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Citations de Mazarine Pingeot (322)


Le rythme des jours peut aussi se mesurer aux allées et venues d'un homme qu'on aime.
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Il fait chaud dans la cuisine sombre du rez-de-chaussée. Khadija prépare un couscous et des salades pour le dîner. Assise a coté d'elle, Mara lui passe les ustensiles, épluche les carottes, lave les navets, ajoute un peu de cannelle et de fleur d'oranger dans un plat, du cumin dans un autre. Les casseroles sifflent au-dessus du fourneau. La lumière est filtrée par des carreaux de couleurs vives. Seule une lampe rouge est allumée, sur une table. La pénombre se répand peu a peu, dissimulant les deux femmes dans des vapeurs lourdes. Mara se sent bien, Khadija l'apaise, l'agitation de ses mains et l'immobilité de son corps l’apaisent, son odeur l'apaise. Dans cet espace chaque geste a un sens, une histoire. Chaque pincée de sel distille un héritage.
Mara voit des générations et des générations de femmes confinées aux cuisines, ou se murmurent les secrets, les rumeurs, les drames insoupçonnés, les angoisses, les amertumes, les espoirs ; ou s'expriment les frustrations du corps mais aussi ses délices, ou les tabous sont levés, les propos échangés sans pudeur, la parole libérée par le cancan de la cuisine. Un lieu clos d'ou rien ne sort que les plats destinés aux hommes, guindés et s'ennuyant dans la salle a manger, représentant... représentant la position sociale, la position familiale, la position politique, la position assise. A la cuisine on ne représente rien, on transforme les aliments, on les malaxe dans des mains écorchées, parfois manucurées lorsque des fêtes ou des mariages obligent a recouvrir les ongles incarnés de carmins étoilés, on goûte, on rit, on se tait quand un homme rentre, on rit encore quand il sort. Et puis on soupire.
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L'enfance peut devenir parfois une vilaine maladie quand elle continue d'être un sortilège.
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Et comment l'expliquer à Rémi ? J'ai besoin de ne rien faire, de ne rien exiger de moi, de me laisser marcher dans la rue, toute seule, sans qu'on me parle, en écoutant de la musique ou pas, sans qu'on m'attende, sans qu'on me demande où je suis. J'ai besoin de disparaître par intermittence. Tel est mon équilibre. Rien ne se passe, je n'ai pas de crime à avouer et, lorsque je rentre, je suis apaisée.
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J'avais grandi dans la méfiance, et tout m'y ramenait. Il ne fallait pas se risquer de vivre.
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Mais il est encore une chose à accomplir, éradiquer le souvenir de mes garçons, ne plus les laisser entrer dans mon esprit, mes rêves, fermer les oreilles à leur rire cristallin, ne plus imaginer leurs pleurs, la nuit, quand ils ont besoin de moi, rayer le mot de "maman" qui m'écorche les oreilles et le coeur, les oublier, et sans les tuer parce que j'ai compris que c'était une facilité. Une facilité inutile, encore une erreur de ma part. S'ils n'étaient plus, crois-tu qu'ils disparaîtraient de moi ? Crois-tu que je pourrais me débarrasser d'eux comme ça, que leurs cris cesseraient de résonner à mes oreilles, que leur "maman" ne viendrait pas me hanter chaque nuit, chaque jour, que mon corps ne se souviendrait de sa gestation, de leurs coups, que mon ventre oublierait ? Crois-tu que la mort fait cesser l'existence ? Comprends-tu qu'au contraire elle la maintient dans une éternité de la pensée, et que l'amour n'est jamais si bien servi que par elle ?
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Je t'ai sans doute un peu dépaysé, je ne te paraissais pas comme les autres, j'étais maladroite et timide, tu pensais peut-être que tu pourrais me faire, me modeler, et je n'ai rien contre cet instinct de pygmalion qui habite tant d'hommes. Au contraire, jai éprouvé du plaisir à me laisser construire, transformer et, si mes résistances ont finalement été l'obstacle à ton chef-d'oeuvre, tu étais parvenu à un résultat convaincant. J'ai tout fait échouer. Tu dirais sans doute que c'était pour te nuire, mais je ne peux l'accepter. Je ne peux accepter l'idée d'avoir fait quoi que ce soit pour te nuire. C'est par amour que je suis devenue cette femme-là, que j'ai élevé tes enfants comme tu l'entendais, que je tâchais de tenir une maison ordonnée. Mais c'était oublier mon propre poids, la passivité de ma matière, de mon corps, de mon être, cette force de gravitation qui entraîne tout vers le bas. C'était oublier qui j'étais, d'où je venais, quelle petite fille j'avais été, pesante déjà pour les autres et pour moi-même, obstacle déjà à la carrière de ma mère et à son repos. Epine dans son pied, j'avais enrayé son mécanisme à être heureuse.
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Thomas aime les arguties rhétoriques, ça intéresse Alice que le débat militant a déformée, l’important, c’est la parole, non ? La plaidoirie, la démonstration, la dialectique. Les sophistes pouvaient prouver n’importe quoi, n’est-ce pas ? Mais eux, ils sont mieux que des sophistes, ils utilisent la sophistique au nom de la vérité. « N’est-ce pas cela, le métier d’avocat ? » s’amuse Thomas.
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Que ferait Socrate au détour des rues de Paris aujourd'hui ? Interrogeant des jeunes gens, les yeux rivés à leur smartphone ou à leur tablette, qui suivent le parcours que leur GPS leur indique sans plus lever les yeux sur le paysage, qui regardent des vidéos ou des films plutôt que ce qui les entoure, ou encore correspondent avec leurs pouces et une nouvelle syntaxe ? Que pourrait-il leur apprendre qu'ils ne sachent déjà, abonnés à des systèmes d'alerte les prévenant à toute heure des derniers drames survenus sur la planète comme des jours "privilèges" où ils pourront acheter des baskets à moitié prix ? Qu'annoncerait-il à ceux qui, assis au café, regardent les chaînes d'information continue à raison de deux minutes par sujet ? Que nous dirait-il alors que nous sommes connectés au monde, dans une sensation de connaissance panoptique ? Oserait-il opposer l'information au savoir ? Nous avertirait-il que la bonne vieille caverne de nos prédécesseurs est toujours là, mais éclairée et lumineuse, tapissée d'écrans plasma, et qu'il est sans doute plus difficile d'en sortir que de celle de son temps ?
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Savoir qu'il y aura toujours un livre quelque part, que l'on n'a pas lu, est une raison de ne pas désespérer tout à fait.
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La mémoire, ce sont les livres qui l'ont. Il (mon père) collectionnait les éditions anciennes ou originales pour y sentir la présence des premiers lecteurs, des premières émotions, des premières lectures - peut-être même le toucher de l'auteur. Il me suffit d'y voir la marque de papa, de sentir sous la caresse du papier ce qu'il avait pu éprouver, en son temps.
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Vous faîtes donc partie des perles qu'on enfile, dans les dîners en ville, une anecdote en chasse l'autre, vous logez au panthéon du potin, et on vous le fait savoir comme s'il s'agissait d'un trophée.
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Je n'ai jamais pensé pouvoir lui reprocher quoi que ce soit. Aimer, paraît-il, c'est aussi accepter les faiblesses de l'autre. Je ne me suis jamais octroyé le droit de reconnaître des faiblesses à mon père.
Sa seule faute en vérité est de n'être plus là.
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A force, elle s'habituera, certaines cohabitations finissent par entraîner des sentiments d'attachement.
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Nous ne nous mélangeions pas avec la réalité il avait recrée cette bulle idéale,
dans laquelle ma mère, se lovait sauvage et farouche, jalouse de son privilège et de ses renoncements.
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"Tu ne peux pas dire bonjour au père de tes enfants, Charlotte ?"
C'est comme ça qu'il m'appelle, désormais. Retournant contre moi une confidence que je lui avais faite du temps de l'entente cordiale, quand les amants se racontent leurs petites et grandes humiliations qui les ont construits, et qu'ils n'imaginent pas encore la bombe à retardement qu'ils fabriquent dans cet instant de complicité merveilleuse.
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Il me suffisait de le savoir là, dans la cave. Deux fois pourtant, au milieu de la nuit, je me suis levée, et pieds nus je suis descendue pour le caresser, le prendre contre moi, le réchauffer peut-être, mais devant le congélateur, je me suis arrêtée, tremblante soudain, affolée, j'étais incapable d'en ouvrir la porte, et d'aller le chercher au fond, sous les piles de quiches, de légumes et de steaks hâchés.
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Il paraît que je dois écrire.
On attend une vérité, ma vérité. Mais quelle autre vérité sinon la mienne pourrais-je bien donner, et la mienne a-t-on dit est monstrueuse. Les gens sont-ils capables d'admettre une vérité monstrueuse ? On a décidé, n'est-ce pas, qu'une vérité devait être raisonnable, ou au moins rationnelle. Mais une vérité n'est jamais raisonnable. Il n'y a de vérité qu'atroce, et la mienne est atroce, et je ne m'en plains pas, la vérité d'un monstre n'est pas moins vérité que les autres, n'est-ce pas ?
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La réalité aurait pu me plaire. Mais tant que j'occultais celle de mon père, elle me demeurerait hermétique, voire hostile. Quelle réalité possible lorsqu'on ne connaît pas ses racines, lorsqu'on les nie, lorsqu'on fait tellement bloc avec son père dans le regard des autres et de soi-même qu'on ne peut revenir en deçà d'un lien spolié par les autres ?

Tout de même, cette haine, il est vraiment dommage qu'elle tombe pile sur celui que moi, j'aime.
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Dès que mon père aimait un pays, il voulait en posséder une parcelle.
Dans les Cévennes, il a acheté quelques arpents de terre, inutilisables, une petite colline, des cailloux, quelque part, un acte de propriété. Son nom sur un registre. Perdu ? Il achète un bout de terre comme on achète un bout de lune. Un lieu de pierres, dont même les chèvres ne voudraient pas.
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