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Critiques de Octave Mirbeau (316)
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Le journal d'une femme de chambre

Le livre dévoile les dessous peu reluisants de la profession de domestique avec une acuité intéressante. Nous sentons cependant que c'est un homme qui tente de s'exprimer sous le couvert du personnage principal féminin, parfois au point que la suspension de l'incrédulité a du mal à fonctionner de mon point de vue de femme. Le récit présente aussi une construction un peu artificielle par moment, notamment dans la deuxième partie lorsque Célestine raconte ses expériences passées en attendant le retour de Joseph. Cela reste un très bon livre, sans doute un sacré pavé dans la mare à l'époque de sa sortie. Enfin, tout du long, je me suis demandé si Margaret Atwood pouvait s'en être inspiré pour la Servante Ecarlate.
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Le jardin des supplices

Un des livres les plus étranges et fascinants au tournant du vingtième siècle. Il méritait une relecture. Débutant comme une satire sociale et politique, il verse ensuite dans l'exotisme et l'orientalisme. Cependant, il s'agit pas d'admirer béatement la magnificence des contrées asiatiques. Nous nous rapprochons ici plutôt du "Voyage au coeur des ténèbres" de Joseph Conrad, publié la même année 1899. Clara, la guide anglaise et sulfureuse, trimbale le narrateur éconduit et souhaite se repaître des délices du jardin des supplices où les plus effroyables tortures sont élevées au rang d'art. Les longues descriptions des plantes exubérantes participent à la beauté morbide de l'oeuvre. Aucun détail macabre ne sera épargné au lecteur et certains supplices, comme ceux du rat et de la cloche resteront dans les mémoires littéraires. Tout est affaire de contrastes et d'harmonies entre la nature merveilleuse et les traitements mortifères infligés aux pauvres hères. Mirbeau ne cesse de magnifier et de salir dans un même mouvement décadent, dont la portée symbolique ne peut que nous échapper. Au bout, il n'y aura pas de délivrance, mais simplement un arrière-goût de sang âcre et un cauchemar agréable.
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Le journal d'une femme de chambre

J’aime particulièrement Octave Mirbeau, auteur qui ne m’a jamais déçue. Je pourrais ajouter qu’il a grandi dans mon village, mais il n’aimait guère le Perche, et ce n’est de toute façon qu’un hasard de territoire. On a tendance, par un orgueil d’héritage, à se vanter de nos racines communes avec ceux qui ont gagné une notoriété comme si cela nous donnait une importance alors même que l’on a soi-même rien écrit ou tout comme. Il pourrait être mon arrière-grand-père que je n’aurais pas plus à m’enorgueillir. Quel est notre mérite dans ces héritages ? Aucun. D’autres avant nous ont agi et nous nous contentons de nous vanter de leurs actes assez piètrement, sans tenter de les imiter et parfois même sans les lire. Car, je le jure, j’ai entendu, depuis mon adolescence, des dizaines de personnes s’enthousiasmer qu’Octave Mirbeau ait vécu et étudié chez nous. Seulement, quand je demandais si son œuvre valait quelque chose, ils répondaient généralement qu’ils ne l’avaient pas lu mais que, sans doute, puisqu’il était connu et reconnu. Piètre et curieux héritage, qui revient à dilapider inconséquemment une fortune laborieusement acquise par un ancêtre que l’on refuse de chercher à connaître et duquel on n’assure pas la continuité.

« Le journal d’une femme de chambre » est sans doute l’œuvre la plus connue de Mirbeau. C’est un grand roman, incontestablement. Écrite dans un style superbe, soigné, sublime, typiquement fin de siècle (et cette justification suffit, pour les lecteurs qui, comme moi, reconnaissent à cette période l’apogée du style), cette étude naturaliste et psychologique est très fine.

C’est le journal, comme l’indique le titre, de Célestine, jeune femme de chambre bretonne exilée à Paris pour trouver une place, puis finalement embauchée en province, au Prieuré, chez le couple Lanlaire, après moult emplois et péripéties. Fine et cynique, Celestine brosse les portraits caustiques et drôles de ses maîtres successifs, souvent des bourgeois inconséquents aux apparences propres et morales mais « moches à l’intérieur », hypocrites, sournois, vils et pervertis. Dans son préambule, Mirbeau affirme qu’il s’agit d’un vrai journal d’une femme de chambre qu’il aurait seulement corrigé afin de faire des mots d’une servante de la littérature. N’importe si c’est vrai (c’est probablement faux d’ailleurs), seulement cet avertissement donne du poids à ses propos et les rendent plus crédibles et légitimes. Mirbeau est un fin psychologue qui n’a nul besoin d’expérience pour se figurer une bourgeoise corrompue ou un aristocrate cochon mais il anticipe une critique que l’on pourrait lui faire : celle de ne point être un domestique, de ne pas avoir vu et vécu ce qu’il dépeint. Les gens de peu d’intelligence, ceux qui manquent cruellement de clairvoyance, de cette imagination vraisemblable et quasi scientifique - de celle qui permet de se représenter précisément un tempérament ou un comportement, uniquement par psychologie et sans l’avoir observé - feront toujours le reproche aux visionnaires d’avancer des théories de tête, d’exagérer ou d’inventer.

Célestine, jeune femme franche, audacieuse dans ses mots, décrit impitoyablement ces personnages dont elle se moque sous cape : le bourgeois qui vit au dessus de ses moyens pour paraître riche, le maître avare, l’aristocrate ruiné qui garde la face, l’épouse religieuse qui refuse son mari au lit mais qui s’offre de petits accessoires lubriques, la maîtresse de maison tatillonne jusqu’au ridicule, le maître vicieux, la mère qui met les femmes de chambre dans le lit de son fils pour le retenir à demeure. Tout un monde de gens sans profondeur, qui ne sont qu’apparence. Ce que seul un domestique, à la fois omniprésent et invisible, peut observer dans la plus grande des promiscuités.

Malgré sa prudence, sa clairvoyance, Célestine reste une femme, en ce qu’elle sait aimer. Elle aime d’ailleurs d’une manière aussi pure que prudente, acceptant d’un côté le mépris d’un jeune maître dès qu’il a terminé son affaire mais restant sur la réserve lorsque Joseph, domestique lui aussi, la demande en mariage. Voilà comme elle est : jouissante et pragmatique. Si elle se donne au jeune maître car elle y prend du plaisir, elle réfléchit longuement avant d’accepter une demande qui l’engagera sa vie durant. Elle n’est pas femme à se laisser aller au caprice parce que sa condition ne le lui permet pas. C’est une fille pragmatique, pratique, qui fait la différence entre bagatelles et choses sérieuses.

Certes peu farouche, accueillant avec enthousiasme les plaisirs de corps, Célestine est de loin la plus pure de tous, la moins corrompue. Sans simagrées ni besoin de se montrer autre, elle prend les plaisirs là où elle les rencontre, saisit des opportunités, se désennuie dans des unions qu’elle sait ne pas être de l’amour.

C’est aussi le sort des domestiques qui est savamment dépeint. Invisibles, corvéables, remplaçables au point qu’ils changent de prénoms au gré des lubies de leurs maîtres, sans perspective autre qu’une vie à servir des gens souvent plus bêtes qu’eux que seuls la naissance et l’argent maintiennent à un rang supérieur. D’ailleurs, ce journal satirique, s’il n’est une façon de vengeance, est la preuve irréfutable de sa supériorité sur ses maîtres. Plus clairvoyante qu’eux, plus observatrice et meilleure psychologue qu’eux, Célestine s’élève en les décrivants dans leurs petitesses et en se moquant de leurs ridicules avec un beau recul.

Les domestiques sont des gens bien plus dignes et valeureux sans doute que leurs employeurs, ne serait-ce que parce qu’ils travaillent tandis que les maîtres vivent dans une oisiveté qui les vautrent dans la paresse et l’imbécilité. Alors qu’il sait qu’il va bientôt quitter sa place, Joseph s’évertue à exceller dans ses tâches afin que les patrons le regrettent. Il veut partir avec l’esprit tranquille de celui qui est satisfait de son travail. Voilà là leur dignité : le travail bien fait, malgré des maîtres idiots aux ordres contradictoires et absurdes. C’est cette volonté de bien faire, finalement, qui les élève par contraste avec leurs employeurs, désœuvrés au point d’en devenir si inconséquent qu’ils sont la risée de leurs domestiques.

Célestine n’a pas renoncé à l’amour malgré sa condition de domestique. D’ailleurs, elle tombe peu à peu amoureuse de Joseph, jardinier et chauffeur bourru qu’elle imagine un temps avoir tué et violé une fillette du village retrouvée morte dans le bois. Et c’est là aussi une idée savamment amenée : les femmes, qu’elles soient femmes de chambre ou maîtresses, ne fantasment pas sur des gentils mais sur des hommes un peu brutes, qu’elles se figurent violents et même pire. Amorale, Célestine n’a rien contre le crime. Il lui est même d’une certaine mysticité quand il est bien accompli, avoue-t-elle. L’œuvre fine, résolue et solennelle d’un brigand vaut autant pour elle que l’œuvre de Dieu, à cela près qu’elle trouve même un plaisir sexuel au constat d’un méfait réfléchi et réussi, qui exalte sa chair délicieusement. Le crime lui laisse une certaine admiration que son impudeur, sa grande franchise, lui font admettre sans gêne. Elle trouve des correspondances secrètes entre le meurtre et l’amour, notamment. Étrange pensée d’une femme qui n’a pas été bercée de morale et de convenances : « un beau crime m’empoigne comme un beau mâle ».

Joseph n’est pas beau, du reste, ni très sympathique, et cependant Célestine le remarque assez vite. C’est que, accoutumée à Paris, elle s’ennuie en province, dans cette maison où il ne se passe jamais rien et qui ne compte que trois domestiques. Voilà encore une idée très juste de Mirbeau : une femme qui s’ennuie va chercher l’amour où elle peut, ou du moins un objet de désir, presque par instinct et inconsciemment, comme pour se désennuyer et trouver une raison joyeuse de se lever le matin. Si, en large société, elle trouverait un homme admirable sur lequel jeter son dévolu, elle se contentera de celui qu’elle préfère si elle se trouve dans un espace réduit, seulement entourée de quelques hommes. N’importe si elle ne l’aurait par remarqué parmi dix autres : elle se sent l’aimer parce qu’il n’y a que lui. Elle s’en étonne d’abord évidemment, et puis, à force de penser à leur éventuel amour, il se concrétise, se matérialise en son esprit et devient possible. C’est une idée assez vraie à mon avis. En n’importe quel lieu où une jeune femme célibataire se trouve par obligation (sa promo, son entreprise), elle finit par y repérer un homme aimable qu’elle n’aurait pas élu autrement. Il n’est pas son idéal mais il est le mieux qu’elle ait sous la main. Par ennui et pour se sentir vivre et vibrer un peu, elle se persuade d’une attirance pour lui. Et, à mesure, elle finit par l’aimer comme s’il était le meilleur choix. Ce qui est une façon de faire passer le temps plus agréablement devient presque une question de survie dans un quotidien rude et hostile.

Célestine et Joseph se marient. Elle n’hésite plus, s’étant persuadée, comme je l’ai dit, qu’il était l’homme de sa vie. Ensemble et sur une idée de Joseph, ils achètent un petit café prospère à Cherbourg et y sont heureux. Ni pathos ni désespoir, mais cette idée plutôt que n’importe qui peut sortir de sa condition, grâce peut-être un peu plus au hasard qu’à la volonté pour la femme, et grâce à la ruse pour l’homme. Leur petit commerce marche si bien que, bientôt, ils embauchent à leur tour des domestiques.

Célestine, l’ancienne femme de chambre dédaignée, devient maîtresse, et à son tour se plaint des petites bonnes, qui ne travaillent guère et qui sans doute la volent. Cette réplique, pleine d’ironie et d’autodérision est savoureuse, mais pas superficielle : maîtres et domestiques réagissent selon leur statut, voilà. On aurait pu imaginer qu’elle fut douce et compréhensive, et que, même, elle se comporte en amie avec ses bonnes, ayant été servante auparavant, mais non : Célestine reproduit le comportement de ses anciennes maîtresses. L’argent donne le droit au dédain, au mépris, à de petites cruautés ordinaires. On n’y échappe pas.

Dernier clin d’œil, délicieux aussi : le café a été acheté par Joseph grâce à ses petits larcins répétés. Voilà sa dernière revanche sur les maîtres, qu’il a volés peu à peu, tant et tant, jusqu’à se faire un pécule suffisant pour quitter sa condition et en délivrer aussi Célestine. Joseph, sans doute le domestique considéré comme le plus loyal et et le plus dévoué envers ses employeurs, le plus consciencieux dans son travail, a quadruplé ses gages durant des années en les volant régulièrement. « Joseph n’ignorait pas que les petits larcins quotidiens font les gros comptes annuels ». Et sa maîtresse, naïve, hébétée par sa condition, pleurera et dira, à son départ : « Vous emportez tous nos regrets, Joseph », tandis que Celestine ajoutera, pour elle « les regrets de Madame, et aussi son argenterie ».
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Le journal d'une femme de chambre

Pour l'étape aoûtienne des Classiques c'est fantastique, mon choix s'est porté sur un roman classique français de la fin du XIXème siècle, d'un auteur que je n'avais encore jamais lu, Octave Mirbeau, « Le journal d'une femme de chambre » porté quatre fois à l'écran et joué à multiples reprises au théâtre. Le sujet abordé dans le roman, sous forme de journal, se prête aussi bien au jeu cinématographique que théâtral.



« Le journal d'une femme de chambre » paraît d'abord en feuilleton dans le journal « L'Echo de Paris » pendant six mois (d'octobre 1891 à avril 1892). l'auteur ne peaufinera son feuilleton qu'en 1900 date de parution du roman dans la Revue Blanche, aux connotations dreyfusardes, ce qui explique le choix de la revue car le sujet du roman est très critique envers la bourgeoisie.



Bien entendu Octave Mirbeau s’inscrit dans le mouvement du roman réaliste car son roman n’est pas linéaire au contraire le récit passe du présent au passé régulièrement.







Célestine est une jeune femme, on apprendra rapidement qu’elle vient de Bretagne, de la baie d’Audierne, allant de place en place, qui ne parvient pas à rester longtemps dans la même maison. Très vite on comprend pourquoi : comment résister à l’enfer de la servitude qui broie les êtres et les âmes ?



« Etre au service de » est tout sauf une sinécure car la « bonne » est à la merci des moindres caprices des maîtres de maison. Célestine en a vu des bourgeois et des plus huppés : au fil des souvenirs qu’elle déroule dans son journal, on en arrive au même constat, « Si infâmes que soient les canailles, ils ne le sont jamais autant que les honnêtes gens. » Entre les hommes libidineux et leurs femmes suant le mépris de classe par tous les pores de leur peau, il y a de quoi voir d’un autre œil la belle et bonne société du siècle. Un adjectif revient souvent dans la bouche, et sous la plume, de Célestine : sale. Quand elle utilise ce mot elle dit tout le dégoût, toute la rancœur et la haine de la domesticité envers les dominants peu soucieux du bien-être de leurs serviteurs. On est loin de « Downton Abbey » !



J’ai suivi Célestine, qui est attachante malgré tous ses défauts, au gré de son travail, au gré de ses souvenirs ; je l’ai accompagnée au bureau de placement, lieu de toutes les cruautés, d’un côté comme de l’autre. Les domestiques sont des bêtes de somme que l’on jauge, que l’on évalue selon leur potentiel. La dame du bureau est un peu une mère maquerelle : elle retient une somme sur les gages des employés de maison. D’ailleurs, certaines filles franchissent facilement la ligne ténue séparant les métiers de bonne et de fille follieuse. Au point que les maquerelles ne sont jamais loin des bureaux de placement, elles récupèrent ainsi les désespérées.



Octave Mirbeau avec Célestine dénonce cet esclavage moderne d’une manière impitoyable : « On prétend qu’il n’y a plus d’esclavage… Ah ! voilà une bonne blague, par exemple… Et les domestiques, que sont-ils donc, sinon des esclaves ?… Esclaves de fait, avec tout ce que l’esclavage comporte de vileté morale, d'inévitable corruption, de révolte engendreuse de haines. » Il aborde, de façon très pédagogique, l’enfer social et les conditions révoltantes dans lesquelles évoluent les « gens de maison ». Ohhh, la scène d’une violence inouïe, dans laquelle un couple souhaitant être engagés comme jardinier au domaine d’une Comtesse, cache la grossesse de la femme, souffrant sans mot dire les paroles cinglantes de l’employeuse expliquant que les « pauvres » ne devraient pas avoir d’enfants. A frémir d’horreur d’autant que non loin les trois jeunes enfants de la Comtesse jouent joyeusement sous le regard attendri de leur mère.



Mirbeau démythifie la condition des « gens de maison », montre l’injustice sociale sévit ailleurs que dans les mines de fond ou les industries.



Cependant, l’auteur ne tombe pas dans l’excès inverse à savoir magnifier cette branche du prolétariat : les « gens de maison » sont loin d’être très scrupuleux et c’est à qui récupèrera le plus de miettes. La révolte des petites gens n’est pas pour tout de suite tant l’aliénation de la servitude est ancrée dans leur mode de pensée. Célestine est un personnage capable de réflexion, de prendre du recul sans pour autant être structurée politiquement. Le roman se déroule entre la fin du XIXè et le tout début du XXè siècle, les remous révolutionnaires ne sont encore qu’épars. Joseph, le jardinier des Lanlaire, lit « La libre parole » qui lui permet d’exalter son antisémitisme et est loin des préoccupations communistes.



Célestine est écoeurée par ce qu’elle est contrainte de vivre, elle en est nauséeuse, elle l’exprime à maintes reprises, consciente qu’il est nécessaire de faire quelque chose sans en avoir la force. A travers Célestine, qui a été si souvent débaptisée par ses maîtresses, Mirbeau expose son tourment existentiel devant tant de tragique dans la condition humaine. Célestine dit le sordide de son quotidien, la vulgarité ambiante, chez les nantis comme chez les subalternes, et le vide de cette vie. Célestine aime s’élever, aime les romans et la poésie. Célestine est une libertaire qui s’ignore.







Je comprends pourquoi le roman a été perçu comme étant subversif mais il fait un bien fou, il est un exutoire qu’on lit avec jubilation tant le style est tonique et absolument moderne. Il a été publié en 1900 et on a l’impression qu’il a été écrit hier. D’ailleurs, quand j’entends, au vol, à la radio des faits divers d’esclavage domestique, ce que Mirbeau dénonçait à son époque est toujours en cours au XXIè siècle. De quoi désespérer de l’humanité qui joue en boucle le duo dominé-dominant avec des variantes dues au mince verni civilisationnel.







« Le journal d’une femme de chambre » a été une lecture enthousiasmante malgré la rudesse du sujet. Je suis encore sous le charme subversif du roman que j’attendrai un peu avant de visionner l’adaptation cinématographique de Luis Buñuel qui fit scandale lors de sa sortie en 1964. D’aucuns pourraient clamer à l’appropriation culturelle, or Mirbeau, avec sa sensibilité d’artiste, parvient à devenir Célestine, comme Flaubert était Emma Bovary.
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Le journal d'une femme de chambre

Une belle plongée au cœur de la domesticité à la toute fin du XIXème siècle. Célestine, femme de chambre très hardie et aux pensées plus que coquines, nous entraîne dans les pas des nombreux postes qu'elle a occupés dans diverses familles et nous révèle leurs secrets intimes et leurs vices cachés.... le ton et la hardiesse de Clémentine m'ont beaucoup étonné, j'imagine donc comment ce livre a du choquer à sa sortie dans les années 1900. On ressort avec un regard un peu dégouté de toutes ces débauches qui s'enchaînent et de la drôle de relation qui la lie au sombre et rustre Joseph. J'ai bien apprécier par contre l'ambiance normande et rurale du village de Mesnil Roy. Au global, un roman assez étonnant et qui reste percutant!
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Le journal d'une femme de chambre

[Livre audio lu par Victoria]

Je suis terriblement troublée par ce roman que je termine à l'instant. Tout à la fois, je serais incapable de trancher si je l'ai aimé ou détesté, et je me rends compte que je vais devoir le digérer pour vraiment en tirer toute la saveur.



Néanmoins, je peux déjà affirmer que c'est un roman remarquablement bien écrit et assez passionnant et bouleversant. Mais surtout, ce texte est éclairant sur les moeurs de l'époque et je dois dire que c'est probablement ce qui m'a choquée le plus. On n'imagine pas qu'il y a seulement un siècle, la vision de l'amour, du travail, de la richesse, de la servilité, de la bienséance ou de la femme, fût si différente de la nôtre aujourd'hui.



Cette lecture donc a été pour moi un véritable choc, autant historique que littéraire, et probablement un genre de coup de foudre dont je me retrouve toute hébétée.



Enfin, je vous recommande vivement la version enregistrée par Victoria (dont je mets le lien de téléchargement gratuit et légal ci-dessous). Sa voix correspond si bien au personnage, ses intonnations sont si justes, si savoureuses qu'on pourrait croire que le livre fût écrit pour elle!

Un vrai régal!
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Le journal d'une femme de chambre

C’est la narration de Célestine, une femme de chambre. Elle vient de trouver une nouvelle position chez une famille bourgeoise et aisée. L’histoire se déroule en France au XIXe siècle. La nouvelle patronne de Célestine est une femme difficile qui traite ses domestiques de façon condescendante. Après quelque temps, Célestine est attirée par un autre domestique de la même famille, Joseph, le jardiner cocher. C’est un homme fort et antisémite et peu fiable mais manifestement assez séduisant pour attirer l’attention de Célestine. Comme déjà suggère par le titre du livre, l’histoire est présentée comme un journal intime dans lequel Célestine rapporte les événements quotidiens et ses sentiments personnels.



Célestine est une femme assez gentille, bien qu’elle ait un caractère calculateur. Elle est toujours vigilante et prête de tenter ses chances. C’est pour cette raison que, à la fin de l’histoire, elle prendra un grand risque et quittera la famille pour vivre avec Joseph, quelque part ailleurs.



C’est une lecture agréable. Les personnages et l'ambiance campagnarde étouffante du XIXe siècle sont décrits vraisemblablement. Célestine est une femme de chambre assez sympathique malgré ses défauts de caractère et ses lamentations régulières. Je comprends pourquoi elle voudrait quitter son emploi, car sa patronne est vraiment insupportable, mais je ne comprends pas du tout pourquoi elle a décidé de suivre son Joseph. C’est un type douteux. C’est évidemment que les femmes de chambre de cette époque n’avaient pas beaucoup d’options d’échapper à leur sort. Célestine a choisi de vivre avec un homme fort et louche, c’est peut-être mieux pour elle que rester en travaillant pour une patronne infernale. Je crains qu’elle ne regrette cette décision plus tard…



Alors, on pourrait conclure c’est un bon livre car, après l’avoir terminé, il m’a fait réfléchir un peu plus sur le sort des pauvres gens de XIXe siècle…
Lien : http://nebulas-nl.blogspot.n..
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L'Abbé Jules

L’Abbé Jules n’est pas un ecclésiastique comme les autres. Son caractère difficile se manifeste dès son enfance : « Jamais on n’avait vu un enfant comme était Jules : sournois, tracassier, cruel, il ne se plaisait que dans les méchants tours. Son frère et sa sœur avaient beaucoup souffert de lui, et sa mère se désespérait, car elle avait beau supplier ou punir, réprimandes et prières ne faisaient que surexciter son indomptable nature. » Quelle n’est pas la surprise de cette dernière lorsque Jules lui annonce qu’il veut entrer dans les ordres : « Je veux me faire prêtre, nom de Dieu ! …Prêtre, sacré nom de Dieu ! » Sa mère croit alors avoir donné naissance à l’Antéchrist.

Jules blasphème, ment, manipule, par ambition et par zèle pour la religion. Il méprise ses condisciples, souvent des fils de paysans ayant choisi cette carrière pour avoir une vie facile, et qu’il voit comme des lourdauds paresseux et ignorants. Il se révolte contre un clergé prêt à toutes les compromissions pour garder ses privilèges dans cette France républicaine de la fin du XIXème siècle. Emporté par sa fougue, il provoque le scandale à l’évêché où il était secrétaire, et est contraint d’accepter une cure dans un village. C’est le début de sa chute et du repli sur lui-même. « Ce qu’il me faut ?…Le sais-je ?…Autre chose, voilà tout !…Je sens qu’il y a en moi des choses…des choses…des choses refoulées et qui m’étouffent, et qui ne peuvent sortir dans l’absurde existence de curé de village, à laquelle je suis éternellement condamné…Enfin, j’ai un cerveau, j’ai un cœur !…j’ai des pensées, des aspirations qui ne demandent qu’à prendre des ailes, et à s’envoler, loin, loin…Me battre, chanter, conquérir des peuples enfants à la foi chrétienne…je ne sais pas…mais curé de village !… »

L’Abbé Jules est un personnage en révolte contre la société étriquée de son temps et contre lui-même. Tiraillé entre des idéaux d’ascète et une chair faible, libidineuse, il doit sans cesse combattre sa nature volcanique, ses « instincts mauvais ». Epuisé et vaincu par cette lutte, il finira sa vie en reclus, fuyant la société de ses semblables, ne croyant plus en Dieu, se réfugiant dans l’amour de la nature et prônant un « anarchisme vague et sentimental ».

Ce roman est donc le portrait drôle, féroce et émouvant d’une personnalité extrême et complexe, qui demeure sa vie durant une énigme pour les autres, et pour Jules lui-même. Il nous est narré par un jeune garçon d’une dizaine d’années, son neveu, d’abord effrayé puis intrigué, qui porte un regard dénué du moindre jugement sur cet oncle singulier et mystérieux.

Mais c’est aussi bien sûr à une violente charge anticléricale que se livre ici Octave Mirbeau (1848-1917), journaliste et écrivain, anti-capitaliste, pacifiste et proche des anarchistes. Il dessine le tableau sans complaisance d’une bourgeoisie provinciale étroite d’esprit, conformiste et tout imprégnée de sa respectabilité. Il est par ailleurs l’auteur, dans le même esprit, du Journal d’une femme de chambre, adapté au cinéma par Luis Buñuel. Un auteur et une œuvre injustement méconnus !


Lien : http://plaisirsacultiver.unb..
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Les Chats : À travers 17 textes cultes comm..

Ce recueil regroupe des textes de grands auteurs sur les chats et les replacent dans l'histoire en racontant comment les chats étaient perçus à l'époque de leur écriture.

C'est un livre audio assez court, qui se suit avec plaisir, porté par la voix de Simon Jeannin, qui narre avec talent les textes d'auteurs classiques, comme les commentaires de Sylvain Trias. Ces commentaires montrent l'image des chats dans la société, passant de créatures du diable à câlins ambulants.

SI je ne suis pas amatrices de poésies (c'est peu de le dire), la variété des textes proposés permettra à chacun de trouver son bonheur.

Par contre, aucune autrice n'est présente dans cet opus. J'imagine que ce n'est pas forcément facile de trouver le matériel qu'il fallait, mais comment avez-vous pu oublier Colette…

Reste que ce recueil est très agréable à écouter offrant une variété de textes (contes, nouvelles, poèmes) et des commentaires intéressants. A découvrir.

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Le journal d'une femme de chambre

Les trop nombreux atermoiements philosophiques sur la condition de domestique et détails absolument sordides, mais aussi le manque d'une histoire suivie ont eu raison de moi.

Germinie Lacerteux ou de nombreux Zola que j'ai précédemment lus ne sont pas plus "glamour" mais la narration d'une (ou plusieurs d'ailleurs) histoire(s) suivie(s) a fait toute la différence.
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La Pipe de cidre

Les paysans normands se ressembleraient-ils tous, que l'on soit d'un côté de l'eau ou de l'autre, au Nord de la Seine comme chez Maupassant, ou au Sud comme chez Mirbeau ? ...

Même si toutes les nouvelles n'évoquent pas la Normandie et ses habitants, j'ai en effet beaucoup pensé aux paysans du Pays de Caux présents dans les nouvelles de Guy de Maupassant, qui ont beaucoup de points communs avec les paysans de la Manche et du Cotentin chez Octave Mirbeau : même avarice tenace, même ruse sournoise, même air matois... Ces paysans boivent du cidre, forcément, sans modération d'ailleurs, se méfient des bourgeois de la ville, ont un sentiment patriotique aussi en détestant les Prussiens - l'occupation prussienne de 1870 est aussi un contexte historique plusieurs fois évoqué par Maupassant. Ils travaillent dur, et apprécient une vie humaine en fonction de sa force de travail.

Cependant, l'écriture de Mirbeau est bien plus féroce que celle de Maupassant. Ce dernier décrit lui aussi des scènes de violence, mais souvent moins frontales, moins explicites, plus subtiles : il y a peu de meurtres directs chez Maupassant ; la haine, l'envie et la jalousie s'expriment davantage par des paroles et des actes que par des assassinats de sang-froid, voire des scènes de torture assez brutales. Comme le dit Gill qui a critiqué cette œuvre avant moi, Mirbeau écrit des nouvelles rapides, il n'a donc pas le temps de livrer l'analyse psychique de ses personnages qu'il préfère montrer en action. De même, il plante le cadre très rapidement, ne perdant pas de temps en description - ce que je regrette un peu, appréciant la poésie des décors de Maupassant.

Je remercie Gill qui m'a fait découvrir ce recueil que je ne connaissais pas, vive les nouvelles et vive la Normandie !
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Le journal d'une femme de chambre

Celestine est une femme de chambre dans de riches maisons, t, d'une dame qui l'invite à déniaiser son fils, d'un maniaque fétichiste du pied et enfin  des Lanlaire, ces parvenus avares

Célestine dénonce la condition des domestiques avec une rare lucidité et un mordant pleins de saveur.

Si les domestiques sont soumis à la surexploitation et à de perpétuelles humiliations, les femmes de chambre sont de surcroît traitées comme des travailleuses sexuelles à domicile.



Mais Mirbeau ne nourrit pour autant aucune illusion sur la gent domestique. Ainsi Célestine, malgré sa lucidité et son dégoût des moeurs vicieuses de ses maîtres, est menteuse, voleuse, volontiers méchante et se délecte des vices qu'elle découvre autour d'elle.

Et sans doute jalouse-t-elle également la domination et l’aisance de ses patrons.

Ecrivain magisttal et grand démystificateur des moeurs de son époque (comme de la nôtre), Octave Mirbeau nous impose d’établir la distanciation nécessaire à tout esprit critique  

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Le journal d'une femme de chambre

Pourquoi ajouter une critique du Journal d'une Femme de chambre alors que ce roman de la fin du XIXe siècle a déjà reçu 133 critiques, pour la plupart élogieuses, ici, chez Babelio ?

Pour rappeler que ce roman d'Octave Mirbeau est toujours d'actualité.

Ce roman, en forme de journal intime d'une femme de chambre d'origine bretonne, me semble être une sorte de "queue de la comète" de la littérature à la fois érotique et de critique sociale de la fin du XVIIIe siècle. Célestine (la femme de chambre du titre et la narratrice), intelligente, distante, observatrice, manipulatrice à sa manière, m'apparait comme une sorte de Merteuil (Mme de Merteuil des "Liaisons dangereuses"). Mais une Merteuil ne pouvant laisser épanouir tous ses talents du fait de son humble naissance.

Mirbeau fait de son héroïne une Parisienne d'un certain âge (la trentaine) et cela a son importance. Elle est, en quelque sorte, plus déliée physiquement et socialement, plus au fait des moeurs et des débauches, plus cérébrale aussi car elle n'est pas (n'est plus) une petite provinciale empotée qui ne connaît que son patelin.

Célestine critique les domestiques qui sont ses pairs, mais fustige encore plus les bourgeois mesquins, pingres et pleins de vices qu'elle sert.

C'est la voix de Mirbeau que nous entendons à travers elle. Et cette voix "porte" encore à notre époque pleine de bourgeois et de bourgeoises si sûrs de leur "bon droit" (par ex Macron et "Brigitte", claquant des sommes folles à l'Elysée, méprisant les Gilets Jaunes), si pleins de pensées politiquement correctes, mais si mesquins avec le prolétariat.

Le film "Journal d'une femme de chambre" que le grand Luis Buñuel a réalisé à partir de ce roman dans les années 1960 est une belle "mise en images". Jeanne Moreau -qui interprète le rôle de Célestine- pas souriante, cassante avec maîtres et domestiques, distante avec tous, est une représentation très, très réussie de cette Merteuil ancillaire.
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Le journal d'une femme de chambre

J'avais découvert Octave Mirbeau sur scène avec sa pièce Les Affaires sont les affaires, qui m'avait séduit par la qualité et la virulence de sa charge contre la bourgeoisie d'affaires.

A l'entame de ce livre à la réputation certaine et au titre évocateur, j'attendais avec curiosité et impatience d'y retrouver l'analyse assez fine en terme de Classes qu'en proposait la pièce.

Si dés les premières pages le récit est placé sous le signe de l'humour acide et corrosif, il s'avère qu'au gré des chapitres, en lieu et place d'une critique sociale minutieuse, on assiste malheureusement à un pathétique numéro de ventriloquie ou ce n'est pas tant le statut de la femme de chambre et l'observation des interactions sociales à l'oeuvre, qui intéresse Mirbeau que la possibilité qui lui est offerte par ce procédé littéraire , de vomir tout son saoul non seulement sa haine de la bourgeoise mesquine et hypocrite à laquelle au demeurant il appartient, mais celle du genre humain en général.

Cette volonté délibérée affecte en premier lieu la crédibilité même du dispositif tant il est manifeste que le contenu de ce journal ne relève pas de la réflexion et du ressenti d'une simple femme de chambre , mais de ceux de l' inclassable pamphlétaire anti-système qu'était Octave Mirbeau.

Mais le second problème de ce livre c'est paradoxalement le mépris social et la misogyne qui dégouline des descriptions des personnages et notamment des femmes dont Mirbeau pour projeter ses fantasmes, prends un plaisir voyeur et égrillard à les ramener à la somme de leurs imperfections physiques et/ou d'en faire des incontinentes sexuelles .

On comprends en définitive assez bien le succès qu'a pu rencontrer le livre et Célestine, son personnage principal, auprès de la bourgeoisie libérale et anticléricale du début du 20e siècle , personnage qui loin d'apparaître comme une figure emblématique du corps souffrant objet d'exploitation ressorti bien d'avantage de la catégorie Sadienne du corps populaire disponible, qui dans sa déclinaison féminine demeure pour la bourgeoisie d'hier comme d'aujourd'hui, la seule contremarque émancipatrice acceptable.

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Le journal d'une femme de chambre

Balzac redoutait le jour où les gens du peuple deviendraient, à l'image des dominants de son temps (ceux de la puissance bourgeoise) : préoccupés davantage d'eux-mêmes et de leur réussite individuelle (réussite presque exclusivement mesurable à l'aune d'indices matériels, de signes de distinctions, et dont les valeurs s'encombrent peu de spiritualité). A en croire Octave Mirbeau et à en suivre les pérégrinations de sa séduisante et bavarde femme de chambre Célestine, ce temps serait venu rapidement, avant la fin du XIXe siècle. Car si Célestine sait, avec un sens de la formule et sans mâcher ses mots, dire la laideur du beau monde, la vulgarité de ceux qui n'ont de cesse de se distinguer du petit peuple, leurs lâchetés, leurs hypocrisies et avec cela l'immoralité profonde d'une société fondée sur l'exploitation des plus faibles (à commencer par les femmes) quand elle ne jure que par ses valeurs chrétiennes, dit ne chercher que le progrès et se targue d'être le phare des autres civilisations, elle révèle aussi, dans ses confidences, et sans tourner en rond, les défauts de ceux de sa condition : la mesquinerie, les préjugés, les jalousies, les perfidies voire la cruauté, et jusqu'aux trahisons de Célestine elle-même qui, une fois parvenue prendra les travers de tout maître en houspillant ses propres bonnes.

Il n'y aurit donc pas que « la bourgeoisie (qui soit) vue par le petit trou de la serrure » selon l'expression de la quatrième de couverture du Folio Classique : ce portrait d'exploités incapables de se révolter contre leurs exploiteurs fait froid dans le dos.

Mais Mirbeau désespère-t-il à ce point de l'humanité ? Faisait-il partie de ces « sociologues » qui considèrent que les petits sont aussi conservateurs que les gros (comme le soutenait un de mes profs, Pierre Birnbaum dans un de ses bouquin, le Peuple et les gros), que si une classe sociale populaire/travailleuse existe ou, au moins, a existé au tournant du XIXe et du XXe siècle, elle était plus une classe en soi (qui partage des conditions économiques et sociales communes) qu'une classe pour soi (consciente que ses intérêts communs s' opposent à ceux de la classe qui l'exploite) selon la distinction de Marx ; ou encore que la « fonction » fait le discours et que les positions sociales occupées à un moment déterminent davantage les actions que le parcours biographique des individus ? Beaux et importants sujets que ce roman donne à penser avec finesse et pertinence : parce qu'on aurait tort, je crois, d'oublier en effet la force de désocialisation et même d'aliénation d'années à n'être plus de son propre milieu sans pour autant jamais compter non plus auprès du groupe social que l'on sert, et qui vous emploie/exploite avec un tel mépris, une telle violence. Que peut-il rester de soi après pareille expérience de déconstruction, de déni de l'individu ; jusqu'à son prénom même ? Qu'est-ce qu'un domestique finalement ? « Un domestique, ce n'est pas un être normal, un être social... C'est quelqu'un de disparate, fabriqué de pièces et de morceaux qui ne peuvent s'ajuster l'un dans l'autre... C'est quelque chose de pire : un monstrueux hybride humain... Il n'est plus du peuple d'où il sort ; il n'est pas non plus de la bourgeoisie où il vit et où il tend... du peuple qu'il a renié, il a perdu le sang généreux et la force naïve... de la bourgeoisie, il a gagné les vices honteux, sans avoir pu acquérir les moyens de les satisfaire... et les sentiments vils, les lâches peurs, les criminels appétits, sans le décor, et, par conséquent, sans l'excuse de la richesse... L'âme toute salie, il traverse cet honnête monde bourgeois et rien que d'avoir respiré l'odeur mortelle qui monte de ces putrides cloaques, il perd, à jamais, la sécurité de son esprit, et jusqu'à la forme même de son moi... Au fond de tous ces souvenirs, parmi ce peuple de figures où il erre, fantôme de lui-même, il ne trouve à remuer que de l'ordure, c'est-à-dire de la souffrance... Il rit souvent, mais son rire est forcé. Ce rire ne vient pas de la joie rencontrée, de l'espoir réalisé, et il garde l'amère grimace de la révolte, le pli dur et crispé du sarcasme. Rien n'est plus douloureux et laid que ce rire ; il brûle et dessèche... » dit Célestine. Ces nouveaux asservis sont bien, eux aussi, de nouveaux serfs, peut-être même de nouveaux esclaves, de toute façon des êtres humains à la disposition d'autres êtres humains : « On prétend qu'il n'y a plus d'esclavage... Ah ! voilà une bonne blague, par exemple... Et les domestiques, que sont-ils donc, sinon des esclaves ?... Esclaves de fait, avec tout ce que l'esclavage comporte de vileté morale, d'inévitable corruption, de révolte engendreuse de haines ». Mais l'immense drame, contrairement à l'Oncle Tom (qui à l'inverse de ce que suggère l'expression à qui il a donné son nom, ne s'est pas vendu de plein gré à Simon Legree, son maître), et évidemment toutes proportions gardées en comparaison avec cet abominable crime contre l'humanité que fut l'esclavage, c'est que les domestiques furent bien dominés idéologiquement par leurs employeurs (quand l'oncle Tom continua de croire malgré les coups de son maître pour lui faire abjurer sa foi, par exemple), et, par conséquent, incapables de penser même à se révolter, à s'émanciper. Cette violence symbolique, théorisée par Bourdieu et si bien illustrée par le splendide film de James Ivory, Le vestige des jours, serait le poison qui fini par ronger tous les domestiques qui ont tous, à en croire Célestine, et y compris elle-même, « la servitude dans le sang ». Si cette explication n'est sans doute qu'une manière de dire pour Célestine, elle exprime toutefois bien les effets de l'asservissement et du conditionnement social subi. Les domestiques sont finalement condamnés à de dérisoires velléités de vengeance sans lendemain, et oscillent constamment entre la soumission à des règles iniques, qu'ils ont tendance à intérioriser, et des formes de rupture, sans conséquences pour leurs maîtres, mais ruineuses pour ceux et celles qui, telle Célestine, rêvent de promotion et échafaudent des projets.

Ce journal d'une femme de chambre est, à n'en pas douter, à mettre au programme des classes de littérature comme de sociologie.

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Le journal d'une femme de chambre

Ce roman est le supposé journal de Célestine R, femme de chambre, qui vient d’être embauchée en Normandie dans sa douzième place en deux ans. Avec un franc-parler et une rare clairvoyance, Célestine raconte son quotidien auprès de ses nouveaux maîtres tout en évoquant ses expériences précédentes et les affres du bureau de placement parisien qui s’apparente plutôt à un marché aux esclaves. Célestine a appris à lire et aime la lecture (elle cite souvent Paul Bourget), ce qui lui permet de mettre des mots justes sur ce qu’elle observe. Et ce qu’elle observe n’est pas joli joli… Que ce soit du côté des maîtres ou des serviteurs. Octave Mirbeau n’hésite pas à parler des humeurs du corps, des vils instincts, des lâchetés, des commérages, de la méchanceté humaine. Et cela sonne étonnamment moderne et c’est férocement bon !
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Le journal d'une femme de chambre

Je ne m’amuserais pas ici à faire des comparaisons entre le roman et le film, ce n’est pas le propos, mais j’invite très chaleureusement les lectrices et lecteurs à lire ce chef-d’œuvre (si si !) de la littérature française. Reprenons depuis le début… Célestine décide d’écrire son journal intime en s’adressant à un hypothétique lecteur pour lui conter les déboires de la vie tourmentée et tumultueuse d’une domestique naviguant de maître en maître sans pouvoir se faire une place pérenne. Puisque nous sommes (prétendument !) dans un journal intime, l’auteure peut tout se permettre, tout dire, exposer les recoins les plus sombres de son intimité et faire partager au plus près son expérience physique et psychologique de femme plongée dans un état de servitude sexuelle et sociale, malgré une gouaille cinglante et un caractère bien trempé qui font des ravages. C’est bien simple, une fois lu Le journal d’une femme de chambre, vous ne pourrez plus jamais oublier Célestine, cette femme incroyable et complexe, qui va jouer avec l’amour et la mort tout au long de sa vie. Et quelle vie ! Octave Mirbeau, dans un style superbe, classique et limpide, va tirer à boulets rouges sur l’aristocratie et la bourgeoisie mais sans faire du « petit peuple » un monde de saints, loin de là ! Si le roman est enjoué, enlevé et parfois érotique, sa noirceur apparaît bientôt jusqu’à engloutir complétement le récit, personne n’en sort indemne et surtout pas le lecteur ! Au vu de certaines scènes ahurissantes (dont je ne dirais pas un mot ici pour vous laisser la surprise), on se demande vraiment si ce roman dantesque a bien été écrit en 1900 tant on est choqué par la crudité sombre et sensuelle qui s’empare de Célestine. Bref, Le journal d’une femme de chambre est un véritable choc littéraire que je vous recommande !
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Le journal d'une femme de chambre

Je venais de terminer un roman dont le style m'avait au moins pesé si ce n'est plus.

Et j'ai pris "le Journal d'une femme de chambre" et dès les premières phrases, c'est comme si une fenêtre s'était ouverte. Quelle clarté, quelle beauté, et aussi quelle modernité !

Rien que pour cette maîtrise de la plume, ce roman voudrait le coup d'être lu.

Mais ce n'est pas tout, parce que ce que raconte Célestine dans son journal rend compte des moeurs bourgeoises de la fin du XIXe siècle et de la condition des domestiques. Mépris, avarice, méfiance, injustice, droit de cuissage...

Tout cela a-t-il évolué au cours des siècles? A notre époque la technologie a beaucoup remplacé les domestiques tels qu'on les entendait il y a cent ans et depuis toujours. Quant au mépris ou à l'indifférence qu'expriment certains à l'égard de ceux qui leur semblent inférieurs, cela n'a pas changé.

Mais gardons-nous de généraliser. Dans toutes les classes de la société, il y a de bonnes âmes et de moins bonnes.
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Sébastien Roch

Un père vaniteux, à l'esprit étriqué, quincaillier et maire de la petite commune de Pervenchères (Orne), réussit, après des démarches obstinées, à envoyer son fils Sébastien dans un collège jésuite huppé de Vannes. L'enfant, transplanté dans un univers inconnu, est rapidement victime de discriminations : les jeunes nobles pour qui l'établissement est une sorte de chasse gardée rejettent aussitôt "le quincaillier". Cependant, une amitié tacite rapprochera Sébastien de Bolorec, un fils de médecin, bourru et renfermé, qui, lui aussi, subit passivement les avanies des fils de bonnes familles. Sébastien ira néanmoins au bout de la dégradation : le Père de Kern subjugue l'enfant, le viole, puis le fait renvoyer ignominieusement. De retour à Pervenchères, il reprend lentement une vie désabusée et finit par connaître l'amour, jusqu'à ce que la guerre soit déclarée, en 1870...

Roman sombre, âpre, désespéré, dont le style m'a rappelé un certain Zola, mais aussi l'Abel Hermant naturaliste du "Cavalier Miserey". De très belles pages, et une dénonciation sans concessions d'une société fondée sur le mensonge, l'hypocrisie et le crime.

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Le journal d'une femme de chambre

nul

Nul il ne se passe rien de passionnant le livre est dur a finir trop lassant heureusement il est gratuit sur kindle vue la médiocrité du livre je ne payerait pas pour aller voir le film
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