Michel BRAUDEAU :
La non-personneDevant des journaux ouverts à la Bibliothèque Publique d'Information du Centre Beaubourg,
Olivier BARROT présente le livre "La non personne" de
Michel BRAUDEAU paru chez GALLIMARD
Les bâtisseurs ne sont pas tous des excentriques, loin de là, mais dès que leurs dépenses excèdent un certain seuil, le mot de "folie" vient tout de suite à la bouche de leurs détracteurs: ça va coûter une folie- on nommait les maisons de fantaisie au XVIIIe siècle des "folies", comme pour s'en excuser- et l'excentrique est justement celui qui parvient à s'approcher de la folie sans y tomber, à lui faire sa part en lui, à l'embrasser et retirer sa main à temps.
On objectera qu'il y a des excentriques bâtisseurs sans le sou: en témoignent maintes villas modestes et absurdes dans la plupart des stations balnéaires. Et on invoquera inévitablement les mânes du facteur Cheval, humble postier de la Drôme qui, lors de ses tournées, ramassa pendant trente ans des cailloux avec lesquels il éleva peu à peu, de 1879 à 1912, son fameux "Palais idéal", à Hauterives, consacré par les surréalistes, puis par André Malraux, comme un temple de l'art naîf. Ferdinand Cheval a dit lui-même: "On était bien porté à croire que cela résultait d'une imagination malade. L'on riait, l'on me blâmait, l'on me critiquait, mais comme ce genre d'aliénation n'était ni contagieux ni dangereux, on ne crut pas utile d'aller chercher quelque médecin aliéniste et je pus alors me livrer à ma passion en toute liberté, malgré tout, n'écoutant pas les railleries de la foule, car je savais que de tout temps elle tourne en dérision et même persécute les hommes qu'elle ne comprend pas." belle analyse, au passage, de la lucidité intrépide de l'excentrique et du couple qu'il forme avec son entourage. (p. 72-73)
Citation mise en exergue du texte:
"S'il y avait eu un asile de fous dans les faubourgs de Jérusalem, nul doute qu'on n'aurait pas manqué d'y enfermer Jésus-Christ dès le début de sa vie publique. Sa conversation avec Satan au sommet du temple aurait suffi à le condamner et la suite des évènements n'aurait fait que confirmer ce diagnostic" -Havelock Ellis- Impressions et commentaires
D'autant plus troublant, à ce titre, est le cas de Rosa Bonheur (1822-1899), peintre dont la gloire est plus grande aux Etats-Unis qu'en France, et qui eut l'habileté de mener une existence à contre-courant de bien des conventions sans jamais faire scandale. et pourtant, si l'on veut résumer grossièrement les éléments du délit, elle fut:
1) une femme artiste; 2) une peintre qui au lieu de s'attendrir devant des fleurs, des enfants, des humains, prit pour sujet des vaches, des porcs et des lions; 3) qui vécut ouvertement sa vie amoureuse avec des jeunes femmes; 4) qui installa dans le jardin de son château de By, en Seine-et-Marne, une foule de bêtes, dont une lionne en liberté dans le parc et la maison; 5) qui obtint du préfet de police un sauf-conduit spécial pour se travestir en homme... Il y avait là de quoi choquer plus d'un bien-pensant. Au contraire, elle fut honorée, respectée, décorée, comme protégée par son nom magique. (p. 62-63)
Ils devaient être ivres morts, ou bien défoncés avec des amphétamines, complètement surexcités, et ils s’étaient dit tout simplement : « Et si on foutait le feu au vieux pendant qu’il pionce ? » ou quelque chose dans ce genre, une sorte de farce un peu dure, c’est ce qui est toujours réconfortant avec l’homme, jamais moins bas qu’on pourrait le penser, et ouvert à la connerie par une baie immense, vue imprenable.
Les rendez-vous perdus entre un père et un fils sont innombrables. A qui la faute, au fiils qui vient trop tard, au père qui l'attendait plus tôt? A l'adulte qui voulait un petit plus conforme à son idée ou à l'enfant qui cherche en vain par où, par qui trouver sa forme?
Un jour, Jean Cayrol m'avait rassurée : « On ne connaît pas souvent l'histoire que l'on va raconter, mais peu importe. Le livre est déjà là, en toi. L'écriture n'est rien d'autre que de tirer sur ce fil caché. »
Quand une personne disparaît, Maria Sabina, on s'aperçoit qu'il y a plusieurs cercles autour de son existence. Le premier cercle est celui de sa vie, il est achevé. Le deuxième est celui qui entoure les vies de tous les gens qui se souviennent de la personne. Le troisième est fait de tous ceux qui en ont entendu parler, sans la connaître. Et il y a enfin le cercle mystérieux qui tient à une sorte de fantôme resté au milieu des choses et de tous ces cercles qui s'éloignent du mort en ondulations concentriques à la surface liquide du temps (...) (p.p.125)
TABUCCHI
Tabucchi, lui-même auteur de romans brefs, mais sans doute nostalgique des vastes fresques de Tolstoï ou de Balzac, me répondit : " L’époque a changé, le roman aussi. Nous ne sommes plus à l’heure des grands brasiers d’autrefois. Nous vivons au temps des allumettes. "
Jim HARRISON
Et toujours au registre du mariage, Jim Harrison, qui ne doit pas être un saint tous les jours de l’année, semble marquer beaucoup de reconnaissance à son épouse, parce que, dit-il, " écrire est déjà à la limite de l’adultère."
Michel TOURNIER
A propos de la création littéraire, Tournier cite volontiers Jean-Sébastien Bach affirmant : " Quiconque aurait la même patience et la même application que moi composerait aussi bien ", et ajoute que le génie ne consiste peut-être qu’en cette faculté de patience et d’application.
" Au fond, un intellectuel qui ne se marie pas reste une espèce d’adolescent éternel avec la disponibilité que cela suppose. La solitude est la même pour chacun de nous, mais la forme de solitude du célibataire, à condition qu’il sache bien son métier de célibataire, qu’il soit toujours ouvert à l’arrivée de quelqu’un, qu’il regarde les autres, c’est une solitude très riche et très chaleureuse. Le célibataire idéal, c’est André Gide, sa prodigieuse ouverture, sa gourmandise, son intérêt pour tout, voilà le modèle. "
Dans le vent Paraclet, l’essai autobiographique qu’il publia en 1977, Michel Tournier se décrit comme un pervers polymorphe, un touche-à-tout qui s’est aventuré presque partout et s’est toujours arrêté en chemin. " Nécrophile impuissant, hétérosexuel sans lendemain, pédéraste raté, zoophile réticent, fétichiste indigent, coprophage pignocheur, pédophile sans patience… ." Il est difficile d’être indiscret après une liste aussi exhaustive et sans appel. " Je vis la sexualité sur le mode de l’échec. De telle sorte que les débris de ma sexualité me permettent de reconstituer tout un monde, moyennant quoi je suis romancier. L’imaginaire pullule sur les ruines du réel… Un fiasco serait très grave, mais des fiascos tous azimuts, ça devient royal : cela me permet de voir la sexualité des autres de manière froide et objective, et de mieux écrire aussi. Ce n’est pas la première fois qu’un romancier construit une fiction sur l’échec de la réalité. Balzac a tenté de faire fortune en se lançant dans des combinaisons ahurissantes, dont aucune n’a marché, mais qui réussissent dans ses romans. Stendhal aurait voulu être un séducteur irrésistible, mince, pâle, aux cheveux sombres, alors qu’il était chauve, transpirant et qu’il avait un dentier. "
Kurt VONNEGUT Jr
Kurt Vonnegut Jr : " Je crois qu’un écrivain est un homme qui gagne sa vie avec sa maladie mentale. J’ignore quelle est ma maladie, mais tous mes amis psychiatres m’ont dit que, si j’arrêtais d’écrire, je serais sans doute déprimé. "
Alfredo BRYCE-ECHENIQUE
Alfredo Bryce-Echenique : " J’avais vu dans la bibliothèque de mon grand-père avant sa mort les livres à tranche jaune, bien alignés, d’un auteur français, dont je n’avais pas retenu le nom, juste l’initiale, M. Je voulais lire cet auteur que mon grand-père avait aimé et j’en ai parlé à ma professeur de français en lui donnant le M. Elle a essayé plusieurs noms et j’ai dit : oui, ce doit être lui, Montherlant. Donc, je me retrouve à Paris après un long voyage en cargo, à faire ma thèse sur le théâtre de Montherlant, en 1968, avec Gaëtan Picon, qui détestait cet auteur. Tout le monde m’engueulait, ce n’était pas une bonne période pour aimer Montherlant : grand styliste, certes, mais réactionnaire, misogyne, etc. Au bout de dix ans, je termine ma thèse et un jour en me promenant sur les quais, je vois dans les boîtes d’un bouquiniste la collection des livres de mon grand-père. C’était Maeterlinck. "
J'ai d'autres souvenirs d'avion qui ne la concernent pas;De tout temps prendre l'avion a constitué pour moi une procédure complexe et pourtant très simple d'exécution,les mouvements, les étapes s'enchaînant facilement, passivement, commencée dès le réveil précédant le départ et poursuivie dans le taxi, assimilé à une sorte d'ambulance maquillée, banalisée, jusqu'à l'enregistrement des bagages, l'achat des cigarettes et de l'alcool ans une légère excitation, une euphorie secrète mais persistante.
Au fond, ça sert à ça, les gosses, à vous ramener sur terre...