Il y avait un livre que Picasso lisait, à cette époque. Le recueil de Rimbaud, Une saison en enfer. Un passage de ce texte lui avait enfoncé un doigt au creux du coeur, et ne l'avait plus quitté: "Un soir, j'ai assis la beauté sur mes genoux. Et je l'ai trouvée amère. Et je l'ai injuriée. " (...)
Lorsqu'il pensait au beau, il était dévoré de colère, d'envie de tordre les choses en tous sens. (...)
Le jeune génie de la peinture était si violemment obnubilé par le beau qu'il en venait paradoxalement à ne plus pouvoir le supporter. (p. 141)
Après tout, qu'était-ce qu'un "bon tableau " ? Quel genre d'artiste pouvait-on qualifier de "bon peintre" ? Personne ne fut bientôt plus en mesure de le définir avec exactitude. Les "bons tableaux", dans tous les cas, n'étaient plus simplement ceux qui capturaient fidèlement sur la toile le sujet placé devant les yeux du peintre- personnage, nature morte, ou paysage. C'était davantage par sa sensibilité exacerbée et sa volonté de devancer son temps que Picasso se distinguait de ses contemporains. (p. 139)
Il y a dans ce tableau de la passion. Toute la passion du peintre. Je n’ai rien d’autre à dire.
Pour connaître un peintre, il faut regarder ses tableaux. Se tenir devant eux des dizaines, des centaines d'heures. En ce sens, je crois bien que personne ne peut passer davantage de temps devant une peinture qu'un collectionneur. Conservateurs, chercheurs, critiques...pas un n'arrive à la cheville du collectionneur. Ah ! Mais...attends un peu. Il y a bien quelqu'un qui peut rester encore plus longtemps que lui devant une belle pièce. Et qui donc ? Mais le surveillant de musée , voyons ! (p. 10)
"C'était précisement parce que son oeil de peintre n'avait cessé d'observer le vivant, les hauts faits de l'activité humaine, les divins secrets de la nature, qu'il était parvenu à reproduire avec autant d'ingénuité la beauté de la vie et la pluralité des paysages sur ses toiles. Comme autant de paradis sans égal ..."
Le hasard, le flair, la fortune. Le destin des plus grands tableaux se joue sur ces trois éléments.
Dès que nous arrivions dans une ville inconnue, mon premier réflexe était de visiter le musée. L'art était comme un ami qui m'accompagnait partout où je pouvais aller dans le monde. (p. 171)
- Le Rêve, 1910. L'ultime chef-d'oeuvre d'Henri Rousseau.
Lorsqu'il réalisa cette toile majeure, le peintre était âgé de soixante-cinq ans. Il ne s'était réellement mis à peindre qu'une fois la quarantaine franchie, après avoir longtemps travaillé à la perception des taxes pour l'octroi de Paris. Un artiste infortuné, à peine reconnu de son vivant, moqué pour la puérilité de ses tableaux. Celui que le monde entier allait aimer et révérer comme "l'ancêtre de l'art naïf" devait se consacrer à cette toile jusqu'à l'aune de sa mort. (p. 39)
C'était précisément parce que son oeil de peintre n'avait cessé d'observer le vivant, les hauts faits de l'activité humaine, les divins secrets de la nature, qu'il était parvenu à reproduire avec autant d'ingénuité la beauté de la vie et la pluralité des paysages sur ses toiles. Comme autant de paradis sans égal...(p; 172)
Cette lecture quotidienne du manuscrit, comme un roman d'aventures dont Rousseau aurait été le héros...cet effort de réflexion constant, passionné, au sujet du peintre et des artistes de son époque...L'espace de quelques jours, Bâle m'aura véritablement semblé un éden des beaux-arts. (p. 231)