Citations de Michel Torrekens (72)
J’ai vu beaucoup de personnes mourir, et pas mal, plus jeunes que moi. Longtemps, j’ai trouvé cela injuste, un scandale injustifiable. Passé un certain âge, on a accumulé un sacré lot de morts derrière soi. On finirait presque par s’y habituer. Aujourd’hui, je ne supporterais plus le décès d’un plus jeune. J’aurais l’impression de recevoir une gifle. Plus le temps de faire un deuil. Incapable de renouer avec une raison de vivre.
Mes reportages sur le terrain m'en apprenaient autant sur la nature des hommes qu'un cursus de plusieurs années en en psychologie.
Le français servait de langue véhiculaire, non pas suite à ses origines latines, mais parce que nos amis flamands étaient meilleurs bilingues que nous.
Dix fois, onze fois, je devrai lui rappeler que je suis son fils, "je zon", ce fils qu'il a nié, renié, oublié. oublié toute sa vie et oublié définitivement depuis que la maladie a irradié son cerveau.
L'enfance est le creuset de fidélités indéfectibles.
Fuir les humains, ne m'empêche pas de les aimer.
Parfois, on traîne tellement à dire une vérité qu'on finit par la taire. C'est ce qui nous est arrivé.
Le visible et l'invisible appartenaient à cet homme, capable de transformer la banalité en rêve, de m'ouvrir à des émotions insoupçonnées.
Je n'ai plus envie de sortir de cette chambre, de frayer avec des inconnus. Surtout je n'ai plus envie de me forcer, d'aller à l'encontre de mes envies. Je m'y suis trop contraint dans mes années antérieures. Sortir de cette chambre me procure plus de frustrations que de satisfactions. p.95
Une vie sans douleur relève de la fiction. L'humanité se résigne à la haine qui la traverse et aux guerres qu'elle génère.
Serait-ce cela vivre, grandir ? Infliger des défaites à l'autre sans vraiment les avoir souhaitées ?
Pourtant, je ne me suis jamais senti l'égal de mon père que sur cette surface de terre battue, orangée, où il voit en moi un adversaire digne de lui. Là où la brique pilée n'a pas été trop remuée, apparaissent nos traces de pas. mes empreintes ressemblent de plus en plus aux siennes.
Tous ces points blancs et noirs formaient une nuit étoilée où se dessinait une constellation à laquelle il se sentait lié, à laquelle il allait consacrer désormais sa vie.
Je prends conscience pour la première fois qu'un de mes enfants va vivre quelque chose d'important et que je pourrais ne plus être là. Etre là, tout simplement.
J'ai toujours joué contre lui pour être avec lui. Peut-être que ceci s'achève.
Mon corps se comporte d'une étrange façon. C'est mon complice, celui à qui j'accorde l'essentiel de mon attention et un boulet dont je dois surveiller les moindres comportements. Mon meilleur ami et mon pire ennemi. Il me porte et je le supporte.
Je sortais d'une journée harassante de dédicaces à la Foire du livre de Bruxelles, car ce rituel nous oblige, soit à égrener des heures durant quelques lignes d'hommage à une majorité d'inconnus, soit à prendre une contenance dans l'ennui car vous êtes tout aussi inconnu aux yeux de ces inconnus.
Amour toujours, eh oui, il était un indécrottable romantique. Il souriait intérieurement : l'amour n'a pas d'âge et il rajeunit ses adeptes. Á cinq, dix, quinze, vingt, vingt-cinq ou soixante ans, tomber amoureux plonge dans un état originel, une aube des temps, une nouvelle naissance, une jouvence. Pourquoi tomber d'ailleurs alors que l'on s'envole, que l'on est emporté dans une autre dimension et que tout semble possible? Le contraire absolu d'une chute.
Personne, disent les indigènes, ne devrait avoir faim quand les autres ont de quoi manger.
Les raisons de vibrer se raréfient. Non seulement mon entourage me protège de toutes les tensions familiales, évite autant que possible de m'asséner des nouvelles sombres, mais je me barricade moi-même contre les idées noires. Même si les chambres disposent d'une télévision, je fuis littéralement les informations. p. 14