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Citations de Maud Tabachnik (389)


— Je crois l’avoir connue, murmure-t-il d’une voix sourde.

Une silhouette frêle, perdue au milieu de cette foule ahurie de ce qui lui arrivait. Des queues interminables pour obtenir de l’eau ou un quignon de pain, puisque les autorités semblaient décidées à affamer les prisonniers.
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En 1942, avec le père Chaillet, jésuite et professeur à Fourvière, il avait créé l’association Amitié chrétienne, qui se voulait un lien fraternel entre chrétiens et juifs dans ces années terribles. Et ils avaient réussi, avec la collaboration d’organisations juives clandestines telles que l’OSE, l’œuvre de secours aux enfants, à accueillir, secourir et cacher des Juifs sans ressources ou menacés.

Au cours des grandes rafles de la même année, Glasberg et le père Chaillet étaient parvenus à faire sortir illégalement du centre de tri de Vénissieux une centaine d’enfants que le cardinal Gerlier, s’opposant au préfet qui exigeait qu’ils soient remis aux autorités, permit de cacher dans des couvents.
Puis Glasberg apprit ce qui se passait à Paris, dans ce camp de Drancy où étaient regroupés la quasi-totalité des juifs raflés dans la capitale. Il s’y rendit à de nombreuses reprises pour y apporter son soutien.
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L’abbé conserve la lettre dépliée, sans en détacher les yeux. Il se souvient si bien de cette période d’horreur…

Le cardinal Gerlier avait pris sous sa protection cet abbé improbable, juif d’Ukraine parlant yiddish mieux que français, qui avait traversé l’Europe en passant par une abbaye trappiste et plusieurs séminaires, avant de débarquer dans la capitale des Gaules en se faisant tout de suite remarquer par sa robustesse paysanne, son franc-parler et son audace devant l’autorité.

Bien sûr, l’abbé avait immédiatement réagi aux malheurs de ceux de sa race et tenté d’alerter la hiérarchie catholique. Dans l’ensemble, celle-ci se montrait frileuse et ambiguë devant les premières lois antijuives d’octobre 1940, promulguées par Vichy de sa propre initiative, sans pression des Allemands. Ces lois qui excluaient les citoyens français d’ascendance juive de la fonction publique et des professions libérales, internant dans des camps les juifs étrangers qui avaient fui le nazisme.
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Le garçon fouille dans la poche arrière de son pantalon et en tire un bout de papier. Il le garde un instant en main avant de le tendre à l’abbé.
— C’est la dernière lettre que nous avons reçue d’elle. Je l’ai eue par hasard. Je ne sais pas comment.
Glasberg la prend et la déplie lentement. Une feuille de papier à carreaux de petit format, comme un cahier d’enfant.
Je pars demain pour une destination inconnue, mais vous savez que je suis courageuse, il faut que vous le soyez aussi pour qu’on se retrouve après. L’abbé Glasberg, dont je vous ai déjà parlé et qui s’est montré tellement gentil, m’a apporté l’oreiller que je vous avais demandé et dont je sais qu’on ne vous a pas autorisé à me le donner. C’est un homme admirable, ce curé. À tous, il redonne l’espoir. Je vais vous quitter, mes chéris, parce que je suis fatiguée et que je vais donner la lettre au préposé pour qu’elle parte.
N’oubliez jamais que je vous aime.
Votre maman.
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Le jeune homme ne le quitte pas des yeux. Son regard noir fouille le sien comme pour en arracher un secret.

— Elle avait soixante-douze ans, continue-t-il, elle a été dénoncée par sa voisine. Une amie…

L’abbé serre les mâchoires. Combien en entendra-t-il encore, des histoires de ce genre ? Quel âge peut avoir ce garçon ? Dix-huit, dix-neuf ? Un corps vigoureux, mais une peau presque lisse. S’il n’y avait ce regard…

— Que lui est-il arrivé ? demande-t-il en appréhendant déjà la réponse.

— Elle a été déportée de Drancy pour Auschwitz, mais elle n’y est même pas entrée… Elle était malade quand la Milice de Laval l’a sortie de son lit.

Serge Menacé serre les mâchoires comme pour s’empêcher de pleurer.

— Elle est morte dans le train.

L’abbé reste silencieux. Que peut-il dire à cet homme si jeune au regard si vieux ?

— Pourquoi pensez-vous que je l’aie rencontrée ?
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Lyon, 30 mai 1947
L’abbé Glasberg regarde le jeune homme, debout devant lui, qui a tant insisté pour le rencontrer. Il se tient les épaules en avant, comme pour impressionner ou s’affirmer, et cette attitude qui pourrait paraître légèrement agressive s’accorde avec son regard sombre et incisif, direct comme une flèche.

— Vous avez demandé à me voir ? Asseyez-vous, je vous en prie, propose aimablement l’ecclésiastique.

Le garçon hésite, puis tire la chaise devant le bureau.

— Je m’appelle Serge Menacé, dit-il.

L’abbé attend.

À présent, le garçon semble embarrassé. Le prêtre hausse les sourcils pour l’encourager.

— Vous, je crois que vous avez connu ma grand-mère…

— C’est bien possible, sourit l’abbé. Comment s’appelle-t-elle ?

— Elle s’appelait Mazal Menacé. Vous l’avez rencontrée au camp de Drancy.

Il fixe le garçon, cherchant dans sa mémoire. Il en a tant rencontré des Mazal, des Rachel, des Simon, jeunes, vieux, malades, forts, accablés, courageux, muets, bavards. D’innombrables silhouettes qui ont fondu dans le néant.

— Je suis désolé, dit-il.
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Le même jour, les Anglais perquisitionnent l’imprimerie du Davar, quotidien du Labour juif, le mouvement socialiste ouvrier. Ils brisent des machines en sachant qu’aucune arme n’y est cachée.
On constatera aussi de nombreux vols d’argent pendant les perquisitions.
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L’attaque de la colonie va durer plus de trois jours. Au bout de ce temps, les Anglais arrêteront toute la population masculine, y compris les garçons de plus de dix ans. Ils détruiront les maisons, bouleverseront les champs et déracineront les arbres.
Les colonies voisines ayant reçu ordre de s’occuper des femmes, des enfants et du stock de vivres de Yagour ont refusé, ne voulant à aucun prix faciliter l’attaque des colonies juives. Il y a des armes dans toutes et elles aussi s’en servent.
La même nuit, Afikim, une autre colonie sur le Jourdain, est attaquée et tous les hommes sont également raflés. Dans ce kibboutz, un groupe important d’anciens déportés de Buchenwald montrent le numéro tatoué sur leur bras pendant l’appel. Mais les soldats haussent les épaules et quelques-uns les frappent.
Parmi ces hommes arrêtés et blessés, il s’en trouve qui ont servi dans l’armée britannique et ont été parachutés dans les Balkans.
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Benny et Simon retournent à l’intérieur, sans se faire d’illusions. Personne ne voudra se laisser désarmer, c’est une question de vie ou de mort. Leur kibboutz est un des plus prospères de la région. Situé près de Haïfa, il revêt en outre une importance stratégique pour l’accueil des migrants et la garantie de la liberté de circulation au milieu des villages arabes hostiles.
Benny revient signifier à l’officier anglais le refus de ses amis de les autoriser à entrer et fouiller, pendant que Simon organise à toute vitesse la résistance.
Il tâche de retarder l’assaut pour laisser le temps à chacun de gagner son poste et de se préparer. Puis il rentre et grimpe sur la tour centrale d’où il commandera le siège.
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— Je vous octroie cinq minutes pour nous ouvrir la grille, dit l’officier.
— Nous ne refusons pas de vous laisser entrer, mais il n’est pas question que vous nous désarmiez. Nous devons nous défendre.
— Vous n’avez pas besoin de vous défendre. L’armée britannique vous protégera en cas de problème.
— Comme quand elle coule les bateaux qui amènent les survivants d’Europe et les noie ?
L’officier soupire d’exaspération.
— Je ne fais pas partie de la Navy. Permettez à nos soldats d’entrer. Nous ferons attention à ne rien abîmer.
— Laissez-moi parler avec nos amis, dit Benny.
— Comme vous voulez, je vous accorde cinq minutes, ensuite nous donnons l’assaut.
— Vous savez qu’il y a des enfants et des personnes âgées au kibboutz, des femmes aussi, vous allez les matraquer ?
— Pas s’ils sont raisonnables. Tout se passera bien si vous acceptez la fouille.
— Attendez-nous ici, je reviens.
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Les responsables juifs de Palestine ont sollicité cent mille certificats d’entrée pour les survivants des camps de la mort, mais son gouvernement n’en a donné que mille cinq cents, d’où la crise et l’arrivée de clandestins. Et ce n’est pas non plus lui qui a publié le second Livre blanc qui prend surtout en compte les exigences des Arabes. S’il faut virer les Juifs clandestins de Palestine, il les virera. Rescapés d’Auschwitz ou pas.
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— D’accord, mais vous savez aussi qu’il ne se passe pas une semaine sans que nous soyons attaqués par les voisins arabes, et avec quoi devrions-nous nous défendre ? Des cakes ?
— J’ai mes ordres, gronde l’officier qui voit s’évanouir l’espoir d’une intervention sans problème.
Ces Juifs leur compliquent tellement la tâche. Ils résistent partout, débarquent sur les côtes à bord de rafiots déglingués à se demander comment ils tiennent sur l’eau. Des gens qui ne parlent pas l’anglais mais d’horribles langues européennes ramenées de leurs ghettos. La plupart dans un état lamentable car rescapés des camps. Mais qu’est-ce qu’il peut y faire, lui, lieutenant du 4e fusiliers ! Ce n’est pas lui qui fait les lois. Les lois, c’est Clement Attlee, le ministre, qui les fait.
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Les responsables du kibboutz, deux sabras1 de vingt-cinq et trente ans, demandent qu’on ouvre la grille, et sortent rejoindre l’officier.
— Nous sommes les responsables de Yagour, dit le premier, un rouquin bâti comme un bûcheron. Je m’appelle Benny Aaronson et voici mon adjoint, Simon Kamel.
— Bonsoir. Laissez-nous l’accès à vos habitations pour que nous puissions nous assurer que vous ne possédez pas d’armes et n’abritez pas d’immigrés clandestins.
Benny se tourne vers Simon.
— On n’a pas d’armes, hein, Simon ?
— Écoutez, nous sommes au courant que vous êtes armés, intervient nerveusement l’officier. Laissez-nous vérifier, vous ne risquez rien.
— Vous savez, interrompt Simon, qu’il n’y a pas longtemps que j’ai été démobilisé de votre armée et que nous sommes une bonne trentaine ici à être d’anciens volontaires des troupes britanniques.
— Ce n’est pas le propos ! crache l’officier.
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Un homme en descend, un officier avec un mégaphone. Des soldats sautent des camions tandis que des véhicules blindés légers s’installent en cercle.
— Ici le capitaine Higgings, du 4e régiment de fusiliers marins. Nous avons ordre de procéder à la fouille de votre colonie pour y rechercher des armes et des immigrés clandestins qui s’y seraient glissés. N’opposez pas de résistance et déposez les armes éventuellement en votre possession.
— Quelle tête d’abruti ! Y croit qu’on va le croire, cet empaffé ! souffle Marcel, couché derrière un tamaris, revolver pointé.
Un môme de Paname arrivé un an plus tôt et qui est le copain de Margareth.
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Elle saisit sa radio, hurle dedans, dégringole de la tour perchée à quatre mètres, se précipite à l’entrée de la cabane de garde, agite la cloche, réveille les habitants qui sortent des maisons encore ensommeillés et cavalent sans poser de questions se mettre en place avec leurs fusils. Des cris d’alerte. Des ordres aboyés. Femmes et hommes, chacun sait ce qu’il doit faire.
Les enfants sont aussitôt emmenés dans les abris par les kibboutzniks responsables, tandis que la colonne motorisée précédée d’une jeep s’arrête devant la grande porte en fer qui ferme l’enceinte de Yagour.
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Soudain, elle sursaute. Quelles sont ces lumières de l’autre côté de la colline qui entoure le kibboutz à l’ouest ? Des phares ? Et maintenant, des bruits de moteur ? Elle entend Yaël crier. Lui aussi les a vus. Des Arabes ? Peu probable. Quand ils attaquent, ce n’est pas avec des camions. Ils se glissent dans les champs au travers des vergers où ils en profitent pour scier les arbres.
Mais alors, des Anglais ?
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À l’est du kibboutz, sur le même genre de tour, Yaël est perché. Elle ne le voit pas à cause de la nuit, mais elle sait que lui aussi lutte contre le sommeil.
Yaël a seize ans et vient de Turquie. Orphelin. Resté seul au monde avant de débarquer au kibboutz. Futé, vif, drôle, il anime de ses blagues les repas pris en commun dans la grande salle à manger.
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Au bout de combien de semaines a-t-elle débarqué à Haïfa en se cachant cette fois des Anglais ? De ça non plus, elle ne garde pas le souvenir. Elle se rappelle juste son arrivée en pleine nuit à Yagour, et son émerveillement.
Et depuis, travail, rires, chants, exercices, amitié. Et, ce mois-ci, l’incroyable et merveilleuse nouvelle que ses parents sont vivants.
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Elle ne se souvient que des vagues grises et violentes, l’odeur écœurante du gas-oil, un mal de mer à souhaiter mourir, le bateau qui zigzaguait pour échapper aux sous-marins embusqués et l’arrivée par une nuit glaciale.
Puis encore la peur, le froid, l’interminable transport en camion jusqu’à Copenhague d’où un avion américain les a conduits en Espagne où ils ont été jetés en prison pour le restant de la guerre. Et d’autres bateaux, d’autres camions, elle ne sait plus.
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Elle a quitté l’Allemagne, son pays natal, en 1942. Elle avait quatorze ans. Ce sont ses parents qui l’ont mise dans un bateau à Puttgarden pour qu’elle rejoigne le Danemark, en face. Cinquante jeunes, pris en charge par un mouvement de résistance allemand décimé peu après.
Sur les cinquante, combien ont survécu après avoir débarqué à Gedser, sur la Baltique ? Elle n’en a jamais rien su.
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