Citations de Nina Berberova (316)
152. Il se sentit soulagé, il avait besoin de rester seul, et surtout de ne plus les voir, de ne plus les entendre papoter. Comment avait-il pu les supporter à côté de lui aussi longtemps ? Et pas seulement les supporter, mais les aimer, être tendre et disponible avec eux quand il les méprisait et les détestait pour la honte et la trivialité qu'il représentaient .
26. Sacha sentit soudain qu'il était seul et cette découverte le troubla. Ce n'était pas cette" fière solitude", livresque et sans âme, dont il lui arrivait parfois de rêver. Solitude sans fierté, solitude sans grandeur - il était seul.
Il ne fallait pas la laisser toucher à mon destin ; ce n'était pas à elle de me délivrer un billet d'entrée pour un coin de mon univers, ni d'organiser mon no man's land.
Tout disparaît : le pain, le papier, le savon, le pétrole et l'or. Le monde lui-même va à sa perte, et dans cette disparition générale une lumière bénie qui émane, non plus dune étoile depuis longtemps éteinte, mais d'une brume étoilée et tremblante, brille à nouveau pour moi, si faiblement.
Moi, je sais fort bien que je ne peux pas me prendre éternellement au sérieux. (...)
Seul le renoncement au sentiment de mon importance me donne la possibilité de développer des aspects inattendus de ma personnalité et la liberté de me transformer au cours de cette vie qui passe si vite. J'ai appris à sourire : je suis sortie de la tragédie de ma jeunesse pour entrer dans une maturité qui porte la marque de l'humour.
Je regardais la glace trouble, et il me semblait l'avoir déjà regardée, enfant. Je m'attendais à y voir surgir la Russie entière, cette Russie que j'avais entendue dans le frémissement des tilleuls et qui avait brillé un bref instant dans le nom de Praskovia Dmitrievna, assise derrière moi sur un fauteuil.
S’il y a quelque chose à sauver, ce n’est que mon désespoir.
Imaginez seulement un homme qui meurt de vie.
Le jour où ils s'étaient retrouvés tous les quatre chez Testov : Borodine, Balakirev, Tchaïkovsi et Taneïev [tous compositeurs], il avait entendu les autres parler en professionnels, et pour cause, leur portefeuille dépendait de leur inspiration. Il [Borodine] se sentait parmi eux comme un invité. Mais avec Mendeleïev et Menchoutkhine [chimistes] ce n'était pas différent. Même si ni les uns ni les autres ne s'en doutaient, il le sentait, lui, et cette impression ne pouvait s’effacer.
Je passais rapidement, comme une ombre, sans regarder le public, je prenais place en baissant les yeux, je posais mes mains sur le clavier.
Et à travers cette haine et cette amertume qui, pour la première fois dans ma vie, me vinrent avec cette force, et dans lesquelles je me sentis respirer plus librement que dans ma douceureuse et fluide indifférence envers tout, je pensai soudain à elle-même, à Maria Nikolaevna Travina, qui m'avait embrassée sur les deux joues, qui m'avait regardée avec attention et tendresse. Elle m'apparaissait comme une perfection tellement saugrenue, tellement inconcevable, que je pleurais encore plus fort, en sanglotant, et je courais, je courais le long de la rue, ne sachant pas moi-même pourquoi je courais, (...).
J'ai qualifié mon père d' "outrageur".
Plus tard, je compris que ce n'était pas cela. Il avait dix-neuf ans. Pour lui, ma mère n'était qu'une étape vers la maturité définitive. Il ne soupçonna sans doute même pas qu'à son âge, elle était vierge. Mais elle ? avec combien de passion, et combien de désespoir malgré l'intimité, devait-elle l'aimer pour avoir accepté une liaison avec un homme qui aurait pu être son fils, et pour engendrer une fille de cette liaison- brève et unique dans sa vie. Et que lui restait-il, de tout cela, dans la mémoire et dans le coeur ?
Elle fit une pause.
- Cela ne vous effraie pas qu'aucun obstacle n'entrave notre route ?
Le sang de Sacha se mit à battre la chamade, son sang se glaça dans sa poitrine.
- Non, murmura-t-il, j'ignorais cette absence.
Elle rougit et les mains qu'elle tordait traduisaient son trouble.
Tant pis s'il ne reste rien après la mort, du moment qu'on a parcouru ce chemin merveilleux, du moment qu'on est sorti de cette vie en étant libre.
Elle demeurait dans mes pensées. Sa voix. Et sa façon trop libre, trop assurée de traiter les gens et l'avenir. Et le fait qu'elle possédait cette façon comme un droit indiscutable, imparti d'en haut et pour toujours.
Elle parlait. J'écoutais. Je comprenais que la vie pouvait nous unir pour de longues années, que cette conversation ne se reproduirait pas - cela arrive : plus les gens prennent l'habitude de vivre ensemble, plus sûrement perdent-ils le besoin de parler d'eux-mêmes.
Sur le quai, debout sous le lampadaire, il agita son chapeau tandis qu'elle fixait le noir de la nuit, écartant le rideau. Elle eut envie d'écrire un poème d'amour. Elle se demanda ce qui serait arrive si elle était descendue avec lui, si elle s'était installée avec lui, quelle aurait été leur vie...Puis les pensées affluèrent en désordre, remuant au rythme du train. Soudain, quelque chose lui transperça le cœur : Paris. Son père. Ses sœurs. La femme de son père. Une ville inconnue. Un pays inconnu. La patrie de sa mère où son nom français se retrouverait chez lui.
Sur la table il restait des verres. Doucement, la lumière verte du ciel crépusculaire transformait les visages des personnes assises qui se voilaient d'ombre. On parlait de la guerre, de ses présages.
For 3 years I lived under the same roof with Moura, and I saved the notes I made about her...calender entries and notes of our conversations. Our relations were cordial but not intimate, without emotional overtones.
Dans un État réactionnaire, on dit à l'individu : « Ne fais pas ceci. » et la censure lui ordonne : « N'écris pas cela. » Dans un État totalitaire, on lui dit : « Fais ceci, écris comme cela. » Voilà toute la différence.