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Citations de Mathieu Riboulet (139)


On a beau dire, nos rêves ont vite fait de s’effacer sans qu’on s’en aperçoive, un beau jour on s’éveille en se disant que c’en est fait d’eux, donc de nous, et il ne nous reste dans le meilleur des cas que nos yeux pour pleurer. Les garder à l'esprit, fût-ce pour ne jamais les atteindre tout à fait, suivre leurs transformations au gré du temps comme on suit les transformations de nos corps sur lesquels rides, cicatrices, affaissements et crevasses ripaillent de plus en plus bruyamment, est un travail qui requiert une grande attention, une qualité de présence au monde particulière.
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On s'abîme sans discussion des heures durant dans les failles de la vie matérielle où prendre une douche devient l'affaire d'une matinée entière et le pli d'une couverture l'objet d'une contemplation réellement interminable. On prend le temps. La vie de l'esprit se déroule doucement sur les pentes de la mort. Pas la plus petite place dans tout cela pour la rêverie, qui ne peut s'épanouir que dans l'ombre du travail et de la pensée. Or nous sommes stupides, désœuvrés et muets.
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Elle habitait une longue maison longue comme un jour sans pain, pleine de granges, de greniers, de remises. On accédait à l'unique pièce d'habitation, au premier étage, par un balcon courant le long de la façade, terminé par une volée de marches humides. Les jours de colère, ce balcon était un goulot glissant, la volée de marches une promesse de gadin.
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depuis l’immédiat après-guerre



Et pour cause: depuis l’immédiat après-guerre, nous
baignons dans l’espèce de douce quiétude générée par la
reprise des affaires, la montée des plaisirs, l’éclosion des
idées et des innovations, les fulgurances des progrès en
tous genres, nous sommes béats. Même si nombre d’entre
nous pensèrent assez vite que cette béatitude cachait bien
des remugles, qu’il fallait aérer, déplacer, déconstruire,
remplacer, rien de tout ça n’advint, les hauts lieux y veil-
lèrent, c’est nous qu’ils aérèrent, déplacèrent, remplacèrent,
et tout rentra dans l’ordre. Un ordre plus cynique, obscène
et dispendieux que l’ordre précédent, mais tout rentra dans
l’ordre, nous compris. Jusqu’au début de quinze où deux
marioles, parisiens comme vous et moi, en buttèrent douze
autres, d’un genre radicalement différent, en plein cœur de
Paris. Fermez donc le ban de l’après-guerre, balancez les
vieilles lunes, en un mot réveillez-vous!
...

p.11-12
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L’aigle planant sur moi…



L’aigle planant sur moi je ne le voyais pas, à peine si j’en-
tendais un faible cri d’oiseau au-dessus de ma tête, mais je
savais déjà mon corps ouvert et pâle depuis janvier d’avant,
celui de deux mille quinze, ouvert de part en part et traversé
d’élans, de peines et de colères, traversé par les foules que
nous avons formées au long de ce mois-là, janvier de deux
mille quinze, et traversé aussi de corps assassinés comme de
corps assassins. Et cela me troublait, je n’avais pas souvenir
d’avoir été ainsi requis par de l’histoire autrement qu’en
pensée, dans la poignée de temps qui m’était impartie je
n’avais rien trouvé de semblable avant ça.

p.11
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Le seize septembre deux mille un…



Le seize septembre deux mille un, mon père, franchissant
les grilles de l’hôpital où un diagnostic de cancer, pronostic
deux ans, venait de lui être posé, me dit: « Aujourd’hui ton
grand-père aurait eu cent ans et ta grand-mère est morte
depuis cinquante ans », tous deux emportés aussi par un
cancer, gorge pour le premier, généralisé pour la seconde
(où avait-il bien pu commencer je n’en sais rien), pour mon
père ça finirait généralisé aussi (et je ne me rappelle plus
où ça avait commencé), le seize septembre deux mille un,
donc, nous étions là sur ce trottoir, il faisait une chaleur
de bête et nous dressions de conserve la cartographie en
araignée de cette pathologie qui nous prenait filialement
en tenailles puisque cinq ans avant j’avais eu moi aussi
droit à la chose, dans le sang, plus abstrait, un rien plus
chic ou moins trivial, comme on voudra, et qu’il me restait
quinze ans avant d’avoir droit au second, le foie cette fois,
plus mythologique que chic, prométhéen, enchaîné à l’œil
d’aigle, absurde, agissant. Si je me fie à cette chronologie
familiale pathologique, à ses intervalles désordonnés, ses
sautes d’humeur et ses fausses logiques apparentes, je
devrais aller mon train une petite vingtaine d’années
encore, considérant qu’on meurt chez nous, côté masculin,
entre soixante-quinze et quatre-vingts ans, ou beaucoup
moins, considérant que de père en fils on meurt tous les
vingt ans environ, raisonnement qui me laisserait donc sept
ou huit ans. Les chronologies, on le sait, sont des fictions,
il faut s’y fier sans s’y fier, mais de quelque côté que je le
prenne, le vol de l’aigle à l’aplomb de mes yeux quand je
suis étendu dit sans ambages le rebours du décompte.

p.9-10
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Les noms nous nomment …



Les noms nous nomment, les mots nous précisent.
Parfois nous remplissons la tâche qu’ils nous assignent,
Et c’est alors la joie, la rencontre et la paix,
Parfois la grâce.
Par eux nous sommes fondés,
Par eux nous nous tenons
Comme le gars se tient au mitan de l’image,
Dans l’axe de la combe
La douceur de la louve.
Nul besoin de bouger pour que le soleil entre
Dans le cadre, éclaire un peu la scène,
La lumière vient du corps,
Et portée par le nom elle arrive jusqu’à moi.


Une combe,
Une louve,
Et la courbure d’Inti, vingt-huit ans,
Corps solaire et rompu
Au feu de la présence.

p.45
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Puis à peine essuyé le fruit de nos étreintes de nouveau je dispose les fleurs et le vin, un couvert et du pain, et la danse reprend qui verra, dans une heure, dans un jour, un autre homme s’allonger là, s’ouvrir et m’emporter.
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En une fraction de seconde, sous la pression de mon regard, ils s’auréolent d’un mystère proportionnel à leur grâce puis rejoignent le néant d’où ma rêverie les a tirés, les bataillons d’inconnus que je ne toucherai jamais mais dont j’aurais tant voulu, un instant, partager la vie, les rêves, le corps.
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Devant la violence des antagonismes familiaux, elle avait dû se résoudre à battre en retraite, incapable de choisir qui, en elle, de la mère ou de l'épouse finirait d'anéantir la femme.

page 82
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Ce n'était pas une vie, et pourtant c'en fut une, quinze ans durant, pour eux dans ce repli oublié de tous, et par la pire. L'enfance de Jérôme eut pour nourriture le vide du plateau où ils étaient posés : vents, silence, encore des nuits, soleil, gels, neiges et pluies, tout était trop grand.

pages 16/17
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Ces gars-là, les marioles, sont des fantômes, dit-on, des fantômes déjà morts, avantage décisif. Leur mort, effective à nos yeux, est venue les saisir à l’heure où ils portaient la main à leur ceinture, d’un geste machinal, d’un geste de fantôme mort depuis quelques heures, quelques jours, quelques mois ; ils se savaient tous morts, nous les pensions vivants. Quand ils étaient vivants à leurs yeux, aux nôtres ils présentaient des allures de fantômes, nous ne les voyions pas. Pourtant déjà tendus, et souples, souvent splendides, à leurs ceintures déjà ils portaient leurs doigts fins, en ajustaient la boucle, et parfois effleuraient, s’attardaient un peu sous la ceinture, comme s’ils voulaient sortir ce qui étaient caché pour que le monde sache ce qu’ils étaient vraiment, mais la ceinture tenait lieu de rempart solide à cette tentation inavouable et si douce. Et nous ne voyions pas. Quand à leurs propres yeux ils se sont faits fantômes, soudain nous avons vu, compris que ces ceintures enserraient notre mort, et dans le feu brutal de leur déflagration nous avons vu aussi se lever nos squelettes et qu’en la destruction nous serions soudain frères. Tout cela nous troubla
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Comment une chose pareille est-elle possible ? Je le répète, j’entrerais en lui, au sens propre, après l’avoir ouvert au fil d’une lame désirante, que je n’en serais pas rassasié. Car plus je vois plus je suis aveuglé, et ce que j’échafaude autour de lui est désormais à la fois trop plein et trop confus pour que je puisse espérer, pour l’instant en tout cas, apercevoir clairement ce que Bastien, en moi, touche avec une telle précision.
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Bastien a dix ans, il se noue un jupon autour du cou qui lui arrive aux pieds, se coiffe d’un fichu et marche, son pas de souris glisse plus furtivement encore que le tissu qu’il anime. Qu’est-ce que ça fait d’avoir les jambes nues réunies par une jupe plutôt que séparées par un pantalon, où est-ce qu’on met les mains quand on n’a pas de poches ? Et encore n’a-t-on pour l’instant rien de sexué pour compliquer la tâche.
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Au moment où sur lui mon regard se fixe pour toujours, il est de trois quarts dos, avec pour seule parure de grosses chaussures de style militaire, occupé à répandre le fruit de sa jouissance sur le visage angélique d’un jeune homme très bien qui avait fougueusement oeuvré pour obtenir ce résultat. On aurait, à ce jeune homme, donné le bon Dieu sans confession, à juste titre d’ailleurs puisqu’il en avait, de toute évidence, bel usage.
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Mathieu Riboulet
Découvrir ou expérimenter, qu’on est le sujet de rancune, l’objet d’une haine, d’une expérience particulière. Tout homosexuel sait qu’il est profondément haï pour ce qu’il est par une fraction des hétérosexuels, tout Juif… Que dire ? Que faire de cette haine, où vivre, comment s’aimer ? page 125
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Mathieu Riboulet
Comment fait-on cela, crucifier, enchaîner, battre, déconsidérer, mettre en joue, achever, torturer, agonir, quelle ressource trouver pour porter la violence au beau milieu du corps et la laisser œuvrer ? page 66
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J’ai pris, en commençant, sur mes épaules le poids de la langue, de l’histoire, du pays et du temps où je suis arrivé. Il y avait, chez les miens, aucun ressentiment vis-à-vis des hommes et des femmes qui, comme eux, mais outre-Rhin, avaient englouti des forces déraisonnables dans des conflits dont on m’apprit très tôt qu’ils ne naissaient pas tant d’une prétendue haine des uns pour les autres que de la mise en jeu de mécanismes ressortissant à la politique, l’économie, la religion ou la géographie. Mais il y avait, mêlée à l’indécis flottement dont sont tissées nos vies, ne trame parfois lâche ou trouée, parfois serrée à étouffer, l’Histoire, à laquelle on collait un grand H, et sur cette trame trois faits, enchâssés les uns dans les autres en une sorte de continuum temporel appelé à transformer ces trois faits en une seule et même cadence historique dont chaque mouvement génèrerait les conditions d’éclosion du suivant : la fin du Second Empire dans Sedan encerclée, avec entre autres conséquences la naissance de l’Empire allemand ici, et là l’écrasement de la Commune de Paris ; puis, à quarante-trois ans de distance, la boucherie inaugurale du vingtième siècle ; enfin, vingt-deux ans plus tard, le nazisme. Après, plus rien page 17
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