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Critiques de Robert McLiam Wilson (186)
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Eureka Street

Belfast, Irlande du Nord, années 90, peu avant et après le cessez-le-feu de l'IRA.

Jack le catho vit dans Poetry Street, une large avenue sans voitures calcinées , ni patrouilles militaires. Sa compagne anglaise est partie il y a six mois, ayant eu assez de vivre dans cette ville. Lui il glande, fait des boulots merdiques à droite à gauche, en attendant que quelque chose se passe dans cette ville où la mort en public est chose fréquente.

Chuckie le protestant a trente ans, lui vit à Eurêka Street avec sa mamôn et lasse de l'incohérence de sa vie, veut organiser son existence.Sauf qu'échafauder une telle organisation écumant les bars, bourré quasi en permanence, s'avère compliqué 😆. Pourtant le mec a du talent. Il a des bonnes idées, qui peuvent aussi vous éclairer si vous aviez des ambitions capitalistes similaires , comme comment gagner un million de livres Sterling sans lever le petit doigt😆.....et ça marche !!!

Le chemin que vont emprunter ces deux-là (malgré eux 😆)pour changer le cours de leurs vies est au coeur de ce livre, où le troisième personnage est Belfast, la ville d'où est issu l'auteur. Belfast, cette ville qui donne « l'impression d'être le ventre de l'univers...un décor souvent filmé rarement vu...un monde brisé-brisé mais beau ...un simple fouillis de rues et quelques grosses collines, un simple murmure de Dieu. »

Les deux personnages sont sublimes, et leur attitude d'une lucidité couplée d'une indifférence insondable envers la vie, désarmante. Dans la noirceur d'une ville, scène d'événements tragiques, l'auteur les enveloppe d'un halo d'humour, d'humanisme et d'optimisme qui m'ont fait sourire et rire, tout en dégustant de la belle littérature. Dans son ensemble une satire très subtile de notre monde , où pour préserver notre santé mentale vaut mieux ne pas chercher de raisonnement logique. Syrie, Irlande du Nord,.....l'absurde est partout. le cours de l'histoire et celui de la politique se télescopant, les histoires individuelles sont mutilées ou tronquées à jamais. J'ai particulièrement apprécié les piques au monde des “affaires”, à l'ignorance des américains, à l'hypocrisie des politiciens et autres genres de personnages publiques plus soucieux de leur image et de leur réputations que de leurs actes et à l'absurdité des conflits politiques et religieux basés sur des fondements et justifications non tangibles.



Eurêka Street est encore une rencontre babeliote, une lecture coup de coeur, merci Bison.



"Dans Eurêka Street, les gens vivaient les uns sur les autres comme des allumettes dans une boite, mais avec chaleur et sociabilité."
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Eureka Street

Traduction littérale d'Eureka Street : à lire de toute urgence !



Une bande de potes désoeuvrés et paumés dans un Belfast laminé par le chômage et balafré par les conflits religieux , voilà le propos cyniquement lucide d'un auteur natif de cette ville arborant presque ironiquement comme emblème un trèfle à quatre feuilles pourtant bien loin d'apporter joie , bonheur , prospérité et U2 puissamment beuglé , le corps et l'âme noyés sous des flots ininterrompus de Guinness , à chaque union protestant / catholique , assez rare il est vrai...

A part Sunday Bloody Sunday , je vois pas...



Trois héros récurrents dans ce petit bijou d'humour désabusé .

Jake le catholique et Chuckie le protestant . A priori , rien en commun mais les à priori , hein , ça vaut ce que ça vaut...Deux adultes célibataires presque trentenaires , aussi paumés et blasés qu'ils sont intimement liés par une amitié certes chaotique mais toujours bien ancrée .

Petits boulots qu'ils s'ingénient à perdre dans les plus brefs délais , beuveries , filles d'un soir quand soir il y a , beuveries , lamentables et pathétiques larcins , beuveries...

Les jours , mois , années se suivent sans véritable changement notoire ni quelque espoir futur que ce soit . Jusqu'au jour où...



Autre élément central incontournable , ce Belfast en crise que McLiam Wilson chérit pourtant tant . Renaud , tu te calmes !

Une description au cordeau de cette principale ville d'Irlande du Nord souffrant de mille maux , le terrorisme n'étant pas le moindre .



Deux stratosphériques glandeurs en puissance dans une ville susceptible de filer le bourdon à un mormon dépressif , rien de ragoûtant au menu serait-on tenter de croire .

Et là je m'inscris en faux votre honneur ! Des mecs attachants au possible , oublier les seconds couteaux serait leur faire injure , à la verve corrosive et acerbe , moi je dis benco ! Auquel je rajouterai Nesquik et Poulain , injonction du CSA oblige...

La plume de McLiam Wilson , tour à tour ironique , douloureuse et désenchantée , est malgré tout un véritable hymne au bonheur ! Chaque réplique fait mouche . L'auteur n'en fait jamais des caisses . Toujours sur le fil , il ne verse jamais dans la démonstration et contrebalance talentueusement un morne quotidien par un incroyable sens de la répartie ! Sorte de Tontons Flingueurs irlandais à la verve jouissive qui laisseraient à penser qu'aussi désespérée qu'une situation puisse être , il reste encore et toujours l'espoir...



Eureka Street : lu et fortement conseillé par Archimède ! A lire dans sa baignoire , comme de bien entendu , beaucoup plus pratique que sous la douche...
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Eureka Street

Eurêka ! J’ai trouvé un chef d’œuvre avec ce talentueux auteur qui nous présente sa ville. Une bande de copains, de religion différente, faite de débrouille pour vivre dans ce Belfast sous la menace du terrorisme. Chaque personnage (jeune, vieux, femme, homme, pauvre, friqué) est attachant et haut en couleur. Ces 545 pages nous apportent émotion, humour, amour, voyage, poésie, politique, religion, chômage, travail, beuveries, bagarre, insultes, violence. Le chapitre 11 sur l’attentat est d’une force émotionnelle bouleversante. L’écriture est nette, précise. Bluffée par l’analyse des êtres humains. Oh comme il est difficile de faire une critique d’un livre aimé ! Exceptionnellement je n’enchaîne pas sur un autre roman. Je vais continuer à savourer Eurêka Street comme un chocolat qu’on laisse fondre en bouche en se délectant.
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Eureka Street

« Toutes les histoires sont des histoires d’amour. »



C’est ainsi que commence ce roman, dans le genre ballade irlandaise. Les histoires d’amour c’est mon kif, alors je fonce dans le premier pub, irlandais. Ça braille, ça crie, ça gerbe, mon univers. Des gamins qui se pintent, des vieux qui se pintent, des rousses qui se pintent aussi. Le ciel est gris, les nuages menaçants, la pluie arrive en trombe, les buveurs aussi. Mon élément, cette grisaille et ses bières. Et ça cause amour, des love story qui mijotent autant que l’irish stew dans une cuisine que l’on croit abandonnée. Une radio diffuse les grands titres du lion de Belfast, de quoi chavirer quelques cœurs autour d’une bonne bière, c’est que les histoires de cœurs sont au centre de toute une vie, le mien par exemple je l’ai donné à Van Morrison. Un flash-info, je coupe le son. Une nouvelle déflagration qui coupe cet élan de bonheur et d’ivresse. On s’y habitue presque dans les rues de Belfast. Des graffitis au mur, des bombes qui sautent, des sirènes, des cris affolés, des pleurs chagrinés, ainsi va la vie dans ses rues. Peut-être pour cette raison que chaque week-end est rythmé au son des verres qui s’entrechoquent.



Le grand roman de l’Irlande des années quatre-vingt. Pas moins que ça ! Les jeunes sont au pub, ils se bourrent la gueule, pensent aux filles en mini-jupes, je les accompagne, je me sers une pinte, deux mêmes, jusqu’à la biture et la passion de ces rousses à la poitrine généreuse, en bonne catholiques. Mais les protestantes sont plus lubriques. Parait-il ! Car la vie à Belfast se rythme aussi au son des sermons, opposition de religions. Les murs d’usines désaffectées se tapissent toujours plus de peinture et de sigles barbares. WTF et OTG. Et puis j’arrive tout simplement au chapitre 10. Je n’ai pas fini ma Guinness alors que je sens une atmosphère différente, pesante, palpable. Ce chapitre n’est pourtant qu’une mise-en-bouche, une entrée en matière sur le chapitre 11, chapitre anthologique sur l’Irlande. Tu veux sentir le pouls de Belfast, lis juste ce chapitre 11, phénoménal et glaçant. Peut-être mon plus grand moment littéraire sur les terres irlandaises.



Après cet intermède presque musical, presque poétique, qu’est le chapitre 11 qui marquera à jamais ta vie de lec-teur-trice, la vie reprend son cours, envie d’aller aux States, mais pour un irlandais, même sous les bombes et les décombres, la vie est à Belfast, Eureka Street. Je rallume la radio, musique. La pluie triste et morose s’abat, ambiance élégiaque dans un cimetière, sauf que je bois seul ma pinte dans ce pub, mon âme enfouie sous ma propre tombe.
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Eureka Street

À la lecture d'Eureka Street, je découvre un grand écrivain, il m'a emmenée dans sa ville, il raconte sans pudeur aucune, avec humour et émotion, la vie quotidienne de ces habitants d'une capitale secouée par les attentats.

Je découvre Belfast, les habitants d'Eureka Street qui tentent de vivre vaille que vaille, Chuckie le gros protestant qui multiplie les combines pour faire fortune, Jake, le catho, ancien dur au cœur d'artichaut qui cumule les ruptures sentimentales. Je les accompagne, avec leurs amis, dans leurs beuveries, dans leurs recherches de petits boulots vite abandonnés, dans le train de la Paix avec Jake..., j'assiste impuissante à l'éclatement d'une bombe dans une sandwicherie ..., j'admire la fraternité qui les unit.

J'aurais beaucoup à dire mais je résume tous mes non-dits par : à lire !

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Eureka Street

Des irlandais, la trentaine chargée, collectionnent les mauvais coups et surtout les coups du sort dans un Belfast où s’affrontent les catholiques et les protestants sous la surveillances d’anglais qui ont la notoriété mondiale de foutre la merde partout où ils passent (le jour où ils arrêteront de se torcher avec la géopolitique, le monde ira un poil mieux).

Jake Jackson vient de se faire plaquer par Sarah, retournée à Londres où elle y a avorté, ce qu’il apprendra plus tard. Il décide de quitter son job de déménageur-encaisseur lorsqu’avec ses deux acolytes, ils récupèrent le lit médical d’une vieille dame atteinte d’un AVC qui n’avait pas fini de payer ses traites, en la virant par terre. Depuis il traine ses regrets, attendant de rencontrer la femme qui lui fera oublier ses déboires amoureux.

Son ami, Chuckie, rêve de toucher le jackpot mais sans avoir à passer sous un bus afin de percevoir la prime d’assurance. Il a l’idée d’une géniale arnaque. Il fait passer une annonce proposant un godemichet géant moyennant la modique somme de 9,99 £. Il ne compte bien évidemment jamais expédier l’objet du délit à l’acquéreur(se)(heureuse) mais à la place un chèque de remboursement portant la mention : « REMBOURSEMENT GODEMICHET GEANT ». Il se doute que personne n’osera déposer le chèque à sa banque. Il fait rapidement fortune…

Chuckie Lurgan est à « Eureka Street » ce qu’Ignatius J. Reilly est à « La conjuration des imbéciles ». Le premier est autant obsédé par gagner du fric au travers de procédés douteux et sauter la ravissante californienne Max que le second l’est à son anneau gastrique et à ses excentricités délirantes.

Robert McLiam Wilson signe un roman d’une rare cocasserie. Il donne l’impression de régler ses comptes avec l’absurdité d’un pays divisé par une guerre de religion tout aussi absurde, sur le ton de la plaisanterie. Il aurait pu finir chacun de ses chapitres par : « Mais la vie continue… ».

Il réunit une brochette de personnages aux caractères haut en couleurs, que les travers de leur existence n’atteignent plus. Ils jonglent avec un humour corrosif et échappent ainsi à la sinistrose qui tapisse les rues de Belfast. Sur fond d’attentats terroristes meurtriers, ils sont capables de tels échanges :

« - Ta queue atteint-elle ton cul ? Demanda-t-il.

J’ai écarquillé les yeux.

- Quoi ? fit Billy.

- Ta queue atteint-elle ton cul ?

Billy ne trouvait pas ça drôle du tout.

- Qu’est-ce que tu veux dire ?

- Eh ben, si elle l’atteint, tu peux aller te faire enculer plus facilement. » D’une logique implacable…

Le roman de Robert McLiam Wilson est un véritable chef d’œuvre de second degrés et un hymne à une humanité que rien ne saurait altérer. C’est une histoire sur l’amitié. C’est le témoignage que même au milieu d’une société dure, cultiver la dérision aide à se sortir de bien des situations sans être atteint au plus profond de soi-même.

Moralité de cette histoire : plus la connerie est grosse, et plus on y croit et plus elle marche, parce qu’on en a besoin !

Une lecture savoureuse et un auteur génial à découvrir impérativement…

Traduction de Brice Mathieussent.

Editions Christian Bourgois, 10 :18 « domaine étranger », 545 pages.

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Les dépossédés

Robert McLiam Wilson et Donovan Wylie ont une vingtaine d’années lorsqu’ils décident de partir en reportage dans les villes de Londres, Glasgow et Belfast. Ils axent leurs recherches sur les quartiers défavorisés, là où vivent des familles qui ont à peine de quoi payer leur loyer et se nourrir. La plupart d’entre elles touchent les allocations logement et chômage qui ne couvrent pas leurs besoins quotidiens. La précarité fait peser sur leur tête la menace d’une expulsion, d’une coupure d’électricité ou le placement des enfants en foyer.

Robert est à l’écriture et Donovan derrière son appareil photo.

« Les dépossédés ce n’est pas les pauvres ». Ce témoignage montre l’Angleterre de Thatcher et son ultralibéralisme, l’Irlande en proie à une guerre de religion et l’Ecosse, dans les années 90. Bien qu’éloigné dans le temps, ce récit reste malheureusement on ne peut plus d’actualité. Il invite le lecteur à ne pas oublier qu’un simple accident de la vie peut plonger n’importe qui dans la misère et le désespoir et qu’une simple main tendue peut sauver des vies, alors restons solidaires, restons humains.

« Les dépossédés » est un reportage dont il faut prendre connaissance, qu’il faut lire attentivement et garder toujours dans un coin de sa mémoire afin de rester lié à la réalité d’une vie qui peut basculer à tout moment.

Traduction de Brice Matthieussent.

Christian Bourgois éditeur, 348 pages.

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Eureka Street

Eureka Street est l'histoire d'une bande de potes irlandais. Les uns catholiques, les autres protestants. Mais quelle importance au final. Ils se ressemblent. On saisit le ridicule de cette haine pataude :



« Telles sont les habitudes de deux populations dotées de différences nationales et religieuses remontant à quatre ou huit siècles. le drame, c'est que toute différence jadis notable a aujourd'hui fondu et que chacune de ces deux populations ne ressemble à aucune autre, sinon à l'autre. »



Portraits d'hommes accablés et désabusés, dans ce pays tourmenté qui s'englue dans la pauvreté et le désœuvrement. Belfast est décrite comme un personnage à part entière. Elle est comme ces hommes et ces femmes qui y habitent. Meurtrie, elle n'en reste pas moins belle et authentique. Nulle autre ne lui ressemble. Sous sa cuirasse, se cache un cœur sensible.



Les actes terroristes sont relatés de façon ironique. Ces hommes sont lucides. Ils savent qu'ils ne sont que les instruments d'une politique absurde. Certains, comme Chuckie, en profitent pour faire fortune, d'autres, comme Jake, crient parfois leur colère.



Ce roman, qui peut apparaitre dans ses premiers chapitres qu'une succession de portraits d'hommes machos et trop portés sur la beuverie, monte en puissance lors de la description d'un attentat terroriste. À ce moment, on est dans le cœur de l'histoire. On saisit le message de l'auteur. La vie d'hommes et de femmes est fauchée dans son élan. On tranche dans le vif au mépris de la vie humaine.



C'est aussi un roman sur la solitude, la détresse. Histoire où terrorisme et histoires d'amours se télescopent . Histoire d'une ville en conflits, où l'espoir et les rêves de chacun ne sont pas éteints. À Belfast où ailleurs, c'est toujours la même histoire.







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Eureka Street

Belfast années 90.



Ville lasse, plate, grise et taguée de sigles vindicatifs d'appartenance catholique ou protestante. Une paix molle s'est installée mais le conflit reste dans les gènes, telle une gangrène impossible à enrayer: les frondes républicaine et unioniste restent larvées et la ségrégation religieuse est une position politique. L'extrémisme est présent dans les deux camps, le quotidien des habitants est une lutte insidieuse, et L'IRA fait encore sauter des bombes...



"Les irlandais tuent des irlandais pour libérer des irlandais ": ubuesque!



Le catholique Jake, mélancolique et pacifiste, rongé de solitude et de peines de coeur côtoie le bon gros Chuckie, protestant débonnaire, pas très futé mais surdoué pour les combines financières. Autour d'eux, le chaudron nord irlandais où bouillonnent des extrémistes, des pacifistes, des idéalistes, des flics belliqueux, des femmes éreintées par la détresse et la pauvreté, des gamins des rues vindicatifs et sans enfance...



Dans les quartiers populaires, les hommes tuent leur vie médiocre en buvant des litres de bière dans des pubs nauséabonds, enfumés et crasseux. Les soirées sont des gigantesques beuveries à insultes et coups de poings car l'irlandais est par nature dissipé, bagarreur, querelleur, qu'il soit catholique ou protestant.

Toute attitude pacifique est rejetée, déconsidérée, toute tentative de conciliation au coin d'un pub s'apparente à de la traitrise.



Une vision de l'intérieur, impressionnante de réaliste, de fatalisme et de violence (il faut parfois s'accrocher). Tout cela en mode narratif ironique, humoristique, sarcastique et désabusé. Un grand écart permanent entre bouffonnerie et terrorisme. Et un très beau message de foi en un avenir possible.



Et Belfast, la ville, est le fil conducteur: on croit voir les rues grises et pavées de misère, les quartiers de briques rouges, le plafond bas du ciel, les hurlements de poivrots, les injures en gaélique.



Je conseille, je conseille...meilleur livre sur l'imbroglio politico-terroriste de l'Irlande du Nord que j'ai pu lire...
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Eureka Street

Quoi de mieux en pleine troisième vague de chaleur (atténuation du mot canicule) que de partir en Irlande du Nord ? Bon, d’accord, en pleine guerre civile dans les années 90, mais le bruit des bombes et autres déflagrations ne surprennent même plus les habitants.



De la pluie, de l’humidité, du gris et une rue de Belfast : Eureka street où vit Chuckie, protestant, chez sa mère, dans une petite maison étroite, comme toutes celles du quartier. Un peu désoeuvré, Chuckie écume les pubs avec ses potes, n’a aucun projet, pas de travail, pas de petite amie. Son copain Jack, catholique, vit dans une rue un peu mieux lotie, dans un bel appartement et travaille. Sarah sa compagne, l’a quitté mais grâce à cette relation, il habite un bel appartement avec un chat miteux qu’il n’aime pas trop. Il a repéré une serveuse d’un pub, se pose des questions existentielles sur son boulot qui consiste à récupérer des articles achetés à crédit chez des habitants de Belfast, parfois par la violence.



Les deux amis sont en bout de route de leur vie routinière et entre deux pintes et deux migraines, ils pensent à changer leur vie. Autour d’eux, la famille, les amis et les voisins gravitent. La vie du quartier n’est pas désagréable, mais tous vivent dans une misère plus ou moins prononcée.



Chuckie va avoir l’idée du siècle, pourtant stupide au premier abord, pour se faire beaucoup d’argent, et ça marche !



J’ai suivi l’évolution de Chuckie et Jack avec plaisir, la vie de leur entourage solidaire mais avec les préjugés de l’époque. J’ai moins aimé le côté politique pourtant indispensable. J’ai beaucoup ri, attendrie par ces personnages qui profitent des occasions que la vie leur donne, en se posant de multiples questions et en avançant, conscients de l’importance de prendre leur destin en main malgré la guerre et la misère.



Une lecture addictive où l’auteur mettant en scène des personnages masculins arrive à glisser entre deux lignes une pensée féministe avec le changement de vie radical de la mère de Chuckie.
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Eureka Street

Saisissez la barre en cuivre et tirez la lourde porte du pub. Vos premiers pas dans cette salle obscure et surpeuplée sont hésitants. Vous cheminiez dans une rue grise de Belfast, noyée dans le crachin, et vous voici projeté dans la chaude ambiance d'un bar nord-irlandais. Tout est un peu flou, comme en suspens. Les vitres sont couvertes de buée, l'ambiance est enfumée. Vous sentez les effluves du tabac, de la bière bon marché et de l'urine. Les cris des commandes et le brouhaha des discussions animées couvrent le morceau de rock pourtant lancé à plein volume. Vous commencez à détailler la faune qui peuple l'établissement. Il y a le videur aux bras couverts de tatouages loyalistes, des étudiantes en goguette, des piliers de bar décatis et au fond un groupe de cinq trentenaires attablés devant leurs pintes. Approchez-vous de Chuckie, Donal, Septic, Slat et Jake, ils vont vous parler de Belfast, des Troubles et de... l'amour et de la vie. Le premier, Chuckie, est bedonnant, dégarni et avouons-le, complètement décalé. Il n'a jamais vraiment travaillé et vit avec sa maman dans une bicoque située dans un quartier prolétaire et protestant de la ville. Chuckie va vous expliquer comment il a fait fortune en peu de temps. Son créneau ? La crédulité. Son talent ? La jobardise. Le dernier du groupe, Jake, se remet douloureusement d'une rupture et exerce une profession qu'il déteste. Ce catholique au cœur d'artichaut traîne son spleen dans les rues de Belfast en enchaînant les désillusions amoureuses. D'autres voix vont surgir dans le récit et se mêler à celles de Chuckie et Jake. Et la prouesse de Robert McLiam Wilson est de parvenir à combiner ces voix plébéiennes pour construire un roman global sur Belfast. Il parvient à recréer le monde foisonnant et haut en couleur des quartiers populaires de la capitale de l'Ulster. Une ville meurtrie par des années de guerre civile où l'étrange amitié qui lie Chuckie le Protestant à Jake le Catholique peut surprendre. Mais pour l'auteur, le conflit nord-irlandais n'est qu'une vaste mascarade qui ne peut en aucun cas justifier l'injustifiable : la mort de victimes innocentes. Il rend avec brio toute l'absurdité d'un monde de postures, qu'elles soient politiques ou économiques. Chaque belligérant en prend pour son grade. Au diable les vieilles haines ressassées, Robert McLiam Wilson exprime tout son amour pour cette ville provinciale et ses habitants. Un roman brillant, pour une fois je n'exagère pas, ce pavé est un concentré de tendresse, d'humour et d'humanité !
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Eureka Street

Visiteur intrépide du Belfast de la dernière décennie du XXème siècle, pénètre dans Eureka Street, l'archétype de la rue prolétaire du Belfast protestant, avec précaution, tu risques d'y laisser des plumes et des larmes, surtout si tu es catholique.



Peut-être croiseras-tu le chemin de Chuckie Lurgan, le "Gros Cinglé", le type pas propre sur lui qui sait arnaquer comme personne et qui est devenu milliardaire malgré lui ? Ou si tu préfères diriger tes pas vers Poetry Street, tu rencontreras Jake Jackson, le gros dur catholique, et son chat. Jake te parleras peut-être de son spleen et t'inviteras à boire une pinte au pub, histoire de tomber amoureux d'une énième serveuse à la petite morale.



Dans les deux cas, cher visiteur, ta plongée dans Belfast sera rude, amère, tumultueuse voire mortelle si tu te trouves au mauvais endroit au mauvais moment, plus précisément au moment où explosera une des innombrables bombes qui explosent dans cette ville terrorisée par le terrorisme.



Lire "Eureka Street" aujourd'hui, c'est-à-dire dans le contexte de menace permanente que connaît l'ensemble des capitales européennes, donne à la lecture une acuité toute particulière. La violence des groupuscules - ici Catholiques et Protestants - heurte puis devient rapidement banale. A travers une année passée auprès de Jake, Chuckie et leurs potes, dans les bars, les rues, les émeutes, on prend le pouls de ce que fut Belfast pendant des décennies, un creuset bouillonnant où les illusions et les quêtes entraient brutalement en collision.



L'écriture est assez particulière mais rend bien compte du climat délétère et des aspirations profondes des nombreux personnages. Au final, la paix triomphera-t-elle de la guerre ? Et l'amour de la haine ?



Avant de lire ce roman, je n'avais qu'une vision très imprécise de la lutte civile acharnée qui a divisé l'Irlande et l'Irlande du Nord ; désormais j'en sais un peu plus, et j'ai la désagréable impression que cette violence reste hélas d'actualité sur d'autres fronts. Depuis 2015, je me sens un peu Irlandaise du Nord, quelque part...





Challenge PAVES 2017

Challenge Petit Bac 2016 / 2017
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Eureka Street

Quel roman!

1990, Belfast, deux villes dans une, Belfast ouest, modeste voir pauvre où vivent les cathos, Belfast sud plus cossue protestante et continuellement affrontements, bombes, émeutes... Le décor est planté.

Une bande de copains, la trentaine , se retrouvent régulièrement autour d'un verre , non de plusieurs verres, le temps passe, ceux qui étaient partis sont revenus et dans cette ville où personne ne sursaute plus quand une bombe explose , où il ne fait pas bon dire que l'on est catho dans un univers de protestants loyalistes, où le chômage est partout et où l'on est prêt à enchaîner petits boulots sur petits boulots pour pouvoir bouffer, boire et rêver nous suivons Jack Jackson , le catho, et Chuckie Lurgan le protestant dans leur quotidien.

Ce bouquin je vous le promets une fois ouvert vous ne le lâcherez plus! Comment laisser en plan Jack et Chuckie, comment ne pas les accompagner ? Robert McLian Wilson nous entraîne dans un tourbillon, l'écriture est magique.Un roman profond, un roman qui pose des questions incontournables et puis d'immenses éclats de rire et une joie de vivre qui nous "pète à la gueule", amour toujours et encore , pour l'humain, et surtout Chant d'amour pour Belfast A lire absolument

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Eureka Street

Je ne mets plus aussi facilement cinq étoiles qu'avant mais je trouve que ce livre le mérite largement. Phoenicia m'a pioché ce livre et je la remercie car c'est une belle découverte de la ville de Belfast ! Assez étonnement d'ailleurs car on est en pleine "guerre" entre catholiques et protestants . Pourtant l'auteur semble porter un véritable amour à cette ville à travers ses personnages et nous donne envie de la découvrir ! Le style est assez décapant par moment, à l'image des deux héros Chuckie et Jake dont on se prend très vite d'affection, et c'est aussi bien écrit . Ils vivent dans une ville chaotique où les attentats deviennent banals, l'un décidant de devenir riche ( à partir d'une idée très originale et gonflée) et l'autre se cherchant un peu au milieu de ses échecs amoureux. Les personnage secondaires sont aussi bien sympathiques, à l'image de Roche ,ce gamin des rues qui a un langage bien fleuri et qui m'a souvent fait sourire !

En bref cette histoire de ville divisée, d'amitié virile et d'amours contrariés m'a totalement conquise !



-Pioche dans ma PAL d'août

-Challenge Multi-défis 2018

-Challenge Objets
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La douleur de Manfred

Manfred attend que la grande faucheuse vienne le chercher, son temps est compté. La vie de Manfred c'est une existence ratée, la séparation d'Emma la femme aimée quittée par ce qu'il la violentait, et qu'il revoit pourtant régulièrement sur le banc d'un square, un homme qui a mis son coeur en hiver toute sa vie, incapable d'éprouver la moindre émotion dans la tristesse comme dans la joie.

McLiamWilson réussit à nous troubler entre empathie et peur, car si Manfred est un sale type, c'est aussi un homme marqué par la honte et les remords.

Après le remarqué et remarquable "Eureka street", l'écrivain irlandais signe un roman à l'écriture sèche, clinique, tendu à l'extrème. Les fantômes de Manfred et d'Emma ont mis à mal leur amour, que Manfred à détruit de la plus lache des façons. Un homme qui attend la mort comme une délivrance, pour expier ces péchés. Un roman remarquable de complexité, sombre, glacial comme une pluie irlandaise.
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La douleur de Manfred

- Jurgen , wer ist am apparat ?

- Das ist Manfred !

Voilà les seuls souvenirs qu'il me reste de mes studieuses années d'Allemand et allez placer ça dans une conversation vous , coton , coton ! Il en est désormais un autre qui risque de m'habiter beaucoup plus longtemps : La Douleur de Manfred ,



Manfred est vieux . Manfred est seul . Manfred va mourir ( ah oui , le personnage principal s'appelle Manfred mais les plus perspicaces d'entre vous l'auront peut-etre subodoré ; ) . Moralement , Manfred a baissé pavillon depuis pres de 20 ans . A classer entre la chiffe et la serpillére . Physiquement , il subit un calvaire journalier , refusant tout traitement qu'il considere au mieux comme pouvant le maintenir vainement à flot quelque temps , au pire comme capable de lui voler une souffrance qu'il estime n'avoir que trop mérité ! Car ce tourment est sien . Il l'espére , le chérit , le nourrit tel le Gollum avec son précieux . Ce trésor qui lui lacere la chair , lui déchire les entrailles , le tue à petit feu , c'est la juste récompense d'une vie de violence conjugale qu'il offrit à Emma , l'amour de sa vie . Ses minutes sont tourment , ses heures sont remord , ses jours sont pénitence . La honte le ronge un peu plus chaque jour . Il a fait de la contrition sa compagne attitrée , du repentir sa nouvelle philosophie . Il perçoit sa déchéance comme un chatiment expiatoire et l'accepte comme tel . Pourtant , Manfred ne veut pas mourir , il veut juste ne plus vivre,,,



La Douleur de Manfred parut en 2003 sous la plume acérée d'un jeune écrivain Irlandais : Robert McLiam Wilson . Et le moins que l'on puisse dire , c'est que le fonds de l'Eire effraie !

De prime abord , ce personnage attire une sympathie évidente . Petit vieux au crépuscule de sa vie qui ne tend désormais que vers une nuit éternelle . Perclu de douleurs qu'il se refuse à combattre , l'on en vient presque à admirer ce " héros "  qui a choisi de mourir plutot que de devenir l'énieme cobaye d'une industrie pharmaceutique qu'il abhorre . Manfred est touchant . C'est également ce qu'a du se dire , dans un autre registre , sa femme Emma qu'il frappa , brutalisa , tabassa quotidiennement , brisant inlassablement sa chair , son essence et la défigurant un peu plus chaque jour . La séparation fut inévitable et pourtant , cet homme persiste à appeler régulierement au téléphone une femme qui toujours l'écoute sans dire un mot ; une femme qui toujours assiste à leurs rendez-vous mensuels sans lui autoriser un seul regard...Volonté exacerbée de dématerialiser " l'objet " de tant de haine , la cristallisation de tant de violences...

Comment expliquer ce terrible dechainement journalier de fureur ? Couché Adolf !L'absence d'amour d'une mere exclusive , une guerre psychologiquement dévastatrice , une jalousie maladive ou bien encore un terrible secret tu par une épouse enfermée dans son insondable douleur personnelle , fardeau omniprésent d'expériences concentrationnaires inoubliables ? Les raisonnements sont multiples , les pardons inexistants...

Bizarrement , l'on se prend d'affection pour cet homme sursitaire et ce , malgré son effroyable conception maritale . Affection sans doute légitimée par une inéluctabilité sous-jacente . Que dire d'Emma dont la vie n'aura été qu'un cri muet , une inextinguible peine du corps et de l'ame...

Cet Irlandais possede l'art et la maniere de vous emporter malgré la gravité du sujet . Des descriptions puissantes de la décrépitude , de la dégénerescence physique d'un etre qui se sait condamné . Du calvaire prégnant de cette femme aimée , adorée malgré tout . L'amour / haine n'est jamais bien loin...L'auteur alterne la déchéance présente avec le douloureux passé d'un type qui a juste raté sa vie , qui n'a jamais su vraiment aimer . Ni sa famille , ni sa femme , ni son fils...

L'écriture est belle et puissante . Elle vous happe méchamment , faisant du lecteur un voyeur et un complice impuissant ne pouvant s'empecher , cependant , de vouloir découvrir l'évolution finale de ces deux tragiques destinées . Manfred est passé à coté de sa vie , comptant alors sur une mort exemplaire qui lui fera un ultime pied de nez....

Alors écoute moi bien petit canaillou de McLiam Wilson , je ne peux dire ou ni quand mais nul doute qu'un jour nous nous retrouverons et je sais à l'avance que la rencontre sera belle . Beeeelle , beeeelle , couché Quasimodo !



La Douleur de Manfred : douloureusement séduisant...
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Eureka Street

Dans Eurêka street, rue de Belfast, nous suivons les trentenaires Chuckie, protestant pauvre qui, à force de chercher des combines arrivera à faire fortune et Jack ,catholique, enchainant les déboires amoureux . Il ne faut pas oublier leurs potes ,les femmes qu’ils vont côtoyer ainsi que le chat de jack, ils ont tous des personnalités bien trempées...

Dans ce roman, s’entremêlent donc l’histoire de cette bande de copains, les beuveries, les délires sexuels, l’amour, la pauvreté et le terrorisme. L’humour est présent à chaque page mais vient se heurter, se briser de façon brutale, le temps d’un chapitre à l’horreur suite à un attentat à la bombe. Le chapitre concernant cet attentat est particulièrement fort et contraste avec le côté « léger » et les dialogues truculents des chapitres précédents.

Ce livre nous fait passer du sourire aux larmes, je suis contente de l’avoir lu et ne pense pas l’oublier !



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Eureka Street

La lecture d’Eureka Street résonne étrangement après l’attentat de Charlie.

Sorti en 1995, ce roman se déroule à Belfast, ville natale de l’auteur. La paix n’est pas encore conclue entre catholiques nationalistes et protestants unionistes. Et la ville, personnage à part entière, est meurtrie par les attentats , les assassinats, les émeutes. La violence fait partie du quotidien, elle marque au fer rouge l’identité de la ville.

Pourtant il faut bien vivre. Jake et Chukie, deux trentenaires respectivement catholique pour l’un, protestant pour l’autre, et néanmoins amis, tentent chacun à leur manière de construire une vie . Ils semblent tous deux évoluer dans une relative insouciance, quelque peu désenchantés. Difficile pour moi de cerner ces personnages aux facettes multiples .

Robert Mc Liam est un auteur singulier : son écriture extrêmement créative et originale, allie à la fois l’humour et le désespoir, et nous, lecteurs naviguons à vue, ballotés entre le grave et le fantasque.

Eureka Street est un hommage émouvant de l'auteur à sa ville:

"La tendresse est un mot bien pâle pour désigner ce que je ressens envers cette ville. Je pense au conglomérat des corps de ma ville. Une pleine Belfastée de colonnes vertébrales, de reins, de cœurs, de foies et de poumons. Parfois, ce fragile rassemblement d'organes me submerge et m'enivre de tendresse. Ils paraissent tellement peu assassinables et, parce que je pense à eux, ils m'appartiennent."

Il faudra que je le relise…

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Eureka Street

Il faut découvrir ce jeune auteur irlandais qui a un immense talent, l'histoire est captivante, c'est d'une vitalité mordante, et le style est aussi percutant qu'original, les chapitres s'alternent à la première personne (un narrateur hyper-attachant) et à la troisième personne (pour nous faire découvrir l'autre face de la pièce de monnaie, telle qu'elle est vécue par son comparse).

C'est un moment de lecture jouissif, où non seulement on découvre de l'intérieur la grande stupidité de la guerre, en l'occurrence civile, mais on accompagne des êtres tellement vivants et attachants qu'on les quitte avec regrets
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Les dépossédés

The Dispossessed, en français Les Dépossédés, fut publié en 1992 en Angleterre, la même année que Manfred’s Pain (La Douleur de Manfred), deuxième roman de Robert McLiam Wilson, qui à l’époque avait vingt-huit ans. L’écrivain est né à Belfast-Ouest en 1964. Il avait auparavant publié un magnifique premier roman intitulé Ripley Bogle. C’était en 1988, il était âgé de vingt-quatre ans.

Une telle précocité a quelque chose de stupéfiant : comment un jeune homme de vingt-huit ans peut-il évoquer avec autant de lucidité et de justesse la maladie mortelle d’un vieillard solitaire et miséreux? C’est La Douleur de Manfred. Comment ce même jeune homme de vingt-huit ans peut-il décrire avec autant d’humanité, d’attention et d’empathie la détresse matérielle, l’absence d’espoir, le naufrage absolu des laissés-pour-compte de la politique thatchérienne à Londres, à Glasgow et à Belfast? C’est l’objet des Dépossédés, l’objet du présent travail d’adaptation.

Les Dépossédés, ce n’est pas Les Pauvres. Au lieu de constater un état, la pauvreté, et d’y voir peut-être une fatalité immuable de toutes les sociétés, l’auteur s’insurge contre une telle naturalisation de la précarité et, par le choix de ce titre, suggère un processus : pour être dépossédé, il faut d’abord avoir possédé, avant d’être contraint de renoncer à ses possessions – un emploi, un logement, quelques biens, une famille et parfois jusqu’à la liberté. C’est tout cet historique de la déchéance sociale, morale, financière, juridique, humaine, que l’auteur cherche à comprendre dans chaque cas : non pas la description d’un état figé, d’une condition humaine soi-disant éternelle, «naturelle», mais la recherche d’un récit à la fois individuel et collectif, local et global, intime et politique : comment celle qu’on a surnommée la Dame de Fer a délibérément – et malgré des statistiques officielles truquées – aggravé le sort de celles et ceux qu’on désigne honteusement par l’expression de «classes défavorisées»; comment cette catastrophe sociale et économique au sens large entraîne autant de désastres individuels; comment chaque femme, par exemple Gabrielle, chaque homme, ainsi Hally ou Alan, subit de plein fouet, dans son quotidien, les répercussions dramatiques de cette politique. Il y a là un tissage, un engrenage, proprement terrifiant.

Loin d’adopter la posture froide et distancée de l’universitaire ou la prétendue «objectivité» du journaliste, l’écrivain tient à décrire de première main, et subjectivement, un an de rencontres, de conversations, de visites dans des squats, des taudis, des appartements délabrés, des cités sinistrées, des banlieues peu sûres, des lotissements monstrueux, des quartiers en ruine, des centres d’accueil, pour aboutir à ce livre qui de toute évidence est le livre d’un écrivain. Non seulement parce qu’il contient quelques splendides pages de pure littérature, ainsi les descriptions du climat ou des lieux, mais surtout parce que son auteur s’y inclut constamment, livrant son incrédulité, ses doutes, voire son sentiment croissant d’échec, son admiration, son affection grandissante pour certains «dépossédés», mais aussi sa fatigue, son horreur, son écœurement, son impossibilité de continuer.

«J’ai déjà dit, écrit Robert McLiam Wilson vers la fin de l’essai, que ce livre est un échec ou, au mieux, un livre sur l’échec. Plus j’écrivais, plus cette conviction grandissait.» Suit une liste de tous ses prétendus manquements : oublis, notes perdues, incompétences diverses, avantage de la photographie sur l’écriture... Certes, toutes ces «lacunes», ces «handicaps» ou ces «négligences» font que Les Dépossédés est tout sauf un rapport objectif sur un phénomène social, tout sauf une étude «sérieuse», crédible et criblée de statistiques (voir le passage où, plutôt que de se lancer dans une bataille de statistiques sur la pauvreté, Robert dénonce la fascination malsaine des statistiques et les «bidouillages» pratiqués sur ces dernières par l’administration Thatcher).

«Je noterai ici scrupuleusement les effets d’une pauvreté constante sur l’individu.» Tel pourrait être le programme de Robert Mc Liam Wilson pour son livre. Ce projet de dissection in vivo, cette anatomie de la souffrance et de ses symptômes physiologiques plus ou moins dégradants, exclut tout respect d’un quelconque bon goût : pour respecter ces gens et leur rendre justice, pour simplement dire ce qu’on voit, il faut envoyer au diable le respect des convenances et de la bienséance littéraire.

Présentation d’après Brice Matthieussent, sur le site de France Culture
Lien : https://blogs.mediapart.fr
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