Citations de Paul Greveillac (186)
C'était déjà la fin. La première partie de leur cursus aux Beaux-Arts était terminée. Il leur faudrait partir, parfois très loin, pour un temps apprendre qui le métier d'illustrateur, qui celui de concepteur de -lianhuanhua- ces bandes dessinées destinées à éduquer le peuple. (p. 211)
(...) la moitié de la salle était convaincue que les marionnettes jouaient pour de vrai, et Kewei se berça un instant d'illusions. Les marionnettes étaient terrifiantes de réalisme, certes. elles avaient beaucoup en commun avec les hommes ou les femmes côtoyés au quotidien et dont les cerveaux- celui de notre héros ne faisant pas exception- avaient ardemment embrassé un lavage consciencieux. (p. 173)
Ainsi travaillait-il désormais d'arrache-pied afin de satisfaire l'appétit de l'ogre chinois de la propagande. Il y avait fort à faire. Eduquer plus de huit cent millions d'êtres humains. Et il peignait, de jour comme de nuit, allant même jusqu'à être dispensé de cours afin de s'acquitter de sa noble tâche. (p. 193)
Sur la grand-place on trouvait désormais, à peine moins illettrés que ceux dont ils rédigeaient les confessions , des écrivains publics. Autocritique ordinaire : 20 jiao. Autocritique du tonnerre : 50 jiao. (...) On se rendait à confesse en masse. (p. 116)
- Parce que notre but est de bâtir la nouvelle Chine triomphante, quiconque éprouve de la nostalgie n'a pas tué le bourgeois en lui.
Kewei venait de relever la tête. Il se sentit directement visé. Il rougit. Parcouru de sueurs froides, il comprit tout à trac qu'il ne devait pas se laisser aller à la mélancolie du Sichuan. La nostalgie était réactionnaire. Et dangereuse. (p. 177)
La situation prit un tour politique : pourquoi un piéton devrait-il s'arrêter au rouge, sachant que le rouge est la couleur de la révolution ? Au contraire, ne devrait-il pas plutôt sauter de joie et, plein d'allant et de confiance dans le Grand Timonier, traverser d'un pas sûr ? La sueur perlait au front du cycliste...On était à deux doigts de l'accuser d'être un contre-révolutionnaire. Il remonta sur son vélo l'air renfrogné. (p. 165)
Le réalisme socialiste tenait son chef-d’œuvre. Et son chef-d’œuvre, le transcendant, déjà le niait.
La fin de la projection fut suivie d’un long silence. Tous se mordirent la lèvre d’émotion.
Tarkovski était né.
Carcasse solide, yeux noirs, visage grêlé, crâne enrubanné du matin au soir, Bouchtara est homme de peu de mots. Il a pourtant des délicatesses à faire pleurer les pierres.
Ferdinand Bloch-Bauer avait possédé quelques chefs-d'œuvre de Gustav Klimt. Adolf Hitler les avait octroyés au Belvédère, à Vienne. (Hermann Göring s'était tout de même servi en passant : il avait récupéré le précieux collier de diamants qu'Adele, la femme du Juif, porte sur le portrait qu'a fait d'elle le même Klimt. En fin connaisseur et vrai chevalier, Göring avait fait don du collier à sa femme Emmy.)
Il osa parler du Russe. Il osa louer Scriabine.
- Il vous désoriente... puis il vous assène un de ses uppercuts. Vous croyez qu'il vous a cloué au sol. .. Mais vous êtes plongé dans l'arc-en-ciel.
Dix ans plus tôt, Fernak était à son apogée. Victor Jelinek et Viktor Forman rêvaient d'une joint-venture américaine. L'entreprise employait plus de dix mille ouvriers.
Le régentvMiklós Horthy avait hâtivement conclu l'alliance avec le Reich : son sens du devoir et son amour de la patrie lui dictaient de récupérer les terres injustement volées à la Hongrie après 1918.
Le vice-gouverneur le tenait d'Albert Speer - l'architecte attitré du Führer en personne. Les deux hommes s'étaient rencontrés quelques semaines plus tôt, à Prague, afin de discuter de la transformation de la capitale tchèque en ville allemande modèle. Speer en avait profité pour faire surgir des limbes de son imagination le Berlin de l'avenir. En 1950, son arc de triomphe relèguerait celui de Paris à un bibelot. Berlin serait renommée Germania. Germania serait la capitale du monde. Et Prague en serait l'une des nombreuses cousines.
Mais à présent, les Juifs disparaissaient. Et le silence qu'ils laissaient derrière eux était assourdissant. C'était comme un escalier qu'on eût descendu marche à marche, et qui menait à une mélasse informe, inquiétante. Où sont passés les Juifs, se demandait Gustáv Černý, le soir, avant de s'endormir. Les angoisses de l'enfant resurgissaient sous des atours problématiques. Le Juif n'était plus l'homme à abattre. L'adversaire de toujours avait quitté l'arène. On l'en avait aspiré. Mais vers quelle destination ? Et pour en faire quoi, au juste ?
L'architecte, taillant son dernier crayon, se rendit compte qu'il était nostalgique de "l'école juive". Il regrettait l'art nouveau. "..Un souvenir du temps où toutes choses se créaient et non pas se fabriquaient."
L'usine assembla bientôt ses propres tanks. Le Pape, comme un autre, collaborait désormais à l'effort de guerre nazi.
Des hommes et des femmes trouvaient en lui une sorte de prophète de l'Apocalypse. D'aucuns, avant eux, avaient suivi Raspoutine jusqu'au précipice. C'est là un grand mystère de l'humanité que les prétendus agneaux sachent si bien se laisser mener par les individus les plus vils.
Le Pape comprit. Reinhard Heydrich avait réclamé au président de faire pleinement participer les usines tchèques à l'effort de guerre allemand.
Neuf jours à peine après l'empoisonnement des journalistes collaborationnistes, le Premier ministre tchèque Alois Eliáš était condamné à mort.
Les journalistes collaborationnistes, marionnettes des Allemands, vantaient à longueur de colonnes la grandeur et la bienveillance du Reich. Ils portaient aux nues la puissance militaire qui subjuguait les pays les uns après les autres. Ils appelaient de leurs vœux le nouvel ordre européen prôné par Adolf Hitler. Depuis l'invasion de l'U.R.S.S., ils réclamaient de leur Premier ministre un ralliement public à la cause du protectorat. Une condamnation ferme du gouvernement de Londres et des terroristes communistes. A travers eux, les Allemands cherchaient à faire accepter d'avoir mis la Tchécoslovaquie à genoux.