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Critiques de Marie NDiaye (599)
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Trois femmes puissantes

Abandon.



Très rare en ce qui me concerne, car je mets un point d'honneur à terminer les livres que je commence. Et j'aurais aimé finir "Trois femmes puissantes", ne serait-ce que par respect pour la personne qui me l'a offert. Mais péniblement arrivée au bout de la première des trois parties, j'ai décidé d'écourter mon supplice.



"L'art de Marie NDiaye apparaît ici dans toute sa singularité et son mystère", annonce la quatrième de couverture... Une belle manière de qualifier l'ambiance glauque et imprécise de ce premier récit. On sent que Norah, la narratrice, est en conflit avec son père, qu'il y a eu un drame avec son frère, mais tout cela reste flou. Marie NDiaye parle par ellipses, fait des effets de style abscons ou des phrases d'un vide déprimant. J'ai lu de nombreux livres sur des sujets difficiles, car on apprend toujours de l'expérience des autres. J'apprécie aussi les audaces de style (celles de Joyce Carol Oates, par exemple) et les écrits teintés d'étrange ou de fantastique. Mais ici, je n'ai pas vu où l'auteur voulait en venir, ni éprouvé la moindre émotion, à part de l'ennui. Et le coup du père qui passe ses nuits perché sur un flamboyant... Est-ce du second, troisième ou quatrième degré ? Je n'ai pas compris.



Quand on sait que ce livre a obtenu le prix Goncourt 2009, là, je comprends encore moins. Cela me fait penser au conte d'Andersen : "Les habits neufs de l'empereur". Le monarque n'ose pas dire aux prétendus tailleurs qu'il ne voit pas leur tissu merveilleux, de peur de paraître stupide, et tous ses sujets font de même, s'extasiant sur cette étoffe somptueuse. Jusqu'à ce qu'un enfant dans la foule ose dire la vérité : le roi est nu !



Dans cette lecture, je n'ai pas vu de "prose impeccable et raffinée" et encore moins de puissance. Non, juste une prose alambiquée et un récit sans queue ni tête. Assumant ma stupidité de lectrice vieux jeu aimant les personnages construits et les histoires ayant un début, un milieu et une fin, je ne prétendrai pas avoir apprécié pour me fondre dans la masse, mais crierai comme l'enfant : ce livre est nul !
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La vengeance m’appartient



L'incipit est incroyablement fort et inscrit de façon indélébile le noeud central du roman ainsi que ses profondeurs secrètes. Me Susane croit reconnaître l'homme qui entre dans son bureau sans en être sûre, sans être sûre qu'il la reconnait, s'il est venu intentionnellement ou si c'est le hasard qui l'amène ici pour l'engager comme avocate de sa femme. Le choc est violent au point qu'elle a l'impression qu'on la frappe en plein visage, comme si on voulait la tuer.



Tout le roman repose sur un trouble lancinant, qui oppresse le lecteur tant Marie Ndiaye tisse un récit opaque, constamment oblique, empli de brouillard et de mystères. Qu'est-il arrivé trente ans auparavant à Me Susane, lorsqu'elle avait dix ans et s'est retrouvée seule dans la chambre d'un adolescent qui pourrait être ( ou pas ) son client ? A-t-elle été ravie au point de vivre le meilleur moment de sa vie ? Ou a-t-elle été ravie au sens de saccagée, abusée ?



On ne sait pas grand chose de Me Susane, presque une abstraction. Pas de prénom. Plutôt laide et grande, plus ou moins mère. Ses contours sont flous au point que je n'ai jamais réussi à me la visualiser. Et pourtant, on ne quitte jamais son for intérieur , on ne voit les événements qu'à travers le prisme de son regard et de sa perception. Le personnage est à la fois froid et chaud, fascinante personnalité dans la complexité qu'en capte Marie Ndiaye.



Elle est enfermée dans son passé, dans ses pensées, dans ses ruminations, dans les combats intimes qui l'assaillent et semblent au bord du pourrissement. Entre folie, mythomanie, lucidité. Que ce soit face à cet homme qu'elle croit reconnaître jusqu'au vertige. Dans ses relations avec ses parents qu'elle aime douloureusement, payant le prix fort du transfuge de classe. Dans son métier face à Marlyne, l'épouse infanticide qu'elle défend et dont elle partage un même écartèlement entre la façade sociale et les déchirements intérieurs. Ou encore face à sa femme de ménage dont elle a pris en charge le dossier de régularisation et qui fuit son amitié.



Pour dire cet enfermement terrible avec toutes ses dissonances, Marie Ndiaye a trouvé la juste écriture, spiralaire qui revient comme la marée pour creuser une empreinte de plus en plus inquiétante. Elle ne s'interdit rien, surtout pas un incroyable monologue hallucinée, celui de Marlyne, irrespirable, juste ponctué de « mais » comme un mantra ou une circonstance atténuante à son acte odieux. Et il y a ses litanies en italique comme des bulles de pensée échappées de Me Susane qui perturbe encore plus notre ressenti.



C'est incontestablement une lecture exigeante et déroutante qui pourra être détesté ou portée au nue. Ce conte glacé sur les limbes de la mémoire et la quête d'identité m'a hypnotisée de A à Z, entre autres parce qu'il laisse une liberté totale au lecteur, celle de porter le récit dans une direction ou une autre. Il m'a remuée aussi avec toutes les questions qu'il soulève sans y répondre : peut-on faire confiance à nos souvenirs ? Jusqu'à quel point peut-on se tromper sur sa propre vie ? Vertigineux.
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La vengeance m’appartient

Je suis K.O, au sol, sans vie. Je viens de me prendre deux directs et un uppercut. J'ai bien tenté de cadrer mon adversaire, résister à ses assauts, organiser mes attaques et ma défense. Rien n'y a fait. Je déclare forfait.

Lui, c'est le dernier roman de Marie Ndiaye « La vengeance m'appartient » : je me suis laissé surprendre, je n'avais jamais lu cette autrice. Est-ce que tous ses romans sont de la même veine ? Est-ce que lire ses précédents écrits m'auraient un peu mise sur la voie ? Je n'en sais rien. Par contre, ce que je sais, c'est que je me suis complètement perdue. Enfin, elle m'a perdue. Je ne veux pas endosser toutes les responsabilités. Des textes entièrement symboliques/métaphoriques/allégoriques hyper allusifs, imagés, tarabiscotés et à lire au vingt-sixième degré, c'est pas pour dire mais je connais. Ce n'est pas forcément ce que je préfère mais bon, s'il faut, je prends, même si j'aime bien qu'on me laisse le choix, une certaine « marge de manoeuvre », une forme de liberté quoi. J'apprécie cette possibilité de me balader comme bon me semble entre différents degrés de lecture. Là, on est immédiatement prié de se diriger vers le « voyons voyons, qu'est-ce qu'elle veut dire par là... » Et j'avoue qu'à plusieurs reprises, ça a coincé, je me suis retrouvée un peu dans le noir, à avancer à tâtons et forcément, je me suis cassé la figure... Tout est question de dosage… Les personnages désincarnés sont froids, hiératiques à force de n'être que des idées. Franchement, ça m'a lassée, j'avais l'impression d'être là mais de ne pas avoir été invitée. Et puis aussi, dans le fond, qu'on se foutait un peu de ma gueule. Pourtant, je n'ai pas lâché l'affaire : vous verriez l'état du bouquin. J'ai coché, souligné, surligné, fait des croix, des traits, des flèches, corné des pages, lu, relu. J'ai tenu bon mais vers la fin, alors là, trop c'est trop…

Bon allez, deux mots sur « l'histoire » même si ce terme n'a aucun sens ici. Une avocate, Maître Susane, reçoit à son cabinet un homme dont l'épouse vient d'assassiner leurs trois enfants. Il souhaite que l'avocate prenne la défense de sa femme. Or, Maître Susane croit reconnaître un certain Monsieur Gilles Principaux qu'elle aurait déjà rencontré trente-deux ans auparavant alors qu'ils étaient tous deux enfants et que la mère de l'avocate faisait des ménages dans cette famille bourgeoise. Ce jour-là, ils se seraient enfermés tous deux dans une pièce et... on ne sait pas ce qu'ils ont fait. En tout cas, l'avocate, obsédée par la question de savoir si c'est bien cet homme qu'elle a devant elle, va interroger sa mère qui n'a aucun souvenir du nom de la personne chez qui elle travaillait. Voilà l'axe principal du roman même si d'autres éléments viennent se greffer sur ce nœud central.

Que dire de tout ça ?

Encore une fois, non familière de l'oeuvre de Marie NDiaye et un brin paumée, je suis allée lire et écouter ce que l'autrice disait de son travail et ce que les uns et les autres avaient pensé de ce roman. Eh bien, ça ne m'a pas franchement aidée : entre Arnaud Viviant au « Masque et la Plume » qui pense qu'il s'agit d'une dénonciation du passé colonialiste de la ville (alors là, franchement, c'est fort!) ou Laure Adler qui dans son émission « L'heure bleue » semble être passée légèrement à côté... (C'est d'ailleurs amusant de voir comment Marie NDiaye de sa douce voix au lent débit corrige avec aménité ses analyses quelque peu erronées.) Bref, les uns commentent la forme (à défaut du fond), d'autres se pâment d'admiration devant le chef-d'oeuvre , mais les vraies analyses, personne ne s'y colle. Et pour cause…

Je veux bien en tenter une mais franchement, je ne garantis rien. Il me semble ici que l'autrice met en scène trois femmes puissantes qui veulent se libérer de tous les poids qui pèsent sur elles : une mère infanticide (ancienne prof de français en collège - et heureuse de l'être) qui, pour faire plaisir à son gentil mari, a dû démissionner lorsqu'elle s'est mariée (il disait « ton collège de crotte » - entre nous, j'aurais tué le mec, pas les gosses...) Ce dernier lui a gentiment conseillé de rester plutôt à la maison pour confectionner de bons petits plats bien équilibrés et très sains pour leurs enfants si beaux et en pleine santé. La mère a tenu bon. Un certain temps. Et un jour, elle a plongé la tête des trois loupiots sous l'eau du bain, sachant que cet acte la conduirait immanquablement en prison, là où elle souhaitait aller. Enfin, une chambre à soi. Quitter un enfer pour un autre, plus léger, plus supportable. Et d'une. Libre, en prison... c'est dire l'enfer de la maison. « Mais un petit espace comme ça, tout à moi, mais l'enclos bien précis de mon lit, mais le nid que je m'y suis fait, mais jamais je ne l'avais eu de cette qualité. Mais c'est un véritable sweet home... Mais je suis heureuse ici, je ne veux pas être défendue... »

La seconde qui se libère, c'est l'avocate elle-même. Souvenez-vous de cet épisode dans la chambre : il s'est passé ce qui s'est passé mais dans tous les cas, Maître Susane en a gardé un souvenir éblouissant. Un des plus beaux de sa vie peut-être… Ce garçon, dira-t-elle, est « l'enkystement d'une pure joie. » Or, son père pense qu'elle a été violée et veut donc lui imposer SA vision des choses et par là même « souiller son souvenir ». Elle n'en veut pas et finit plus ou moins par rompre avec les siens, malgré tout l'amour qu'elle leur porte et le besoin qu'elle a d'eux « Pourquoi, mon Dieu, ne puis-je appeler ma mère ? ». C'est le prix à payer pour être libre, libre de ses pensées et de ses fantasmes. « Je dois lutter contre mon propre père pour ne pas transformer mon souvenir, pour ne pas l'ajuster à ce qu'il se représente. »

Enfin, la troisième, c'est la femme de ménage qu'emploie Maître Susane : une Mauricienne, sans papiers, elle travaille au noir. Et il se trouve que l'avocate, dans sa volonté maladive de faire le bien et d'être aimée, veut absolument récupérer une copie de son acte de mariage pour tenter de régulariser la situation de cette femme. L'autre refuse. Pourquoi ? J'ai pas bien compris mais ELLE NE VEUT PAS et donc ne l'apporte pas. En relisant la fin, on peut peut-être comprendre ce refus mais j'ai vraiment la flemme de m'y replonger…

Et puis tiens, j'en vois encore une femme toute-puissante que je découvre à l'instant (et de quatre!) : p 93, voici ce que dit l'avocate au sujet de la femme d'un de ses amis : « elle éprouvait une vague amitié pour cette femme qui s'était dégagée de l'amour fou. » Se dégager de l'amour fou, partir non parce qu'on n'aime plus mais parce qu'on aime trop et qu'on sent que ça va nous tuer, nous empêcher de vivre, nous ôter toute liberté…

Bref, quatre femmes vacillantes et déterminées, titubantes et résolues, chancelantes et obstinées… Quatre femmes qui peuvent chacune dire : « La vengeance m'appartient. » Voilà ce que j'ai compris.

Encore deux mots : outre cette lecture imposée au trente-sixième degré (la concentration de symboles par page est tellement poussée, notamment vers la fin, qu'on frôle l'opacité complète), s'ajoutent des techniques narratives que je trouve a priori intéressantes mais qui ici viennent encore parfois obscurcir le propos : on retrouve en effet le flux de conscience woolfien concrétisé par l'emploi de l'italique (je fais telle chose mais ma pensée est envahie par tout autre chose.) On a aussi les paroles non rapportées à savoir celles que le personnage ne dit pas : « Car nous souffrons, Principaux, car nous souffrons, ne lui dit pas Me Susane. »

Encore une fois, pourquoi pas mais tout est une question de dosage.

Enfin, et c'est peut-être finalement le plus triste, je n'ai pas aimé l'écriture qui selon moi manque de souplesse, de fluidité. Je trouve que c'est lourd, répétitif et que ça accroche. Non, l'écriture n'est pas belle et rend le propos (volontairement je pense) confus. (Ou alors, j'étais très fatiguée cette semaine, ce qui n'est pas à exclure.)

Bref, trop c'est trop.

Et c'est bien dommage parce que je pense qu'il y a beaucoup de choses intéressantes dans ce roman.

Je me sens prête à aimer ce qu'écrit Marie NDiaye mais encore faut-il qu'elle m'en laisse la possibilité, qu'elle m'invite à entrer dans son œuvre sans me claquer la porte au nez.

C'est un peu dur de rester dehors, avec le froid qu'il fait en ce moment…
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Trois femmes puissantes

Un prix Goncourt suffit-il à sanctifier le Verbe qui impressionne ? La question du fond et de la forme mérite légitimement d’être posée pour ces Trois femmes puissantes. Les pensées exprimées sont-elles forcément profondes parce que ses périodes s’étalent sur un paragraphe et parce que le subjonctif de l’imparfait est utilisé plus souvent que n’importe quel autre mode de conjugaison ? On peut en douter. Il semblerait plus exact de dire que la noblesse d’expression, à la limite de l’ampoulé, place d’emblée l’attente à un niveau élevé. On imagine que Marie N’Diaye, dans une corrélation d’expression et de réflexion, va nous promener de révélation en illumination. Ses récits gravitent autour de trois femmes placées dans des contextes différents et leur destin –le titre du livre ne nous permet pas d’en douter- suit un parcours d’apprentissage archétypique. On imagine alors que les trois récits s’imbriquent et se répondent mutuellement, on cherche des liens permettant de leur conférer une dimension autre que celle, immédiate, qui se dégage de l’expérience de ces femmes, mais Marie N’Diaye ne nous fournit rien d’autre que ce nous voudrons bien trouver à force de persuasion et d’imagination.





Il serait injuste de dire que Marie N’Diaye n’a pas mérité d’être récompensée pour ce livre : les efforts qu’elle a dû déployer pour arranger ses monstruosités de phrases méritent le respect. Toutefois, on peut également se demander si le contenu de ses Trois femmes puissantes est réellement aussi frappant et déstabilisant qu’on aimerait bien nous le faire croire. Aucune fulguration psychologique ne devrait venir foudroyer quiconque a déjà lu d’autres romans avant celui-ci ; en revanche, la perversité appliquée à hisser le langage à un niveau de complexité aussi inutile qu’incompréhensible semble étroitement liée aux efforts tristes et fatigants que déploie Marie N’Diaye lorsqu’elle imagine les relations psychologiques tortueuses de ses personnages. Beaucoup de fatigue pour une puissance qui aurait pu être moins dérisoire si elle n’avait pas voulu être aussi ostentatoire.
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La vengeance m’appartient

Un défaut d'architecture est souvent cause d'effondrement malgré l'emploi des meilleurs matériaux. Et « La vengeance m'appartient » semble s'inscrire dans cette inexorable fatalité.



Un triple infanticide, une bourgeoisie bordelaise immuable depuis l'époque de François Mauriac, le passé esclavagiste de la ville, la régularisation d'une famille mauricienne, une avocate aussi généreuse que novice, promettaient un savoureux cocktail et la réputation de Marie NDiaye garantir un roman passionnant.



Mais au fil des pages le brouillard apparait, puis le verglas avec ses menaces douloureuses, et ses chutes blessantes.



L'avocate s'évapore progressivement dans ses fantasmes, crée ses « souvenirs » d'enfance, vite démentis par ses parents, des gens solides au pied ancrés dans le réel, qu'elle harcèle jusqu'à ce que son père siffle la fin de la récréation. Même injustice avec Marilyn, son employée de maison; et sa cliente en quête de régularisation, qu'elle persécute pour obtenir un acte de mariage qu'elle a l'outrecuidance d'exiger en se rendant sur place à Saint Louis, sur l'Ile Maurice.



Bâti sans plan apparent, ce roman met en scène des personnages avec lesquels il est impossible de se sentir proche tant certaines réactions sont surprenantes à tel point que j'ai fini par me demander où était la frontière entre la réalité et le délire.



L'auteur a une rare maitrise de l'écriture, de ses nuances, de ses subtilités, mais la trame de ces pages empilées les unes sur les autres sans plan, sans chapitre, sans respiration, rappelle le tragique enchainement qui mena notre système judiciaire dans le pétrin de l'affaire d'Outreau en autorisant un juge débutant à prendre pour vérité les dires d'enfants manipulés par un entourage toxique, voire pervers.



Quand la vengeance appartient à celui qui fabrique les preuves … malheur aux innocents !
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La vengeance m’appartient

Maître Susane, avocate d'âge mûr installée à Bordeaux, reçoit à son cabinet un nouveau client, Gilles Principaux, venu lui demander d'assurer la défense de son épouse Marlyne, coupable d'un crime abominable. Curieusement, sans qu'elle puisse fonder son impression sur quoi que ce soit de tangible, l'avocate croit reconnaître en cet homme un adolescent rencontré quand elle avait dix ans. de leur tête-à-tête dans la chambre du jeune garçon, elle ne se souvient de rien, mais a gardé l'empreinte de ce qu'elle interprète aujourd'hui comme un moment d'éblouissante passion.





D'emblée piqué par une impression d'étrangeté et de mystère, tout entier tendu dans l'attente d'explications, le lecteur engagé tambour battant dans cette lecture risque fort de la découvrir de plus en plus opaque et de l'achever sur le constat désemparé de n'y avoir rien compris. C'est que la construction du livre reflète l'obscur cheminement de Maître Susane, depuis le refoulement au fond de son inconscient d'un traumatisme que l'on ne pourra que deviner, jusqu'au déchirement progressif du voile protecteur de l'oubli lorsque, trente ans plus tard, elle reconnaît confusément la toxicité d'un autre homme au point de le confondre avec son ancienne connaissance.

Comme rien de tout cela ne se déroule de manière linéaire mais nous est suggéré par touches et allusions désordonnées, comme autant de pièces d'un puzzle éparpillé, le lecteur se retrouve lui aussi le jouet aveugle et impuissant de l'inconscient de Maître Suzane, dont il devient de plus en plus évident qu'il la protège plus ou moins bien de la dépression et de troubles relationnels, consécutifs au choc jamais verbalisé vécu dans son enfance.

Le récit se sera jamais très explicite sur la psychologie et les motivations de chacun des époux Principaux. Leur histoire s'avèrera finalement le déclencheur d'une prise de conscience tardive de son traumatisme par Maître Susane, et l'occasion pour elle, telle une formidable revanche, de comprendre et de révéler la responsabilité du mari, perversement possessif et manipulateur, dans le passage à l'acte de l'épouse, coupable flagrante mais aussi victime ignorée.





A la virtuosité de la construction et à la profondeur psychologique des personnages vient s'ajouter une écriture travaillée dans ses moindres détails, y compris les tics de langage des personnages. Dans l'accumulation de ses « mais », Marlyne exprime sa protestation contre l'enfermement invisible de sa vie conjugale et fournit les raisons de son coup de folie. Dans celle de ses « car », son mari se justifie de la normalité de ses propres comportements. Le texte devient ainsi un bijou de symbolisme, tant sur la forme que sur le fond.





D'un premier abord désarçonnant pour ne pas dire abscons, cet étonnant roman est une performance littéraire et une expérience de lecture troublante et exigeante. Obsédante et inquiétante, son histoire s'avère la face émergée de profondeurs vertigineuses, nous faisant prendre conscience du gouffre insondable de notre mémoire et de notre inconscient, sur lequel nous construisons nos personnalités et nos existences. Chaque lecteur y trouvera sa propre interprétation et devra répondre seul aux questions restées ouvertes.


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Trois femmes puissantes

Trois longues nouvelles, pour dire non. Pas n’importe quelle négation, celles de trois femmes droites et fières qui luttent de toutes leurs forces pour gagner leur dignité.

Si la lumière est peut-être au bout du chemin, la noirceur du propos est la couleur dominante. Et l’espoir de ces femmes ne viendra que par leur seule initiative.

Mais le roman de Marie N’Diaye évoque au-delà de ces femmes, des sujets plus universels : la difficulté de l’exil, le poids patriarcal (des hommes bien présents malgré le titre), la lutte au quotidien de la condition féminine. Forcément, ces trois histoires que l’on peut dissocier, n’ont pas la même force, le premier texte est (en tout cas pour moi) le plus réussit avec cette image du père devenu pathétique et misérable alors que Norah porte fièrement sa réussite, pour donner encore plus de force à la haine viscérale du père. Les histoires de Fanta dans le deuxième récit et celui de Khady dans le troisième forment un trio au combien touchant, l’écriture de N’Diaye est d’une force évocatrice assez impressionnante, même si certains moments m’ont paru plus ardus et forcément moins puissant. Un Goncourt au bout de ces trois histoires, on ne peut plus estimable.

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Autoportrait en vert

Difficile de faire le pitch de ce roman à la saveur onirique, l'histoire file entre les doigts de la compréhension, il est plus facile de parler d'univers ou d'ambiance. Cela semble même bien en être un, de roman (ou récit) d'ambiance. Il y a des femmes en vert qui le parcourent comme des présences spectrales et autant de point d'ancrage, elles se confondent ou se transforment au gré des chapitres. A en croire le titre il s'agit d'autoportrait en vert, peut-être est-il en creux ou en rêve. Il y a la copine de la narratrice qui épousera son père (à la narratrice), la mère à la fertilité tardive annonçant une nouvelle soeur par voie de carte postale, la copine Katia Depetiteville dont la narratrice n'est pas sûre que c'est bien elle, ou encore Jenny qui regrette son amour d'Ivan en le visitant dans son foyer, mais dont elle est divorcée le chapitre suivant. Et puis il y a la Garonne, débordante de remous.

Le plus surprenant au final, c'est que cet imbroglio est plaisant. Bizarrement plaisant. Envoûtant. Une écriture ensorcelante et majestueuse qui n'y est sûrement pas pour rien, et puis l'atmosphère, l'atmosphère... En débranchant le mental et en laissant dériver le cours du récit sur celui de la Garonne, on peut s'y laisser porter et l'apprécier, avec les belles photos souvent en double noir et blanc pour rajouter une pincée d'onirisme.

Bref, j'ai rien compris, et ça m'a plu.



« Je n'ai jamais rencontré cette autre femme en vert, la quatrième ou cinquième, dont la présence dans mes légendes personnelles éclipse par sa lumière certaines de ses voisines à la réalité mieux prouvée. Je ne suis même pas sûre qu'il s'agisse d'une femme vêtue de vert. Au fond, peu importe. Elle n'en est pas moins une pure allégorie de femme verte. »
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Hilda

Première et dernière fois que je lis Marie NDiaye. Hilda, c'est l'image même de la pièce qui se veut intelligente, originale et critique, et qui n'est qu'une grossière caricature d'un sujet que l'auteure ne connaît pas - car on ne me fera pas croire que quelqu'un qui est allée dans un lycée huppé, a été "repérée" à 17 ans par le directeur des Éditions de Minuit (tu parles, comme s'il était tombé par hasard sur elle), connaît quoi que ce soit des smicards, des bonniches et du travail au noir. Donc on repassera pour la leçon de morale sur les riches qui exploitent les pauvres, vu que, merci bien, on est extrêmement nombreux à être au courant depuis fort longtemps. Mais peut-être que Marie NDiaye venait, elle, tout juste de découvrir les choses en 1999, quand elle a écrit Hilda.





Une pièce qui n'a pas dû lui demandé beaucoup d'efforts, par ailleurs. Trois personnages, mais en fait un seul qui parle tout le temps : Mme Lemarchand, bourgeoise qui se dit de gauche, et qui va embaucher, exploiter et vampiriser une femme "du peuple", sans que le mari ou la soeur de celle-ci ne réagissent. Donc un long, très long, mais vraiment très très long monologue qui tourne en rond, se répète à l'infini, fatigue, lasse, épuise le lecteur qui attend avec avidité la dernière page pour pouvoir passer à autre chose, n'importe quoi, mais vite, vite, qu'il soit enfin délivré de cette pièce narcissique où l'on sent un peu trop que l'auteure se trouve très très maligne. Six scènes qui n'en finissent plus, censées monter en tension sans y parvenir, emplies d'un discours d'une affligeante banalité et de clichés navrants. Pour le coup, vingt ans après l'écriture de la pièce, ça doit beaucoup plaire aux personnes persuadées que ceux qui roulent à vélo, mangent bio et vegan sont forcément ce qu'ils appellent des bobos (terme dénué de toute signification vu qu'on y fourre absolument tout ce qu'on déteste selon le point de vue), riches, hypocrites et de gauche. Alors oui, évidemment, des riches qui se disent de gauche et qui suintent l'hypocrisie, bien sûr que ça existe. Et après ? Ce que je vois dans cette pièce, c'est que Marie NDiaye ne fait absolument rien de son sujet. Or, une pièce se voulant une critique sociale qui va au but, avec le procédé qu'a utilisé NDiaye (c'est-à-dire le monologue qui se répète pour tendre à une fin monstrueuse), c'était faisable. Mais dans une forme courte, et avec un peu de finesse, si c'était pas trop demander. Seulement voilà, une pièce courte, c'est difficile à faire jouer de nos jours (et n'aide pas à accéder à la célébrité), donc ça traîne, ça traîne... Mais je suis persuadée que de toute façon, même en faisant court, NDiaye se serait plantée, parce qu'il me paraît évident qu'elle ne possède pas du tout l'acuité nécessaire pour s'attaquer à ce genre de sujet.





On parle quand même de quelqu'un qui fait des déclarations fracassantes à la presse, du style "Sarkozy est un monstre", et qui se tire en 2007 (avec son mari et son petit pécule d'écrivain qui vit dans le confort) à Berlin, où on peut se payer des logements avec tout l'espace nécessaire pour une somme fort intéressante. Donc les discours soi-disant de gauche de NDiaye, qui passe d'un pays de droite ultra-libéral à un pays de droite ultra-libéral, et qui laisse tomber ses concitoyens qui, eux, vont payer les pots cassés à sa place... eh ben je m'en passe très bien, de ce type de discours, en fait.





En bref, c'est mauvais d'un point de vue formel : NDiaye ne réfléchit pas en dramaturge, elle ne fait que reprendre, mais de façon maladroite, malavisée et sans intérêt, un procédé déjà utilisé par des dramaturges de talent. Et c'est mauvais sur le fond, parce que NDiaye n'a rien à dire sur les inégalités sociales qui ne soient pas des banalités et des formules creuses.





Sur ce, je vais me regarder un film de Tarantino, parce que l'obsession de Mme Lemarchand pour le prénom Hilda m'a rappelé le dialogue entre Schultz et Django sur le prénom Broomhilda dans Django Unchained. Il y a des priorités dans la vie, et il est clair que pour moi, Tarantino l'emporte sans conteste sur l'insipide (et hypocrite, à mon sens) Marie NDiaye.


Lien : https://musardises-en-depit-..
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Trois femmes puissantes

Trois femmes puissantes, roman.

Sauf que ce n'est pas un roman à proprement parler, et que les femmes puissantes, on les cherche. À moins de comprendre « puissant » non dans le sens d' « autoritaire » mais comme « ce qui produit de grands effets ».

Car des effets, elles en produisent, ces femmes, qui transforment les hommes autour d'elles en bourreaux pathétiques, affolés par un misérable sentiment de culpabilité. Le père, vrai salaud et vrai coupable, regrette que le mal fait à sa fille l'empêche de réparer le mal fait à son fils. Le mari, pauvre type et salaud par omission, craint que le mal fait à sa femme ne le voue à la solitude et la détestation de soi. L'amant, vraie victime, se résout à devenir salaud quand il comprend qu'il a failli dans son rôle de protecteur.

Tous ces êtres, hommes comme femmes, analysent leurs sentiments d'impuissance et de déréliction dans un récit au plus près des sentiments, dans une zone d'infra-conscience... Mais bon sang, c'est bien sûr ! Nathalie Sarraute, sors de ce bouquin, avec tes tics de nouvelle romancière, ton « stream of consciousness », tes « tropismes », ton refus de l'intrigue et tes monologues narrativisés...

Comme c'est le premier roman de Marie NDiaye que je lis, je risque fort de dire des âneries, mais je n'ai pu m'empêcher de faire le lien entre cette écriture très « nouveau roman » et le thème même de ces « Trois femmes puissantes »: j'y vois dans les deux cas une réflexion sur les valeurs de l'Occident.

Car y a-t-il plus occidental que cette remise en cause de la littérature traditionnelle qui mise sur Proust pour critiquer Balzac et réfute l'individu au point de le réduire à sa conscience, bref qui crache dans une soupe à laquelle elle s'est largement abreuvée ? Or, c'est bien la relation à l'Occident qui constitue la trame essentielle de ce que l'auteur a appelé « roman » et non « nouvelles », ce qui oblige le lecteur à trouver une évolution de Norah à Fanta et de Fanta à Khadi. Norah vit en France et se refuse à penser qu'elle ait pu vivre en Afrique. Elle est avocate, a socialement réussi et souffre d'avoir un compagnon qu'elle estime certes aimant mais trop immature. le lecteur doit partager des états d'âme dont l'analyse subtile prend assez peu en compte toute l'ampleur du drame (meurtre et erreur judiciaire) qui se dévoile peu à peu. Fanta a quitté l'Afrique, épousant un Français qui l'entraîne dans son déclassement. Elle n'existe que dans le monologue intérieur de son époux. Khadi, sans famille, veut rallier l'Europe et connaît les affres et souffrances d'une migrante dont personne ne veut. Et son périple est transcrit de façon beaucoup plus factuelle que les histoires précédentes.

Je vois dans ce livre une double progression: vers l'extériorité, de l'auto-analyse apitoyée à l'affirmation de soi; vers la gravité, des problèmes de couples fantasmés à la perte de tout. Et l'Occident devient un lieu où l'on se perd parce qu'il faut s'y inventer des problèmes pour exister, s'enfermer dans des ratiocinations complaisantes pour ne pas voir l'horreur que vivent les opprimés qui nous assiègent.

Pleurons donc sur notre sort de nantis, nous dit Marie NDiaye. Ouvrons de grands yeux lucides sur nos souffrances intérieures. Mais cela ne suffira bientôt plus à contenir les damnés de la terre.
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Trois femmes puissantes

Heureusement qu’il n’y en a que trois, plus, ce serait trop.

Noah est humiliée par son père, qui l’a abandonnée à sa médiocrité pour vivre au Sénégal. Il est puissant, lui, et Marie NDiaye le répète à l’infini. La preuve : il vit dans un flamboyant, vous captez le symbole, non ? Et à la fin de la première partie, elle va dormir avec lui dans l’arbre, en abandonnant mari et enfants !

La deuxième, Fanta, en fait n’existe pas, c’est son mari qui s’en veut de lui avoir mal parlé, et qui monologue à nous en faire perdre le souffle : rebelote sur l’humiliation.

La troisième, Khady Demba est limite esclave, on la vole et la prostitue, et on la vole encore, elle se retrouve sur les barbelés de Ceuta, on avait appris dans le premier chapitre qu’elle y était arrivée : elle est femme à tout faire chez le père de Noah.

Puissantes, ces pauvres femmes qui ne s’en sortent pas ?

Serait-ce une anti-phrase ?

Serait-ce une volonté de définir le négatif par le positif ?

Serait-ce de l’humour, tout simplement ?

Curieusement, je n’ai pas du tout ri.

En revanche, j’ai admiré, malgré les redites constantes, l’écriture ciselée et travaillée.

Il aurait suffi, c’est bête la vie, d’un adjectif comme : «  impuissantes », et le tour était joué.







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La vengeance m’appartient

Focus sur une seule femme dans ce roman pour l'auteure des «Trois femmes puissantes », Me Susane, une avocate sans prénom à la mémoire défaillante, au parcours de femme incertain, aux contours évanescents. Un portrait flottant, en lisière de l'onirisme, ouvert à une multitude de questions.

Et de questions, c'est peu dire qu'il y en a ici, l'intrigue se construisant essentiellement autour d'elles. À commencer par la principale, liée à ce mari déboussolé qui vient dès le début du récit demander à Me Susane de bien vouloir prendre en charge la défense de son épouse. Gilles Principaux il se nomme, un patronyme qui résonne comme un trauma dans la mémoire fluctuante de notre avocate :

« Qui était, pour elle, Gilles Principaux ?

Comment le savoir, comment se fier à cette intuition exaltante, blessante, inquiétante qu'il avait été l'adolescent dont elle s'était éprise à jamais, autrefois, dans une maison de Caudéran qu'elle aurait été incapable de reconnaître aujourd'hui ? »

La première énigme est là, contrebalancée par des faits implacables ceux-là, concernant l'épouse infanticide de Gilles Principaux. Bien plus qu'une épouse infanticide d'ailleurs, une mère infanticide, qui a même triplé son méfait. La figure maternelle tueuse en série de sa progéniture questionne, elle peut infléchir l'axe de la réflexion sur sa personnalité : « Non pas : qui est Marlyne ? Mais : Qu'est-ce que c'est donc que Marlyne ? Se demandait-elle, désorientée et toute colère envers cette femme d'un coup retombée. »

Et le roman de dérouler ainsi sa litanie d'ombres et de mystères sur les personnages et leurs relations, au gré d'une prose envoutante, tortueuse voire piégeuse par moments, en perpétuelle recherche d'un langage élaboré. Marie N'Diaye n'hésite pas devant le contre-pied, à dire par exemple ce que ne dit pas le protagoniste, un mode discursif parfois déroutant : « Elle ne disait pas à Rudy : Et puis quelle importance, l'amour ? Il suffit de bien s'entendre, de parler, de s'amuser ensemble non ? »

Elle n'hésite pas devant un monologue de 10 pages frappées de mais, qui résonnent comme des claquements de fouet.

Elle n'hésite pas non plus à nouer des liens parfois improbables entre ses personnages, comme dans un rêve où tout se mêlerait, à imbriquer des étages supplémentaires d'incertitudes.

Et tout cela favorise l'accès à l'univers singulier de Marie N'Diaye, dans un roman au charme ineffable empreint de mystère, aux vagues contours oniriques, mais aussi un roman ouvert dont on peut ressortir avec pas mal de questions.
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Trois femmes puissantes

Cela faisait un petit moment que je voulais lire cet ouvrage que je possède à la médiathèque dans laquelle je travaille afin de me faire mon propre avis, savoir si il est cohérent de toujours recommander un prix Goncourt à mes lecteurs ou non. La réponse en ce qui me concerne est mitigée et si il m'arrive de le recommander, je saurai à l'avenir de ne pas le faire systématiquement mais vraiment en fonction de la personnalité de mes lecteurs et de ce qu'ils recherchent exactement.



En ce qui me concerne, même avis partagé : certes, ce roman est extrêmement puissant (sans vouloir faire de mauvais jeu de mot) de par les sujets abordés) mais avec des phrases souvent interminables, j'ai cru que je n'arriverai jamais à bout et surtout que je pouvais me perdre à tout moment, comme je me suis parfois perdu dans la narration en elle-même. En effet, ici, le lecteur est confronté au parcours de trois femmes : Norah (celle à laquelle je me suis le plus attachée et probablement dans laquelle je me suis le plus reconnue) qui a enfin su dire NON à son père, Fanta à son mari et enfin Khady au destin tragique qui l'attendait si elle était restée auprès de sa belle-famille. Contre leur gré parfois, ces trois femmes se sont retrouvés face à un choix très difficile : oser enfin être qui elles sont et non plus uniquement "la fille de...", "la femme de..." ou enfin "la belle-fille de..." mais enfin exister en tant que femmes et uniquement pour ce qu'elles sont.



Ce livre n'est pas réellement un roman, ni même un recueil de nouvelles, c'est bien plus que cela : c'est le destin de trois femmes qui auraient très bien pu se croiser, qui se ressemblent sur bien des traits de caractères qui s'entremêlent ici. Oui, l'écriture de Marie Ndiaye est forte mais j'ose avouer qu'elle l'est un peu trop pour moi et que j'aurais préféré que le style soit un peu plus léger car en plus de l’atmosphère oppressante qui règne durant tout ce ou ces récits, la lourdeur des phrases n'aide en rien à ce que le lecteur puisse souffler lui aussi un peu ! Un ouvrage que je vous recommande néanmoins, en tant que féministe que je suis, même si il ne m'a pas entièrement convaincu mais peut-être est-ce moi qui n'ai pas réussi à m'adapter au style de l'auteure !
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Trois femmes puissantes

Marie NDiaye ajoutait en 2009, un nouveau et étonnant récit à une œuvre déjà très riche, confirmée par l'envoûtant Rosie Carpe. Un roman, où trois textes juxtaposés, intimement liés les uns aux autres, dessinent les portraits de trois femmes, Norah, Fanta et Khady Demba, aux aspirations de liberté ardemment assumées.



Avec Trois Femmes puissantes, nous sommes aussi en présence d'un essai littéraire, volontairement novateur.

Un roman fracturé, comme la vie entravée de ces trois femmes qui ont toutes connues, une césure violente, de celles dont on ne se relève mal, qui gangrènent tout le reste de la vie.

Une césure ou un écartèlement inscrit dans la mémoire des personnes prises entre deux cultures, l'Afrique et la France, ou entre deux vies, ou entre des espoirs inscrits dans la mémoire d'une autre vie.



La famille, est toujours au cœur des trois récits, la famille, le lieu où les fractures naissent, elle devient un enjeu, un territoire, une survie possible pour Norah, Fanta et Khady Demba, là où les aspirations s'épanouissent ou se fracassent, le lieu et le lien dont il faudra s'extraire pour exister.



Dans la première partie, Norah, avocate, se rend en Afrique, à la demande de son père, cruel et cynique, pour défendre son frère accusé du meurtre de sa belle mère. Le père avait quitté sa femme en kidnappant son fils Sony de 5 ans , laissant une plaie béante, un traumatisme irréparable.



Dans le second volet Marie NDiaye déploie le long monologue de Rudy Descas revenu d’Afrique après y avoir grandi. Il revient avec une épouse noire, Fanta, jamais présente dans le langage de l’homme, telle une énigme insaisissable, point aveugle autour duquel vont se révéler les secrets refoulés, dont le meurtre de son père.



Le dernier récit de Trois femmes puissantes, le plus glaçant, montre la trajectoire d’une femme, rejetée par sa belle-famille après la mort de son mari, qui tente de passer clandestinement en Europe.

Basculer de la sécurité à l’horreur : être à la merci des passeurs, se blesser sans possibilité de soins, être maltraitée, se prostituer, être dépossédée par le seul être qui vous semblait proche.



Trois récits où se répondent les culpabilités des femmes, de celle qui se tait quand son fils Sony lui est arraché, de Khady Demba qui n'arrive pas à enfanter et qui porte cette honte comme une faute originelle, ou encore la mère de Rudy Descas qui vit dans la négation de ce qui s'est passé.

Cette culpabilité qui tel un poison irrigue le livre, porte tout le monologue de Rudy Descas pour exprimer une demande de pardon à Fanta et à son fils qu'il a toujours négligé: "Comment allait-il apaiser sa propre conscience si ses souvenirs tronqués de leurs conflits ne faisaient apparaître que sa culpabilité à lui, encore et toujours, comme dans ses rêves pénibles et avilissants où, quoique que l’on dise, quoique que l’on décide, on est en faute, irrévocablement ?"

Trois femmes puissantes s’ouvre vers une réalité farouche, viscérale, et dont on suit la montée en puissance à mesure qu’on avance dans les trois récits: de l’inhumanité de la famille, l’incompréhension de l’autre et de son exploitation.

A travers le destin de ces femmes, c’est au fond la condition humaine la plus contemporaine qu’interroge Marie NDiaye : celle de l’appartenance à une famille, un lieu, des racines qui protègent qui élèvent.

"parce qu’elle n’avait pas enfanté et qu’elle ne jouissait d’aucune protection, ils l’avaient tacitement, naturellement, sans haine ni arrière-pensée, écartée de la communauté humaine, et leurs yeux durs, étrécis, leurs yeux de vieilles gens qui se posaient sur elle ne distinguaient pas entre cette forme nommée Khadry et celles, innombrables, des bêtes et des choses qui se trouvent aussi habiter le monde."



Ce sont trois femmes vaincues, maltraitées, mais elles restent debout. Norah et Fanta se sont libérées dans leur jeunesse, de leur condition de filles par leurs études. Fanta plus encore que Norah. Khady s’est libérée dans sa tête par un geste.

Ce geste de Khady Demba sautant du bateau est un geste rageur et libérateur, elle ne sera plus personne mais Khady Demba celle qui a dit non. Ce cri est aussi comme une alerte lancée à toutes les femmes pour se libérer des hontes et des entraves posées par les hommes et les traditions.



En contrepoint des trois récits, le symbolisme des oiseaux qui hantent les âmes, insèrent un fil d’Ariane invisible mais ténu. Le père de Norah, oiseau perché sur le flamboyant, espèce de marabout vantard et fantoche. Le flamboyant est sa dernière demeure, il a envoyé son fils Sony en prison, il a déserté les hommes. Mais l’oiseau est une figure magique : la buse suit Rudy comme les corbeaux Khady Demba.



Marie Ndaiye est entrée, "avec discrétion et détermination, sans concession ni hâte ni doute, dans la plus pure des aventures littéraires, parmi l'escouade clairsemée des quelques écrivains irréductibles (qu'on ne saurait réduire ni à une mode, ni à leur ombre), qui sont à la fois à la tête d'un monde particulier et universel, d'une langue personnelle pour le dire et de ce talent à l'alchimie indéchiffrable qui nous convainc, nous autres, pauvres lecteurs, que ce monde est aussi le nôtre, et qu' il est effrayant et que nous ne le savions pas."  Jean Baptiste Harang. Dans l'Art est difficile P297.



En lisant ce texte, j'ai été séduit par une musicalité envoûtante au point de perdre le fil de l'histoire, je l'ai relu et j'ai ressenti tous ces mots, comme un travail de jardinier, parfois de bûcheron, trois souches irréductibles qui semblaient ne plus provenir d'un seul arbre. "elle avait déjà réglé son compte à un énorme bignonia qui avait eu l’audace de faire grimper le fol entremêlement de ses fleurs orangées sur le crépi gris." 

les récits de Ndiaye ne disent pas leur fin , on en sait assez pour les imaginer.

Il faut retourner vers les textes de Marie Ndiaye, les retourner comme un limon d'argile ou se laisser guider, c'est un enchantement.





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La vengeance m’appartient

Lorsque Gilles Principaux entre dans son cabinet, Me Susane est aussitôt convaincue de l’avoir rencontré trente-deux ans auparavant, alors qu’elle était petite fille : est-ce bien lui ? Et si oui, pourquoi l’a-t-il choisie pour défendre sa femme mise en examen pour infanticide ? Partage-t-il l’étrange souvenir de cette journée ? Et comment aurait-il pu glisser d’une enfance délicieuse à la scène d’épouvante qui a défrayé la chronique ? Comment, d’ailleurs, en arrive-t-on à une telle horreur ?



C’est impressionnant de voir comment Marie NDiaye construit son roman à partir de finalement pas grand-chose puisque presque tout se passe dans la tête de Me Susane. J’ai été fascinée par l’ambiguïté qui traverse son existence : ambivalence du souvenir de ce jour où elle a été « ravie », sentiments partagés à l’égard de ses parents (si aimants qu’ils rendent ses propres faiblesses insoutenables), des affaires qu’elle traite en tant qu’avocate (honteusement fascinée par leur noirceur), ou de Sharon qu’elle a employée pour « faire le bien » mais à laquelle elle trouverait indécent de laisser prendre soin de son intérieur même si elle se froisse de la distance que la femme de ménage lui impose.



Cette protagoniste empêtrée dans ses contradictions incarne puissamment la douleur de s’élever au-dessus de son milieu social d’origine, le souci permanent de donner le change et la difficulté de s’extraire des réflexes d’allégeance aux bourgeois. Quelle bonne idée d’avoir situé cette histoire dans le Bordelais qui incarne parfaitement l’implacabilité des clivages sociaux !



Le roman restitue avec finesse la manière dont Me Susane se débat avec tout ça. Elle doute de sa mémoire, s’assène de petites phrases restituées en italiques pour se rassurer sur la fiabilité de ses souvenirs, la pureté de ses intentions à l’égard de Sharon, l’amour porté à ses parents dont les attentes anxieuses la poussent pourtant à bout… En regard, deux autres femmes sur lesquelles pèsent aussi leur différence de statut et des attentes écrasantes – familiales pour Marlyne Principaux, morales pour Sharon –, chacune avide de se réapproprier son existence.



Tout cela provoque le doute et donc la curiosité : j’ai été happée par ce texte. Mais en même temps, il m’a complètement perturbée. J’ai tâtonné, douté et essayé de retrouver pied, un peu comme les personnages qui évoluent dans une ville de Bordeaux plongée en permanence dans un brouillard épais. L’épilogue n’a pas complètement satisfait ce besoin d’y voir plus clair mais j’ai conscience que c’est probablement l’intention. Dans la vie, les choses sont rarement tranchées. Ce sera au lecteur de se faire son opinion sur les faits, tel un membre de jury de tribunal.



Un roman déstabilisant, mais fascinant.
Lien : http://ileauxtresors.blog/20..
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Comédie classique

J'aurais dû lire cet étonnant roman d'une seule traite mais je n'ai pas pu et c'est dommage, mais c'est comme ça dans la vie et peut-être que j'essaierai une autre fois (ce sera plus aisé).

Du coup, le marque-page est indispensable, ainsi qu'un léger retour en arrière dans le texte (dans la longue-longue-longue phrase) pour ne rien perdre et continuer sereinement!

Il y a du Queneau, du Pérec, dans cette histoire unie-phrasée! C'est une sorte d'exploit, fort agréable à lire, dans la pensée en continu du narrateur dont nous suivons le fil. Un roman d'action, dans le vif du sujet, si je puis m'exprimer ainsi!

Marie Ndiaye, dont j'avais pu apprécier voici trop d'années ses Femmes puissantes, fait très fort (trop? Mais non, voyons, allons...) dans cette Comédie classique.

Amis babéliotes qui ne l'avez encore lu, ne faites pas comme moi! Bloquez vous quelques heures (enfin, le temps qu'il faudra) et lisez cette phrase-roman d'une seule traite.

Que du bonheur!
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Royan

Marie N'Diaye nous offre un texte court, un monologue plus précisément , dont le but premier était d'être interprété au festival d'Avignon, sur scène donc.

Et donc, lorsqu'il est transposé en livre, le ressenti est forcément altéré.

C'est un peu comme si vous goutez un vin dans la cave d'un vigneron et que vous retentiez le même vin à coté d'un ado qui s'acharne sur sa console, trahi qu'il est par les algorithmes "de bâtard qui lui niquent sa partie".

Pas forcément le même goût...

Ou encore le thé . C'est tellement meilleur en Angleterre...



Il est ici question d'une professeure de français et se relation avec une de ses élèves. Je n'en dis pas plus, on est déjà aux 3/4 de l’œuvre.

C'est très bien écrit, subtil mais je suis sans doute passé un peu à côté, même si le personnage tourmentée qu'est l'enseignante est bien brossée en quelques pages.

A Avignon, ou sur une scène lambda, nul doute que j'aurais trouvé cela "grand".
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La diablesse et son enfant

Une femme avec un joli minois et les yeux embués de larmes passe d'une maison à une autre pour retrouver son enfant. Ses souvenirs sont vagues, tout ce dont elle se souvient c'est de la tendresse qui l'a liée à ce petit être qu'elle doit retrouver.

Au début les gens ne se méfient pas, jusqu'à ce qu'un petit détail la trahisse... Et là la peur monte, les rumeurs naissent avec toutes sortes d'idées pour se conforter dans cette peur. Malgré ça, la diablesse n'abandonne pas ses recherches, espérant voir ses efforts récompensés.



Un joli conte sur la différence et la perception que nous en avons. Et sur l'amour maternel bien sûr.



Un récit pour jeunes lecteurs avertis qui éprouveront peut-être le besoin d'en discuter avec des adultes pour saisir les subtilités de ce récit.

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Trois femmes puissantes

C'est le nom de l'auteur, que j'avais aperçu lors d'une émission littéraire qui m'a fait choisir ce titre sans trop hésiter.

En attaquant la lecture, j'ai remarqué tout de suite le côté « bien écrit du texte ».

Puis, il y a des choses que je n'ai pas vraiment comprises, mais j'ai mis cela sur le compte de la poésie du conte africain, enfin j'ai cherché l'histoire et n'en n'ai pas vraiment trouvé.

J'ai alors fait l'erreur d'aller voir les critiques sur Babelio. J'ai alors compris que je n'étais pas le seul à me poser des questions.

Comme il s'agit d'un recueil de trois nouvelles, j'ai terminé la première et chose rare et que je déteste, j'ai laissé tomber cette lecture

Une seule interrogation persiste : Pourquoi ce texte a-t'il obtenu le Goncourt 2009 ?

Manifestement, je ne suis pas prêt à faire partie du jury (j'avoue que je m'en doutais un peu !).

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Trois femmes puissantes

Des épopées dont les héros se révèlent des antihéros.

De nombreuses critiques de professionnels sur internet et déjà 138 critiques de lecteurs sur Babelio. Quel intérêt de rajouter une nouvelle critique ?

Tout d'abord, j'ai rarement constaté de tels écarts de jugements entre critiques littéraires et critiques de lecteurs. J'en arrive presque à me demander si nous avons tous lu le même livre.

D'un côté : « On se trouve en présence d'un objet littéraire d'une si évidente cohérence, où la puissance imaginative, la profondeur introspective, la maîtrise formelle sont portées à un niveau hors du commun ».

De l'autre : « aucune étoile... les trois femmes en question semblent plutôt subir les aléas de la vie, faire ce que leur entourage attend d'elles... Elles ne m'ont pas paru puissantes du tout! » ou encore «Trois histoires bancales et inachevées... » et enfin «Cela faisait longtemps que je ne m'étais pas autant ennuyée en lisant ».



Il est vrai que le titre « trois femmes puissantes » est une véritable supercherie car il n'y a aucun rapport entre le titre et les nouvelles. Il s'agit ici de trois récits juxtaposés sans véritable lien, sauf qu'on commence le deuxième récit sans savoir que le premier est terminé. J'ai parcouru le premier récit en attendant qu'il se passe quelque chose et lorsqu'enfin on croit que l'action va finalement démarrer, c'est fini, rupture brutale, sans avertissement. Je pensais rencontrer trois femmes puissantes prêtes à tout, en fait, les femmes en question, dans le premier et le troisième récit subissent les aléas de la vie et font ce que leur entourage attend d'elles, quant au deuxième récit, aucune femme n'y apparaît.



En refermant le roman, j'étais forcément déçu, car ce rassemblement de trois récits indépendants ne constitue pas un projet littéraire satisfaisant.

J'ai tenu à lire intégralement les trois nouvelles afin de comprendre les raisons pour lesquelles ce livre a remporté le prix Goncourt 2009. Peine perdue et grosse déception car avec un tel titre je m'attendais à quelque chose de fort, de puissant ; certes l'écriture est élégante et travaillée, le style intéressant, toutefois les histoires trainent en longueur, le développement est trop lent et l'ensemble manque d'action.



N'y a-t-il vraiment rien eu de mieux publié en 2009 ???



Pierre Assouline, membre du jury, nous révèle les dessous de l’élection : « Ses origines mêlées entre Dakar, Pithiviers et Anthony plaident en sa faveur en un temps où la diversité est un atout ; enfin, c’est une femme. Or les Goncourt n’ont couronné que huit femmes en cent six ans et l’argument a été avancé lors des débats. C’est donc elle. »

Marie Ndiaye doit donc en partie son Goncourt au fait qu’elle soit une femme et pour ses origines qui ont permis à l’académie Goncourt de démontrer qu’elle vit avec son temps. Le choix a été fait au nom de la diversité culturelle, sujet sociopolitique très en vogue ces dernières années.



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