Citations de Sabrina Calvo (162)
Au bord du boulevard Michelet, entre un Hyper Casino et Saint Maclou, l'Unité d'Habitation Le Corbusier somnole sous les étoiles. On l'appelle Le Corbu, le Phalanstère, l'Usine de sucre, la Cité radieuse, la Maison du Fada, l'Eléphant.
- Comment quelque chose qui n’existe pas pourrait-il avoir une profondeur ?
- Le Rien est enceint de tout, mon petit Bracken. Le Néant est omniprésent, dans tous nos gestes, dans toute notre vie. Le Néant est partout autour de nous, entre chaque chose, définissant le contact entre les surfaces. Il abolit toute forme.
Une inspiration monte en moi : ENTRE les surfaces ! L’image me fait brutalement penser à une ligne noire cernant un personnage de bande dessinée ; à l’espace entre deux cases.
Nous nous réaliserons dans nos créatures, dans la matière vivante de notre imaginaire. C’est le rêve que nous opposerons à leur désert.
C'est de la poésie, nos luttes. (101)
Mourir, ça s’apprend tout petit, comme une naissance à l’envers. Puis on grandit et on ne cesse de mourir.
Nikki retrouve le punk du vidéo-club, affalé sur un matelas défoncé avec ses potes. Il se lève d’un coup pour la saluer, semble ravi de la voir ici, l’entraîne dans une autre salle, pleine à craquer de longs tee-shirts déchirés, de bracelets de tennis en mousse anti-sueur, de rangers défractées. Le snobisme underground, le juste placement de l’épingle à nourrice, les subtils codes vestimentaires d’un monde qui se regarde dans sa sublime résistance à l’ordre établi, ordre en lui-même, vraiment, pas méchant, juste un peu triste, elle trouve, un peu mort, mais qui est-elle pour juger, avec son unique boucle d’oreille et sa robe de fausse bourgeoise.
Elle se sentait disparaître depuis sa naissance, petit à petit, tout doucement, comme un dessin sur un papier carbone passé sous la pluie.
Tu vois je pense que tous les êtres ici ont leur pendant dans les rêves.
Mon raisonnement paraîtra hasardeux aux esprits trop rigoureux, mais pourtant l'évidence est là : en cherchant bien, toute chose possède son double, son écho en quelque sorte, un autre phénomène, qu'il soit biologique, sensuel, matériel, onirique ou chimique, qui interagit directement avec lui, et de façon souvent très complexe, comme une image et son miroir, sans qu'aucun des deux partis en présence ne soit sûr qu'il est bien le reflétant et non le reflété. Ainsi, les fleurs sont liées à la musique, les hommes aux nuages, les nénuphars aux fées, le raisin aux comètes.
- Ne tue pas les fleurs, lui avait dit son père un soir. Ne tue pas les fleurs, car chaque fois qu'une fleur meurt, c'est une fée qui disparait.
Ils sont si beaux, leurs visages fondent dans la lumière. (p.24)
Par la fenêtre, les chats du printemps regardent passer les chats de l’été, clochettes de pattes rapides inquiètes de tout changement. Scotchés sur les réverbères, des tréfonds du cadre imprimé d’un avis de recherche, d’autres chats scrutent le monde en noir et blanc. Chats perdus, chats errants, chats posés, bibelots : entre les ruelles, affalés, le long du chemin de fer, à l’ombre sous les escaliers intérieurs, les chats rêveurs font du monde un balancier, hypnose de moustiques en technicolor.
(Mkraow - David Calvo)
Ce rêve, ce n’était pas le mien. C’était un songe de lumière, de douceur, de poésie, et je n’avais que faire de cela. J’étais venue, moi, pour le vertige et l’abîme. J’étais venue pour être glacée, écrasée par la nuit d’un atroce baiser. J’étais venue pour épouser les ténèbres.
(Le Baiser du Chaos Rampant - Vincent Tassy)
Les Hommes torturent, affament, et éliminent les chats, me serinait ma mère comme une vérité, une règle. C’était notre lot. Voilà pourquoi il nous fallait nous reproduire vite, en cachette, dissimuler les petits sous l’évier, sous le canapé râpé par plusieurs générations de griffes, à peine étaient-ils nés. Mais il existait une cité où les Hommes, conformément à une loi ancestrale, n’avaient pas le droit de tuer les chats et cette cité s’appelait Ulthar. Les chats couraient librement dans les rues, les chats étaient les rois.
(Les chats qui rêvent - Morgane Caussarieu)
Je n’aurais jamais dû quitter Kadath. Jamais. Je te le dis. Jamais. Jamais je n’aurais dû quitter Kadath. Quelle folie me prit ce jour-là, d’embarquer sur la nef du capitaine Omen, au port du Bout du Monde? Que ne restai-je plutôt en plein essor, au faîte de mon éminence? Pourquoi quittai-je mes rêveurs, de plus en plus nombreux?
(De Kadath à la Lune - Raphaël Granier de Cassagnac)
Elle mesure brusquement l'étendue de son ignorance. Tout ce qu'elle sait sur les humains elle l'a lu. les livres sont ses seuls compagnons, les seules choses qu'elle juge dignes de confiance, et les livres ont toujours, toujours raison.
L’espace entre deux moments présents est un long souffle qui tend vers le zéro, approximativement replié sur lui-même par une force qui appuie fort, très fort. Ce sont des petits paquets de perception mis les uns derrière les autres et dont les frontières s’effacent au fur et à mesure que nous avançons vers le grand Rien.
Mourir, ça s’apprend tout petit, comme une naissance à l’envers. Puis on grandit et on ne cesse de mourir.
Longer l'école, en manquant de trébucher dans les trous, en glissant sur une mousse qui pulse d'une nouvelle lueur, comme respiration. Monte une odeur de pluie, de crotte de chèvre fermentée, de lait caillé. J'entends des clochettes, des carillons, presque un galop. Combien sont-ils ? Je n'ose me retourner ; tout droit, tout droit, il faut filer tout droit. Vite, la terrasse, le béton, mes pieds qui claquent et la baie vitrée. Poser les tortues, vite, refermer la baie.
Vite, la verrouiller.
- C'était moins une !
-Vous avez vu quelque chose ?
-Non, j'ai fermé les yeux...
Le Kaléidoscope est une longue-vue sur les étoiles : la voûte céleste comme un enfant pourrait l'imaginer, avec des mots en lettres d'or, de fausses coordonnées mathématiques et des fusées imaginaires qui traversent les cieux en bourdonnant.