Citations de Michel Torrekens (72)
Relire ces lettres m'apaise et me fatigue tout à la fois. Je n'ai plus de résistance à l'effort, physique bien sûr, mais aussi intellectuel. Après cinq, dix minutes, je dois interrompre mon activité. Reprendre mon souffle. mon corps se comporte d'une étrange façon. C'est mon complice, celui à qui j'accorde l'essentiel de mon attention, et un boulet dont je dois surveiller les moindres comportements. Mon meilleur ami et mon pire ennemi. Il me porte et je le supporte. p. 69
Ne plus exister, se sentir incapable de penser, d'agir. Se vivre comme un bloc crispé par la force puissante de son corps déchiré. La recette pour y résister : une bonne dose de chimie et autant d'amour, le regard de quelqu'un pour vous tenir parmi les gens bien portants, du mieux possible. Sans attendre de miracle. p. 26
Je prends des notes dans un petit carnet, quelques lignes chaque jour. C'est bon aussi pour les doigts, sinon ils ne font vraiment plus rien. Une petite gymnastique scripturaire. J'y consigne les visites que je reçois, quelques petites nouvelles de la famille, ce qu'on veut bien me raconter. Une anecdote par-ci, par-là, rien de bien important. J'avais commencé un journal il y a quelques années. J'ai abandonné très vite. Ce n'était qu'énumération de frustrations, de récriminations, de désabusement. Un vain exutoire. Lorsque j'ai pris conscience que je pourrais disparaître brusquement en laissant derrière moi ce ramassis de déceptions, j'ai décidé de tout brûler : à quoi bon laisser pareil héritage s'il n'aide pas à vivre ? p. 21
Que des parties de mon corps me laissent tomber sans crier gare me plonge dans un cafard terrible, incontrôlable. Seule consolation : mon entourage m’accorde un peu plus d’attention, les visites augmentent, mais je n’en profite guère. Parce que je m’épuise rapidement - la fatigue est devenue permanente, une manière d’être – et parce que la douleur occupe tout l’espace. Je ne sais plus faire le moindre mouvement. J’ai des lancements qui me traversent toute la poitrine. Quand le mal envahit mon corps, je ne veux plus penser à rien d’autre. C’est comme si une muraille se dressait autour de moi, m’enfermant dans ses tenailles, m’enserrant de ses bras noueux et musculeux, m’étouffant de sa hargne haineuse. Je n’ai plus d’autre ennemi, ni aucun allié. p. 25
Tout était écrit depuis longtemps dans le Brueghel l'ancien mais les hommes avaient désappris à lire.
Quand les musées rouvriraient-ils ? Quel sens une peinture ou une sculpture avait-elle s'il n'y avait plus personne pour l'admirer? Les artistes créeraient-ils encore sans possibilité d'exposer leurs réalisations? Façonnaient-ils leurs oeuvres pour eux-mêmes ou pour un public?
Les humains étaient rendus à la vérité de leurs existences, à leur matérialité, à leur fragilité.
La réalité mondiale ressemblait au scénario d'un film catastrophe ou d'une dystopie romanesque. L'épidémie tuait moins que la faim, chaque jour et depuis toujours, songeait Iblis, mais pour la première fois, le monde paniquait.
Un ami m'a un jour dit que le hasard n'était finalement que ce que nous voulions bien en faire.
À défaut de l'amour qui ne se commande pas, ni ne se décrète, elle aura obtenu la vérité, vérité juridique, légale, officielle. Sa vérité.
Même le sexe n'est pas égal. Pour les bourses moins fournies, une maisonnette plus simple destinée à la conciergerie à l'origine ?
Le plus important dans la vie , c'est l'enfance.
Tout passe sauf le passé. J'étais perplexe. Sachant que le futur devient le présent et que le présent glisse dans le passé, cette phrase nous incitait à penser que rien ne se passe, alors que tout, dans ma vie, m'incitait à penser le contraire.
Son père lui parlait souvent de ce roi qu'il avait vu naître et grandir, de ce fils orphelin, de cet enfant triste qui voulait être comme "les garçons d'en face", de ce prince exilé par l'ennemi, de cette époque terrible où l'opprobre subi par son père fut lavé par le fils, de ce roi sans héritier, déshérité par la nature.
Tout à coup, l'avion entame une plongée, aspiré par un trou d'air. Alors que son corps est soumis à cette chute et perd toute sensation de poids, Pauline ironise en son for intérieur de l'inconscience qu'il y a à confier son existence à des engins tellement fragiles, aussi sophistiqués soient-ils. Elle y voit une preuve supplémentaire de l'orgueil des hommes.
La nature dans son immensité lui offre un sentiment infini de liberté et de plénitude, elle communie avec ces espaces, mais ne parvient pas à trouver la paix.
- La minka et l'ayni ?
- L'ayni, l'aide mutuelle, fondée sur la réciprocité, se lance Everto. L'entretien des champs, la moisson, la surveillance des troupeaux, la construction d'une maison ... Chacun se met au service de l'autre dans un esprit de don et de contre-don. La minka, c'est le travail collectif volontaire au profit de la communauté, par exemple la construction d'infrastructures qui serviront à tous : un grenier, un lavoir, une école... Dans un esprit de solidarité, d'égalité et d'équité. personne, disent les indigènes, ne devrait avoir faim quand les autres ont de quoi manger. Dans la pratique, c'est souvent plus compliqué. Mais ces échanges de biens, de main-d'oeuvre, de nourriture, répondent à des problèmes pratiques et consolident les relations. On nous enseigne ces valeurs ancestrales à l'école, mais on les a déjà dans le sang.
Le bonheur existe. Quelques heures, un jour, deux jours, une semaine peut-être, oui, le bonheur existe. Elle le voit, elle l'a sous les yeux, elle le touche du regard. Elle voudrait l'engranger, mais serait-ce encore du bonheur ? Alors, elle aspire, savoure chaque instant qui s'écoule, s'en imprègne, s'en tatoue le souvenir, afin que ce moment de sa vie ait bien eu lieu, puisque nul ne sait ce que demain lui réserve. Ah si l'on pouvait s"'endormir chaque sois sans regret ni remords...
En portant cette robe, elle se rapproche de sa mère, oublie ses vieilles récriminations. Porter un vêtement. Pauline sourit de la formule. Porter un enfant. elle s'amuse de ce pas qu'elle vient de franchir et se trouve bête de ne pas l'avoir accompli auparavant. Elle a déshabillé son souvenir, se l'est approprié en le transformant.
Le père d'Eduardo lui a-t-il manqué ? Pauline pense à sa mère. Est-ce qu'elle lui a manqué ? La vie n'est-elle pas une lutte silencieuse contre tous ces manques qui se creusent en nous, des gouffres plus ou moins profonds ? L'ennemi reste invisible. On se bat contre un fantôme qu'on aimerait saisir à la gorge, à qui on aimerait demander des comptes, mais qui se dérobe constamment. combien de fois Pauline n'a-t-elle pas buté contre ce mur, pour se retrouver dans les cordes, assommées, groggy.