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EAN : 9782370490889
312 pages
La Volte (03/09/2020)
3.54/5   67 notes
Résumé :
Elle est née à l'Orée du monde, une cité réduite à néant par les bulldozers de la flicaille et de la finance. Hantée par les ruines de son Eden foiré, elle a rejoint les jeunes et les parias refoulés par le système autour de l'ancien parc d'EuroDisney - métamorphosé en l'espace de trente ans en un bastion où vivent secrètement les privilégiés. Elle, c'est Fi. Quarante piges à racler la merde et à la recracher à la gueule d'une société qui ne veut pas d'elle : Fi est... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (24) Voir plus Ajouter une critique
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Il faut brûler Eurodisney. C'est le mantra de Fi, jeune femme un peu perdue dans un Belleville assiégé par les milices, la police, l'armée. Depuis que son quartier a été rasé, que son frère est mort dans des circonstances atroces, elle cherche un moyen de surnager. Et surtout, d'atteindre son but : raser Eurodisney et, ainsi, libérer le peuple de la tyrannie. En aura-t-elle la force ? En aura-t-elle le souffle ?

Fi a perdu une partie d'elle-même à la mort de son frère, Mehdi. D'autant que celui-ci n'a pas eu un accident, n'est pas mort de maladie. Non, rien de commun dans son décès : il s'est immolé dans l'enceinte d'Eurodisney. Suicide particulièrement violent, d'autant qu'il reste inexpliqué. Et cela démange Fi de comprendre. D'ailleurs, elle est en dialogue perpétuel avec son frère. Elle s'adresse à lui au fil des pages de ce roman, cherchant une réponse, cherchant une confirmation de ses intuitions. Elle mène l'enquête dans le quartier qu'elle a rejoint depuis peu, Belleville, dans Paris. Mais pas le Belleville que nous connaissons, un Belleville cerné par les forces de l'ordre, aux artères bloquées par des barricades. Car ce quartier s'est autoproclamé « Commune libre de Belleville », un rêve anarchiste où tout le monde s'organise (enfin, pour être sincère, tente de s'organiser) avec les moyens du bord, en respectant les autres et en s'entraidant.

Et c'est dans ces conditions que Fi va creuser son nid. Ou plutôt, le coudre. Car elle manie l'aiguille et la machine à coudre. Elle récupère des tissus à droite à gauche et coud. Tant qu'elle peut. Jusqu'à se faire saigner. Jusqu'à s'endormir sur son ouvrage. C'est un moyen de participer à l'effort de guerre d'abord. Mais aussi et surtout d'avoir une prise sur le monde, sur le réel. Car ne sommes-nous pas recouverts d'une peau, comme d'un vêtement très près du corps. On parle bien du fil de la vie, avec les trois Parques qui le tissent et le coupent. Pourquoi pas le tissu comme extension de notre peau, comme substitut, comme armure, même ? Sabrina Calvo tisse cette métaphore tout au long de son texte, de plus en plus pressante, de plus en plus présente. Et cela fonctionne. Malgré l'étrangeté de certains rapprochements, l'image s'impose à nous, puissante et tentaculaire.

Et il faut bien cette force pour imaginer affronter l'ennemi suprême, Eurodisney et ses créatures multiples. Dont la souris noire connue dans le monde entier. Décidément, Sabrina Calvo est attachée à Disney. Déjà, dans Minuscules flocons de neige depuis dix minutes, qui date de 2006, elle mettait en scène un narrateur parti sur les traces de Walt Disney et de son empire. Déjà, dans ce roman, onirique par moments, elle envisageait des souterrains et des places secrètes dans le monde de la souris. Et ce n'était pas des tunnels faits de joie et de couleurs, mais des lieux sombres, sources de secrets et d'horreurs. Dans Melmoth furieux, la tyrannie des troupes soumises à la bête noire est encore au centre de l'histoire. Car ce roman au verbe riche, parfois difficile à percer, instille l'idée que les concepteurs du parc Eurodisney auraient créé, dans leurs sous-sols, des prisons ignorées de tous, afin d'y enfermer leurs opposants, les délinquants de leur monde. Qu'ils assujettissaient leurs employés, les asservissaient, comme des potentats sans scrupule, sans pitié, usant de leur pouvoir dans cette enclave cédée par le gouvernement français. Et ainsi, ils deviennent le symbole de cette société qui emprisonne et met les gens dans des cases, comme derrière des barreaux, leur vole leur liberté et leur folie, leur singularité et leur vie.
Pour vaincre cette entité, Sabrina Calvo adjoint à Fi un grand poète, Villon. Poète et rebelle, en lutte contre l'ordre établi. Il erre, sans que l'on sache bien ce qu'il fait là et dans quel but. Ni même qui il est exactement. du moins, au début. Car son personnage prend de l'épaisseur peu à peu, avant que de se déliter à nouveau. La symbolique est forte : le poète errant face à la souris noire ; les hordes d'anarchistes face aux tenants de l'ordre quasi-militaire. La déflagration sera sanglante, nécessairement.

L'autrice, enfin, refuse la tyrannie du verbe. Et pas seulement à travers l'histoire. Mais aussi dans la forme. Dans le verbe lui-même. Car, dans ce roman la façon d'écrire est symbole de lutte. Vous connaissez tous la règle de l'accord des adjectifs, qui se fait normalement au masculin dès lors qu'un seul nom d'une longue liste appartient à ce genre. Cela a créé assez de remous, l'injustice étant flagrante. Mais l'usage, que voulez-vous, l'usage ! Eh bien l'usage, Sabrina Calvo le piétine allégrement. Dans Melmoth furieux, le féminin l'emporte. À tel point qu'au début, j'avais l'impression que la commune n'était habité que de femmes. Mais non, l'autrice a juste remplacé un choix arbitraire par un autre. Et sincèrement, pourquoi pas. Quand j'ai eu compris le système, je ne me suis même plus aperçu de ce changement. Par contre, je n'ose pas imaginer la tête de certains Académiciens découvrant ces pages…

J'attendais avec impatience et curiosité la parution de ce nouvel opus de Sabrina Calvo. Et, malgré une légère surprise initiale, une légère période nécessaire pour m'adapter, je n'ai que du bien à en dire. Ce roman est précieux d'abord par sa singularité dans la production actuelle (ce n'est pas le seul, bien sûr : La Nuit du faune de Romain Lucazeau, par exemple, ne répond pas non plus aux critères classiques du genre). Il est précieux aussi pour l'univers qu'il crée, qu'il tisse, qu'il ose. Il est précieux, enfin, par les sensations et les sentiments qu'il fait naître, étranges, puissants, envoûtants.
Lien : https://lenocherdeslivres.wo..
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Toutes les quatre semaines, j'ai institué avec mon meilleur ami un rdv devenu incontournable : la visite à la médiathèque. Quel plaisir de baguenauder ensemble dans les rayons, de laisser traîner nos regards sur les livres rangés ou exposés, de chercher un ouvrage précis ou d'en découvrir un jusqu'alors inconnu...
Et toujours la même scène finale au sortir du bâtiment : « Comment va-t-on trouver le temps de lire tout ça?!? », pour immanquablement éclater de rire devant ce comique de répétition : nous répétons cette réplique à chaque fois, et ce, pour notre plus grand plaisir.

Et c'est ainsi que j'ai trouvé « Melmoth furieux ».
Quelle couverture ! Quel titre en même temps ! Je ne pouvais que m'y arrêter, m'interroger et parcourir la quatrième de couverture : l'histoire d'une couturière qui a rejoint la commune solidaire de Belleville et qui veut détruire Eurodisney avec une bande de gosses pour venger son frère… What ? Ce roman m'appelait littéralement.

Et tout est dit en ces quelques mots. C'est effectivement l'histoire de Fi, qui joue de fils et d'aiguilles pour vivre, s'exprimer, refréner sa colère… Parce qu'elle est un peu abîmée la demoiselle, angoissée, torturée même. Il faut dire que dans le monde dans lequel elle vit, dans cette zone auto-gérée en lutte contre un État autoritaire, c'est bien au jour le jour que la vie se gère.
Fi est hantée par la mort de son frère, une fin terrible alors qu'il travaillait dans l'enceinte et pour Eurodisney. Mais elle l'est encore plus par le combat qu'il menait contre cette structure qu'il soupçonnait d'être la pire engeance d'un capitalisme néo-libéral, au solde de l'État, prêtant ainsi ses murs pour emprisonner les opposants, exploiter les enfants et leur voler leurs amis imaginaires. Alors elle imagine le projet fou d'y mettre fin, rejointe par la bande de gamins qu'elle a recueilli mais aussi d'un ami de son frère, un dénommé François Villon.
Autour d'elle, du refuge qu'elle s'est choisi, le bastion de Belleville gronde et s'échauffe, les barricades se dressent ; ses occupants ne veulent pas disparaître et voir leur cité rasée comme d'autres ont déjà pu l'être. Bientôt le chaos ?

Dès l'entame de ce roman d'une grande et belle complexité, j'ai très vite compris qu'il me fallait me laisser porter par le texte, par les mots, par la poésie de Sabrina Calvo. Accepter d'abandonner une certaine forme de réalisme pour me laisser bercer par le fantastique et l'onirique ; de pénétrer ce monde nouveau et étrange, et pourtant, provoquant le sentiment de déjà-vu, de déjà vécu, un univers à la fois proche et très éloigné du nôtre. L'histoire ne serait-elle qu'un éternel recommencement ?

Moi qui n'ai jamais vraiment apprécié le monde féerique de Disney, me voilà servie. Moi, la fan de The Cure, de Bauhaus, me voilà ravie. Ce roman me parle proprement mais va plus loin encore, il m'emmène vers un inconnu si séduisant sous cette plume : la couture. Depuis le travail à la chaîne jusqu'au travail minutieux de l'artisan, tout y est : le vêtement-identité, le vêtement-protecteur, l'enveloppe, la seconde peau ; et puis, plus fort encore, le travail de tissage social, de tissage politique.

L'insurrection qui naît là, dans cette commune libre de Belleville, se vit au quotidien, à chaque instant, dans un mode vie volontairement différent, où tout se trouve ré-inventé ; l'habillement bien sûr mais pas que, le relationnel aussi, la manière d'être. Homme, femme, être surnaturel, peu importe véritablement, nous voilà plongés dans un monde non genré, ou plus exactement, au-delà du genre. Et c'est juste magnifique.

Bon, vous l'avez compris, je suis sous le charme de Sabrina Calvo.
En une phrase : « Récit d'une lutte sociale émaillé de fantastique, Melmoth furieux nous donne à voir les failles de notre époque et les combats qu'il faudra encore mener ».

Je crois que j'ai vu Toxoplasma à la médiathèque… Il est pour moi !
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La douceur combattante d'une épopée de proximité, dans la grande guerre du contrôle marchand des imaginaires. Gorgé de paradoxes et de surprises, un chef-d'oeuvre, cousu main bien entendu.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2021/10/05/note-de-lecture-melmoth-furieux-sabrina-calvo/

À l'inauguration de Disneyland Paris, en 1992, un jeune homme s'est immolé devant les grilles du plus grand parc de loisirs du monde, entraînant dans sa mort le dérapage technique et financier du plus gigantesque alors des projets du capitalisme spectaculaire marchand. Que vous n'en ayiez pas entendu parler, ou l'ayiez oublié, ne prouve rien au fond, bien au contraire. Toujours est-il que dans ce sublime glissement de temps sur Terre, bien des années plus tard, sa soeur, qui vient de passer les trente-cinq ans avec une rupture sentimentale, est bien décidée à obtenir une vengeance symbolique et libératrice, en trouvant le moyen d'incendier pour de bon le mélange de parc d'attractions et de citadelle dépravée de l'imaginaire qu'est devenue la zone à fiscalité aménagée pour les investisseurs de Marne-la-Vallée, autrement dit de faire flamber le Mickey de plastique et de carton-pâte, ses amis richissimes et ses valeurs attachées. Que cette volonté de vengeance coïncide avec la réinsertion cahoteuse de la protagoniste principale dans l'environnement hautement spécifique de la Commune de Belleville (cousine empathique de celle de Montréal, qui constituait la toile de fond de « Toxoplasma« ), cernée de toutes parts par les forces variées de l'ordo-libéralisme marchand, aurait pu être au fond presque anecdotique, mais Sabrina Calvo , dans ce « Melmoth furieux » publié à La Volte en septembre 2021, use de cette conjonction magnifique pour nous offrir une incroyable épopée de proximité, où le très intime et le très politique sont indissociablement mêlés pour atteindre une rare puissance d'évocation et de perforation.

Disneyland, donc. Et plutôt que celui, machiavélique à souhait, d'Antoine Chainas et de son « Empire des chimères » (2018), ou que celui, illusionniste en diable, de Cory Doctorow et de son « Dans la dèche au Royaume Enchanté » (2003), celui, redoutable de noirceur tortionnaire et voyeuriste, de Bruce Bégout et de son « ParK » (2010). Une quintessence du spectacle industriel cher à Éric Vuillard (« Tristesse de la terre », 2014) et à Patrick Bouvet (« Petite histoire du spectacle industriel », 2017), mais mâtinée, déjà, d'une solide dose d'horreur lovecraftienne (dès les premières pages : « un marcheur sur le seuil, toutes dents dehors ») rendue encore plus mutante par un discret humour noir comme en écho à celui de la Catherine Dufour de « Entends la nuit« (lorsque l'héroïne se découvre d'abord « anesthésiée par des années de shit et de bullshit jobs », par exemple). Un Disneyland dont les couloirs temporels secrets seraient aussi hantés par des figures costumées dignes de l'homme à la cigarette de « X-Files », figures armées de non-disclosure agreements que l'on signe sans le savoir avec son propre sang (« On te fait signer un contrat de silence »).

La Commune de Paris, ensuite, celle dont la floraison imaginaire recensée avec brio par Kristin RossL'imaginaire de la Commune », 2015) apparaît ici condensée, comme une immersion profonde dans le chaos libertaire et populaire mis en scène avec tant d'inventivité par le cinéaste Peter Watkins (on ne peut que noter au passage, trente ans avant les incroyables 345 minutes de son « La Commune » de 2000, que l'on trouvait déjà pas si curieusement un « Punishment Park » dans sa filmographie totalement à rebours, justement, de la « monoforme » et de son spectaculaire marchand, même lorsqu'elle se pare de déguisements pseudo-contre-culturels) : une activité fourmillante (qui n'exclut aucunement un véritable droit à la paresse), totalement à l'opposé naturellement des clichés d'oisiveté complaisamment véhiculés au quotidien par tous les exploiteurs jamais rassasiés, un ancrage géographique volontiers miniaturisé et éventuellement souterrain, une solidarité aux formes multiples qui ne confond pas bienveillance et naïveté. Et c'est bien aux accents chantés de « La Makhnovtchina » ou de « L'Estaca » que l'on se mettra en chemin.

Pour provoquer son explosion et lancer sa grande bataille (on verra tout à l'heure quel en est le véritable terrain), Sabrina Calvo a su fracasser l'un contre l'autre ces deux champs de force imaginaire, en usant de deux catalyseurs inattendus et salutaires : le motif de la croisade des enfants et le pas de côté de la couture artisanale.

« Espoir mon cul » : lorsque l'Antigone d'Anouilh épouse le langage de la Zazie de Queneau, la carte maîtresse paradoxale constituée par les enfants est en bonne voie, et leur croisade, si elle prendra des formes bien différentes de celle rappelée encore récemment par Léo Henry dans son « Hildegarde », pourra déployer son ingénue puissance de torsion du réel et des attentes. Leur redoutable affinité avec la fluidité queer, avec l'hybridation (certaines voies étranges résonnant avec les rats démineurs de « Bacchantes« ou avec les lichens génétiquement moteurs de « Plasmas« établissent aussi par instants une productive passerelle avec le travail de Céline Minard), avec le style re-personnalisé échappant à l'emprise marchande pour savourer le ludique sérieux et pur, feront merveille au moment du choc à venir. Choc il y aura en effet, et le pas de côté magique qui en détermine peut-être ici l'issue est celui que l'on jugerait de prime abord le plus surprenant. Si par les enfants on subodore bien que les « Figures stylées« ne sont peut-être pas neutres du tout (« Ici, le style c'est la substance », dira-t-on), et qu'il faut sans doute ce détour pour pouvoir affirmer que « le roi est nu », c'est par la pratique de la couture que la force subversive trace son chemin décisif. Au prix de quelques paradoxes apparents, Charles Aznavour (« Comme ils disent », 1968) comme Carole Martinezle coeur cousu« , 2007), maniant deux sorcelleries bien distinctes, nous rappellent la substance subversive du geste qui pique, qui coupe et qui ajuste. En nous apprenant à manier sans la détruire l'étoffe dont sont tissés les songes, après le Prospero de « La Tempête » shakespearienne, Fi, l'héroïne de Sabrina Calvo, nous rappelle que la mode peut ne pas être uniquement un luxe financier déconnecté, et qu'elle peut être un moteur d'imagination et d'émancipation d'une force métaphorique insoupçonnée. Car c'est bien sur le terrain des imaginaires que la bataille se joue.

En inscrivant soigneusement le flot qui rugit depuis Belleville dans la vie la plus matérielle à travers la main qui coud et sublime, Sabrina Calvo constitue « Melmoth furieux » en cri de ralliement prolongé d'une guerre sans merci des imaginaires, ceux-là même dont l'ennemi doit maintenant achever la capture et la marchandisation terminale (ceux-là même dont Norman Spinrad faisait la proie des cartes de crédit et des bugs dans son « Temps du rêve« de 2012).

Après de longues années laissées à vau-l'eau, les injonctions gramsciennes ayant été soigneusement récupérées par l'aile marchante du capitalisme et au-delà (le tout récent concert presque unanime de louanges autour du décès d'un ancien affairiste interlope n'en étant qu'une évidente piqûre de rappel), au côté des appels à la reprise des armes de l'imaginaire lancés par les Wu Ming de « Q« et du « Nouvel Épique Italien« , des démontages d'instincts lexicaux mortifères n'ayant rien d'innocent mis en évidence par Sandra LucbertPersonne ne sort les fusils« et « le ministère des contes publics »), de la condensation rusée conduite par Hugues JallonZone de combat« et « La conquête des coeurs et des esprits« ), ou de la mise en pratique déterminée menée par l'EZLN et par le sous-commandant Marcos et ses émules (« Don Durito de la Forêt Lacandone« ), Sabrina Calvo nous offre tout en douceur un étendard littéraire d'une puissance peu commune. Comme le souligne la très pertinente lecture signée X dans lundimatin à lire ici), un affrontement majeur se déroule aujourd'hui sur le terrain du bloom (en référence bien sûr au travail du collectif Tiqqun et de celui du Comité invisible) : au coeur d'une géographie politique des barricades réelles et métaphoriques (oui, des « gestes barricades » à inventer plutôt que les seuls gestes barrières !), avec l'aide aussi d'une poésie des rues et des chemins (le François Villon d'« Esquisse d'un pendu« , chez Michel Jullien, hante aussi, très naturellement, ce « Melmoth furieux »), il s'agit bien de rendre à la rime et au rythme ce qui a été confisqué par la marchandise, celle de la Métrique, qui n'a rien ici d'une scansion littéraire mais tout du règne de la mesure chiffrée et obligatoire de la performance en tous domaines.

En ce moment de prise de parti, où soin radical et communisme de l'attention se révèlent essentiels (selon les heureuses expressions de X cité plus haut), en une trace plus directe sans doute que les somptueux rébus de « Elliot du Néant« , de « Sous la colline« ou de « Toxoplasma« , pour tenir la ZAD de nos imaginaires si menacés, Sabrina Calvo nous indique un chemin indispensable, semé d'embûches mais d'une douceur brûlante.
Lien : https://charybde2.wordpress...
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J'attendais avec impatience la sortie de Melmoth furieux et l'ai dévoré dans le weekend suivant sa sortie mais j'ai hésité quant à écrire sa critique car mon avis est mitigé.
L'univers "grunge" m'a beaucoup plu ; un peu l'ambiance du stade de sa BD Constellations mixée avec celle de l'île de Montréal de Toxoplasma. La bande de gamins qui tourne autour de l'héroïne est trash et perchée à souhait.
J'ai apprécié aussi les nombreux moments de vie qu'on passe avec les différentes "tribus" de ce quartier libre qui vit en autarcie forcée-choisie en récupérant, recyclant et upcyclant tout.
Sabrina Calvo semble avoir "trouvé" son style : un mélange sucré-salé de niveau de langue très "impressionniste".
Ce roman rassemble les thématiques et motifs que l'autrice affectionne : Disney, les palmiers, les années 1980, l'enfance, le jeu, le "protocyberpunk"... mais il se déroule dans une nouvelle ville : Paris et développe un nouveau sujet : la couture, qui est son terrain de jeu du moment - : https://www.limerence.is/ -.
Le schéma narratif est plutôt classique : gros méchant, mystères dévoilés pas à pas et grosse fight finale... C'est ce qui m'a un peu déçu car c'est assez inhabituel pour l'écrivaine qui pourra sans doute toucher un public plus large. -Je l'ai d'ailleurs prêté à quelqu'un en guise d'introduction à l'univers de l'auteure dont je lui rebats les oreilles, avant de lui faire tester des histoires plus "ésotériques".- C'est peut-être une étape dans son chemin professionnel, un dernier combat "dans les règles" contre le schéma quinaire avant de le dézinguer dans un prochain opus (?) Certaines métaphores pourraient le laisser espérer puisqu'elle annonçait dans plusieurs interviews vouloir en finir avec les bons vieux clichés des fictions mainstreams -notament au festival Fantastiqueer quand elle décrivait les travers des fictions de Netflix : https://m.twitch.tv/videos/1062224812 -.
(J'ai mis des guillemets quand je ne trouve pas de mots plus appropriés même s'ils ne sont pas exacts.)
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"Melmoth furieux" est un roman paru en 2021 aux éditions La Volte et écrit par Sabrina Calvo. de Sabrina Calvo, je n'ai entendu que du bien (notamment, comme toujours, par la salle 101). Je m'étais déjà procuré Toxoplasma, sur lequel je ne m'étais pas penché outre mesure pour le moment. Ayant reçu Melmoth par l'opération Masse Critique (merci mille fois!), le pas a été franchi.
Et la principale difficulté de cette critique sera de ne pas me faire passer pour un c**.

On suit Fi, une couturière d'environ la trentaine, qui mène une sorte de rébellion sourde contre Eurodisney depuis que son frère s'est (mystérieusement) immolé devant le jour de l'inauguration. Fi évolue à Belleville, transformée en ZAD où ça zone dans tous les sens, mêlant défonce et chocapic.

J'aimerais tout d'abord souligner la qualité d'écriture de Sabrina Calvo. C'est vraiment très bien écrit. Sa puissance d'évocation est impactante, à chaque ligne. La poésie est omniprésente (on a parfois l'impression de lire un poème en prose (bon c'est pas une impression, c'en est un)) et le toux est très agréable à suivre.

Mais alors, que s'est-il passé?
Eh bien... Cette histoire, si justifiée soit-elle, m'insupporte. Cette espèce de verve anti-capitaliste, anti-contrôle, anti-flic me dérange franchement (rien que dans le fait qu'on a bien du mal à se bander les yeux devant un quelconque concept de responsabilité individuelle). Passons sur le fait que l'effort d'identification était insurmontable (franchement, ça a beau être de "belles personnes", pleines de "belles valeurs", j'arrive pas à me dire que des ado qui se démonte la gueule à coup de taz en sentant la croquette est une perspective sociale d'avenir).
Là où on a de grande chance de passer pour un c**, c'est qu'en disant ça on se retrouve dans la peau des anti-Belleville parfois décrits dans le bouquin. Mais honnêtement: il est de quel côté, le stéréotype?
Par honnêteté intellectuelle, je précise que j'ai abandonné le livre à environ la moitié. Je garde donc la réserve de ne pas avoir lu l'oeuvre en entier.

Bon, après, je suis pas malin. C'est ouvertement engagé, j'imagine que lire quelques critiques avant m'aurait épargné beaucoup de peine.
C'est pas un drame. Je tenterai peut-être un jour Toxoplasma, ne serait-ce que pour retrouver la plume de Sabrina Calvo. Mais j'émets quand même de gros doutes sur ma réaction à venir.
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critiques presse (1)
Liberation
16 septembre 2021
La réussite du roman tient beaucoup dans l’incroyable poésie punk de son héroïne fashionista, à ses tenues, aux robes chatoyantes qu’elle réalise, à des passages sublimes sur le rapport du corps à la matière, au façonnage.
Lire la critique sur le site : Liberation
Citations et extraits (26) Voir plus Ajouter une citation
Eurodisney ouvre ses portes le 11 avril 1992 à 10 heures du matin. Une journée de fanfares – du sinistre à perte de vue. Les hôtels dégueulent de VIP de journalistes d’agents de voyages. Tout le monde a son poncho jaune. Tout le monde se pèle le cul.
Des canalisations sautent en fin de matinée. Elles inondent de putride le conte de fées ; des bugs mécaniques sur plusieurs attractions, des opérateurs en bottes d’égoutier – on parle de parents blessés – des rats en grappe. Des enfants pleurent : un Dingo dingue leur a mis des gifles à la sortie de Peter Pan. Le grand chien a disparu laissant derrière lui des bouts de son costume, des chaussures trop grandes. Une oreille.
Deux bombes détruisent plusieurs pylônes d’électricité en fin d’après-midi. On blâme ces mystérieux anarchistes qui deux ans plus tôt avaient saccagé le centre d’accueil provisoire bâti près du site pendant la construction. Ces mêmes activistes qui avaient lancé des œufs sur le PDG Michael Eisner quand il était venu à Paris célébrer l’entrée du parc en Bourse. Leur message était clair : Barre-toi, Souris Noire.
À 18 heures, on manifeste aux portes de l’Hôtel de la Reine. Masques à gaz, des disques de carton peints sur des coupes de cheveux géométriques. Banderoles graffées de lignes qui tracent le rongeur en larsens de feutre fluo. Des caricatures de personnages débauchés. Des slogans orduriers, qui accusent le gouvernement français de collaboration avec l’ennemi. On dénonce la désacralisation des tombeaux mérovingiens sous les champs de betterave.
Huit cent quarante caméras filment l’inauguration en Mondovision – un direct sur deux cent dix-huit chaînes internationales. Montée sur place par l’équipe américaine de Burbank, l’émission est un patchwork de séquences préenregistrées et de live taillé sur mesure pour l’audience de chaque pays. La France a mérité son royaume enchanté, après des décennies de rareté médiatique entretenue une copie de VHS à la fois.
Au pied du château de la Belle au bois dormant, Jean-Pierre Foucault et David Hallyday lèchent le cul d’une brochette de vedettes : cher en froc BDSM cuir ouvert, les patineurs Duchenay option meringues, Glorian Estefan en meneuse de revue, Angela Lansbury – pauvre théière – Tina Turner en petite petite robe noire et Anne, Anne. Égérie de l’année, en nano perfecto vinyle bleu et combi courte blanche sur baskets montantes – high energy.
À 20 heures, l’autocrate Eisner est rejoint sur le podium par son ennemi juré, Roy E., neveu d’Oncle Walt. Les deux hommes se livrent une guerre sans pitié pour le contrôle de la compagnie. Eisner en mode pur corpo – il a choisi une cravate trop grande, brodée d’icônes abstraites. Roy E. porte un costume élimé sorti de la naphtaline par une secrétaire retraitée à qui son oncle l’avait confié la veille de sa mort, en 1966 – c’est précisément ce même costard que Walt Disney avait porté lors de l’inauguration du parc américain.
Pour imposer sa vision, Roy E. choisit les mots symboliques que l’oncle fondateur avait prononcés en 1954 pour la dédicace de son premier parc, à Anaheim en Californie.
« À ceux et celles qui viennent en ce lieu béni : bienvenue. Disneyland est votre terre. Ici, la vieillesse ressuscite les souvenirs chéris du passé… et ici la jeunesse pourra savourer les challenges et les épreuves du futur. Disneyland est dédié aux idéaux, aux rêves et aux dures épreuves qui ont fondé l’Amérique… avec l’espoir d’être source de joie et d’inspiration pour le monde entier. »
Les nababs coupent ensemble le ruban inaugural avec une paire de ciseaux d’or – Eisner tient, Roy E. tranche. Dans un halo morbide, portail d’une dimension diagonale, un avatar de la Souris Noire apparaît aux portes du château – marcheur sur le seuil, toutes dents dehors.
Clameurs et célébrations. D’un geste de la main, la Souris salue la foule. Dans le sillage de sa queue-de-pie, elle volte dans Fantasyland, activant le rituel antédiluvien qui incarne sa gloire. L’arrivée du démiurge abruti.
Une troupe d’enfants s’engouffre à sa suite sur le pont-levis. Public et pom-pom girls envahissent le Royaume. Des bouquets illuminent la nuit.
Et les hurlements.
Sous une arche, trente-trois secondes après le ruban, une tragédie annonce la banqueroute et la Chute du parc – les émeutes, le grand incendie, le retour du suzerain noir et notre victoire finale. Un sacrifice qui devait secouer les fondations même de la république répressive. La fission ouverte d’un atome en plein cœur de l’imaginaire. Mais toute image d’archive bannie, que reste-t-il aujourd’hui de ce geste ? Des murmures, rumeurs de complots. Des échos. Si l’on tend l’oreille pendant le générique de fin de la retransmission française de l’inauguration, au-dessus des vivats et des festivités, des rires et des explosions dans le ciel, il est possible d’entendre un son dissonant, des cris de terreur. De voir le chatoiement. Et l’ombre sur le stuc. Il ne s’agissait pas comme l’a écrit la presse le lendemain d’un feu d’artifice raté. Ce soir-là, des témoins ont vu le bûcher, des flammes lécher les murs de sucre d’orge. Ce soir-là, immolé au pied du château, un supplicié a maudit le parc pour des générations.
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Elle fronce les sourcils, alors j’insiste.
– Tu vois, c’est comme essayer de dire que des vêtements peuvent se gonfler d’une idée, de l’intérieur d’eux-mêmes. D’espoir, de force. De résistance. Comme ces fantômes dont tu parlais, qui hantent encore les habits des pauvres gens qui sont morts ici. Si on les gonfle assez, peut-être que ces fringues pourraient même nous protéger des balles. Assez pour pouvoir couvrir nos combattantes. On peut fabriquer des spectres.
– Mais pour faire cela, il faudrait des textiles qui n’existent pas.
– Je les ai. J’ai de l’essence magique pure. De la poésie physique qui se manifeste depuis la matière elle-même.
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Je sais bien que quand on crève de faim bien se saper c’est pas la prio mais je ne peux pas m’empêcher de penser que le monde hors les murs de Belleville nous considère comme des crevards, des crasseux. Ils ont gagné la bataille médiatique quand ils ont crucifié nos combattants pour avoir osé briser des vitrines de luxe. Et les vieilles générations, déjà consumées par la peur de l’autre, par la haine de la différence et la méfiance, ont compris que les minorités voulaient tout détruire et qu’il fallait en finir. Mais à l’intérieur de cette dépossession générale, il reste malgré tout des formes de vie commune qui se cherchent, des gens pas totalement réduits au statut qui leur est assigné, et qui ont créé des liens de solidarité, forgé un langage, instauré des usages. J’aimerais pouvoir dire que les choses sont simples, qu’on peut établir des camps clairs dans cette guerre civile mondiale où tout le monde semble désormais faire partie du même bord. je n’y crois pas. Je ne discerne rien – à peine un sursaut d’adelphité. Un élan.
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Posée sur un tabouret, coudre à m'en faire saigner le bout des doigts. Les rotations du poignet entre les ongles suspendus et le fil et l'aiguille.J'entre dans un souffle doux de patience et d'attention où chacun de mes gestes est apaisement. Une tâche lente qui engage mon corps entier, penché sur l'ouvrage.Là dans la matière, je trouve sensualité, je trouve expression du silence qui enfle et gonfle et déforme pour tirer, ouvrir et devenir.
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Ils ont gagnés la bataille médiatique quand ils ont crucifié nos combattants pour avoir osé briser des vitrines de luxe. Et les vieilles générations, déjà consumées par la peur de l'autre, par la haine de la différence et la méfiance, ont compris que les minorités voulaient tout détruire et qu'il fallait en finir. Mais à l'intérieur de cette dépossession générale, il reste malgré tout des formes de vie commune qui se cherchent, des gens pas totalement réduits au statut qui leur est assigné, et qui ont créé des liens de solidarité, forgés un langage, instauré des usages. J'aimerais pouvoir dire que les choses sont simples, qu'on peut établir des camps clairs dans cette guerre civile mondiale où tout le monde semble désormais faire partie du même bord. Je n'y crois pas. Je ne discerne rien - à peine un sursaut d'adelphité. Un élan.
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Léanne, libraire du rayon Science-Fiction, présente Melmoth Furieux de Sabrina Calvo paru aux éditions La Volte.
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