Citations de Paul Éluard (1658)
LES YEUX FERTILES
On ne peut me connaître
Mieux que tu me connais
Tes yeux dans lesquels nous dormons
Tous les deux
Ont fait à mes lumières d'homme
Un sort meilleur qu'aux nuits du monde
Tes yeux dans lesquels je voyage
Ont donné aux gestes des routes
Un sens détaché de la terre
Dans tes yeux ceux qui nous révèlent
Notre solitude infinie
Ne sont plus ce qu'ils croyaient être
On ne peut te connaître
Mieux que je te connais.
L'amoureuse
Elle est debout sur mes paupières
Et ses cheveux sont dans les miens
Elle a la forme de mes mains
Elle a la couleur de mes yeux
L'amoureuse
L'amoureuse
L'amoureuse
L'amoureuse
Elle s'engloutit dans mon ombre
Comme une pierre sur le ciel
Elle a toujours les yeux ouverts
Et ne me laisse pas dormir
L'amoureuse
L'amoureuse
L'amoureuse
L'amoureuse
Ses rêves en pleine lumière
Font s'évaporer les soleils
Me font rire, pleurer et rire
Parler sans avoir rien à dire
L'amoureuse
L'amoureuse
L'amoureuse
L'amoureuse
L'amoureuse
L'amoureuse
L'amoureuse
L'amoureuse
Elle avait dans la tranquillité de son corps
Une petite boule de neige couleur d’œil
Elle avait sur les épaules
Une tache de silence une tache de rose
Couvercle de son auréole
Ses mains et des arcs souples et chanteurs
Brisaient la lumière
Elle chantait les minutes sans s’endormir.
Je te regarde et le soleil grandit
Il va bientôt couvrir notre journée
Éveille-toi cœur et couleur en tête
Pour dissiper les malheurs de la nuit
Je te regarde tout est nu
Dehors les barques ont peu d’eau
Il faut tout dire en peu de mots
La mer est froide sans amour
C’est le commencement du monde
Les vagues vont bercer le ciel
Toi tu te berces dans tes draps
Tu tires le sommeil à toi
Éveille-toi que je suive tes traces
J’ai un corps pour t’attendre, pour te suivre
Des portes de l’aube aux portes de l’ombre
Un corps pour passer ma vie à t’aimer
Un cœur pour rêver hors de ton sommeil.
Les rues et les maisons les prés et les forêts
Brillent d'un même éclat chacun a son soleil
Les nuages sont dispersés
Il y a une foule de soleils dans l'air
Et l'amour est mutuel
Et l'émotion est générale
Je ne me souviens pas
Du passé désolant.
( " Pouvoir tout dire")
Un coeur n'est juste que s'il bat au rythme des autres coeurs.
J'avoue je viens de loin et j'en reste éprouvé
Il y a des moments où je renonce à tout
Sans raisons simplement parce que la fatigue
M'entraîne jusqu'au fond des brumes du passé
Et mon soleil se cache et mon ombre s'étend
Vois-tu je ne suis pas tout à fait innocent
Et malgré moi malgré colères et refus
Je représente un monde accablant corrompu
L'eau de mes jours n'a pas toujours été changée
Je n'ai pas toujours pu me soustraire à la vase
LE CHÂTEAU DES PAUVRES.
Elle est noyau figue pensée
Elle est le plein soleil sous mes paupières closes
Et la chaleur brillante dans mes mains tendues
Elle est la fille noire
et son sang fait la roue
Dans la nuit d’un feu mûr.
Le DON - p24
accompagné d'un dessin de Man Ray : femme nue a la posture érotique, tête renversée aux longs cheveux délacés, dos cambré, gorge offerte, tendue vers le désir.
Le sommeil a pris ton empreinte
Et la colore de tes yeux.
Et l'amour n'a pas le temps
Qui dessine dans le sable
Sous la langue des grands vents
L'Avis
La nuit qui précéda sa mort
Fut la plus courte de sa vie
L'idée qu'il existait encore
Lui brûlait le sang aux poignets
Le poids de son corps l’écœurait
Sa force le faisait gémir
C'est tout au fond de cette horreur
Qu'il a commencé à sourire
Il n'avait pas UN camarade
Mais des millions et des millions
Pour le venger il le savait
Et le jour se leva pour lui.
Paul Eluard (1942)
Le poète est celui qui inspire bien plus que celui qui est inspiré.
Couvre-feu ...
Que voulez-vous la porte était gardée
Que voulez-vous nous étions enfermés
Que voulez-vous la rue était barrée
Que voulez-vous la ville était matée
Que voulez-vous elle était affamée
Que voulez-vous nous étions désarmés
Que voulez-vous la nuit était tombée
Que voulez-vous nous nous sommes aimés ...
Il n’ y a pas de hasard , il n’y a que des rendez-vous
Je suis devant ce paysage féminin
Comme un enfant devant le feu
Souriant vaguement et les larmes aux yeux
Devant ce paysage où tout remue en moi
Où des miroirs s'embuent où des miroirs s'éclairent
Reflétant deux corps nus saison contre saison
(" Le temps déborde")
La Parole
J'ai la beauté facile et c'est heureux.
Je glisse sur les toits des vents
Je glisse sur le toit des mers
Je suis devenue sentimentale
Je ne connais plus le conducteur
Je ne bouge plus soie sur les glaces
Je suis malade fleurs et cailloux
J'aime le plus chinois aux nues
J'aime la plus nue aux écarts d'oiseau
Je suis vieille mais ici je suis belle
Et l'ombre qui descend des fenêtres profondes
Epargne chaque soir le cœur noir de mes yeux.
Je suis sur terre y serais-je
Si tu n'y étais aussi
Le front aux vitres comme font les veilleurs de chagrin
Ciel dont j’ai dépassé la nuit
Plaines toutes petites dans mes mains ouvertes
Dans leur double horizon inerte indifférent
Le front aux vitres comme font les veilleurs de chagrin
Je te cherche par delà l’attente
Par delà moi même
Et je ne sais plus tant je t’aime
Lequel de nous deux est absent.
Si je vous dis : « j’ai tout abandonné »
C’est qu’elle n’est pas celle de mon corps,
Je ne m’en suis jamais vanté,
Ce n’est pas vrai
Et la brume de fond où je me meus
Ne sait jamais si j’ai passé.
L’éventail de sa bouche, le reflet de ses yeux,
Je suis le seul à en parler,
Je suis le seul qui soit cerné
Par ce miroir si nul où l’air circule à travers moi
Et l’air a un visage, un visage aimé,
Un visage aimant, ton visage,
À toi qui n’as pas de nom et que les autres ignorent,
La mer te dit : sur moi, le ciel te dit : sur moi,
Les astres te devinent, les nuages t’imaginent
Et le sang répandu aux meilleurs moments,
Le sang de la générosité
Te porte avec délices.
Je chante la grande joie de te chanter,
La grande joie de t’avoir ou de ne pas t’avoir,
La candeur de t’attendre, l’innocence de te connaitre,
Ô toi qui supprimes l’oubli, l’espoir et l’ignorance,
Qui supprimes l’absence et qui me mets au monde,
Je chante pour chanter, je t’aime pour chanter
Le mystère où l’amour me crée et se délivre.
Tu es pure, tu es encore plus pure que moi-même.
Pourtant ce tout petit miroir
Pour y voir en riant les deux yeux oeil par oeil
Et le nez sans rien d'autre
Et le bout de l'oreille et le temps de bouder
Ce miroir sans limites
Où nous ne faisions qu'un avec notre univers
Ce tout petit miroir où jouaient avec nous
Une par mille filles
Mille promesses définies