Citations de Patrick Modiano (1621)
Les enfants jouent dans le jardin et ce sera bientôt l'heure de la partie d'échecs quotidienne.
- On lui retire son plâtre demain matin, dit Odile.
Elle et Louis sont assis sur la terrasse du chalet en observant de loin leur fille et leur fils qui courent à travers la pelouse avec les trois enfants de Viterdo. Leur fils, âgé de cinq ans, porte un plâtre au bras gauche, mais cela ne semble pas le gêner.
J’aurais voulu qu’il reste toute la nuit en faction devant l’immeuble, toute la nuit et les nuits suivantes, comme une sentinelle, ou plutôt un ange gardien qui veillerait sur moi.
P. 77
Dans cette vie qui vous apparait quelquefois comme un grand terrain vague sans poteau indicateur, au milieu de toutes les lignes de fuite et les horizons perdus, on aimerait trouver des points de repère, dresser une sorte de cadastre pour n'avoir plus l'impression de naviguer au hasard. Alors, on tisse des liens, on essaye de rendre plus stables des rencontres hasardeuses.
Dans ce flot ininterrompu de femmes, d'hommes, d'enfants, de chiens, qui passent et qui finissent par se perdre au long des rues, on aimerait retenir un visage, de temps en temps.
P.13
Là-bas, la rue débouchait en plein ciel, comme si elle menait au bord d’une falaise.
La guerre lui jouait un mauvais tour en le contraignant à réintégrer cette prison qu,avait été son enfance et à laquelle il avait échappé depuis longtemps. ( p. 79)
Les événements que j'évoquerai, je les ai vécus en transparence, ce procédé qui consiste à faire défiler en arrière-plan des paysages, alors que les acteurs restent immobiles sur un plateau de studio.
J'écris ces pages comme on rédige un constat ou un CV, à titre documentaire et sans doute pour en finir avec une vie qui n'était pas la mienne.
Je me demande par quelle mystérieuse chimie se forme un « petit groupe » : tantôt il se disloque très vite, tantôt il reste homogène pendant plusieurs années, et souvent à cause du caractère disparate de ses membres on pense aux rafles de police qui rassemblent de minuit à l’aube des individus qui ne se seraient jamais rencontrés sans cela.
Pendant mes années de pensionnat, ceux que j'ai croisés sur mon chemin ne m'ont laissé aucun souvenir. Et pourtant, depuis l'âge de quatorze ans, je voulais connaître le GRAND AMOUR. Mais personne ne m'a fait battre le coeur au cours de ces années. Je les ai traversées dans un brouillard qui efface tous les visages et tous les détails de ma vie. Au point que je me demande si ce n'était pas un rêve. Un rêve comme ceux qui reviennent souvent et où je suis de nouveau sous les veilleuses bleues du dortoir.
Il faudrait que tu trouves un amoureux, m'a-t-elle dit. Tu sais, il n'y a rien de mieux que l'amour.
J'étais d'accord avec elle, mais je n'osais pas lui dire qu'il faudrait aussi que je cherche du travail
Mon père était parti depuis quelques mois en Colombie, à la découverte d'un terrain aurifère qu'un ami lui avait signalé.
Nous n'avions plus de nouvelles de nos parents. La dernière carte postale de notre mère était une vue aérienne de la ville de Tunis. Notre père nous avait écrit de Brazzaville, puis de Bangui. Et puis, plus rien.
Je connais bien les pierres précieuses et je remarquai aux doigts de la main de Gunilla Desoto une émeraude de l’Oural et un diamant de la plus belle eau. Je levai la tête et mon regard rencontra celui du docteur Réoyon. Étrange regard, comme celui que lance le tricheur professionnel à un nouveau venu qu’il soupçonne d’avoir, lui aussi, des cartes biseautées.
Pour la plupart d’entre nous le sport a été un refuge, une manière d’oublier un moment nos difficultés à vivre...
À soixante ans, il pouvait prétendre en avoir trente-cinq comme certains américains qui demeurent, à force de bronzage, d’hygiène corporelle et de soins de beauté, momifiés dans leur jeunesse.
Cette chaumière aux couleurs vernies évoquait pour nous la demeure de Blanche-Neige et des Sept Nains.
Il se tenait toujours en retrait, à la lisière du trottoir, pour n'être pas pris dans le flot de ceux qui sortaient de l'immeuble à la même heure tandis que retentissait une sonnerie stridente. Les premiers temps il craignait de la manquer dans cette foule et il lui avait proposé de porter un vêtement grâce auquel il pourrait la repérer : un manteau rouge. Il avait l'impression de guetter quelqu'un à l'arrivée d'un train, quelqu'un que vous essayez de reconnaître parmi les voyageurs qui passent devant vous. Ils sont de moins en moins nombreux. Des retardataires, là-bas, descendent du dernier wagon, et vous n'avez pas encore perdu tout espoir...
Mais à mesure que je tournais les pages, je me laissais envahir par une légère euphorie, comme si les mots du docteur Bode me persuadaient que je pouvais vivre au présent et que j'avais même un avenir devant moi.
Je ne serais plus toute seule à crever d'angoisse dans mon coin et à hésiter aux carrefours. Il me soulagerait. Ils m'indiqueraient le chemin. C'est cela dont j'avais besoin. Des guides.