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Critiques de Nicolas Bouvier (319)
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Journal d'Aran et d'autres lieux

De retour d'une balade irlandaise, non pas esseulée dans les brumes du Connemara mais à quelques encablures dans les embruns des îles d'Aran sur les pas de Nicolas Bouvier missionné pour y réaliser un reportage en plein hiver, une destination insolite à cette saison mais une destination qu'il connaît déjà.



C'est peut-être la raison d' un détour au monastère de Clon-Mac-Noise sur les rives du Shannon, un détour qui s'impose comme un passage obligé, une sorte de recueillement nécessaire qui embrasse la grandeur et la force du lieu, un avertissement bienveillant au futur lecteur. Il nous conte alors son histoire en partant sur les traces de Saint Ciaran à l'origine de la fondation de cette abbaye, disciple de Saint Enda ermite sur une des trois îles d'Aran, Inishmore... Une balade érudite qui jette déjà l'esprit du voyage où épure et liberté font bon ménage .



Journal d'Aran dans les années 80 sont des instants d'humanité partagés, des éclats d'émerveillements magiques glanés. L'oeil du voyageur, celui de Nicolas Bouvier, encore plus acéré par la fièvre paratyphoïde qui l'habite et le lessive littéralement, révèle les mystères, les secrets et les réalités de ces îles, morceaux de terres celtes longtemps oubliées.

De moutons en abeilles, de varechs en gentianes, j'ai rempli ma besace d'odeurs, de senteurs, de sons, de visions et de nombreux portraits d'insulaires au destin extraordinaire et découvert des îles battues par les vents, échappées des poches des dieux (ou de Dieu) mais façonnées par la main des Hommes.



Puis par Les Chemins du Halla-San dans les année 70, le voyage nous emmène vers d'autres îles, des îles surgies des fonds marins telles des ponts vers d'autres mondes, d'autres imaginaires: celui qui a plongé son regard dans les yeux des marins sait qu'on y découvre toutes les couleurs de la terre. Alors Nicolas Bouvier, éternel voyageur, conte et continue ses périples et nous confie des fragments de paysages ou d'émotions ouvrant de nouvelles fenêtres en nous emmenant vers d'autres lieux aux charges aussi fortes et puissantes, comme « le livre de pierre » sur une des îles Coréennes qui mène à l'un des monastères bouddhistes des Monts Koya qu'il gravit en compagnie de son aimée puis plus tard comme sortie de son mouchoir lorsqu'il nous révèle l'existence d'une autre île coréenne, Quelpaert dont le point culminant lui ouvre de nouveaux horizons spirituels.



Journal d'Aran et autres lieux, une suite de notes, où se rallument impressions et sensations.

Trois récits de voyage où s'expriment l'authenticité et la sincérité de Nicolas Bouvier, une écriture fleurie, poétique hors des frontières où seuls le coeur et l'esprit ont leurs empreintes.



N'est pas voyageur qui veut semble nous murmurer Nicolas Bouvier, l'émerveillement est l'essence du voyage et une convocation de tous les sens. le voyage immobile ou animé regorge de richesses.

L'oeil du voyageur, capteur d'ombre et de lumière est immense et profond…



Une lecture enivrante qui donne envie de découvrir entre autres les Iles Aran de John Millington Synge et de visionner le film de Robert Flaherty, L'homme d'Aran (1933) dont le tournage a laissé des souvenirs contraires aux habitants, deux oeuvres évoquées par Nicolas Bouvier dans ce vagabondage planétaire teinté de spiritualité.

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L'usage du monde

L’art du voyage : rien à voir avec les migrations tarifées et édulcorées pour visiter des points de vue célèbres ou même leur fac-simile, ou parcourir les mers sur des buildings flottants au rythme d’étapes express. Lorsque Thierry et Nicolas prennent la route, c’est avec rien dans les poches et au volant d’un véhicule minimaliste, tant dans ses dimensions qui lui valent le sobriquet de pot de yaourt, que dans sa conception : aucune électronique, un moteur de base, quatre roues et hop, en route pour l’aventure.



Départ de Suisse, en visant l’Inde. Mais le but du chemin est justement le chemin lui-même, les rencontres qu’il suscite, au fil des étapes improvisées : pas de bons d’échange, tout au plus parfois une recommandation plus ou moins crédible. La météo et l’état des routes commandent le processus.



Le regard est sans jugement, quelles que soient les difficultés rencontrées, hébergement de cauchemar, intoxication alimentaire, déshydratation et même blessures sérieuses, sont décrites comme des aléas, qui ne les feront pas renoncer.





Un tel périple n’est plus envisageable. Le voyageur a évolué, même l’aventure se dote d’équipements technologiques censés assurer la sécurité. Rares seront les villages qui ne seront pas reliés au reste du monde. Et la politique des trente dernières années fait oublier toute idée de sinécure.



C’est ce qui fait la rareté et la richesse de ce récit, d’un autre temps, d’un autre rapport au monde.



Et curieusement, l’arrivée en Afghanistan marque une rupture dans le style serein du narrateur, qui pique un coup de gueule enragé contre…mais je vous laisse le découvrir. C’est suffisamment drôle pour en préserver la surprise.







C’est un récit indispensable, qui nous fait mesurer l évolution de notre monde dans les cinquante dernières années, pour le meilleur et pour le pire.


Lien : https://kittylamouette.blogs..
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L'usage du monde

L'usage du monde, est une sorte de récit de voyage magnifique, écrit par Nicolas Bouvier, teinté de poésie. C'est l'histoire d'un jeune homme bourgeois parti de Suisse en juin 1953, à bord d'une vieille Fiat Topolino vers l'Est, vers la Yougoslavie, la Turquie, l'Iran, le Pakistan, avec son ami, peintre, Thierry Vernet, dont le récit est illustré de ses dessins merveilleux. C'est un voyage qu'il serait impensable de refaire aujourd'hui sur le même itinéraire et dans des conditions identiques.

L'usage du monde, voilà un ouvrage qui m'a donné envie en 1989 de partir, presque dans la même direction, l'Est, mais plutôt l'Inde et le Népal en ce qui me concerne. À défaut d'emprunter une vieille Fiat, je dois avouer que j'avais pris l'avion jusqu'à Delhi. Et ensuite des autocars, des trains et un sac à dos, en passant par le Penjab et le Cachemire puis Bénarès, jusqu'à Katmandou. Et pourtant, c'était bien ce récit, L'usage du monde, qui m'avait donné envie de prendre la tangente pour ne serait-ce que cinq semaines, eux étaient partis pour deux ans... Ce n'était pas pour moi un voyage touristique, c'était juste une manière de partir très loin, là-bas.

Dès le début de son récit, Nicolas Bouvier dit que son voyage se passe de motifs. Au départ, Je n'ai pas bien compris ce propos lorsque je suis parti. On part toujours pour quelque chose, ou à cause de quelqu'un. Mais aujourd'hui, je comprends peut-être mieux l'intention de cette pensée...

Je pense qu'il voulait rencontrer le monde. Ses mots magnifiques, empreints d'une très grande poésie, nous transportent, nous projettent jusqu'au bout du monde.

Ici, dans ce texte, j'ai perçu très rapidement une invitation à nous alléger. S'alléger de nos vies, de notre passé. Peut-être du futur aussi. En effet, le voyage allège. Pas tout de suite il est vrai. Il faut attendre quelques jours, le temps que le voyage fasse son travail de décantation avec les jours et les paysages d'avant...

C'est aussi une invitation à se rencontrer soi-même. Les voyages permettent d'aller à la rencontre de soi-même. Je pense que Nicolas Bouvier a pu se rencontrer, face à lui-même dans ce long voyage.

C'est aussi la rencontre de ce qui est différent de nous. Les voyages nous amènent à ce qui est différent de nos vies. Nicolas Bouvier donne ce ton, offre cette différence.

C'est un texte qui nous concerne. Qui nous interpelle. Il est très accessible. Je pense qu'il est toujours actuel, soixante ans plus tard. C'est une littérature placée dans l'âme des gens. Nous avons l'impression de traverser l'âme du monde mais aussi l'âme d'un écrivain, l'âme de son auteur, Nicolas Bouvier.

Dans ce texte, on y croise les musiques du monde et puis aussi les cuisines, les saveurs. La cuisine, les odeurs sont importantes lorsqu'on voyage, cela permet de faire le lien entre celui qui arrive et celui qui reçoit. Je me rappellerai toujours d'un plat fortement épicé chez des hôtes du Cachemire et leurs regards hilares lorsqu'ils ont vu mon visage se décomposer sous la force des épices. Je me souviens aussi d'un merveilleux thé offert avec un beurre rance de yack, lors de la cérémonie d'un enterrement de vie de garçon, dans une maison de Srinagar. Je me souviens d'avoir dansé avec le père du futur marié.

Dire les choses autrement, une musique entendue, un plat qu'on partage entre convives aux confins de l'Iran avec la neige tout autour, des gestes du quotidien, que l'auteur nous restitue dans leurs fragrances... Il y a des odeurs, des saveurs, des bruits... C'est une exploration des sens. C'est un texte sensoriel, sensuel. Il touche le monde par tous les sens.

Et puis il y a cet instant cocasse qui surprend l'écrivain et le peintre un jour dans leur voyage : des tortues qui se livrent dans leurs amours d'automne, dans le choc entremêlé de leurs carapaces... J'ai alors pensé que les animaux n'étaient pas tous sur le même pied d'égalité, s'agissant de leurs pérégrinations nuptiales...

L'écriture de Nicolas Bouvier nous parle aussi de la condition humaine, l'ineffable, l'impossible à dire. Ce qu'on ne peut pas dire sur le mystère de la condition humaine, alors on avance par petites touches, par impressions, de manière instantanée... Finalement, avance-t-on autrement dans nos vies singulières et parfois tourmentées ?

Le monde nous offre des choses extraordinaires, des moments fabuleux, nous sommes trop petits devant cela. Nous les vivons durant l'immanence de l'instant, mais nous ne savons pas les garder. C'est là que l'écrivain revient plus tard pour tenter de retrouver les mots justes, rattraper ces instants qu'on croyait éphémères.

Un voyage est aussi quelque chose de fragile. Il ne faut jamais l'oublier.

Sé dépouiller pour entendre la polyphonie du monde, être l'écho du monde. Nicolas Bouvier est généreux lorsqu'il nous restitue cette polyphonie du monde, au plus simple et au plus juste. Il traverse des mondes et nous en restitue avec grâce les sons, les murmures, les voix, les musiques...

Il rappelle d'une manière convaincante que les voyages et la lecture peuvent changer nos vies.

Comment restituer des années plus tard des impressions si vives sans passer par l'imaginaire. Il y a le travail de l'écrivain. Il y a le travail de l'ami, Thierry Vernet, peintre. Une perception du monde, picturale, qui va à l'essentiel. Ils vont tous les deux à l'essentiel. Ne jamais s'attacher à l'exotisme.

Ils ont connu des galères, leur voiture en panne, la prison aussi. Je me souviens d'un éboulement dans la montagne à cause de la mousson, sur le route entre le Penjab et le Cachemire, qui faillit à quelques secondes près emporter le bus dans lequel je voyageais vers le ravin en contrebas où les carlingues d'autres autocars gisaient. C'est en voyant une femme se prosterner à genoux et prier dans l'allée du car que j'ai compris le danger qui venait de nous effleurer. Je me souviens avoir été pris en otage avec un couple de bretons durant une journée entière par des sikhs intégristes à Agra, la merveilleuse ville du Taj Mahal, pour une banale histoire de pierres semi-précieuses qu'on refusait de leur acheter... Je me souviens de notre course éperdue dans les rues d'Agra pour fuir leur maison, récupérer nos affaires à l'hôtel, gagner la gare au plus vite et prendre le train pour Bénarès. Je n'ai jamais couru aussi vite depuis.

C'est l'aventure d'un voyage qui dépouille un peu plus.

Percevoir le monde en allant à l'essentiel. Être le plus proche des choses. Il écrit son voyage comme un peintre aussi.

Est-ce le voyage qui fait l'écrivain ? Lorsque la mémoire revient sur les lieux du voyage, longtemps après, il y a les mots qui s'impriment, habités sans doute par l'imaginaire, mais aussi d'une émotion retrouvée lorsqu'on ferme les yeux et qu'on revient quelques instants plus tard sur ses pas...

Epuiser le tremblement du monde. Montrer ce qui compose le monde et montrer aussi le silence, le rythme, les blancs, tout ce qu'on ne peut dire et qu'existe malgré tout.

Plus tard, au retour de mon voyage, il me restait des photos que je contemplais avec nostalgie. Mais que disait-elle ? L'essentiel était peut-être ce que je pouvais en dire, écrire aussi... Laisser une trace avec des mots.

Trouver les mots justes et en même temps laisser le silence avec ce qu'il a à dire.

Nicolas Bouvier a toujours une distance pleine de tendresse sur les pays visités.

Nicolas Bouvier est un passeur. Il a envie de transmettre ce ressenti du voyage. Tendre la main. Nous sommes prêts à la saisir sans hésiter. Passer vers l'autre rive...
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L'usage du monde

Présenté comme un classique de la littérature de voyage, ce livre est surtout un livre d'ouverture sur le monde et un livre de découverte de l'autre et de soi. Mais n'est-ce pas là en fait l'essence du voyage ?

Que celui qui cherche un guide touristique passe son chemin. Ce livre est le témoignage d'un voyage tel qu'il ne pourra plus être refait. C'est l'histoire d'un périple de plus d'un an (entre 1953 et 1954) entre la Serbie et les portes de l'Inde. Un parcours lent où les deux voyageurs, Nicolas Bouvier et son ami peintre Thierry Vernet, vivront de leurs talents (journalisme, exposition de peinture, musique) et avanceront au fil du vent en fonction de leur bonne (ou mauvaise) fortune. Avec une vieille épave qui leur sert de monture, un magnétophone pour enregistrer les chants serbes, tsiganes ou perses, une machine à écrire pour mettre en forme les souvenirs, et quelques pinceaux et toiles, les deux compères vont traverser la Serbie, la Macédoine, la Turquie, l'Iran, l'Azerbahidjan (ils feront escale tout un hiver a Tabriz), l'Afghanistan, pour enfin rejoindre Khyber Pass, aux portes du Pakistan, l'oeil tourné vers l'Inde. Rien qu'à l'énoncé de ces destinations on comprend ce que leur témoignage a d'exceptionnel. Ils sont passé dans ces contrées avant qu'elles ne soient re-déchirées par les guerres, à une époque où la lettre, même dans ces contrées reculées, était encore le plus sûr moyen de communiquer et où la langue française avait encore une certaine aura.

Un livre d'une écriture très stylée (peut-être même presque précieuse), qui n'invite pas totalement au voyage (les galères y sont foison … y compris un pittoresque séjour en prison faute de pouvoir se payer l'hotel), mais qui se lit avec beaucoup de plaisir et avec lenteur. Il lui manque une seule chose (du moins à mon édition): une carte de géographie !
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Chronique japonaise

Pèlerin, je le suis en m'aventurant sur les traces de Bashô, poète itinérant et errant dans les profondeurs de son pays. Avec comme guide Nicolas Bouvier, j'explore l'âme de ce pays, mon cœur en voie d'explosion. Ce n'est pas une simple virée estivale, un voyage d'un mois de mai avec ses espoirs et ses tristesses, ce voyage au Japon, où les fleurs de cerisiers s'ouvrent comme le sourire d'une jolie femme. Avant de tracer ma voie dans les méandres des temples, au-delà du Mont Fuji, je recompose l'histoire de ce pays. Je revois ses religions, son histoire, sa philosophie, et ses traditions. La folle passion qui m'habite, mon corps immergé dans ce pays devient fébrile et fiévreux, comme la première fois que je me mets à nu dans le onsen que l'on aurait dit perdu en pleine campagne, comme la première fois que l'on met un pied dans une nouvelle gare, comme la première fois que l'on croise le sourire d'une rencontre.



Les premiers mouvements du bouddhisme, les premières persécutions chrétiennes, la première bombe atomique, l'histoire avance au fil des pages de Bouvier entre deux citations de Bashô, son maître indéniable, son guide tant spirituel que littéraire. Nicolas me donne des cours d'histoire, de géo-politique, de religion. Il a raison, pour comprendre un pays, un peuple, il faut d'abord s'attaquer à son passé, avant de grimper les sentiers errants de la basse campagne.



Bien entendu, le voyage date un peu. 1965, c'est pas loin d'être une éternité à la vitesse où avance le monde actuel. Les grandes villes ont énormément subi de grandes mutations inhumaines. Cependant, certains coins ruraux n'ont guère changé en un demi-siècle. Nicolas pourrait encore faire avec force et foi mon guide pour parcourir les chemins détournés de ce pays où le soleil se lève toujours plus à l'est. Nicolas Bouvier pourrait même s'affirmer "je suis un écrivain japonais" que cela ne serait pas une usurpation d'identité tant il est imprégné de ce pays, tant il me fait partager son amour de ce pays. Il y a bien longtemps, je me souviens d'avoir traversé les Balkans dans sa Fiat, là c'est vers un autre peuple qu'il m'emmène. Traversant le pays du sud au nord, de la moiteur des temples à la neige des solitudes, j'erre l'âme silencieuse à la recherche du regard d'une geisha qui m'offrira certainement la beauté de son âme et de son pays dans le rouge à lèvre de son sourire.
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Le poisson-scorpion

Le poisson-scorpion de Nicolas Bouvier est plus un carnet de voyages qu'un roman. L'auteur, qui était un infatigable globe-trotter nous fait partager une étape de ses pérégrinations : autrefois Ceylan, aujourd’hui le Sri Lanka. Mais, la découverte qu'il nous propose est très intérieure, un bout de chemin en compagnie de ses digressions mentales, qui prennent pour décor l’île, ses habitants humains ou non, visiteurs d'un soir, partageant son quotidien, insectes insignifiants ou résidents permanents de sa chambre, mannes rôdant autour de la folie qui semble attendre que la fatigue, la maladie et la solitude le conduisent irrémédiablement vers elle... J'ai aimé l'âme de ce livre, le style et la belle langue française qui s'étale sur ces pages. Je prends d'autant plus de plaisir de lecteur, que l'auteur enrichit mon vocabulaire de mots rares ou inusités. Mission accomplie : j'ai sorti mon dictionnaire.
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L'usage du monde

"L'usage du monde" est l'histoire de deux garçons : Nicolas Bouvier, écrivain et son ami Thierry Vernet, photographe. Parti de Genève, ils ont fait la route en petite Fiat Topolino destination l'Iran, l'Afghanistan. Des précurseurs dans les années cinquante. Un très beau récit. Le monde change mais il existe toujours le fanatisme religieux qui est actuellement sources de débats. Un livre à (re)découvrir. A lire !!!

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Chronique japonaise

Nicolas Bouvier est un écrivain voyageur, - le fut plutôt, car il s'en est allé pour un voyage sans retour, enfin c'est ce qu'on dit, emportant j'espère là-bas avec lui son stylo et son cahier à spirale… Nicolas Bouvier nous a tant appris sur l'usage du monde, une façon de voyager avec curiosité et élégance.

L'usage du monde est un de ces rares récits de voyage qui a su me procurer des ailes. Les ailes servent à partir, mais aussi à revenir…

Chronique japonaise pourrait avoir la même vertu. Ce que j'ai aimé dans ce voyage, c'est le Japon non pas selon les Japonais, mais selon Nicolas Bouvier.

J'ai voyagé dans ses pas, convoquant la complexité d'un archipel pétri d'histoires et de mythes, captant la magie des instants volés, l'aubaine des chemins, dévoilant la musique des détours, restituant les odeurs de l'air, de l'apesanteur aussi, le contour d'un visage, le reflet d'un regard, les mots appris au gré des rencontres et des connivences ici et là…

C'est l'histoire d'un voyage mêlant le récit de ses trois séjours au pays du soleil levant avec quelques épisodes fondateurs de son histoire. Pourtant ce n'est pas un livre historique et le récit de voyage ne serait rien sans cette passerelle jetée vers l'âme fondatrice de l'archipel. Nicolas Bouvier est un passeur, un voyageur étonné, un écrivain étonnant par sa manière de nous restituer le vertige de ses pas, son errance, son émotion…

L'histoire du Japon nous parle d'un pays qui fut longtemps une terre d'accès difficile. Sans doute faut-il y voir un trait commun à beaucoup d'îles lointaines et de ses habitants. L'histoire du Japon est faite d'ombres et de lumières, de douceur et de violence. Les persécutions, les guerres, la spiritualité, l'odeurs des fleurs de cerisiers, ont façonné l'âme du Japon et c'est ce qui fascine Nicolas Bouvier dans son périple.

Chronique japonaise regroupe plusieurs textes écrits entre 1955 et 1970. Cela fait un bail, me direz-vous, le Japon a dû changer depuis ce temps-là. Sans doute oui, mais le Japon de Nicolas Bouvier restera éternel puisque c'est le sien…

J'ai aimé sa manière de voyager vers nous, lecteurs, dans ce livre totalement bancal, imparfait, mais si riche et si attachant. Parlant des autres dont il nous raconte un peu leur histoire, il nous rend ses personnages quotidiens si familiers. Ce sont des scènes de rues, des scènes de vie, quotidiennes et inoubliables. Aller boire du saké chez deux Coréennes, la mère et la fille… Nous parler d'un petit temple bouddhiste à la campagne où le bonze sommeille sur sa bouteille de bière. Voir un spectacle de no dans une école. « Visages de femmes pleins d'espièglerie, de rides et de sérénité ». Nous dire que le no est plus lent que tout ce que le mot lenteur suggère à l'Occidental… Que dirait-il aujourd'hui, Nicolas Bouvier de cette lenteur dont nous avons tant besoin ?

Le no, ce sont aussi des masques, c'est une manière de frapper le tambour, c'est le trait fin qui dessine la frontière entre deux mondes. Peut-être que l'oeuvre de Nicolas Bouvier se résume à cette grâce en apesanteur ?

Tout comme j'aime tant la littérature japonaise pour ses rivages, pour cela aussi.

Sans peut-être l'imaginer un seul instant, sait-t-il qu'alors déjà il nous parle de lui-même ? Et c'est ce qui le rend si attachant dans ce récit humble et riche.

De temps en temps, tel un petit Poucet rêveur, Nicolas Bouvier égrène sur son chemin des haïkus du moine-poète Basho.



« de temps en temps

Les nuages nous reposent

De tant regarder la lune. »



Ou bien encore :



« Mes larmes grésillent

En éteignant

Les braises. »



Loin des clichés et des représentations que nous pouvons nous faire de cette terre japonaise, Nicolas Bouvier nous en livre son âme dans le saisissement de ses contrastes et de ses contradictions. C'est un tableau impressionniste plongé dans une modernité déjà fulgurante.

Nicolas Bouvier nous entraîne du nord au sud, d'est en ouest. Kyoto, Hokkaïdo, Kagoshima, Oshiamambe, Tokyo…

Et puis il y a ce village voisin d'un volcan où j'ai apprécié à mon tour de me glisser dans les sources chaudes qu'on appelle onsen…

Nicolas Bouvier traverse des lieux, traverse les pages, nous traverse à son tour, laissant du sel de la mer de Chine ou du Pacifique sur nos paupières.

Au milieu du récit, Nicolas Bouvier nous livre cette phrase sidérante par son intemporalité :

« Si l'on ne peut plus guère progresser aujourd'hui dans l'art de se détruire, il y a encore du chemin à faire dans l'art de se comprendre. »

Comme tout récit de voyage, celui-ci est inachevé puisqu'il comporte en lui cette part béante de tous les séjours que n'aura pas fait l'auteur par la suite…

Sait-t-il à ce moment-là qu'un jour il mourra, nous laissant désormais orphelins de nos ailes ?



« La mission de l'homme

sur la terre est

de se souvenir »

Henry Miller

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L'usage du monde

En 1953, à la fin du mois de juillet, Nicolas Bouvier quitte Genève au volant de sa vieille Fiat Topolino. Il se dirige vers Belgrade où il doit rejoindre son ami Thierry Vernet. Les deux hommes prendront ensuite la route vers la Turquie, l'Iran, l'Afghanistan… « Nous avions deux ans devant nous et de l'argent pour quatre mois. le programme était vague, mais dans de pareilles affaires, l'essentiel est de partir. » Ce départ n'a pas besoin d'être justifié ou d'avoir une destination précise, le voyage comme expérience se suffit à lui-même.



Il connaitront au cours de ce périple des instants de grâces et des moments de profond désespoir. Ils endureront les climats les plus extrêmes, le rude hiver d'une région montagneuse ou la chaleur écrasante d'un désert rocheux. Ils feront les rencontres les plus diverses, croisant des personnages extraordinaires ou providentiels. La violence existe dans ces contrées reculées et il est souvent nécessaire de suivre son instinct pour éviter autant que possible le danger. Autres périls : les maladies. Ils devront faire face à la malaria, à la jaunisse ou aux fièvres de diverses natures. Ils rencontrent aussi des problèmes d'argent, ils doivent trouver sur place de nouvelles ressources pour continuer à voyager, et des problèmes mécaniques. Dans les cotes abruptes, ce sont les deux amis qui poussent la Fiat et ils traverseront le désert d'Iran à faible allure, bloqués sur la deuxième vitesse.



Nicolas Bouvier ne rédige pas un compte-rendu exhaustif de son voyage. Son récit comprend de nombreuses ellipses et semble n'être composé que de bribes. Il parvient pourtant à reconstituer ces univers en relevant des sons, des musiques, des langages, en saisissant les couleurs dominantes et les nuances de luminosité. le récit est fait de portraits saisissants, d'anecdotes parfois drôles, souvent terribles et de quelques maximes pleines de sagesse.



Pour finir, je reprends les dernières lignes du texte « Mais rien de cette nature n'est définitivement acquis. Comme une eau, le monde vous traverse et pour un temps vous prête ses couleurs. Puis se retire, et vous replace devant ce vide qu'on porte en soi, devant cette espèce d'insuffisance centrale de l'âme qu'il faut bien apprendre à côtoyer, à combattre, et qui, paradoxalement, est peut-être notre moteur le plus sûr.»



Au cours du voyage, le jugement et la compréhension s'effacent pour laisser la place à l'ouverture, la curiosité et l'intuition. C'est ce qu'il entend lorsqu'il écrit que « le voyage permet de sortir de soi, c'est une purge de l'âme. » Il s'agit d'être présent et ouvert au monde, sans préjugé.
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L'usage du monde

Avec" L'usage du monde" de Nicolas Bouvier, exit les panses flottants dans les piscines, exit les transats solitaires aux serviettes abandonnées, exit la nourriture qui se carapate des assiettes pleine de promesses d'indigestion.

Heureux Bouvier qui n'a pas connu les voyages de masse de notre époque.

Sorti en 1953 de sa Suisse natale, l'écrivain- voyageur est parti avec deux avantages précieux: du temps "deux ans devant nous" et un compagnon de voyage, le dessinateur Thierry Vernet. Dans ces conditions, voyager constitue une aventure merveilleuse où l'homme s'extirpe de son conformisme. Et quand arrive la vingtaine, les ailes vous poussent vers l'ailleurs.

Le périple commence en Serbie. Le duo traverse la Yougoslavie, la Turquie, l'Iran, le Pakistan et l'Afghanistan à bord de leur Fiat Topolino qui s'essouffle très souvent, un vers du poète persan Hafiz sur la portière.

Des tziganes musiciens, des kurdes, des Lazaristes ou des Français désœuvrés, des mollahs, ou des kilinars afghans vont traverser la vie des deux jeunes nomades avides de découvertes. Adieu l'embourgeoisement.

Il faut se délester des scories de notre monde occidental pour absorber odeurs, musiques, attitudes des diverses communautés qui sont le sel de l'Asie centrale.



Avec délectation, j'ai découvert un écrivain-voyageur à la plume poétique où le sens de l'observation s'aiguise au fur et à mesure du voyage, un "œil qui écrit" dira François Laut



Moins philosophe que Tesson, moins téméraire que Horn, Bouvier m'a entrainée dans les fameuses tchaîkhanes où le thé vous attend. J'ai pesté contre la Fiat la rage aux dents dans les cols enneigés ou dans le sable liquide de la dune de Shurgar. Mon corps empestait dans les décombres de la décharge pakistanaise où le tapuscrit fut jeté par ignorance. Et les mouches, une torture!

La route de Bouvier est un monde de vicissitudes, d'inattendus. Mais aussi un monde de plénitude "Cette fois, le monde a changé d'échelle...".

Et d'introduire dans son récit l'histoire des contrées traversées.

J'ai partagé avec enthousiasme les tribulations et les sensations de l'auteur. Mais en 2022 existe-t-il encore des endroits où l'évasion et l'émerveillement soient possibles?

L'uniformisation guette notre planète certes mais je ne suis pas pessimiste.

Je sais pourtant une chose: les lectures comme les voyages transforment l'homme.

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L'usage du monde

Classique de la littérature de voyage, le récit de Nicolas Bouvier nous projette dans un monde aujourd’hui disparu, où peu d’occidentaux s’aventuraient. Parti de Genève à l’été 1953, accompagné de son ami Thierry Vernet, peintre et dessinateur, le jeune homme de 24 ans, traverse les Balkans, la Turquie, l’Iran et l’Afghanistan à bord d’une Fiat Topolino, dans des conditions parfois extrêmes. Ce voyage sur des routes le plus souvent rudimentaires est ponctué d’étapes plus ou moins longues pour permettre au duo de gagner leur vie grâce à leurs talents artistiques. Ainsi, ils passent l’hiver dans la ville de Tabriz, coupée du monde par la neige et le froid pendant 6 mois, et sont amenés à partager la vie rude d’un peuple pratiquant un islam modéré et accueillant. Après la traversée éprouvante du désert Baloutch, les deux voyageurs s’arrêtent à Quetta pour reprendre des forces. Leur voyage s’achève à Kaboul, centre du monde de par sa position géographique, au carrefour des grandes cultures de l’Inde, de l’Iran et de la Chine. Le récit de Nicolas Bouvier est ponctué d’anecdotes, de rencontres multiples et savoureuses, agrémenté de références historiques et culturelles. Sa curiosité, son don de l’observation et son ouverture d’esprit nous ouvrent des espaces de beauté et de réflexion. La richesse de ses descriptions et la précision des mots utilisés nous restituent de façon vivante et imagée la vie quotidienne et l’environnement des personnes rencontrées ainsi que la grandeur sauvage des paysages traversés, nous invitant ainsi à partager toutes les émotions vécues par ce pèlerin des temps modernes.
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Le dehors et le dedans : Poèmes

Portant à travers le monde un regard toujours curieux et bienveillant, Nicolas Bouvier écrivit de merveilleux récits de voyage dont certaines pages étaient, sans vraiment le dire, de la poésie. "L'usage du monde", "Le Vide et le Plein" ou bien encore "Le poisson-scorpion" sont parmi ses récits les plus lus. Ce que l'on sait moins, c'est qu'il publia aussi "Le dehors et le dedans", unique livre de poésie en tant que tel qui s'articule en deux parties et regroupe des poèmes écrits entre 1953 et 1997.



Simple est cette poésie, comme simple est la vie des gens qui le touchent, qu'ils soient de Ceylan ou de Kyoto. "Le Dehors" est un partage, quelques souvenirs de voyage qui nous font pénétrer dans une échoppe à Lahore ou partir pour le cap Kyoga. Nous y croisons un menuisier arménien, un paysan japonais, des hommes dont Nicolas Bouvier souligne la noblesse.

Et puis il y a les poèmes du "Dedans", plus intérieurs, comme s'ils concentraient toutes les images, les impressions et les rencontres du passé. Ces poèmes magnifiques sont d'une gravité qui émeut. Ce sont ceux de la vieillesse à Genève. "Dans le corps le bruit du temps qui passe et qui délite..."

Il n'est alors plus question de voyages ou peut-être seulement du dernier voyage. Ainsi "Morte saison", écrit le 25 octobre 1997:



"Désormais c'est dans un autre ailleurs

qui ne dit pas son nom

dans d'autres souffles et d'autres plaines

qu'il te faudra

plus léger que boule de chardon

disparaître en silence

en retrouvant le vent des routes"



Six mois plus tard, le 17 février 1998, le vent emportait cet étonnant et infatigable voyageur, nous laissant à nous, lecteurs-rêveurs, l'intensité de son regard et la clarté de ses poèmes.



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Le poisson-scorpion

On voyage pour comprendre, pour se décentrer, pour se confronter, expérimenter... Parfois, on s'arrête quelque part. Le voyage devient immobile. Il y a plusieurs raisons pour s'arrêter en chemin. C'est un site particulier, c'est l'ambiance recherchée, on attend un transport, on a fait une rencontre, on est fatigué… Ou alors on ne sait pas vraiment pourquoi, mais toujours est-il qu'on s'arrête ! Plusieurs jours dans un lieu pas vraiment exceptionnel mais on sent qu'on doit s'arrêter. Comme pour Nicolas Bouvier, tout peut arriver… ou rien. Cela devient alors un voyage intérieur, une quête existentielle. Et c'est justement ce moment et cet endroit qui va nous marquer quasiment à vie alors qu'on se souviendra à peine d'un site du patrimoine mondial de l'Unesco. Et c'est exactement ce que je cherche dans les récits de Bouvier. Ici, c'est Ceylan, mais ça pourrait presque être n'importe où. L'auteur nous décrit de véritables tableaux vivants, sorte d'arrêts sur image. Réalité, hallucinations… ? Qu'importe. Comme dit Pessoa, l'imaginaire peut aussi bien être vécu comme la réalité. Bouvier nous décrit tout un monde personnel, peuplé de différents portraits réels ou imaginaires, jusqu'aux insectes qui infestent sa chambre. Descriptions de la pluie, des rayons de soleil, d'une déambulation dans une rue de Galle ou de Colombo, il s'attarde sur une broutille, un rien. Mais ce rien donne toute son amplitude au voyage. C'est là, à mon sens, le véritable voyage.

J'aimerai voyager plus souvent comme Bouvier !
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Le dehors et le dedans : Poèmes

Nicolas Bouvier est davantage connu pour ses récits de voyage. J'avais adoré L'usage du monde dans lequel celui-ci m'avait touché par son art du voyage, sans doute j'y avais puisé des ailes pour me donner envie de temps en temps de m'envoler.

Le dehors et le dedans : Poèmes est un recueil de poèmes que l'écrivain-voyageur a rédigé entre 1953 et 1977, au hasard de ses folles pérégrinations dans le monde.

La poésie de Nicolas Bouvier est vagabonde, aérienne, musicale. Elle dit l'immensité du monde, son intensité, ses blessures, les rencontres d'un voyageur éperdu, infatigable, qui se perd forcément en chemin...

Chaque mot est une saveur, une note, une ivresse...

Sa poésie est éprise du bruissement de la vie, des élytres d'insectes, un bordel près d'une gare, quelqu'un chante au loin, le grincement des roues d'une charrette sur le sol glacé, un poulet qu'on égorge dans une cour et des rires d'enfant tout autour.

Les rivages sont lointains, les Balkans, l'Azerbaïdjan, l'Afghanistan, l'Inde, Ceylan, le Japon,... Des villes suspendues à ces destinations s'offrent à nous : Solarpur, Lahore, Tabriz, Mahabad, Kyoto...

Chaque lieu traversé fait entendre sa voix, son âme. La clameur des villes, les grimaces des gamins dans une rue, les moulins à prières, les grandes feuilles de bananiers qui protègent du soleil et du vent, trois notes d'un shamisen, le rire d'une prostituée dans la nuit, l'odeur d'une soupe de navets ou de gâteaux parfumés au citron...

La poésie de Nicolas Bouvier n'est pas lisse, elle dit les aspérités du voyage, les incertitudes, les angoisses, la dysenterie, la nuit trop épaisse pour imaginer trouver une fissure et s'y engouffrer.

Et ce sont brusquement des enfants silencieux, qui travaillent ou bien iront dans peu de temps à la guerre, le rire de la prostituée devient un cri lointain aigu sous les coups de la maffia locale, le riz a gelé dans une grange qu'il faudra jeter demain.

Et l'on revient du voyage, peut-être autant démuni qu'avant le départ, mais en ayant cherché un peu le sens, sachant qu'il y a peut-être quelqu'un qui attend au bord du chemin.

Le récit est partagé presque de manière binaire : le dehors, s'attachant aux contrées lointaines et le dedans, celle des sentiers intérieurs ; deux parties séparées, couturées par la citation du poète tchèque Vladimir Holan « Voici le moment où le lac gèle à partir de ses rives et l'homme à partir de son coeur. », une citation à propos qui jette une passerelle entre ses deux parties, les faisant dès lors dialoguer entre elles.

Entre le dehors et le dedans, la frontière est parfois ténue, comme celle d'une fenêtre entre deux paysages, celui du monde, de sa beauté et de ses mystères et l'autre territoire peut-être aussi immense et encore plus impénétrable, celui de nos contrées intérieures.

Entre le dehors et le dedans, parfois il y a une fenêtre qui sépare deux visages.

Voyager au bastingage des mots, comme au-devant d'un rêve qui s'éloigne dans les frimas du matin...

C'est comme une porte qui bat dans le vent, quelqu'un a parfois la bonne idée de poser un pied dans l'entrebâillement, laisser entrer des rires d'enfants, le bruissement des essaims d'abeilles, le regard d'une femme, trois notes de clarinette... C'est peut-être cela, la poésie.

La poésie de Nicolas Bouvier me touche autant que ses récits. Elle ressemble à des photographies, elle est l'instantané des émotions. Elle laisse entendre les tourments du voyageur, de sa vie, la promesse du bonheur...

Pourquoi la poésie peut-elle dire autre chose que le récit d'un voyage ? Ou plutôt, comment ?

En quoi vient-elle faire alliance, dire les choses par d'autres chemins, dire l'indicible, donner sens ? Être une alchimie qui révèle autre chose...

Voir, sentir, toucher, faire l'amour, le corps seul qui se souvient plus tard, a peur, prend des coups au ventre, gémit... L'enveloppe corporelle est peut-être cette seule frontière qui nous relie au reste du monde. Elle est poreuse, incertaine, imaginaire, un territoire idéal pour convoquer la poésie...

La frontière entre le dehors et le dedans est parfois comme un déchirement, une vibration, une forme d'apesanteur, une respiration suspendue devant ce qui est étranger et ramène à l'intime, un écho entre deux mondes.

Il y a ici la fulgurance, les éblouissements que seule peut-être sait dire la poésie.

La poésie est un merveilleux antidote contre la solitude, le confinement et la mort.
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L'usage du monde

Ecrivain voyageur brut et décalé, mais aussi photographe et iconographe, à la fois esthéte et ascète, Nicolas Bouvier livre en 1963 ce récit illustré de voyage réalisé 10 ans plus tôt, à l'âge de 24 ans, en compagnie de Thierry Vernet, à travers l'ex-Yougoslavie, la Turquie, l'Iran, le Pakistan. Suisses bien-nés évadés d'une jeunesse bobo en pré-révolution culturelle, ces deux zigotos affrontent avec une philosophie remarquable de détachement et d'observation curieuse de la prochaine rencontre, les affres d'un voyage à la dure, à bord de leur minuscule Fiat Topolino. Tournant le dos au confort de son milieu, Nicolas Bouvier, aussi loin du tourisme de masse que du voyage exotique des écrivains du Siècle précédent, se frotte aux "vrais gens", aux logeuses, mendiants, saltimbanques, mécanos, militaires et entremetteurs de tous poils qui jalonnent son parcours rude et accidenté. D'embûches en attente, de hasard heureux en coups de blues, les deux compères parviennent à toucher du doigt cette liberté recherchée, paradoxalement au contact des plus pauvres luttant chaque jour pour leur survie, comme si l'état de nécessité et la lutte donnaient son véritable prix aux instants de plénitude durement gagnés. C'est ainsi qu'inspiré par les gitans du kosovo, les poètes de bazar iraniens et les routiers pakistanais, Nicolas Bouvier écrit de si belles pages, existentialistes et contemporaines, parfois lyriques et mystiques, et parfois crues et sauvages comme les sommets pakistanais clôturant l'ouvrage.

Ai-je aimé ? En hédoniste frileux et jaloux de son confort, que questionne cette recherche d'âpreté et de souffrance, pas tout, loin de là. Mais ce fut un joli mouvement de balancier après la lecture exotique et si "coloniale" de Pierre Loti. Et impossible de rester indifférent. Fausse route peut-être que cette aventure qui finit mal, mais une vaie leçon de voyage : "le bon voyageur n'a ni plans établis ni destination". Lao Tseu.

Et NIcolas Bouvier renchérit : « On ne voyage pas pour se garnir d'exotisme et d'anecdotes comme un sapin de Noël, écrira-t-il, mais pour que la route vous plume, vous rince, vous essore, vous rende comme ces serviettes élimées par les lessives qu'on vous tend avec un éclat de savon dans les bordels. »

Lessivé, souvent malade, amaigri et hagard, comme un fumeur d'opium abstinent, confronté mais resté sur la brèche en équilibre précaire, il nous laisse à la fin de son récit un peu groggy, séchés par l'aride confrontation du voyage, mais aussi changés -et n'est ce pas là le but de ce type de lecture, comme du voyage...- dans notre vision du beau, de l'art et son rapport au vivant.

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Le dehors et le dedans : Poèmes

En flânant à la Librairie du Musée Branly- 18 mai 2023





Immense émotion que cette lecture imprévue !



"La poésie c'est quand un mot en rencontre un autre pour la première fois "



Comme un très grand nombre de personnes, j'ai une admiration et enthousiasme sans faille pour Nicolas Bouvier, tant pour son parcours singulier que pour la qualité de ses écrits....



J'avais été particulièrement happée, enchantée, captivée par son ouvrage , "Routes et déroutes".



Toutefois , je ne me souvenais pas de sa passion pour la poésie, même si il n'a publié que ce recueil paru la première fois en 1982, qui fut complété à quatre reprises et avec autant de rééditions....



Poèmes écrits entre 1953 (le départ en voyage avec son ami Thierry Vernet) et 1997 ( quatre mois avant sa mort)



Découverte totale... qui à la fois, m'éblouit et m'interroge... de par le grand nombre de poésies magnifiques mais fort sombres....A la fois flamboyance et noirceur du "voyageur fatigué", dans sa quête existentielle et dans ses observations du monde ainsi que le constat des souffrances des "peuples" rencontrés....des difficultés du quotidien, de la survie, parfois !



"Le Dedans ... le Dehors".... on saisit cette dualité . le Dehors: les poèmes inspirés par tous ses voyages... Et "Le Dedans", les poèmes d'amour ou des textes plus intimistes...plus tournés vers ses propres questionnements, quêtes ou tristesses, mélancolie, et toujours le dur métier de vivre !!...



Très heureuse d'avoir déniché ce recueil que je trouve, à tous égards, bouleversant ....



J'achève ce billet par un des poèmes que je préfère... plus lumineux...Un moment magique de musique qui réunit des inconnus dans un même moment de communion...



"Perdido street



Premiers froids

A l'angle de la 72nd et de Colombus avenue

Il joue du saxophone et bat ses semelles décollées

en suivant le rythme

Cheveux noirs, barbe blanche , sans âge

Le son est aussi beau qu'un velours très ancien

répercuté par la cage de ces maisons

de briques rouges



Les ménagères posent leurs filets pleins de maïs

ou de patates douces et écoutent

L'une se signe, une autre a les larmes qui perlent

Un livreur s'arrête, pose son vélo contre un acacia

et se met, les yeux fermés, à onduler

comme un cobra

J'ai retrouvé l'air qu'il joue : "Perdido street blues"

Le chapeau bosselé et crasseux qu'il a posé

devant lui se remplit de dollars

America ...!



Quand le vent lui chipe un billet, il pose

le pied dessus sans cesser de jouer

Les boutiquiers coréens , vietnamiens, portoricains

sont tous sur leur seuil pour ne rien perdre

de ce miracle

et se mettent à tortiller du cul

Ma jeunesse m'est revenue comme une gifle

Ma tête était devenue une ruche d'abeilles dorées

Suis resté là, longtemps, avec cette musique

qui emportait mon temps perdu

comme billes de bois flotté



New York, 1992 "
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L'usage du monde

Nicolas Bouvier, une invitation aux voyages. Le lire me donne envie de récupérer ma vieille Renault 4 (à défaut de Fiat Topolino) et de partir sans but précis, juste à la rencontre des visages et des paysages. Car en plus de nous conter son expérience, Nicolas Bouvier nous ouvre au Monde, aux autres. Cette pérégrination de sa Suisse natale à Kaboul est une expérience indescriptible. Certes, c’est une toute autre époque de nos jours, et il me parait plus que difficile de refaire un tel parcours, sans avoir l’air d’un « touriste ». Pourtant, je me prends au jeu, je parcours le monde avec lui ; il n’est plus le seul à croiser des autochtones, moi aussi je bois des rakis avec quelques gueules cassées issues des fins fonds des terroirs locaux. Moi aussi je chemine à travers les Balkans, traverse la Turquie, franchit l’Iran, tutoie les sommets afghans et pakistanais… Il y a des livres qui vous transforment, qui vous font prendre conscience du monde qui vous entoure. Il y a des romans qui devraient se trouver sur une table de chevet et qui pourraient être lus maintes fois, sans s’en lasser, et toujours en découvrant une nouvelle facette de l’âme humaine. « L’usage du monde » de Nicolas Bouvier en fait partie. Le seul souci, c’est qu’il me faudrait plus d’une table de chevet tant ce genre de romans me passionnent et semblent si merveilleux, entre poésie et philosophie. Nicolas Bouvier, c’est à la fois découvrir le Monde avec ses valeurs et le comprendre en toute humilité, surtout pour moi, petit occidental que je suis…
Lien : http://leranchsansnom.free.f..
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Chronique japonaise

Livre que j'ai lu il y a maintenant plusieurs années. Outre le récit d'une errance dans ce pays, je retiens, comme toujours chez Bouvier, une envie d'aller à la rencontre de la population, de coller au plus près du quotidien de ces gens, en dehors des sentiers battus. Je me souviens également de sa volonté de voyager quasiment sans argent, provocant ainsi des rencontres plus authentiques et des relations plus spontanées, n'hésitant pas à se retrouver dans des situations extrêmes. (je pense aussi à Cendrars). C'est un parti pris que je trouve vraiment très audacieux, que l'on retrouve également dans « L'usage du monde ». Souvenir également de son chapitre sur Hokkaido, à la rencontre des Aïnous. Région, qui encore de nos jours reste très peu parcourue par les voyageurs. Comme toujours, Bouvier, au-delà d'un récit de voyage, nous offre une véritable leçon de vie et un regard non conventionnel sur le monde.
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Chronique japonaise

Livre très riche et très émouvant. On traverse les siècles et les campagnes japonaises à un rythme très zen, on s’arrête sur les détails au gré des envies.

Je ne suis pas très portée sur les récits de voyage mais celui-ci a quelque chose de remarquable : le respect. L'auteur s'efface souvent au cours de son récit, revient sur les faits historiques qui ont marqué le Japon pour expliquer des comportements ou des traits de caractère des gens qu'il rencontre. On est loin de l'observation ethnologique qui vire au voyeurisme. Des instants de vie nous sont livrés et à nous lecteurs d'en faire ce que nous voulons.

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La guerre à huit ans

En premier lieu, un grand Merci à rabanne… pour sa chronique concernant ce petit volume de textes d'un écrivain-voyageur ( dans mon « Panthéon personnel » , depuis longtemps !) ; chronique à l'enthousiasme communicatif puisqu' aussitôt j'ai passé commande de ce poche aux éditions Zoé [Editions dont j'ai un grand nombre de publications et dont le fonds littéraire est très riche)



Une lecture touchante… qui nous fait pénétrer dans la société suisse, ses rigidités, son histoire et dans un même temps dans les souvenirs d'enfance de notre écrivain…



« Les hasards de la vie m'ont un peu marié aux bibliothèques. Mon père était bibliothécaire et parlait quatre langues, ma mère les parlait avec la même aisance et était sans doute la plus piètre cuisinière à l'ouest de Suez. C'est dire que, dans mon enfance, le coupe-papier l'emportait sur le couteau à pain et que cette constellation familiale a fait de moi un grand bouffeur de livres et un voyageur à l'épreuve de n'importe quelle tambouille. » (p. 63)



Trois textes personnels où Nicolas Bouvier narre son enfance : « Souvenirs, Souvenirs », où il évoque ses étés enchanteurs chez ses grands-parents ; « Thesaurus pauperum ou La guerre à huit ans » : souvenirs toujours près de ses grands-parents, avec une ombre au tableau : une figure détestée et tyrannique : la gouvernante prussienne tyrannique, Bertha…et « Bibliothèques » plus lumineux, où Nicolas Bouvier exprime sa dévoration des livres et du savoir grâce à un père brillant, admiré , bibliothécaire…comme une mère aussi cultivée, parlant plusieurs langues…Une enfance privilégiée dans un milieu intellectuel ; seul bé-mol dans cette société genevoise : une haine du corps, le poids de la religion, et un puritanisme , des règles sociales « corsetées »…



« Elle n'était pas seule dans son cas : dans les grandes demeures huguenotes et wilelminiennes, puritaines et victoriennes de la côte lémanique, ces oies blanches étaient légion à se marier sans savoir comment l'esprit vient aux filles. On s'en tenait résolument à la cigogne. Non seulement l'éros était un tabou absolu, mais une bonne partie de notre physiologie était lestée d'une charge négative, considérée comme une épreuve à supporter vaillamment et parfois comme "salaire du péché" (p. 38)



Lecture attachante ,qui nous éclaire un peu plus sur le parcours ultérieur de notre auteur-voyageur-photographe…Un style dense, parsemé de poésie et de digressions …instructives !



© Soazic Boucard- -@5 juillet 2020



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