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Critiques de Léonora Miano (426)
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Contours du jour qui vient

J'ai été, somme toute, assez déçue par ce roman de Léonora Miano. Ce n'est absolument pas le propos qui est en cause car j'aime qu'un ouvrage secoue son lecteur ou les convenances. Ce ne sont ni la violence, ni les messages sous-tendus qui m'ont dérangée. Ce n'est pas fait pour me déranger, bien au contraire.



Non, dans ce livre, ce sont les qualités proprement littéraires qui m'ont manqué : j'avais pu lire un peu partout que l'auteure se caractérisait par de grandes aptitudes de plume et, si l'on en croit la citation de ELLE en 4ème de couverture (bon il faudrait être naïve pour croire encore les 4èmes de couv, mais j'en connais qui les lisent malgré tout) : « un style à la fois sobre et brillant, simple et raffiné ». Ici, j'avoue être en profond désaccord avec les gens de chez ELLE.



Pour moi, et en harmonie totale avec Mario Vargas Llosa (Lettres à un jeune romancier), ce qui caractérise la fiction de qualité, c'est le fait qu'on y croie. Peu importe que le pays s'appelle dans le livre Mboasu et non Cameroun, peu importe que la ville où se déroule la fiction se nomme Sombé et non Douala comme c'est le cas dans la réalité. Ce n'est pas là le problème, je pense même qu'elle a bien fait de bâtir des endroits imaginaires et de prendre quelques libertés avec la réalité factuelle. Cela permet de se concentrer sur un ou plusieurs aspects particuliers que souhaite exposer l'auteure sans avoir à traîner le restant du fardeau du réel et qui ne ferait pas sens ou qui interférerait de façon non opportune.



Non, le problème selon moi se situe au niveau de la crédibilité des personnages et des situations. Qu'une petite fille de 9 ans puis 12 ans soit la narratrice, aucun problème ; qu'elle soit particulièrement mature pour son âge, aucun problème. En revanche, qu'après trois ans de séquestration et de déscolarisation (entre 9 et 12 ans) période pendant laquelle elle est restée enfermée dans un espace réduit, où elle n'a pour ainsi dire pas décroché un mot et où on ne lui a pratiquement pas adressé la parole sauf pour des besoins élémentaires, que cette petite fille, donc, en assemblée, parmi des discoureurs professionnels soit capable de leur river le bec à coup de répartie et de s'exprimer en ces termes : « Monsieur Colonne, pouvez-vous me dire quand exactement les Africains ont abandonné le culte de leurs ancêtres et les offrandes faites aux esprits ? Il me semble qu'ils ont toujours pratiqué le mélange de la foi chrétienne et de leurs religions ancestrales. En quoi votre méthode diffère-t-elle de ces habitudes ? […] Vous savez comme moi que les enfants qui sont une force de travail à la campagne deviennent vite une charge à la ville… »



Là, excusez-moi, Madame Miano, mais je tique un peu. Il s'avère que je côtoie un peu les enfants de cet âge et pour le coup, en ce qui concerne la crédibilité, vous repasserez. Alors on peut arguer que le problème vient du fait que l'auteure n'a pas su appliquer dans la bouche d'une enfant le langage approprié. Alors examinons encore, si vous le voulez bien, le discours de Kwin, une sorte de " super-héroïne " au sens moral irréprochable, accessoirement marchande de bananes plantain sur l'un des marchés crapouilleux (néologisme que je revendique entre crapuleux et pouilleux) de Sombé en brandissant ac hoc une bible du fond de sa poche en plein pendant un attroupement autour d'un lynchage :



« Je ne crois pas ce que disent ces pages. Et comment le pourrais-je, sachant que ceux qui nous les ont apportées ont vite fait de s'en détourner ? Néanmoins, la manière dont vous gobez toutes ces fictions vétérotestamentaires, votre adhésion forcenée à cette prétendue Révélation qui ne promet que des horreurs, tout cela me sidère. C'est pourquoi je lis votre Livre. Peut-être finirai-je par y découvrir que vous êtes bien faits à l'image de ce Dieu qui a laissé mourir Son fils pour rien, puisque rien ici-bas ne semble irréfutablement sauvé depuis que Ieshoua fut couronné d'épines et crucifié… »



Eh oui ! On n'y croit pas et c'est bien là tout le problème. Quand bien même ce livre aurait mille qualités par ailleurs et ce seul défaut, c'est un défaut suffisamment lourd pour être rédhibitoire à mes yeux de lectrice exigeante sur le mentir vrai. J'aurais encore deux ou trois peccadilles à faire valoir à propos de ce style soi-disant raffiné et qui pour moi est parfois d'une maladresse et d'une poussivité désarmante, mais bon, autant m'arrêter là, mon but n'étant pas de dénigrer à plaisir.



Je préfère me focaliser à présent sur le sens et les messages qu'on peut capter de ce livre. Léonora Miano a manifestement voulu nous dire qu'un pays qui ne prend pas soin de ses enfants hypothèque une grande part de son avenir. Elle pense très probablement à son pays, le Cameroun, mais également à nombre d'autres pays africains qui laissent croupir la jeunesse dans un total dénuement matériel et culturel.



Elle attire aussi notre attention d'Européens sur une réalité souvent mal connue dans l'Afrique équatoriale : l'omniprésence et l'omnipotence des croyances et de la sorcellerie. (Je ne connais pas suffisamment la question pour étendre cette constatation à l'ensemble de l'Afrique subsaharienne mais je sais que c'est aussi le cas au Congo [Brazzaville].)



Il suffit juste que quelqu'un décrète que vous êtes une sorcière pour que vous vous retrouviez du jour au lendemain frappée d'ostracisme, rejetée de partout (famille comprise, le quelqu'un accusateur pouvant être un membre de la famille) et contrainte aux pires avilissements pour seulement espérer continuer à vivre, si tant est que vous y parveniez. C'est dur à imaginer vu d'Europe mais c'est pourtant une réalité toujours vivace et désespérante. Léonora Miano nous parle de cette réalité via sa protagoniste principale, Musango, petite fille de 9 ans abandonnée par sa maman au motif qu'une voyante a ressenti en elle les effluves de l'esprit malin.



L'auteure attire aussi notre attention sur des situations socio-économiques et sanitaires absolument révoltantes. Dans le livre, elle évoque une guerre bien que dans la réalité, au Cameroun, il s'agisse plus vraisemblablement d'une longue série d'émeutes et de serrages de vis du pouvoir de Yaoundé (la capitale politique à l'intérieur des terres) à l'encontre de Douala (grosse ville portuaire, capitale économique). Les raisons de ce quasi embargo interne sont évidemment politiques : Douala ayant massivement soutenu un opposant du régime en place et le résultat en est une pauvreté et un niveau de violence tout à fait comparable à celui qui résulterait d'une guerre civile.



La force du livre réside dans le fait qu'il est un appel à demeurer humain dans l'adversité, à l'heure où beaucoup ont perdu cette empathie élémentaire vis-à-vis de ceux qui souffrent et que beaucoup de charlatans essaient de surfer sur le créneau des croyances pour faire du business et continuer de plumer les maigres duvets de cette population exsangue.



Donc, un propos fort, des idées intéressantes mais un objet littéraire qui, selon moi et mes propres critères d'appréciation, est beaucoup trop carencé pour être plaisant. Bien entendu, aujourd'hui comme toujours, ce que j'exprime n'est que mon avis, absolument pas une vérité, et j'espère, pour les jours qui viennent, que vous le conserverez à l'esprit et que vous en ferez le contour au moyen de votre propre esprit critique.
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Crépuscule du tourment



C’est un crève-coeur de d’avouer , par honnêteté , que l’on a pas été emballé par un roman qui de toute évidence , possède des qualités irréfutables: une très belle écriture, lyrique, poétique, recherchée (trop recherchée ?: le travail transparaît parfois au décours d’une métaphore qui évite une fois de plus d’appeler les choses par leur nom), une analyse méticuleuse et plutôt originale du sort des femmes africaines contemporaines , de l’évolution culturelle de ce continent, des relations avec les nations plus septentrionales, celles des « leucodermes ».



Tout cela est indéniable. Mais j’y vois une Afrique qui cache ses blessures, ses ecchymoses sous des vêtements du dimanche : les histoires sordides et banales d’adultère et de violence conjugales sont transfigurées par un lexique pointu et souvent abscons (et ce d’autant que j’ai découvert après avoir tourné la dernière page qu’une partie des termes utilisés était réunie dans un lexique : il eut été sage de la part de l’éditeur d’en mentionner l’existence dans les premières pages, d’autant que le dictionnaire intégré de la version numérique n’est d’aucun secours, les termes obscurs n’ont pas leur place dans un dictionnaire de base, et il est impossible de quitter sans cesse le récit, déjà compliqué, pour de telles recherches).



Le résultat est que l’on met un certain temps à savoir où l’auteur nous emmène, à comprendre qui nous fait part de ses confidences, puis de faire le lien. Pour corser le travail, les quatre narratrices ont plusieurs noms.





C’est donc une lecture exigente, qui mérite sûrement une deuxième approche, et d’y passer du temps (encore plus de temps : plus d’une semaine pour 288 pages, ce n’est pas de la gloutonnerie!).
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L'intérieur de la nuit

Ayané, jeune femme africaine d'un pays imaginaire retourne dans son village d'Eku après plusieurs années d'étude en Europe. Et ce retour est mal vu par les villageois qui vois en Ayané le retour du mal, d'autant plus que le village se retrouve assiégés par des rebelles venus du Nord qui veulent renouer avec les traditions ancestrales. Prenant les habitants d'Eku en otage, ils envisagent un sacrifice humain pour s'attirer la bonté des Dieux.

Léonora Miano camerounaise de naissance conte ce continent qu'elle aime tant mais qui la heurte par sa naiveté et son ignorance. D'une écriture directe et lyrique, Miano dresse un portrait terrifiant d'un peuple qui croit encore aux offrandes célestes et qui envoie ces enfants mourir pour des combats illusoires. Avec ce premier roman, elle se hisse parmi les voix africaines qui nous ravissent ces dernières années.

Roman violent et éprouvant, un regard bouleversant et sincère sur la triste réalité africaine.
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Stardust

Sous son autre prénom (Louise), Léonora Miano nous livre le récit d'une période particulièrement difficile de sa vie, à savoir les quelques mois qu'elle a passés, alors qu'elle avait 23 ans et un enfant en bas-âge, dans un centre de réinsertion et d'hébergement d'urgence (CHRS) à Paris.

Arrivée légalement quelques années plus tôt en France pour y faire des études, la jeune Camerounaise tombe amoureuse, s'installe avec son compagnon, mais leur situation financière est précaire, ils ne peuvent plus payer leur loyer, et enchaînent les séjours dans les hôtels et pensions minables. Louise n'ayant plus de résidence officielle, elle ne peut renouveler son titre de séjour, et se retrouve sans papiers, avec un bébé sur les bras et un compagnon qui s'avère être un lâche boulet, et qu'elle finit d'ailleurs par quitter.

Louise n'est pas expulsable, sa fille ayant la nationalité française, mais sa situation n'est pas brillante : seule, sans ressources, sans domicile, sans papiers, elle parvient à obtenir de l'aide sociale au lance-pierres, mais cela suffit à peine à payer une chambre chez un marchand de sommeil. Enfin, après un parcours du combattant dans les méandres administratifs, elle obtient une place dans un foyer pour femmes, un peu de répit pour Louise et sa fille, qui ne doivent plus se soucier (temporairement) de se loger et de se nourrir. Mais le centre n'est pas un palace, le personnel d'accueil fait ce qu'il peut avec les moyens du bord, c'est-à-dire pas grand-chose. Et surtout, personne n'a les moyens d'empêcher le désespoir d'y entrer en même temps que toutes ces femmes. La plupart sont coincées dans une situation administrative inextricable, sans possibilité (ou sans volonté) de présenter un projet de réinsertion qui les inclurait à nouveau dans la vie « visible ». Car toutes ces femmes, d'origine étrangère, sont des exclues de la société, tombées un jour, pour une raison ou une autre, dans une extrême précarité, enterrées vivantes dans un no woman's land administratif, désespérées par le non accueil de ce pays qui ne tient pas les promesses qu'on leur a fait miroiter : « Toute nation se crée des mythes. Toute nation repose sur des fictions. Dans celles qu'on nous conte de la France, il n'y a pas d'exclusion sociale. Pas d'endroits où les marginaux sont entassés, refoulés. Dans la fable qui se transmet chez nous de génération en génération, l'hiver est froid, mais il ne l'est que pour permettre le port de vêtements élégants. Manteaux. Écharpes. Bottes. On ne dit pas que ce froid est mortel pour ceux qui n'ont nulle part où aller. On ne sait rien d'eux. On ne dit rien des femmes qui échouent dans les CHRS ».

Dans ce purgatoire où il n'est pas question de sororité bienveillante, Louise reste à l'écart, sur ses gardes, ne se lie avec personne, se méfie de tout le monde. « Il n'y a pas de sororité chez les écartées. Les brebis égarées. Ces filles sont des lames aiguisées qui cherchent quelque chose à tailler en pièces. Elles sont lucides sur leur état. Savent être des mises en lambeaux, des désagrégées, des émiettées du dedans. Elles ont envie de casser tout ce qui leur semble entier. Envie de massacrer tout ce qui leur ressemble. Ce désir-là est le plus courant et le plus puissant. C'est comme briser le miroir qui vous renvoie une image dégradée ». Sa fille est son seul moteur, Louise veut reprendre des études, travailler pour les faire vivre toutes les deux.



Il aura fallu plus de 20 ans à Eleonora Miano pour publier ce texte, elle s'en explique dans une préface touchante de lucidité et de sincérité. Elle laisse aussi entendre que tout ne s'est pas arrangé à sa sortie du centre d'un coup de baguette magique, et que les galères ont encore été nombreuses par la suite.

Au travers de son histoire personnelle, elle braque la lumière sur les promesses déçues de la migration et sur un aspect peu reluisant de nos sociétés, coupables d'abandonner à leur sort des êtres humains précarisés, et qui s'en dédouanent avec quelques ridicules sparadraps socio-administratifs sur des bataillons de jambes de bois. Un livre nécessaire.



En partenariat avec les Éditions Grasset via Netgalley.

#Stardust #NetGalleyFrance
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La saison de l'ombre

Malgré les critiques élogieuses sur ce roman, j'avoue que, en ce qui me concerne, je suis d'un avis mitigé.



Mukano est le chef (le janea) de la tribu des Mulongo qui a élu domicile en Afrique subsaharienne, en plein milieu des terres. Autant dire que celle-ci ignore tout de ce qui s'étend autour d'eux et ignorent même l'existence de l'océan, qui n'est pourtant pas bien loin. Les seules relations que les Mulongo entretiennent avec le monde extérieur est celles qu'ils ont avec la tribu la plus proche d'eux, celle des Bwele avec qui ils ont toujours eu des relations cordiales, mais se limitant à des relation commerciales cela dit. Cependant, un beau jour- non pas un jour ordinaire puisqu'il s'agit du jour où un grand incendie s'est répandu sur tout le village-, une ombre plane sur le clan Mulongo car douze hommes ont disparu, dix fils aînés de familles et deux homme d''âge mûr. Les dix mères dont les fils aînés se sont, comme volatilisés dans la nature, sont immédiatement mises à l'écart et appelés dorénavant "Celles dont les fils n'ont pas été retrouvés". Dans un monde où la magie est omniprésente, où les rêves sont on ne peut plus importants, il est vital, pour les autres du clan, de les isoler dans une case commune afin que le malheur ne se répande pas autour d'eux, d'autant plus que Mundene, le ministre des cultes, fait part des douze hommes disparus.

Eyabe, elle, bien que n'étant pas entièrement convaincue que son fils ne soit pas mort (la preuve étant qu'elle s'est coupée les cheveux en signe de deuil), elle décide, sans consulter les ancêtres ni même les hommes du village, de partir à la recherche de celui qui lui manque et qu'elle désespère de revoir un jour. Seule Ebeise, la femme du ministre des cultes, est dans la confidence. Aussi, s'engage alors pour toutes ces femmes qui vivent dans un monde où les femmes ont rarement droit à la prise de décisions, une lutte interminable pour savoir ce qui est arrivé à leur progéniture.



Le janea, accompagné de sa garde personnelle, a lui aussi entrepris une expédition afin de découvrir où sont passés ceux qui n'ont pas été retrouvés.

Parviendra-t-il à déceler ce mystère ? Et si oui, les conséquences ne s’avéreraient-elles pas encore plus dramatiques que ce qu'elles ne laissaient présumer ?



Un roman très bien écrit, certes, mais qui est parfois difficile à suivre (non pas tant en raison du vocabulaire employé puisqu’un lexique se trouve en fin d'ouvrage) mais plutôt en raison des noms qui ne sont pas évidents à retenir car certains se ressemblent tant que l'on finit à ne plus savoir qui est qui. Le lecteur (enfin je parle toujours pour moi, bien sûr) parvient néanmoins assez facilement le coche mais toujours est-il que je n'ai pas vraiment accroché avec cette lecture bien que celle-ci soit fort enrichissante ! A découvrir !
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Rouge impératrice

Roman de science-fiction afrofuturiste, histoire d'amour ou critique sociale : pourquoi choisir ? Et Leonora Miano s'en tire avec brio. Au XXIIe siècle, dans un continent africain presque entièrement unifié, le chef de l'état et la femme dont il tombe amoureux se retrouvent en désaccord sur un un point : le sort à réserver aux descendant·es des migrant·es d'Europe.



Dur d'entrer dans les premières pages. Il faut s'habituer aux longs pavés narratifs, aux rares dialogues directement intégrés en italique dans la narration, aux nombreux mots empruntés à diverses langues africaines (ne sachant pas lesquelles, je ne peux malheureusement pas être plus précise). La plupart des mots inconnus se devinent bien dans le contexte, mais la présence du glossaire m'a beaucoup servi au début. C'est long, lent et dense, ça demande de prendre son temps au lieu d'avaler les pages à toute vitesse. Le point de vue omniscient et la rareté des dialogues donnent l'impression de flotter, comme dans un rêve. Bref, une fois dans le bon état d'esprit, la lecture devient fluide, parce que c'est sacrément bien écrit - mais tout le monde n'adhèrera pas. La fin semble à la fois précipitée et ouverte, ce qui donne ironiquement l'impression que quelques pages de plus auraient été nécessaires.



L'histoire d'amour en tant que telle a un côté rafraichissant, car les valeurs des personnages sont assez différentes des nôtres, ce qui permet d'échapper à un certain nombre de clichés agaçants. En plus, Boya est intelligente et rationnelle et cela fait du bien. Néanmoins, passé les premières difficultés, les personnages s'accordent si bien que leur relation manque d'obstacles internes - au contraire des obstacles externes qui, eux, ne manquent pas. Dommage, car il y aurait eu moyen d'interroger la manière de construire une relation saine malgré la grande différence de pouvoir (l'homme, Ilunga, étant le chef de l'État). Le début semblait tendre dans cette direction, mais cet aspect est complètement éludé ensuite. Les quelques passages (heureusement ténus) qui pointent vers l'idée d'une nature féminine m'ont fait tiquer également.



Le gros point fort de ce roman, c'est l'univers afrofuturiste très immersif, entre redécouverte de traditions oubliées et développement des technologies modernes. La prise en compte des enjeux écologiques lui donne un côté presque solarpunk. On tire plutôt du côté de l'utopie que de la dystopie, contrairement à ce qu'en disent certaines critiques (d'ailleurs, il faudrait arrêter de toujours qualifier de « dystopique » n'importe quelle histoire qui se déroule dans le futur).



Utopie, peut-être, mais utopie imparfaite. L'autrice n'esquive pas les difficultés : l'Afrique (ou plutôt Katiopa) a réussi à se reconstruire hors des carcans occidentaux, mais maintenant que cette étape est franchie, les protagonistes ne sont pas d'accord sur la direction à prendre. Ce conflit est cristallisé par l'enjeu principal du roman : le sort à réserver aux Sinistrés, descendant·es de migrant·es d'Europe qui vivent en marge de la société. Simple inversion des enjeux actuels? Pas exactement, car les Sinistrés, autrefois du côté du pouvoir, sont maintenant nostalgiques d'un passé colonial révolu. Et cela place le lecteur dans une solide dissonance cognitive. On en vient à comprendre tous les points de vue, y compris celui de l'antagoniste Igazi, chef des armées et du renseignement et partisan de la ligne dure. Notons qu'on trouve également, en filigrane, une réflexion sur la nécessité ou non d'un pouvoir fort, la tentative d'utopie étant mise en parallèle avec une autre, celle des gens de Benkos, communauté anarchiste ressemblant beaucoup aux hippies.



Une lecture riche, nuancée et définitivement marquante.
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Stardust

Louise (autre prénom de Léonora Miano) est entrée en France légalement, mais a perdu son droit d’y résider en suivant le garçon qu’elle aimait.



Elle a une petite-fille, Bliss, née française parce que née en France. Ne supportant plus la vie avec un homme qui a n’a plus son respect, elle le quitte sans savoir où aller vivre. Elle atterrit dans un centre d’urgence.



Il n’y a rien de réconfortant dans ce centre, des gens qui font de leur mieux avec peu de moyens et des femmes qui ne croient plus en rien.



Louise reste à l’écart, tente de trouver une solution, un hébergement dans un milieu qui lui permettra de reprendre ses études, tout en travaillant pour la faire vivre, elle et sa fille.



Léonora Miano explique dans l’avant-propos que les problèmes ne se sont pas terminés à la sortie du centre d’urgence.



Aujourd’hui comme il y a vingt ans, personne ne voit ses jeunes femmes, à l’exception de ceux qui tentent de les aider avec peu de moyens. Et quand on les voit, ce n’est pas pour le meilleur. Le texte direct de Léonora Miano interpelle, fait honte.



Merci à NetGalley et aux éditions Grasset pour cette lecture


Lien : https://dequoilire.com/stard..
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Ces âmes chagrines

Ces âmes chagrines est un roman de l 'écrivaine franco -camerounaise Léonora Miano .Cette dernière étant elle-même issue de parents d 'origine africaine , elle sait bien les difficultés que rencontrent les enfants sub-sahariens pour s 'integrer à la sociéte du pays d 'accueil , la France .Ces enfants sont des citoyens français mais ils vivent écartelés entre deux mondes , deux univers bien differents .Le principal protagoniste est Antoine dit Snow .Ce dernier voue une haine viscérale à sa mère ,Thanat ,car il estime que cette dernière ne l 'a pas trop aimé .Il souffre d 'un deficit d 'affection maternelle .Snow rêve de gloire et d 'argent facile .Il se comporte comme un dandy misanthrope et vit sur le dos des autres comme un vrai parasite .Grandissant dans la solitude et le ressentiment jusqu 'à ce que l 'illusoire stabilité égoiste commence à s'effriter . Il ne fait que ruminer sa haine et sa rancune envers les autres membres de la famille .Il est jaloux de son frère Maxime car il estime qu 'il est bien choyé par sa mère .

Ce très beau roman marque par sa justesse de ton et la

psychologie finement travaillée des personnages .Dans cette famille et son lot de malheurs nés de secrets et

d 'incomprehension , chacun trouvera un moyen de se protéger des ses peines dans le déni ,l 'agressivité ,le mensonge , la folie , la mort .

L 'auteure nous donne à lire un roman de souffrance

donc mais aussi un roman d 'apprentissage mettant en scène ce personnage tourmenté ,Antoine ,qui devra trouver une paix intérieure .Cet anti-héros narcissique et

agressif nous montre à travers son parcours à quel point

l 'amour filial construit un homme .

Un beau roman .Une histoire captivante .





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20 penseurs pour 2020

Une anthologie des meilleurs textes de la presse internationale par Philosophie Magazine, ça donne une certaine vision de la société, avec des idées que l'on ne croise pas forcément tous les jours, assez éloignées d'un recueil de brèves de comptoir pour donner un ordre d'idée (même s'il y a aussi une forme de philosophie autour des zinc).

Disparates, hétéroclites, variés et riches, ils abordent différents évènements dont certains inévitables comme les gilets jaunes, le mouvement metoo questionné sur son avenir, le réchauffement climatique, Trump, la dictature chinoise, etc. Certains peuvent paraître plus inattendus comme celui sur le travail par exemple, du moins sa fin anticipée avec l'avènement de l'intelligence artificielle (je l'ai beaucoup aimé celui-ci, peut-être mon côté oisif enfin déculpabilisé).

Il serait dommage à mon avis d'être rebuté par l'aspect philo, sans être spécialiste en la matière beaucoup de textes m'ont paru abordables, même si d'autres demandent de s'accrocher un petit peu parfois. Quelques allusions par ci par là à Kant notamment, et quelques discussions autour de préceptes bien sûr. D'ailleurs tous les auteurs ne sont pas philosophes ou du moins exclusivement, il y a par exemple Franzen le romancier (et le seul que je connaissais). D'autres peuvent être sociologues, avocat, agricultrice.

Bref, une bonne idée lecture pour changer ou couper de ses habitudes, avec un article à picorer par-ci par-là.



Merci beaucoup à masse critique pour cet envoi, ainsi qu'à « Philosophie magazine éditeur ».
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Rouge impératrice

Cela fait donc plus de trois mois, que j’essaie de lire ce roman. Je l’ai commencé, posé, remis à plus tard, retenté, reposé à nouveau et à la troisième tentative, j’ai abandonné au milieu du troisième chapitre.



L’idée de départ me plaisait, situant l’action autour de 2124 (?), un nouveau Continent prospère, Katiopa, qu’on ne sait pas très bien où situer, une préférence pour l’Afrique, mais parfois, les noms font penser à l’Inde, avec à sa tête le chef Ilunga….



De l’autre côté, Boya, professeur qui s’occupe des minorités dites inassimilables. Si j’ai bien compris, il s’agit de descendants d’émigrés Français ayant lui leur pays qu’ils jugeaient envahi par les migrants….



Je n’ai pas réussi à entrer dans l’histoire, un peu trop capillotractée, et ni Boya ni Ilunga ne m’ont plu.



Je n’ai pas aimé le style de l’auteure, trop pompeux et parfois limite incompréhensible. Les dystopies ne me plaisent certes pas toujours, mais j’en lis quand même. J’ai vu passer beaucoup de critiques enthousiastes et je vais probablement me trouver seule à ne pas l’encenser. Ce n’était peut-être pas le bon moment pour moi de lire ce roman…



Il m’arrive rarement de laisser un livre en cours sans donner un maximum de chances à l’auteure de me convaincre.



Un grand merci à NetGalley et aux éditions Grasset qui m’ont permis de tenter l’expérience (et pour leur patience aussi !)



#RougeImpératrice #NetGalleyFrance
Lien : https://leslivresdeve.wordpr..
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Les aubes écarlates : Sankofa cry

Le sous-titre de ce roman est Sankofa cry et il résume presque à lui seul le thème central du livre qui est d'ailleurs, à mon sens, plus un conte qu'un roman. Sankofa c'est la somme de toutes les douleurs : la diaspora causée par l'infâme traite négrière, les meurtrissures de la colonisation, les humiliations de la post-colonisation, les dictateurs corrompus et les guerres fratricides qui mutilent la jeunesse et l'avenir ; les souffrances de tout un peuple, celui de l'Afrique Subsaharienne, réunies dans une même plainte sourde et languissante.



Au travers de ce roman, Léonora Miano pousse ses personnages à entendre enfin cette plainte, à l'intégrer, à la comprendre et à la reconnaître. Les maux dont ils souffrent, les épreuves qu'ils endurent sont le fruit d'une plaie restée béante mais qui ne dit pas son nom. Les Aubes écarlates c'est tout le sang qui coule encore de cette plaie qui ne veut pas se refermer. La reconnaissance c'est l'acceptation et l'intégration du passé dans le présent de l'Afrique Subsaharienne pour qu'enfin les populations qui la peuple puissent ouvrir les yeux sur cette blessure et la soigner définitivement.



L'Afrique Subsaharienne doit faire le deuil de ces ancêtres, ceux dont les corps sans sépulture tapissent les fonds de l'Océan Atlantique, ceux qui, dispersés par la traite négrière, ne sont jamais revenus, et honorer leur mémoire au lieu de l'occulter. La solution que propose Léonora Miano est simple et symbolique, ériger des monument à la mémoire des morts et disparus de la traite négrière.



L'Afrique Subsaharienne doit accorder son pardon sans attendre de geste de l'Occident qui se considère prescrit de toutes responsabilités. Accorder son pardon pour se reconstruire, ce sont les mots du roman : "Sankofa ! Pour résider en nous-mêmes, mais aussi hors de nous, réconciliés avec nos peines. Sankofa ! Pour nous délivrer de toute haine." car "le pardon n'est pas parent de l'oubli... Le pardon n'est pas mort dans la traversée transatlantique*". Il est le seul remède, le seul baume à appliquer sur le passé pour enfin pouvoir tourner la page et envisager l'avenir sereinement car "Sankofa est le nom d'un oiseau mythique. Il vole vers l'avant, le regard tourné en arrière, un œuf coincé dans son bec. L'œuf symbolise la postérité. Le fait que l'oiseau avance en regardant derrière lui signifie que les ressorts de l'avenir sont dans le passé. Il ne s'agit pas de séjourner dans l'ancien temps, mais d'en retirer des enseignements..." Enfin tout ça Léonora Miano l'explique bien mieux que moi dans son roman et sa postface.



C'est donc un roman très dense, à l'écriture non conventionnelle, difficile à intégrer (je cogite sans arrêt depuis que j'ai refermé le livre) et riche d'enseignements. C'est aussi un magnifique conte, qui nous happe et nous transporte dans le ressenti des peuples d'Afrique Subsaharienne avec beaucoup de douleurs mais aussi un grand message d'espoir.

Léonora Miano est née au Cameroun et vit en France depuis 1991, aussi je pense qu'il est essentiel, pour nous européens, de lire ses romans afin de se confronter à son point de vue, elle qui a l'avantage et le privilège de partager deux cultures et deux continents.



(*) Nathalie Etoké



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Stardust

Je devrais trouver les mots pour vous dire combien ce livre est remarquable.

L'auteure y raconte ses premières années (de souffrance) en France, vivant dans un foyer pour femmes sans aucune perspective.

Ce roman est élégamment écrit. C'est beau, c'est dur, c'est la vie qui gratte, qui pique. Mais avec un tel espoir. Car cette jeune mère, africaine, perdue, a depuis eu le Prix Goncourt.

.

Pour le coup j'ai un peu de mal à trouver mes mots. Pourtant j'ai aimé ce livre. Il est à lire.

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La saison de l'ombre

Un coup de cœur! Un véritable classique africain! J'ai aimé ce voyage dans les profondeurs des terres africaines tout en soulignant bien des livres nous relatent de la traitre négriere en parlant des negriers ou encore des esclaves d'Amériques mais peu sont ceux qui parlent des africains eux-mêmes, ceux qui ont survécus à ce fléau, comment ils l'ont vécu, ce châtiment qu'ils ont supposés venu de Dieu. Leonora Miano nous plonge avec une écriture plutôt modeste dans ce monde plein de mystères...
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Contours du jour qui vient

"Contours du jour qui vient",est un roman de l 'écrivaine camerounaise Léonora Miano .C 'est son second roman après avoir publié en 2005 ,le premier :L 'Intérieur de la nuit ".Léonora est aussi musicienne et chanteuse :

une artiste accomplie si je peux m 'exprimer ainsi .Elle est installée en France depuis 1991.Pour ce roman , l 'auteur a obtenu le Goncourt des

lycéens .

Ce récit se déroule dans un pays imaginaire d 'Afrique : le Mboasu .La narratrice , Musango ,est une enfant âgée d 'à peine une dizaine d' années .Elle vivait avec sa mère , une névrosée .Ensuite ,Musango est abandonnée car on la croyait porteuse de malédiction .A travers ou par le biais de ce livre elle s 'adresse à sa mère et ses proches parents pour dire son désarroi et sa quête d 'un avenir différent de celui qui lui est proposé .Ce roman est dur , il nous parle d'une Afrique victime de la guerre et de la corruption , où le délitement social favorise la prolifération des sectes et des faux prophètes .

La lecture de ce livre , nous laisse apprécier le talent de son auteure .







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La saison de l'ombre

Voilà un hymne aux ancêtres remarquable ! Un roman de mémoire et d'histoire magnifique !



Que s'est il passé dans ce village africain, replié sur lui-même à l'intérieur des terres, le jour du grand incendie ? Pourquoi douze hommes (dix jeunes hommes fraîchement initiés et deux adultes) ont-ils disparu ? Sont-ils morts ou encore vivants ? Pourquoi est-il si difficile d'entrer en communication spirituelle avec eux ? Qui est responsable de cette étrange disparition ?



Pour affronter toutes ces questions, trois femmes dont les fils n'ont pas été retrouvés ainsi que le chef du clan Mulungo vont se mettre en quête de la vérité, chacun à sa manière.



Dès les premières pages du roman, j'ai été envoûtée par l'écriture de Léonora Miano. On y rencontre des personnages charismatiques, surtout féminins. On suit leur quête, pas à pas, et on comprend en même temps qu'eux ce qui a pu arriver aux hommes disparus. On réagit aussi, en même temps qu'eux, à ce cataclysme qui va s'abattre sur eux, à savoir la découverte de la traite négrière. Eux qui vivaient pacifiquement, repliés sur eux mêmes, eux qui ne connaissaient pratiquement rien du monde extérieur, sinon leurs proches voisins les Bwele, vont être confrontés à la trahison des peuples frères, à la disparition de leurs coutumes, à l'effondrement et l'anéantissement de leur communauté.

Est-il possible de se reconstruire quand on a tout perdu ? Comment transmettre la mémoire du clan quand celui-ci a éclaté ? Comment faire le deuil des disparus quand les rites funéraires ne sont plus applicables ?

Autant de sujets abordés par Léonora Miano dans ce magnifique roman où le mysticisme tient une place importante. On peut également se demander si l'auteure ne dénonce pas l'excès de mysticisme de la communauté, puisque Mutango (le guide spirituel), incapable d'interpréter les événements, bannit les femmes dont on n'a pas retrouvé les fils, boucs émissaires tout trouvés.





De Léonora Miano, je ne connaissais qu'un texte entendu sur France Culture, "Le fond des choses". Des paroles rythmées, frappées, criées, puissantes qui dénonçaient la colonisation, l'esclavage, l'immigration. Une auteure qui n'a pas peur de parler ! Une auteure à laquelle je vais m'attacher.

Vous pouvez l'écouter sur ce lien :

http://www.franceculture.fr/emission-un-ete-de-lectures-voix-d-afrique-25-le-fond-des-choses-2013-07-30
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Stardust

Quelle écriture minutieuse : les mots sont pesés comme rarement. Un nombre de phrases indéchiffrable qui pourrait donner lieu à des citations. Les phrases courtes obligent a prendre le temps de les apprécier, et c'est tant mieux. L'autrice a pris le temps, désormais qu'elle est une écrivaine reconnue, d'éditer son vrai premier roman, sur son arrivée du Cameroun et son installation en France, avec sa fille, d'hôtels pourris en foyers sans humanité. Elle est en colère aussi pour tout ce que l'on raconte sur la France de là-bas : terre d'asile ? Non, la France n'est plus l'Eldorado. Ce texte est de toute beauté, sur une expérience de vie peu enviable, mais à coup sûr fondatrice.
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Contours du jour qui vient

Superbe texte ! Riche, profond sans manichéisme ni caricature, Leonora Miano nous parle de l'Afrique en poète, ou plutôt en potier, pétrissant les mots pour en creuser le sens, malaxant les phrases pour leur donner forme. Il y a aussi chez elle cette façon de raconter du griot qui fait appel à la communaute pour donner vie à son récit. À travers l'histoire d'une petite fille rejetée par sa mère, et par son regard sur la misère, la corruption, les superstitions et les profiteurs, Miano nous ouvre à son amour plein d'espérance pour son pays, pour la vie, tout en décrivant au scalpel les si difficiles rapports mère et fille. Tout sonne juste, à la perfection, avec cette dimension d'ouverture à un spirituel qui refuse la religion pour ne pas se laisser asservir. Magnifique vous dis-je, à découvrir sans attendre !
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Stardust

A cinquante ans Leonora Miano revient sur les grands moments de précarité qu'elle a traversés. Stardust est son premier roman, écrit il y a plus de vingt ans, pendant la période au cours de laquelle elle fut accueillie dans un centre de réinsertion d'urgence du 19e arrondissement de Paris. La jeune femme a quitté le Cameroun pour venir étudier en France, et surtout pour devenir chanteuse. Puis elle a rencontré un garçon, est tombée enceinte et a abandonné la fac, puis le garçon. « J'étais alors une jeune mère de vingt-trois ans, sans domicile ni titre de séjour. » le Je de l'introduction se transforme ensuite en Elle... pour tenter une mise à distance de son infortune d'alors. Elle parle d'Elles, de Louise et de Bliss sa fille. L'auteure, maintenant reconnue, avec de nombreuses publications et de belles récompenses, entend bien « … ne pas être la SDF qui écrit des livres ».



Voici une bien belle lecture, entraînant sur des thèmes rarement traités, surtout avec cette qualité littéraire et l'originalité d'écriture de Leonora, ses phrases percutantes, aux aguets, images frappant immédiatement le lecteur, dans une musicalité propre aux grands écrivains. D'ailleurs l'autrice voulait être chanteuse, son objectif premier pour être reconnue, avoir littéralement une voix. Est-ce pour cela que son écriture a un rythme aussi envoûtant ?



Le témoignage est précieux. le livre est travaillé pour conserver un équilibre précaire entre les faits et ce qu'il pourrait en coûter à l'autrice célèbre de trop se dévoiler. Est-ce totalement réussi ? Oui, tellement il révèle de l'intime et impressionne, questionne le lecteur. J'ai trouvé toute la première partie du livre passionnante, une immersion dans un dédale d'obstacles effarants pour la personne qui se retrouve en marge de la société, sans travail, sans revenu, sans domicile… et avec un enfant. Elle est obligée d'accepter de l'aide, mais en même temps cette aide l'humilie, la renvoie à ses échecs. Elle décrit en forçant parfois le trait… la caricature n'est pas loin. Par exemple, à la fin du récit quand elle parle de ce qu'elle nomme « les activistes » qui veulent accompagner les résidentes du CHRS (centre d'hébergement et de réinsertion sociale) dans une lutte, afin de dénoncer les conditions déplorables de l'accueil. Elle observe, avec méfiance, il est question de « meneuse androgyne », d'« humanisme médiatique ». « Louise ne croit pas aux associations de galériens » et renvoie la responsabilité du changement aux autres : « … ceux qui ne vivent pas forcément la même peine, qui n'ont peut-être jamais connu pareille tragédie, mais qui accordent de la valeur à un où deux grands principes. La nécessité d'éradiquer la misère doit obséder ceux qui vivent dans l'opulence. » Comment prendre encore un risque de plus quand on est au fond du gouffre social ? L'autrice apparaît ici solitaire, méfiante dans sa volonté de ne pas flancher, mais fait marcher son intelligence afin de trouver la porte de sortie, ne pas faire le faux pas qui pourrait être fatal pour elle et pour sa fille. La lutte collective reste improbable pour ces femmes si différentes, uniquement préoccupées à trouver une nouvelle estime d'elles-mêmes. La volonté de reconnaissance vaut pour toutes, ce qu'elle supporte mal autour d'elle, elle le vit aussi. A-t-elle besoin de massacrer tout ce qui lui ressemble ?



L'aide de la société, même imparfaite – mais peut-elle être parfaite ? – a été précieuse pour Louise qui ne se laisse pas faire, entend rester debout quoi qu'il arrive et va y parvenir. L'autrice prend le risque d'expulser ce qui l'a blessée, tout en gardant un maximum de lecteurs, restant sur le fil de questions clivantes. Si elle dénonce les activistes en soif de reconnaissance personnelle, l'humanisme médiatique insincère, dans le même temps ce livre est un brûlot pour que les choses changent. Elle révèle lors de la promo de la rentrée littéraire 2022, avoir été déléguée syndicale dans la boîte où elle a travaillé après ces années de galère, pour faire quelque chose contre l'injustice. Ses portraits sont empreints d'une empathie profonde comme celui d'Azerwal qui est chargé de l'accueil au centre. Ce portrait mérite à lui seul la lecture du livre. Inoubliable !



Le livre est dédié à sa fille, à sa grand-mère maternelle et à ses compagnes d'infortune. Je salue la démarche de Leonora Miano écrivant sur le courage des femmes, sur tous celles que les accidents de la vie poussent dans l'exclusion.

Leonora Miano est née à Douala au Cameroun en 1973. Elle est venue en France en 1991 pour ses études. Grande voie de la littérature française, elle est l'auteur d'une vingtaine d'ouvrages, lauréate du Goncourt des lycéens en 2006 pour Contours du jour qui vient, du prix Seligmann contre le racisme en 2012 pour Écrits sur la parole, du prix Femina et du Grand prix du roman métis en 2013 pour La saison de l'ombre.



Avez-vous lu des romans de Leonora Miano, êtes-vous intéressé (ée) par ce texte de dignité, de fierté ? Pour ma part, je compte bien en lire d'autres, après ce récit de jeunesse annonçant la naissance de la grande autrice qu'elle est devenue.

*****

Cette chronique est présentée sur le blog clesbibliofeel avec une photo et un titre d'illustration sonore. Il s'agit d'une interprétaion de la jeune chanteuse et guitariste de blues Melody Angel. La jeune virtuose de la guitare blues de Chicago interprète un « tube » de Big Mama Thornton, repris notamment par Janis Joplin, le fameux « Ball and chain ». Titre cité dans le texte de Leonora Miano. le ton m'a semblé bien illustrer la démarche de l'autrice. Qu'en pensez-vous ?
Lien : https://clesbibliofeel.blog/..
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La saison de l'ombre

Il y a des siècles l Afrique subsaharienne subit un drame terrible , odieux , inqualifiable et inhumain ,il s 'agit de la traite négrière .Les habitants africains des zones côtières , étaient des gens paisibles et pacifiques jus qu 'au jour où les Blancs avec la complicité d 'autres africains commençaient à faire la chasse aux jeunes hommes vigoureux et sains .Ces intermédiaires les attrapent ,les ligotent et les livrent aux marins négriers qui les envoient aux Amériques pour en faire des bêtes de somme et des esclaves .

"La Saison de l 'ombre", septième roman de l 'écrivaine franco-camerounaise Léonora Miano commence après l 'attaque et l'incendie des cases des Mulongo ,un clan imaginaire , qui vit à l 'intérieur des terres .Douze hommes ont disparu lors de cette agression éclair ,totalement incompréhensible . Comment se figurer les bateaux négriers quand on

n 'a jamais vu la mer ni affronté l 'impensable arrogance des "étrangers aux

pieds de poules" ,ces Européens dépêchés sur les côtes africaines pour bourrer les voiliers de bétail humain ? le premier réflexe du conseil des

notables est de placer en quarantaine les femmes ,"dont les fils n 'ont pas

été retrouvés " : comme si elles y étaient pour quelque chose .Contre cet

aveuglement , ils sont pourtant plusieurs à se dresser : tandis que le jeune chef , Mukano, bravant l' avis des anciens , part à la recherche des disparus,

la silencieuse Eyabe prend la route ,elle aussi , violant la coutume ; elle marche , seule ,jus qu 'à l 'océan -où elle découvrira le fin mot des razzias

négrières .Restée au village ,la vieille Ebeise ,accoucheuse en titre , observatrice hors pair , est la troisième grande voix du récit .

La Saison de l 'ombre est encore bien plus qu 'un roman de mémoire et '

d ' histoire. C 'est un livre profondément humaniste sur le la perte et

l 'arrachement ,sur la possibilité de faire le deuil , de se recréer .

Une prose magnifique de Léonora Miano , une écriture fluide , vivante qui

rend le roman passionnant .

Ce roman est un véritable classique de la littérature africaine francophone. Ce dernier a reçu le Prix Fémina

2013 .Léonora Miano s 'est vue décernée le Grand Prix du

Roman Métis .







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Contours du jour qui vient

Aborder un roman et un auteur africain était à priori pour moi un vrai challenge, En cause, mon manque d’intérêt pour le continent, ses croyances, ses peuplades, son Histoire.



A l’arrivée, quelle belle découverte que ce roman sous la forme d’un témoignage d’enfant, dénonçant la condition de la femme africaine et le chaos d’un pays imaginaire, réceptacle que toutes les difficultés politiques, ethniques et sociales du continent africain.



Ce livre est un voyage à travers des images d’Afrique saturée de chaleur, de soleil de plomb, la puanteur des villes, les êtres laminées par la pauvreté, la violence quotidienne et la corruption. Le pays se dévoile dans ses odeurs, ses touffeurs, ses couleurs, grâce à une enfant des rues, au regard acéré sur les êtres et les choses.



Le récit est factuel, sans concessions mais jamais pesant ni misérabiliste.

Les personnages sont attachants, à l’image de cette petite fille d’une grande maturité et d’une belle humanité, une petite fille volontaire qui cherche à exister, à être un être libre, maître de son avenir, debout et fière, confiante dans son futur et dans celui de son pays.

Un beau personnage a l’indéfectible force de survie, et douée de la grâce du pardon, qui se veut miroir de son pays, cette Afrique qui doit retrouver sa confiance en elle pour pouvoir se relever.



Le propos est dur, noir, parfois glacial par sa simplicité, il y a là un vrai talent d’écriture, une musicalité des mots et une grande poésie.

C’est un livre sauvage, mais porteur d’espérance, de spiritualité, d’espoir et de tolérance.

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