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Critiques de Oya Baydar (29)
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Parole perdue

Elif et Ömer, deux quinquagénaires stambouliotes, forment un couple apparemment solide. Et pourtant tout les éloigne. Quand débute le roman, cet éloignement devient géographiquement concret : Elif, biologiste de renom, part en Scandinavie pour plusieurs colloques scientifiques, tandis qu'Ömer, célèbre romancier, rejoint l'extrémité orientale de la Turquie.

En réalité, ces voyages les emportent bien plus loin.

Elif projette de tenter de renouer les liens avec leur fils unique, qui a fui ses parents depuis des années pour s'installer sur une île norvégienne peu peuplée.

Ömer, quant à lui, cherche la parole. Lassé des facilités littéraires purement commerciales dans lesquelles il s'est embourbé depuis plusieurs années, il n'arrive plus à écrire la moindre ligne. Témoin d'un attentat dans une gare routière d'Ankara, il prend sous son aile un couple de jeunes kurdes, payant l'hospitalisation de la femme blessée et donnant à l'homme les clés d'une maison qu'un ami lui prête régulièrement. Il lui suffit alors de quelques heures de discussion avec ces deux amoureux en fuite pour se décider à aller chercher la parole qui lui échappe dans leur région en guerre.

Cette immersion dans le Kurdistan, ses paysages, ses traditions, sa violence, est absolument passionnante. Elle permet aussi d'appréhender la réalité d'un pays morcelé et la psychologie de ses habitants, soumis à la peur, à l'exil, à la résignation, et contraints de s'engager d'un côté ou de l'autre, l'armée turque ou la guérilla kurde. À moins qu'il existe une troisième voie : la paix.

Cependant, outre ces réflexions et ces enseignements géographiques, ethnologiques, politiques, qui sont déjà une grande richesse, l'autrice nous offre un texte superbement écrit. Bien sûr, les passages les plus sombres font appel à un style cru, tranchant ; mais la beauté de la plume y est visible. À côté de cela, Oya Baydar sait aussi tisser des pages pleines de poésie, pour évoquer l'amour et la détermination du jeune couple kurde, l'engagement pour la paix de certaines personnalités, dont ce magnifique et puissant personnage de femme, Jiyan ("vie" en kurde) ou encore l'attachement d'un père ou d'une mère pour son enfant, parti combattre dans les montagnes du Kurdistan ou ayant choisi de fuir tout combat et toute violence en s'exilant sur un îlot perdu.

Vous aurez peut-être remarqué que je parle plus du voyage d'Ömer que de celui d'Elif. Il y a plusieurs explications à cela. Il m'a semblé que l'autrice donnait plus de place au premier dans son livre. Les chapitres se déroulant au Kurdistan sont par ailleurs beaucoup plus intenses, beaucoup plus prenants que ceux qui sont situés en Norvège. Enfin les discussions entre Elif et son fils m'ont semblé bavardes et creuses et un peu artificielles, tandis que les échanges d'Ömer avec la population des villes et villages kurdes où il s'installe étaient beaucoup plus profonds. J'en suis même arrivé à me dire que les chapitres autour d'Elif livres aurait pu être supprimés sans que le roman y perde.

Quoi qu'il en soit, c'était ma première expérience avec la plume d'Oya Baydar elle fut marquante.
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Et ne reste que des cendres

Militante de gauche passionnée l'héroïne turque a subi l'emprisonnement et la torture après le coup d'état militaire en 1970 et elle a du fuir son pays et s'exiler principalement à Paris.

Par de nombreux retours en arrière et des similitudes juxtaposées l'on suit le parcours de cette grande amoureuse confrontée dans ses relations les plus intimes à l'engagement politique poussé à son paroxysme par des êtres que tout oppose.
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Dialogues sous les remparts

Puiser de l’espoir dans ton existence, pour te sentir dans mon coeur



« Ce texte relate la rencontre et la dispute entre une Turque de l’Ouest et une Kurde de Diyarbakur. Il en découle un examen de conscience, un règlement de comptes intérieur de la part de cette intellectuelle stambouliote, lucide sur l’inévitable tragédie en train de se nouer : la tragédie des divisions et des conflits ethniques qui se poursuivent aux quatre coins du monde »



Les neiges, les bruits, « jusqu’à l’épuisement de l’espoir », naître kurde à Diyarbakir ou arménienne en 1915, l’impossible neutralité, « tu ne peux rester neutre et te tenir à égale distance entre qui défend sa vie et qui vient la lui arracher », les liens créés et ce qui nous rassemblent, les bastions de la forteresse derrière les remparts, « nous parlons tous de nous quand nous parlons de notre ville », voir et ne rien voir, celle qui n’a rien vu à Hiroshima, « toi, tu n’as rien vu à Sur », les fumées, « mon cœur est plein de ces fumées noires, j’étouffe, mais je fais mine de ne pas voir et je le tais », les roses, les retards et les contretemps, « Comprends-moi : nous sommes fatigués d’attendre, fatigués d’espérer, fatigués es souffrances, des morts, des destructions transmisses de génération en génération », le refroidissement des cœurs, les mort·es sans sépulture, « Les morts sont parfois plus dangereux que les vivants. Voilà des jours qu’on se démène pour récupérer les corps, qu’on fait le siège des bureaux du préfet, du commandant militaire, des organisations de la société civile, des autorités religieuses »…



Je souligne particulièrement les discussions autour du « oui, mais… », le point aveugle, la responsabilité, le point de vue situé, la raison se jouant du cœur, « tu veux que j’occulte un aspect de la réalité, que j’aveugle partiellement mes yeux et mon coeur », le fil à retordre, les chats, « Par ce biais des chats, peut-être cherchait-il à créer un lien, à te dire « Regarde à quoi nous en sommes réduits et sois de notre coté » ».



Comment vivre privé·e de sa langue ?, « la langue est un pays pour les gens. Tenir à sa terre et tenir à sa langue sont deux choses qui vont de pair »…



La liberté, « Les droits et les libertés ne sont pas offerts aux peuples comme un bouquet de fleur. Il faut hélas se battre pour les obtenir, et il n’existe pas de guerre sans crimes, sans violence et sans meurtres », la mémoire et la vengeance, il n’y a pas de point surplombant – impartial et équitable -, les chemins vers la vérité, la tranquillité d’esprit et l’aveuglement, le luxe de pouvoir rester pacifiste, l’espoir cependant chevillé au corps, le bruits des armes…



Plus tard, un retour, le désastre et l’anéantissement, la vérité sur une guerre, Cizre comme Guernica, « Le Cizre que tu as vu datait du temps de l’innocence. Maintenant, si je t’enjoignais d’y aller, tu ne pourrais même pas y entrer. Si tu voyais, si tu savais les atrocités commises là-bas, la balance de la conscience à laquelle tu te fies tant se déréglerait de nouveau. Tu n’as rien vu à Cizre », faire une route et tenir des mains, la blessure béante, le monstre de la vengeance, « Nous sommes les premiers à avoir eu peur de ce monstre vorace, toxique et corrosif qui croissait en nous », les dépouilles mortelles comme marchepieds des pouvoirs, le choix de l’exportation de la guerre, « tout ce qui te heurtes ici, nous avons l’habitude de le vivre », le manque d’eau pour « éteindre les flammes du temps », l’intranquillité…



Un peu plus tard, à l’intérieur des remparts de Diyarbakir, des adieux, « Le Renard a raison, nous pleurerons bien sûr, mais toutes deux nous y avons gagné. Nous avons gagné de rêver ensemble à un monde nouveau que nous ne verrons sans doute pas nous-mêmes, mais que nos enfants et nos petits-enfants construiront en commun »…



« Au lieu de construire des ponts entre nous, les mots qu’on échange créent des blancs ». Sous les remparts, trois discussions entre une femme turque d’Istanbul et une habitante kurde de Diyarbakir. Des échos aussi de déchirements internes. Des mots inscrits dans une situation précise, la guerre menée par l’Etat turc contre des populations kurdes parce que kurdes.



Comment ne pas penser à d’autres mots, d’autres situations, d’oppression nationale, de guerre, de domination… Une situation et des questionnements à dimension universelle. Des questions aussi aux formes et aux limites de l’engagement, lorsque de fait nous nous trouvons du coté « privilégié » des rapports sociaux, « Tu n’as jamais pris la main d’aucun d’eux dans la tienne, tu ne les as jamais regardés au fond des yeux, tu n’as pas pleuré avec eux, tu n’as pas partagé leur pain ».



Un texte magnifique. Il faut entendre ces voix ici kurdes, ailleurs palestiniennes ou kurdes ou yezidis, ne pas oublier celles des arménien·nes et de mille autres groupes, privés de leur langue et écrasés par les nationalismes dominants…
Lien : https://entreleslignesentrel..
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Parole perdue

Livre exigeant mais hautement intéressant pour approcher le conflit turco-curde.
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Et ne reste que des cendres

Visiter Istanbul, c’est comme visiter Rome : on a l’impression d’être transporté dans les pages d’un livre d’Histoire. Et j’ai adoré cette ville, son atmosphère, ses quartiers et ses habitants.



C’est la raison pour laquelle j’ai eu envie de lire « Et ne reste que des cendres » afin de comprendre un peu mieux la situation politique de ce pays.



Ülkü Öztürk est une jeune femme à l’intelligence vive, ouverte sur le monde grâce à l’éducation que lui ont donnée ses parents, tous deux professeurs. Or depuis le décès de son père, la famille a bien du mal à vivre. Ülkü passe une grande partie de ses nuits à aider sa mère à faire des travaux de couture ou de retouches.



Son entrée à l’université, au début des années 1970, marque sa rencontre avec deux choses qui seront déterminantes dans sa vie : elle tombe amoureuse et vit une histoire d’amour intense avec Arin Murat, descendant d’une lignée de Pachas ; et sa découverte du mouvement communiste étudiant dont le but est d’installer en Turquie le « paradis » promis par le » Grand Frère » c’est à dire le parti communiste soviétique.



Or, la Turquie est un pays où l’Etat est primordial et a tous les droits. La répression envers ceux qui sont qualifiés de terroristes est terrible : arrestations arbitraires, tortures, assassinats.



La jeune femme, blessée dans sa chair et dans son coeur, sera contrainte à l’exil et deviendra finalement, au terme d’un périple de plusieurs années, journaliste dans un grand quotidien à Paris.



L’auteure, Orya Baydar, semble avoir connu sensiblement le même destin que son héroïne. Elle décrit avec force détails la situation politique de son pays de coups d’état en dictatures militaires qui se succèdent. C’est ce qui m’a un peu gênée dans ma lecture car j’avoue que parfois je me perdais un peu et il m’a fallu venir à bout des 100 premières pages pour entrer véritablement dans l’histoire.



Cependant, il y a une chose que j’ai comprise : la situation aujourd’hui en Turquie me semble n’ être que la continuité de ce qu’elle connaît depuis des dizaines d’années : la force et l’intimidation sont toujours de rigueur.



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Dialogues sous les remparts

Diyarbakır, ville du sud-est de la Turquie, épicentre de la répression des forces de sécurité gouvernementales après les affrontements qui ont opposé de jeunes kurdes du mouvement marxiste révolutionnaire aux unités de protection civile. La partie la plus ancienne de la ville, Sur, située à l'intérieur des remparts, a été le théâtre de violents affrontements qui ont fait de nombreuses victimes dans la population. Là, au pied des remparts, deux femmes engagent un dialogue, l'une kurde et l'autre turque, venue de l'ouest pour manifester pacifiquement son opposition à la répression. La discussion est âpre, difficile. L'une reproche à l'autre ses atermoiements, ses postures de pacifiste, sa bonne volonté compassionnelle. Que fait-elle devant la vieille ville dévastée si ce n'est essayer encore et encore de départager les responsabilités entre combattants d'une juste cause et militaires à la solde de l'oppresseur ? Que peut-elle comprendre des aspirations à la liberté d'une population abandonnée à la violence ? Malmenée dans sa tentative d'honnêteté intellectuelle, l'autre est contrainte peu à peu d'abandonner sa posture de militante de gauche, pacifiste. Elle en vient à s'interroger sur sa vision du conflit qui est forcément construite – au sens sociologique du terme – par le discours nationaliste de l'État républicain depuis sa fondation kémaliste. Mais elle en vient aussi à s'interroger sur son militantisme dans une Turquie qui a fait disparaître bon nombre de ses opposants sous la torture et en prison. Le « virus de la bonne conscience » que produit-il sinon de la culpabilité, de la douleur et de l'impuissance ?



Formidable dialogue où nous entraîne Oya Baydar dont la force repose sur la sincérité du ton et l'humanité du propos. Deux voix qui essaient d'échanger malgré le rempart de la guerre qui se dresse entre elles et les espoirs déçus de part et d'autre. Il n'y a pas de réconciliation parce qu'il n'y a pas de fraternité dans le creuset d'un combat qui les sépare irrémédiablement. Et pourtant, chacune y a gagné quelque chose, de rêver un monde qui ne sera plus gouverné par la haine et la colère. Le livre se referme sur une magnifique et poignante ode à l'amitié dans ce qu'elle a de plus difficile : accepter de se perdre pour se trouver dans l'autre.
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Dialogues sous les remparts

Je remercie Babelio et les éditions Phébus pour l'envoi de ce livre dans le cadre de l'opération "Masse critique"



Deux femmes d'un même pays dialoguent. L'une appartient à la minorité persécutée par l'Etat , l'autre appartient à la caste dominante, c'est une intellectuelle engagée en faveur de la paix. Que se raconte-t-elle?



Le point fort de ce récit c'est son universalisme: j'ai l'impression que ce dialogue (échangé entre kurde et turc) pourrait l'être, en d'autres temps, entre noir et blanc en Afrique du Sud ou entre catholique et protestant en Irlande. On sent le poids du passé, les pertes dans chaque camp, les accusations réciproques....



Malheureusement ce point fort est aussi sa faiblesse: Où est la Turquie? Où sont les kurdes? Je suis un peu resté sur ma faim. Ce qui rassemble ou éloigne ces deux cultures n'est pas du tout abordé. C'est finalement beaucoup plus un récit sur la culpabilité d'appartenir par, sa seule naissance, au clan des oppresseur.
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Dialogues sous les remparts

Dans ce dialogue - peut-être avec une autre personne ou peut-être avec elle-même - Oya Baydar confronte deux visions de la Turquie et de ses déchirures. Le peuple Kurde est opprimé depuis longtemps en Turquie. Les Kurdes sont traités comme des sous être-humains. Cela a entrainé de nombreux conflits et des violences innommables. Une guerre sévit entre les Turcs et les Kurdes.



Oya Baydar évoque la guerre, le fait que la guerre et la violence ne mènent à rien. Elle est partagée entre les souffrances des Turcs et celles des Kurdes. Et alors que sa deuxième interlocutrice - ou sa deuxième petite voix intérieure - prend partie pour les Kurdes et lui démontre tout ce qu'ils ont enduré, Oya Baydar défend un pacifisme à tout épreuve et souffre de voir souffrir tant de gens qui aimeraient juste vivre tranquillement.



Je comprend ce dialogue. C'est une discussion que toute personne modérée et aux valeurs humanistes pourrait avoir avec elle-même. La guerre est un déchirement pour ceux qui la vivent et on aimerait tellement que tout ça s'arrête. Mais on se sent souvent impuissant(e) et désespéré(e) devant ces peuples qui souffrent. Que faire ? Que dire ? Pour qui prendre parti ? Peut-on mener une guerre "propre" ? Et puis à quoi, à qui, ça sert toutes ces guerres ? A ceux qui ont soif de puissance et de domination. Qui ne voit pas l'autre dans son humanité mais dans son utilité.



Bref. C'est un très beau texte, superbement écrit. Mais malheureusement, le dialogue tourne un peu en rond. C'est un sentiment d'impuissance et de désolation qui me reste sur le coeur en refermant ce livre. J'ai de la peine pour Oya Baydar et pour tout ceux dont la vie est déchirée par des conflits qui n'en finissent pas.

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Dialogues sous les remparts

Dans un récit né d’un voyage et de conversations dans l’est de la Turquie, l’écrivaine fait le point sur son combat pour la démocratie et sur l’état de son pays.
Lien : http://www.lemonde.fr/livres..
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Et ne reste que des cendres

J'ai aimé découvrir la Turquie de la 2e moitié du 20e siècle à travers le personnage d'Ülkü. Les constants flash backs (à différentes époques) peuvent être un peu rébarbatifs. Les longues pages politiques m'ont moins passionnées. Reste un roman fort intéressant qui permet de mieux appréhender la Turquie de cette période mais qui éclaire également le présent.
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Parole perdue

Le livre d'Oya Baydar aborde des thèmes qui traversent de nombreux romans contemporains : l'usure du couple, la destinée des enfants, la capacité d'un individu à faire face à un drame personnel. Trois voix distinctes s'élèvent dans ce roman, chacune donnant sa lecture de la ruine de l'édifice familial. Ömer et Elif Eren incarnent la réussite d'un couple d'intellectuels. Lui est un écrivain de renom, dont les livres se vendent bien et que la célébrité a presque statufié. Elle est une scientifique connue internationalement et ses travaux font l'objet de communications dans les colloques de biochimie. Cependant l'un et l'autre s'éloignent car ils perdent chaque jour un peu plus de leur goût de vivre et se confrontent au vide intérieur qui grignote lentement leur existence. Quant à Deniz, le fils du couple, il vit presque reclus sur une île norvégienne, refusant le monde et sa cohorte de malheurs et de cruautés. Trois voix brisées qui s'épuisent dans le silence, la parole vraie, profonde s'est depuis longtemps perdue entre ces êtres.

Ömer sent que ce qu'il écrit relève de plus en plus de la recette à succès. Où est l'écrivain engagé d'autrefois ? Où sont la conviction et la sincérité qui donnaient de la force à son œuvre ? Un soir, dans une gare routière d'Ankara, une jeune femme est blessée et, sans qu'il sache pourquoi, Ömer va apporter son aide à Mahmut et Zelal, un couple de jeunes Kurdes en fuite. Zelal fuit pour échapper à un crime d'honneur et Mahmut tente d'échapper à la vengeance de la guérilla depuis qu'il a déserté. L'écrivain accepte de partir à l'est pour transmettre un message à la famille de Mahmut. Il arrive dans un bourg morne où règne une fausse paix avec la présence armée de la garnison turque. Là, Ömer rencontre Jihan, la pharmacienne, figure de la dignité ancestrale des Kurdes. À son contact, il retrouve une sorte d'acuité qui lui permet de sortir de son apathie et de s'ouvrir à un univers différent du sien.

Elif a trouvé refuge dans ses activités de laboratoire. Expliquer la complexité des mécanismes biologiques est parfois plus facile que de s'interroger sur ce qui grippe les rouages familiaux. Elle s'est imposée par ses travaux scientifiques, mais ne parvient pas à donner une image convenable, lisse de la petite cellule familiale. Son fils Deniz ne suit pas le parcours prestigieux de ses parents. Timide, maladroit en société, peu doué pour les études, il ne sait que faire de sa vie jusqu'au jour où on lui met un appareil photo entre les mains. La question qui taraude Elif et qu'elle ne se pose pas ouvertement est : pourquoi a-t-elle échoué dans son rôle de mère ? Comment a-t-elle élevé un enfant qui ne montre aucun goût pour ce qui est si important pour ses parents ? Chaque fois qu'elle quitte son pays, elle voudrait renouer le dialogue avec son fils, lui rendre visite dans son île lointaine, mais les mots ne franchissent pas ses lèvres. Pourtant, il lui faudra surmonter cet obstacle si elle veut rencontrer son petit-fils.

Deniz Eren est le fils déconstruit du couple. Quand le succès le rattrape enfin, il quitte tout pour aller se réfugier en Norvège, refusant une réussite professionnelle bâtie sur le malheur des autres. Photographe de guerre, il se met à haïr ce métier qui le reconnaît quand il étale la souffrance et les drames d'autrui. Il revient à Istanbul avec sa jeune femme norvégienne dont la simplicité, le naturel heurtent ses parents, membres de la bourgeoisie éclairée d'Istanbul. Voilà donc la femme que s'est choisie leur fils, une étrangère sans culture et sans éducation. Un attentat se produit au cœur d'Istanbul et la lumineuse Ulla est tuée. La parole se tarit chez Deniz puisque son pays le prive à jamais de ce qu'il avait de plus cher en dehors de son fils Björn qu'il va élever seul dans l'île, ultime rempart contre la violence et la cruauté du monde.

Oya Baydar tisse l'intime et l'universel, les trajectoires personnelles et les heurts de l'histoire. En écho à la question kurde qui ensanglante la Turquie depuis près d'un siècle, il y a les vies brisées de Mahmut, Zelal et Jihan, mais aussi de Deniz. À leur manière, Ömer et Elif sont des combattants, ils ont milité pour la démocratie, l'émancipation des femmes, la modernisation de la société. Leur combat a été victorieux, mais bien d'autres combats ont été perdus et leur succès ne peut cacher la vulnérabilité et l'impuissance de beaucoup de leurs semblables. Il faudra la générosité de Jihan pour qu' Ömer comprenne qu'il a encore un rôle à jouer en tant qu'écrivain, que sa parole peut donner une nouvelle voix à son pays. Il faudra le pardon de Deniz pour qu'Elif comprenne qu'une grand-mère peut faire ce qu'une mère n'a pu assumer.

Ce livre, remarquable dans ce qu'il nous conte, l'est aussi dans sa construction et dans son style. Une œuvre forte, envoûtante et pleine d'espoir.
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Et ne reste que des cendres

J'ai connu la romancière avec son premier roman traduit et publié en français "Parole Perdue", un roman que j'avais apprécié mais que j'avais trouvé étouffant tant l'évocation du Kurdistan (officiellement le Sud-Est de la Turquie) était lourde, plombante, suffocante. Les émotions sont malheureusement, ici, les mêmes. Oya Baydar, par la longueur de son récit, sa pesanteur, m'a effectivement étouffée. L'ambiance est lourde, chargée, sombre, noire, malsaine. Elle évoque tant de choses qui attristent et qui font la réalité en Turquie: les répressions, les tortures, les arrestations arbitraires, les coups d'Etats, les désillusions de celles et ceux qui ont, un jour, cru à un monde meilleur, la violence au sein de la société, l'injustice rampante, les conséquences désastreuses du programme servi par l'Otan (Gladio) dans le pays... autant d’événements qui continuent à exercer leur influence sur le présent, qui pèsent, qui alourdissent le corps et l'esprit. Oya Baydar a donc un talent indéniable pour dire, raconter, dévoiler la triste et tragique histoire de son pays. Elle parvient à transmettre au lecteur tout son poids. Il est lourd, très lourd. Alors, quand l'auteure ne donne aucun répit, quand elle ne laisse pas glisser un peu de légèreté, son roman finit par écraser. Il est trop imposant pour être tendrement savouré. Il est, malgré tout, à conseiller.
Lien : http://kanimezin.unblog.fr/2..
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Et ne reste que des cendres

Ülkü Öztürk est journaliste pour un grand quotidien français. A ce titre, elle est convoquée par la police pour être interrogée sur ce qu'elle sait de Arin Murat, homme d’État turc qui vient de se faire assassiner rue des Écoles à Paris et avec qui elle a dîné la veille. Elle qui a milité dans les rangs communistes, qui a été incarcérée et torturée, dont le fils Umut (« espoir » en turc) a été exécuté pour rien, elle devra s'expliquer à la fois devant la police française et l'ambassade de Turquie à Paris.

Commence alors un savant va et vient entre la Turquie des coups d’État et des révoltes estudiantines et celle d'aujourd'hui, entre Paris, Istanbul, Ankara et Leipzig ou Moscou. Va-t-on s'y perdre ? Non, car la précision de la construction et la clarté d'écriture sont telles que nous retrouvons nos repères, notamment grâce à des personnages au profil psychologique et au parcours très précisément rendus.

Longue méditation en action sur l'écart entre les idéologies les plus généreuses, les plus enthousiastes, les plus libertaires et la réalité politique d'un pays qui vit de soubresaut en crise, qui voit fleurir les politiques les plus liberticides et répond par le sang, la geôle et la torture aux mouvements de la jeunesse.

L'arrière-plan politique de ce roman, omniprésent comme un personnage à part entière laisse dans ce roman – sans doute en grande partie autobiographique – une part belle à l'histoire d'amour entre Ülkü, la révoltée aux idées de gauche bien arrêtées, et Arin, le politicien qui choisira sa carrière plutôt que sa passion.

Un portrait de la société turque se tisse au long des lignes, tradition, ambitions, qu'en dira-t-on, espoirs fous de la jeunesse, aspiration à la modernité sont ici rendus avec une grande vérité. Aujourd'hui, l'espoir – déçu – d'entrer dans l'Union européenne laissera-t-il la place à un régime tyrannique, celui d'Erdogan, à l'exaspération du sentiment religieux, à la tentation de faire acte de violence contre une Europe hermétique et méprisante ? Un livre qui permet une réflexion à partir d'une analyse certes partisane mais sincère. On aurait aimé que figure, un peu plus qu'en toute fin du livre, une approche du sentiment religieux en Turquie et qu'on en apprenne davantage sur ce que pensent les milieux progressistes de l 'actualité dans ce domaine.
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Parole perdue

L'auteure Oya BAYDAR est relativement peu connue. Quel dommage! Dans son roman 'Parole perdue', elle met en scène un célèbre écrivain turc qui a perdu la parole. En panne d'écriture après avoir trop servilement suivi les attentes du monde de l'édition et ses lecteurs, Ömer décide d'aller chercher la parole perdue à l'Est de l'Est, dans ces territoires Kurdes où vit un pays déchiré, une Anatolie en feu et à sang, en recherche d'elle-même, en recherche de paix, de sécurité. Ce faisant, il s'éloigne de sa femme, une scientifique ambitieuse qui, elle aussi, perd peu à peu ses repères et cherche à comprendre pourquoi leur fils a fui la Turquie pour aller se perdre sur une île norvégienne et y vivre une vie en tous points dissemblables aux rêves qu'ils avaient pour lui.



De nombreux thèmes sont abordés dans ce roman: la fidélité, la projection de soi sur l'enfant, la famille, y compris ses dérapages menant aux crimes d'honneur. Mais aussi le combat de tous ceux qui veulent sortir du moule social que l'entourage familial veut imposer, les pouvoirs que se donnent les puissants pour tuer dans l'oeuf la langue, la culture, la vie même des minorités assujetties.



Parole perdue est un roman politique (même s'il est, à plusieurs moments, très poétique). C'est un livre riche qui nous invite à réfléchir à propos d'une Turquie en plein désarroi, en recherche d'identité qui se voudrait humaniste mais qui a bien de la peine à se trouver.
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Et ne reste que des cendres

Un très très beau livre écrit par une femme exceptionnelle : Oya Baydar, ancienne militante communiste, longtemps frappée d'exil et figure importante de la littérature turque. Elle dit avoir écrit dans "Et ne reste que des cendres" l'histoire d'une génération, sa génération, certainement utopique, et qui a vécu des tragédies. Elle a voulu écrire un livre non seulement politique, mais aussi l'histoire d'un très grand amour qui traverse les années.



Oya Baydar nous raconte ainsi le destin d'une femme, Ülkü, et celui d'un homme qu'elle a aimé, Arin Murat ; petite jeune fille pauvre, Ülkü a connu Arin en donnant des leçons à son jeune frère. Tombés amoureux au grand désespoir de la mère d'Arin, ils se séparent car Mme Murat fait comprendre qu'il ne peut être question de mariage, leur famille étant riche et puissante. Chacun poursuivra son chemin, Arin qui n'a pas eu le courage de s'opposer à sa mère épouse une autre femme et devient quelqu'un de très haut placé en Turquie ; Ülkü sera dans le camp adverse, celui qui pense que le communisme peut être une solution pour ce pays. Elle se marie elle aussi, avec Ömer, un homme qui croit également à l'idéal marxiste.



Nous sommes en Turquie, à Paris, à Moscou, dans les années soixante à quatre-vingt-dix. Pour Ömer et Ülkü, si la jeunesse correspond à leur lutte pour le communisme, leur âge mûr doit faire face à la chute de l'URSS ; et on sent l'immense désillusion, le désespoir même que cela a entraîné, ils y avaient vraiment cru.



Cette écrivaine qui fouille jusqu'aux tréfonds de l'âme de ses personnages, dénonce les assassinats arbitraires et l'emploi de la torture en Turquie. Le fils d'Ülkü est tué parce que soupçonné d'appartenir à une cellule terroriste ; mais n'était-il pas seulement un sympathisant de gauche ?



Et dans un second temps, les enfants de ces militants vont les remettre sévèrement en cause par rapport à ce qui se passe à l'est ; les problèmes kurdes sont assez présents dans le livre, par ceux d'un ami d'Ülkü, Mehmet.



A travers ces destins douloureux mais très humains, c'est toute l'histoire récente de la Turquie qui apparaît et c'est extrêmement intéressant ; Arin Murat a été tué, assassiné le lendemain d'un discours qu'il a fait à Paris ; ayant longtemps fait partie des plus hauts placés du pouvoir turc, il a été petit à petit mis de côté ; il s'occupe alors des relations avec l'occident et surtout des discussions pour l'entrée de la Turquie dans la Communauté Européenne. Et son discours a été personnel et courageux sur les possibilités de développement de la démocratie en Turquie, bien loin des thèses officielles.



Comme le dit Oya Baydar, un des thèmes principaux du livre est le pouvoir ; Arin Murat s'interroge, et Ülkü aussi sur la recherche du pouvoir et sur tout ce que cette recherche "défait" entre les hommes et à l'intérieur d'eux également.



Livre passionnant, remarquablement construit mais assez triste ; et si l'auteure fait le constat que certaines choses ont pu progresser, elle ne semble pas très optimiste à travers ses écrits.
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Et ne reste que des cendres

Ce roman, dont le titre est littéralement : « Il resta LEURS cendres chaudes », conte l'épopée, entre le début de la décennie 70 et la fin 90, de la politisation de cette génération de Turcs, dont le feu des espoirs, idéaux, aspirations, illusions a été étouffé par les coups d’État militaires du 27 mai 1960, du 12 mars 1971 et du 12 septembre 1980, puis par l'effondrement du communisme soviétique et l'intensification du conflit turco-kurde dans les régions orientales.

L'intrigue gravite autour de l'héroïne Ülkü Öztürk et de la série de malheurs épouvantables qu'elle-même et son entourage subissent, notamment sous forme de terrorisme d’État, dont pâtissent aussi, de proche en proche, tous les personnages secondaires, chacun à sa manière. La focalisation sur ce personnage féminin permet d'établir une thèse politiquement subtile et fortement imbue de vérité et de sagesse : à travers les destins des deux amours de la vie d'Ülkü, que tout oppose et surtout le parcours politique – l'un responsable communiste de premier plan, l'autre évoluant dans les plus hautes sphères de l'appareil étatique, les plus secrètes, meurtrières et impitoyablement conservatrices – les positions victimaires des uns et des autres s'immiscent et se confondent ; le véritable tyran n'est autre que la soif de pouvoir, de quelque bord qu'il provienne et quel que soit l'idéal élevé auquel il aspire. Les espoirs une fois brisés, les échines rompues, les trahisons consommées, il reste des hommes et des femmes abîmés sous le poids des décombres, qui n'ont pour seul recours qu'une improbable quête d'îles désertes. Précocement vieillis à la cinquantaine, leur élan vital ou mortifère, selon les cas, brûle et se consume à la fois, à l'instar des cendres ou braises du titre.

De plus, toujours dans la perspective féminine qui sait rendre justice à l'éros et thanatos, sourd toute une série de motifs archétypaux : le sacrifice du fils par le père, la révolte des fils contre leur géniteur, l'ambivalence du désir sexuel féminin en rapport dialectique avec la soumission, les fidélités contradictoires entre responsabilités maternelle et uxorielle, entre idéaux publics et affects familiaux, entre l'exil et le retour aux origines – endroit où (re-)vivre ou endroit où mourir...

La construction du roman est également extrêmement raffinée : non seulement par des flash-back qui complexifient la narration, au moins jusqu'à la moitié du livre, mais surtout par un subtil jeu de miroirs entre personnages, comme regroupés dans leur cheminement biographique et dans leur évolution personnelle sous la voûte de neuf chapitres très habilement conçus, afin de renforcer les analogies.

Enfin, la moisson d'informations historiques et sociologiques est extraordinaire sur la situation politique de la Turquie au cours des trois décennies précédant les nouvelles catastrophes survenues depuis le début des années 2000... lesquelles font sans aucun doute l'objet des romans plus récents de l'auteure, qui ne sont pas encore traduits en français, à l'exception de Parole perdue, qui, dans son édition originelle, remonte à 2007, soit 7 ans après celui-ci.
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Parole perdue

Bien que chez nous elle ne jouisse pas de la même notoriété qu'Orhan Pamuk ou Elif Shafak, Oya Baydar est une figure importante de la littérature turque. Née à Istanbul en 1940, elle publie son premier roman à l'âge de 17 ans avant de passer dans les rangs du marxisme et de s'engager dans une carrière politique. Arrêtée en 1971 à la suite du coup d'Etat, elle est emprisonnée pendant deux ans avant de s'exiler en Allemagne jusqu'en 1991. C'est à cette époque qu'elle rejoint la Turquie et renoue avec la littérature. Sociologue de formation, femme engagée, Oya Baydar livre avec Parole perdue un roman puissant qui mêle habilement destins personnels et histoire collective.



Les personnages de Baydar sont des êtres en souffrance. Omer Eren est un écrivain en panne d'inspiration, et sa femme Elif, une scientifique de renom dévorée par l'ambition. Leur blessure s'appelle Deniz. C'est leur fils unique, un être sensible que les aspirations démesurées de ses parents à son égard ont fragilisé un peu plus encore. Ne se sentant pas à la hauteur des attentes parentales, Deniz a préféré les fuir et s'installer sur une île norvégienne où il élève seul son fils après que sa femme ait été victime d'un attentat à Istanbul.

L'autre couple de ce roman est constitué de Zelal et Mahmut, deux jeunes Kurdes qui ont fui les montagnes et se sont trouvés, eux aussi, dans la trajectoire d'une balle perdue. Elle a été grièvement blessée et a perdu l'enfant qu'elle attendait.



Omer rencontre Mahmut et décide d'aider ces jeunes gens : expiation de l'amour qu'il n'a pas su donner à son fils mais aussi désir de porter leur voix et, à travers eux, celle d'un peuple opprimé qu'il a défendu dans sa jeunesse à travers des écrits virulents. Pour mieux les comprendre, il part aux confins de l'Anatolie découvrir un monde en souffrance et en révolte, soucieux de préserver son identité.



Dans une longue incantation, Oya Baydar bascule constamment du désir de parole des uns au désir de parole des autres. Dénonçant la violence et les conditionnements familiaux, politiques ou géographiques, elle pose la question fondamentale du choix, de la liberté de suivre sa propre trajectoire. Dans ce roman où chacun fuit quelque chose ou quelqu'un, on lit aussi l'espoir d'une réconciliation mais le chemin est long et semé d'embûches, et la violence présente à chaque pas. Un roman sombre mais nécessaire qui ne vous lâche pas une fois la dernière page tournée et permet de comprendre un peu mieux l'actualité que les médias nous déversent quotidiennement.


Lien : http://livredailleurs.blogsp..
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Et ne reste que des cendres

Paru il y a déjà quinze ans en Turquie, ce roman d'Oya Baydar -dont j'avais beaucoup aimé "Parole perdue"- vient enfin de bénéficier d'une traduction en français.



Construit en un savant tissage de flash-back maîtrisé de façon éblouissante, très ancré dans l'histoire de la Turquie moderne, des années 60 environ jusqu'à la fin des années 90, "Et ne reste que des cendres" résonne avant tout comme un hommage nostalgique, à la fois tendre et plus encore triste et amer, à toute une génération passionnée, engagée, pénétrée de l'idéologie marxiste-léniniste, qui se sera battue avec enthousiasme et conviction, en vain, croyant lutter pour un monde meilleur.



L'histoire débute quasiment par la fin, en 1996 à Paris. Ülkü Öztürk, journaliste turque naturalisée française se retrouve convoquée par la police pour reconnaître le corps d'Arin Murat assassiné la veille, Arin avec qui elle connut autrefois une relation passionnelle par lui sacrifiée à des ambitions carriéristes. Ce haut fonctionnaire turc, appartenant aux plus hautes sphères de l'état, avait pour mission de faire avancer le dossier de l'entrée de son pays dans l'Union européenne. Quel est ou quels sont les auteurs de ce crime? Quels en sont les mobiles précis? Là ne sera pas finalement le sujet du livre; tout au plus le prétexte à toucher du doigt des aspects obscurs impliquant l'existence probable d'un réseau criminel dont les ramifications s'étendraient jusqu'au sein de l'appareil d'état.



Pour qui n'en est pas familier (c'est mon cas) ce livre, par sa dimension politico-historique très présente, constitue, sinon une bonne approche, (les évènements marquants sont évoqués mais demeurent souvent confus pour les non-initiés) du moins une bonne sensibilisation au climat chaotique et délétère d'une Turquie transformée en champ d'exactions, d'affrontements entre factions radicalisées de gauche comme de droite et violence d'état sur fond de guérilla kurde. Le lecteur un peu curieux y trouvera en tout cas incitation à enrichir ses connaissances sur la question.



Dans ce contexte troublé, Oya Baydar, s'inspirant probablement de son propre parcours, nous invite à suivre celui de son personnage principal, figure féminine forte, libre et lumineuse et de quelques autres figures non moins marquantes dont les destins s'entrecroisent. Ülkü, comme d'autres militants communistes, se verra contrainte à l'exil à Moscou ou ailleurs en Europe, loin de son fils, pour échapper à la terrible répression suite au coup d'état de 1980. Pour les uns, l'effondrement du régime soviétique sonnera le glas de leurs espoirs engendrant leur propre effondrement: "Désormais, il ne leur restait pas plus de monde nouveau en vue que de force pour en supporter le poids"; d'autres suivront d'autres voies sans que leur destin soit pour autant plus heureux ou porteur d'espérance.

La fin relativement ouverte semble mettre en avant une assertion de l'un des personnages comme quoi " la vie n'(aurait) pas d'autre but, d'autre sens qu'elle-même". Et cette porte meurtrie par les atteintes de la vie et du temps, définitivement cadenassée, illustrant fort à propos la couverture de l'ouvrage, se refermera sur un passé désormais irréversible de souffrances et d'illusions perdues.



Comme à son habitude, semble-t-il, l'auteure nous entraîne dans une réflexion riche de questionnements notamment sur la responsabilité et la nature corruptrice du pouvoir.



Je ne saurais faire l'impasse sur le volet histoire d'amour auquel certain(e)s pourront être plus sensibles, histoire d'une passion unique et dévorante qui défiera l'espace et le temps, braises mal éteintes, réactivées au fil de rencontres rarissimes qui jalonneront ce parcours de femme, ne laissant au final que des cendres comme tout le reste...



Enfin concernant l'écriture, comme dans "Parole perdue", Oya Baydar joue à la fois avec subtilité de la subjectivité des personnages et de l'omniscience de l'écrivain. Mais je voudrais insister sur la remarquable construction évoquée précédemment, point fort du roman selon moi. Toutes ces bribes du passé livrées dans un désordre apparent, s'articulent en réalité selon un schéma virtuose de telle sorte que l'auteur parvient à en exprimer toute l'intensité douloureuse tout en préservant la découverte de ces destins. De la belle ouvrage!
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Parole perdue

Un livre exceptionnel. D'une intensité remarquable. Tout est dans ce livre : l'Etat d'un pays et de ses multiples contradictions, sa culture, son histoire, sa politique et notamment envers les Kurdes, la violence, les attentats, les révoltes, les engagements politiques avec les déceptions qui en découlent. La beauté de ses paysages, mais l’âpreté d'y vivre parfois tant par la géographie, le climat que le poids des traditions et des différentes communautés.

La relation homme femme dans un couple qui se connait si bien, se perd, se retrouve et s'aime au delà de toutes querelles, trahisons et douleurs. La relation filiale des ambitions projetées, des pudeurs déplacées, des non-dits, de l'amour trop en retenue et intellectualisé. La quête de soi que l'on soit adulte ou enfant et adolescent. L'envie d'assouvir ses passions au risque de perdre les siens et sa personnalité profonde.

Tout est là et tout est si fabuleusement dit. Un qualité d'écrit si délicat et forte.
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Et ne reste que des cendres

Ulku est une journaliste turque. Elle a été convoquée pour identifier les cadavre de son ami Arin, homme politique turc assassiné dans une rue de Paris. Le passé resurgit. Sa vie a été marquée par son engagement dans le parti communiste turc. Elle a été emprisonnée, torturée. Puis, s'est réfugiée avec son mari Omer en Russie. Sa vie, c'est aussi son amour pour Arin. Leurs univers sont opposés . Lui est issu d'une famille riche et devient un homme d' Etat, fidèle à son devoir : servir le pays quelque soit le gouvernement. Il renonce à épouser Ulku de famille modeste et militante révolutionnaire.

Roman sur la Turquie actuelle avec ses coups d' Etat, ses droits de l'Homme bafoués. Roman sur les désillusions . Désillusions politiques : le communisme s'effondre. Désillusions sur l'amour . Qu'en reste-t-il ? Rien que des cendres.

Un livre profond, triste mais illuminé par des citations de poète. Superbe
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