est presque déçu que le piège à u tienne ses promesses. Mais peu à peu les lèvres se laissent faire, elles apprennent à faire des u sans qu’on ait besoin de les prendre par la ruse. J’espère qu’un jour ça deviendra une habitude – j’y arriverai.
- Quelle distance nous sépare de la montagne, c’est bien ça, ce que tu veux savoir ?
Oui, c’était bien ce que je lui avais demandé, mais Valérie avait besoin d’une confirmation. Alors j’ai repris ma phrase en l’accompagnant d’un geste.
Ce que je me demandais aussi, c’était quelle distance me séparait encore d’un français qui serait pleinement à moi. Est-ce que j’y arriverai un jour, alors que ça fait si longtemps que je me suis mise en route ?
"Il existe des hommes disposés à faire passer une frontière à la fille d'un ami, au risque de se faire trouer la peau, juste pour dire merci à cet ami."
Ces collines, c'était comme un mosaïque recouvrant le paysage tout entier, un assemblage de couleurs et de matières qui n'en finissait pas, une panachure à l'infini faite de terre et de bouts d'histoires.
C'est que moi aussi, je me pose des questions.
Et si je me trompais dans le choix de cette dernière photo, hein? Si la photo ne lui plaisait pas, si elle n'était pas assez belle? Est-ce que mon père aura le droit de libérer une place pour que je lui en envoie une autre? Aurai-je une deuxième chance?
Le français est une drôle de langue, elle lâche les sons et les retient en même temps, comme si, au fond, elle n'était pas tout à fait sûre de bien vouloir les laisser filer- je me souviens que c'est la première chose que je me suis dite. Et qu'il allait me falloir beaucoup d'entraînement, aussi.
Ce jour-là, Colette a deviné que quelque chose étai arrivé.
Elle se souvient : Griselda a déboulé devant sa salle de classe, en pleine journée. Elle était hagarde, le visage couvert d’un maquillage indéchiffrable, mouillée de la tête aux pieds, comme si elle était tombée dans l’eau toute habillée. La femme qui se tenait devant elle était comme absente. Alors, même si cette femme était la mère de l’enfant qu’elle était venue chercher, Colette a dit « non » : « La classe n’est pas terminée, vous ne pouvez pas prendre votre fille. »
Plus tard, les sirènes ont retenti. Un pompier est venu, puis un policier. Par bribes, elle a su ce qui s’était passé.