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Critiques de Sándor Márai (470)
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Les braises



Des critiques ont déjà mis en exergue la trame de ce livre.



« Les braises » titre au combien évocateur, est déjà un résumé en lui-même : 41 ans d’attente ont permis aux personnages de s’interroger sur leur vie (enfance, amitié, conditions sociales, carrière professionnelle, vie amoureuse) et surtout sur la « rupture amicale » entre eux.



C’est un monologue mené à la façon d’une enquête policière par l’un et toléré par l’autre.



A lire absolument tant il est rare qu’un roman traite aussi bien de l’amitié.

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Les braises

Je continue d’explorer l’œuvre de cet auteur majeur hongrois que fut Sandor Marai. Découvert avec « Mémoires de Hongrie », j’avais été agréablement surprise, je dirais même émerveillée, par la similitude de son style avec Stefan Zweig. Une écriture élégante, j’oserais écrire aristocratique, qui sait parfaitement mettre en évidence ce que cachent nos failles, nos motivations, nos sentiments. Il surprend par une grande profondeur de réflexion, une belle acuité d’analyse des passions humaines.



Antifasciste dans un pays collaborant avec l’Allemagne nazie, il quittera son pays en 1948, à l’entrée des chars soviétiques dans Budapest, pour les Etats-Unis jusqu’à son suicide en 1989. Là encore, sa gémellité avec Zweig interpelle. Il ne sera réhabilité en Hongrie qu’en 1990, après son suicide.



Le titre original de ce roman serait « A gyertyak csonking égnek », ce qui signifie « Les chandelles brûlent jusqu’au bout ». Après avoir pris connaissance de ce livre, le titre m’a intriguée. J’ai cherché le lien entre « Les braises » et le récit et me suis rendue compte que le titre initial était bien plus en adéquation avec la traduction littérale.



Dans un château en Hongrie, Henri, âgé de plus de soixante-quinze ans, général à la retraite, attend son ami Conrad qu’il n’a plus revu depuis plus de quarante et un ans. Le temps s’est écoulé. L’empire austro-hongrois n’existe plus. La seconde guerre mondiale est à ses débuts.



Amis d’enfance malgré leurs différences sociales - l’un est issu d’une famille extrêmement fortunée, évoluant dans l’entourage de l’empereur François-Joseph, l’autre est issu d’une famille de fonctionnaires - il n’en reste pas moins qu’Henri et Conrad demeurent très attachés l’un à l’autre, inséparables pourrait-on dire. Alors, comment se fait-il que du jour au lendemain, Conrad se soit exilé sous les tropiques après avoir donné sa démission de l’armée et tout cela, sans donner de raison. Le moment tant attendu est enfin arrivé, Conrad est de retour à la table d’Henri. Celle-ci a été dressée avec le service de porcelaine française, le repas, les fauteuils, la disposition des fleurs dans les vases, tout est à l’identique du dernier soir qui les a vus réunis il y a quarante et un ans. Il manque Christine, l’épouse d’Henri, qui est décédée.



J’ai beaucoup apprécié ce huis-clos très intimiste, cette confrontation entre deux hommes où au fur et à mesure que les chandelles se consument, la tension dramatique se fait de plus en plus intense jusqu’à l’ultime révélation qui se fait connaître en toute fin du récit. Toute la force de ce chef d’œuvre réside dans le dialogue truffé de non-dits qui s’installe entre les deux amis. De leurs échanges, il se dégage beaucoup de vulnérabilité, c’est indéfinissable. Si l’un des deux vient à souffler sur les « braises », tout peut s’embraser en un instant. Peut-être est-ce justement cette nécessité ou la peur d’entrevoir enfin une parcelle de vérité qui rend l’instant si fragile et que la vieillesse les rapproche de la mort. Ils ont fui la vie tous les deux, l’un sous les tropiques, l’autre dans une annexe de son château. L’un comme l’autre, ils n’ont pas osé aimer, pas osé affronter leurs émotions. Henri a passé sa vie à se poser des questions, mortifié, rongé par la rancœur, et ce sont toutes ses réflexions qu’il livre à Conrad. A chaque main tendue, une révélation vient bousculer l’espoir de les voir se réconcilier.



C’est une histoire d’amitié entre deux hommes, d’une amitié bafouée, perdue que nous livre Sandor Marai. Une histoire où les valeurs liées à ce sentiment d’amitié sont mises à rude épreuve.



J’ai relevé qu’Henri reste sans nouvelle de Conrad pendant quarante et un ans. J’ai noté que l’exil de l’auteur est aussi de quarante et un ans. Selon La Bible, le nombre 40 est le nombre de l’attente, de la préparation, de la maturation, de l’épreuve ou du châtiment.



« Il reste l’une des grandes voix de la Mitteleuropa, aux côtés de Stefan Zweig ou Thomas Mann qu’il admirait ». France Culture.



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Les braises

Sándor Márai - Les Braises - 1942 : Il faut savoir que ce livre n'a été autorisé en Hongrie, pays d'origine de l'auteur, qu'après la chute du mur de Berlin. On peut s'interroger sur la raison de cette censure, rien dans cette histoire ne paraissant subversif ou portant atteinte à la moralité et à l'existence de l'union soviétique. Seule une volonté d'étouffer un intellectualisme considéré par la pouvoir en place comme une menace pouvait expliquer l'interdiction de cet ouvrage. le huit clos mis en scène par Sandor Marai évoquaient tour à tour la fin d'une amitié mais aussi celle d'un monde avec l'entrée en guerre des puissances européennes et leur fuite en avant vers le chaos final. Après quarante années de séparation, ce sont deux vieillards qui se retrouvent pour solder enfin les rancœurs accumulées pendant un demi-siècle. Une relation comme celle qui les unis depuis l'académie militaire ne pouvait rester éteinte sans qu'un dernier souffle ne rallume les braises de la discorde. Malgré la différence de classe sociale rien ne semblait pouvoir rompre leur attachement, pourtant, du jour au lendemain, à la suite de ce qui paraissait n'être qu'un bête accident de chasse, l'un des deux est parti sans explication abandonnant sa carrière de soldat et un avenir brillant dans le monde. Si l'écriture est très riches et les longs monologues brillants, le livre pèche un peu par l'absence de mystère car on comprend très vite les raisons de ce mutuel silence. Il suffira de dire qu'une femme complète ce duo pour que la fin se dévoile bien avant la conclusion du récit. Malgré ce bémol, ce classique reste très agréable à lire et permet de découvrir la littérature d'un pays rarement mis en avant pour le mérite de ses œuvres littéraires..
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Métamorphoses d'un mariage

« Un beau jour, tu ne veux plus rien conserver pour toi-même, tu n’attends plus de la vie ni bien-être, ni apaisement, ni satisfaction, mais tu aspires à exister pleinement quitte à en mourir …..Alors ce jour là, tu éprouves le désir de connaître une passion dévorante. »



J’éprouve toujours la sensation de pénétrer à pas feutrés dans un roman de Sandor Marai. Lecture tout en contraste de deux confessions ; J’ai quitté Imma Monso qui est une auteure d’aujourd’hui, une battante et me voilà dans cette ambiance slave envoûtante, mélancolique, nostalgique avec en mains, ce roman exigeant, qui demande une lecture attentive.



Sandor Marai me convie, de son écriture élégante, à un plongeon dans l’âme humaine. Me voilà installée dans un salon de thé à Budapest, le café « Gerbeaud » sans aucun doute. L’auteur invite son lecteur à prendre place au milieu de son récit et à recevoir les confidences des trois intervenants : Ilonka, première épouse de Peter, Peter, et Judit, domestique chez les parents de ce dernier qui deviendra sa seconde épouse.



Sur un sujet somme toute banal, Sandor Marai nous offre l’histoire de la décomposition d’un mariage mais aussi de la décomposition d’un pays envahi, torturé, meurtri. C’est ce qui en fait aussi un témoignage de grande valeur : une étude de cette société hongroise de l’entre deux-guerres, celle d’Horthy mais aussi celle de l’après guerre sous le joug des communistes. Il parvient à embrassé plusieurs thèmes, celui de la Hongrie comme celui de l’intime, ou celui de l’écrivain désenchanté, amer, le grand ami Lazar de Peter.



Ce qui m’a le plus troublée, ce sont les confidences de Peter. A bien l’écouter, j’ai perçu dans l’écriture plutôt les méditations de l’auteur, je devenais dépositaire d’une part de son intimité. C’est amer, morose, mélancolique. Héritier lui-même de la grande bourgeoisie, je l’ai senti portant comme un fardeau les convenances de cette classe sociale pendant l’entre deux-guerres, avec ses codes, les usages en vigueur régissant les rapports aux autres classes sociales. Et en même temps, à travers les réflexions et le désenchantement de l’ami Lazar, la fin d’une certaine culture, d’un mode de vie. Peter évoque son questionnement sur le sens de la vie, sur la solitude, sur les femmes. Il décrit les sentiments humains avec subtilité, profondeur. A travers la question essentielle de Peter : peut-on se mentir à soi-même longtemps sans risque, nager à contre courant de ses propres aspirations, préserver les apparences, l’auteur ne se pose-t-il pas une question existentielle comme il pose la question de l’amour entre deux personnes issues d’un milieu différent.



Dans cette atmosphère d’une époque révolue propice aux confidences mezza voce, IIanka et Judit se sont épanchées. Elles ont parlé de leur vie sous le prisme individuelle de chacune mais j’ai reçu leur histoire avec plus de distance. IIanka, honnête, amoureuse, cultivée mais trahie et Judit, qui va intriguer auprès de Peter dès qu’elle comprend qu’elle suscite l’émoi chez celui-ci, réglant ainsi ses comptes avec une classe sociale qu’elle déteste, ce sera sa lutte des classes.



J’ai retenu la confession, le questionnement de Peter, et l’Histoire de la Hongrie qui est un déchirement pour l’auteur, j’ai ressenti sa détresse, c’est poignant et je me réjouis de ne pas avoir vécu sous de tels cieux. Le récit démarre pendant l’entre deux guerres pour se prolonger jusqu’en 1979. Si j’ai bien compris, il y a deux romans en un seul, l’un paru en 1941 et l’autre qui sera terminé à San Diégo en 1979.



« Moi, je l’ai écoutée sans piper, jusqu’à l’aube. Ce qu’elle m’a raconté, on aurait dit un polar…. Elle m’a parlé de la vie chez les riches. »





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La Nuit du bûcher

Après le magnifique billet d'Eduardo (Creisifiction), j'ai su que je lirai ce roman sur l'Inquisition : Une religion qui veut s'imposer comme moyen de gouverner le monde en tuant ceux qu'elle perçoit comme « hérétiques », ça rappelle encore malheureusement des choses aujourd'hui. L'expérience des uns ne sert visiblement pas de leçon aux autres…





Dans "La nuit du bûcher", un carme espagnol vient à Rome pour apprendre à débusquer plus efficacement les hérétiques qui simuleraient leur chrétienté, à mieux les torturer, mieux les convertir (c'est sûr que ça fait envie)… Et mieux les brûler ! Car on ne brûle pas de la même manière un hérétique converti et un non converti - ce dernier aura droit au bûcher de bois vert qui se consume extrêmement lentement.





Notre carme se fait donc une fierté d'apprendre avec les plus grands inquisiteurs afin de pouvoir propager ce savoir chez lui, comme par exemple comment exploiter la jeunesse malléable, les enfants des familles pour dénoncer les parents ou toute parole suspecte prononcée à la maison ou par des proches… L'un d'entre eux n'a-t-il pas fermé ses fenêtres devant le spectacle d'un bûcher ? Hérétique ! La délation est, de manière générale, un devoir pour prouver que l'on est un chrétien zélé pratiquant et non un vague semblant de converti.





Les simples sympathisants de l'Inquisition qui ne se mouillent pas - « Les personnes vivant dans le péché de l'indifférence, en d'autres terme : enclins à l'hérésie » - sont donc tués aussi, mais rassurez-vous ils ont des morts plus douces comme la pendaison. Et puis jamais d'écartèlement c'est interdit, on n'est pas des bêtes… « Nous appliquons consciencieusement ces préceptes de pitié et de compassion ».





L'idée est que « Tant que les hérétiques ne se rétracteront pas, tant que les païens ne se feront pas baptiser et tant qu'il n'y aura pas qu'un seul bercail et un seul berger, il n'y aura pas d'ordre dans toutes ces régions ».





Les livres sont évidemment les premiers craints et sacrifiés, qui permettent aux idées de se diffuser et, surtout, aux âmes libres de réfléchir par elles-mêmes, et donc de risquer de se détacher du dogme auquel on veut les attacher et les soumettre.

« Le véritable danger ce sont les livres (…). La méthode souveraine dans le combat contre l'hérésie était de réduire à néant tous les livres, auteurs et lecteurs louches parce qu'il n'y aurait pas d'ordre dans le monde tant que vivraient des hommes qui feraient l'expérience de penser par eux-mêmes. »

Et si pour arriver à cela, les bûchers individuels ne suffisent plus, qu'à cela ne tienne : il faudra interner les gens à grande échelle, pour les brûler par milliers…





Alors très vite, à travers les mots que fait prononcer Sandor Marai à son évêque pour défendre l'Inquisition de l'Eglise, le lecteur attentif percevra non-seulement, dans un premier temps, les failles et l'inhumanité d'un raisonnement poussé à l'extrême, que l'on retrouve aujourd'hui dans d'autres religions.





Mais, dans un second temps, il y percevra aussi une dénonciation plus large des méthodes et arguments avancés, qui ont pu être utilisés plus tard par d'autres dictatures politiques : En faisant parler de grands inquisiteurs, Sandor Marai suggère des superpositions de lieux, de temps et d'agissements, créant une réflexion plus vaste. La délation, les rafles, les corps brûlés, ça ne vous rappelle rien ? Voilà à quoi mènent toujours ces raisonnements et arguments, nous avertit-il de manière plus ou moins subliminale.





« Alors oui, avec le temps, il deviendra réellement un chrétien, c'est à dire une créature qui ne pose pas de questions et ne discute pas, parce qu'il a la certitude que l'univers de la chrétienté est le plus parfait de tous. C'est pourquoi il est souhaitable d'exclure tous ceux dont on peut supposer que le doute est resté vivant dans leur âme. Viendra un temps où il faudra enfermer les suspects en groupe, sans discernement, sans tenir compte de l'individu. »

« Arrivera une époque où l'on regroupera sans ambages ni perte de temps tous ceux qui seront soupçonnés d'hérésie à cause de leur origine ou pour d'autres raisons, dans des champs clos par des barrières de fer, pour des périodes plus ou moins longues. » « Quand le temps sera venu, il enverra les coupables non pas par un mais par groupes entiers, plusieurs centaines d'hommes à la fois, dans l'autre monde. »





Roman réflexion plus qu'émotion, il m'a peut-être manqué, pour en garder un plus grand souvenir à terme, de m'enflammer pour un personnage ou une intrigue. A la place, l'auteur instaure un léger suspense bienvenu sur l'issue de ce récit, et parvient à ne pas nous rendre antipathique son carme inquisiteur. D'une grande fluidité, ces 280 pages ont par ailleurs le bon goût de nous épargner nombre de détails, descriptions et pratiques de cette période. Vous n'y trouverez donc pas la reproduction de grands procès à sensation, ni de scènes insoutenables de torture. Mais en se focalisant sur celle emblématique du bûcher, la logique qui y mène ainsi que les méthodes utilisées pour y parvenir, l'auteur génère une réflexion qui demeure malheureusement universelle et intemporelle : A cette logique inquisitoriale, sous les mots des hauts dignitaires de l'Eglise qui la défendent et la propagent, se superposent les logiques, justifications et modèles d'autres types de dictatures comme par exemple les exterminations nazies, ou encore les extrémistes religieux actuellement. « Dieu a besoin du Diable ». A travers sa plume et ses tournures, Sandor Marai parvient même à nous transmettre le sentiment de sa propre ironie à travers les arguments qu'il prête aux inquisiteurs (comme dans l'extrait que j'ai posté à part en citation). Il tente ainsi de démontrer ce que l'on sent être pour lui la bêtise des arguments d'autorité de ceux qui exercent le pouvoir.





Le carme narrateur sera-t-il satisfait de sa formation romaine, ou le fait d'approfondir cette doctrine et de pousser ses idées au bout du raisonnement lui en fera-t-il voir les limites…? L'homme est-il fait pour être un mouton, ou un être doté du libre arbitre…?





En écrivant cette lettre au nom de son personnage, Sandor Marai écrit en réalité un réquisitoire contre l'inquisition et tous les pouvoirs totalitaires, qui reprennent à chaque fois les mêmes arguments d'autorité pour justifier leurs propres horreurs, copiées-collées.





« Car maintenant il ne s'agit pas de savoir qui a raison. Maintenant ce qui compte, c'est de savoir qui possède la force de faire croire au monde sa propre vérité. »



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Mémoires de Hongrie

« La nuit était calme, le train s’ébranla sans bruit. Quelques instants plus tard, nous laissâmes le pont derrière nous et poursuivîmes, dans la nuit étoilée, notre voyage vers un monde où personne ne nous attendait. Pour la première fois de ma vie, j’éprouvai un terrible sentiment d’angoisse. Je venais de comprendre que j’étais libre. Je fus saisi de peur. »



Il existe des découvertes littéraires qui s’impriment durablement dans la mémoire d’une lectrice. C’est exactement ce qu’il m’est arrivé dès les premières pages de ma lecture et comme les mots me manquent pour définir mon ressenti, je retranscris une critique du magazine LIRE :



« Marai ? C’est la littérature en manteau de vison, la petite musique d’une écriture mozartienne, l’élégance d’une aristocratie de l’esprit ».



Sandor Marai est doué, sa prose est percutante, talentueuse. Mais sa plume est aussi redoutable, ironique, mordante, d’une analyse sans concession des travers de l’être humain.

Sa façon de brocarder le monde politique comme ses semblables plus opportunistes les uns que les autres, sont des instants savoureux malgré la sombre période. Son observation, sa justesse de ton et sa clairvoyance en font un auteur hors du commun.



Journaliste, chroniqueur, poète, traducteur – il traduira Kakfa – auteur dramatique, admiré dans son pays pendant la période de l’entre deux guerres, il fut longtemps oublié à la suite de son exil volontaire aux Etats-Unis en 1948. Redécouvert grâce aux Editions Albin Michel dans les années 1990, il fait partie du cercle de ces écrivains exceptionnels de la Mitteleuropa comme Stefan Zweig, Joseph Roth, Arthur Schnitzler et Robert Musil.



A partir de 1943, il rédige des carnets de note qui seront édités plusieurs années après, ce formidable témoignage se veut un ouvrage à la fois politique, historique et autobiographique.



« Mémoires de Hongrie » est à rapprocher de « Le Monde d’hier : souvenirs d’un européen » de Stefan Zweig. Sandor se suicidera à l’âge de quatre vingt neuf ans, veuf et dans un isolement assez difficile ! Ces deux livres sont, pour nous, aujourd’hui, des documents d’une grande valeur.



« Mémoires de Hongrie » commence avec l’entrée des soviétiques dans la Hongrie de 1944 afin de libérer celle-ci des nazis, pour se terminer au moment de l’exil de l’auteur vers les Etats-Unis en 1948. Antifasciste, démocrate convaincu, opposant à toute forme de régime totalitaire, marié à une femme d’origine juive, le couple Marai quitte Budapest pour se réfugier à la campagne. C’est là qu’ils vont assister à l’entrée victorieuse des chars soviétiques. Contraints et forcés, ils vont devoir cohabiter avec des soldats russes pendant un certain temps. La découverte de l’Autre, cet inconnu, incite Sandor à regarder avec curiosité teintée d’inquiétude, le fonctionnement de ces slaves venus d’orient, un peu comme on étudie le petit peuple des fourmis et c’est cette distanciation qui rend le récit instructif. D’origine russe par ma mère, c’est la curiosité qui m’a poussée à ouvrir ce livre, quel regard pouvait-on porter sur ce peuple ?



Je fais ici un aparté : Sandor constate que les soldats sont passionnés par les montres, les réveils. Ce sont des enfants plutôt sauvages et imprévisibles. Ce qui me rappelle une anecdote que racontait mon grand oncle français : prisonnier en Allemagne, il fut libéré par les russes. Il a vu un soldat soviétique demander à un prisonnier de lui faire deux montres dans un réveil, le prisonnier lui disant que c’était impossible, le soldat lui a tiré une balle dans la tête.



Revenons à Sandor Marai. Très imprégné de la culture occidentale, Sandor éprouve quelques difficultés à entrer dans la psychologie des soldats russes. Il les interroge et il s’interroge, il reste perplexe devant la personnalité de ces hommes et se pose la question de leur venue en Hongrie.



A l’issue du siège de Budapest, le couple retourne vivre dans les décombres de la ville qui annoncent les décombres de la pensée, des valeurs, des institutions magyares que les communistes vont petit à petit faire disparaître au profit d’un régime totalitaire. La Hongrie bascule d’une catastrophe vers une autre. Après la Première guerre mondiale, le traité de Trianon découpe la Hongrie, bouleverse ce pays. De nouveau, la Seconde guerre mondiale étouffera ce pays sous le joug communiste.



Sandor Marai assiste et note la manière dont l’installation graduelle du régime communiste s’effectue. La mise en place de la Terreur dans l’immeuble du 60, rue Andrassy à Budapest, l’abandon de l’esprit critique, l’abandon de la liberté d’écrire de l’écrivain sacrifiée au profit de la censure, les purges.



Le remplacement des politiques par des hommes corrompus à la solde de Moscou, des hommes sans conviction mais terriblement opportunistes, l’élimination de la bourgeoisie hongroise, dépossédée de ses biens pour mieux profiter aux nouveaux dirigeants, les sociaux démocrates sont balayées, c’est l’heure des chaises musicales, des uniformes remplacent d’autres uniformes.



Et dans cette période, privé de tout d’autant plus qu’il est un écrivain, Il écrit « Un médecin m’apprit que le nombre des suicidés était désormais plus élevé que durant la guerre ou au lendemain du siège, pendant les premiers mois de l’occupation russe, afin de fuir cette terrifiante absurdité. »



Malgré ces évènements dramatiques, il souhaite rester dans son pays avec l’espoir de faire vivre la langue hongroise. C’est désespéré qu’il en arrive à cette conclusion :



Si je décidais de rester, je me verrais soumis à cette technique mystérieuse du lavage de cerveau, plus dangereuse encore que les menaces physiques, ces drogues par lesquelles, dans les prisons et dans les chambres de torture, les geôliers cherchent à annihiler la conscience des détenus. Je serais alors contraint d’anéantir volontairement mon moi protestataire. Car c’était bien cela qu’ils visaient. Et ils disposaient à cet effet de méthodes perfectionnées et tous ceux qui tombaient entre leurs mains finissaient par perdre le sens des réalités et de leur propre destin, Il arrive nécessairement un moment où, par lassitude, indifférence ou désespoir, l’individu finit par admettre que tel est l’ordre des choses. La liberté n’est pas un état permanent mais une aspiration continue, que le lavage de cerveau cherche précisément à annihiler. L’individu qui le subit finit, un jour, par ne plus désirer la liberté en se persuadant qu’il y a renoncé « dans l’intérêt du peuple ».



C’est un récit passionnant, à aucun moment je ne me suis ennuyée si ce n’est juste au milieu du livre où Sandor se pose la question de l’éthique chez l’écrivain que j’ai trouvé un peu long. Après cette lecture intense, je vais m’attacher à la découverte de « Les Braises ». Quelque soit le fond, je peux vous affirmer que la forme est magnifique.

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Les braises





L’orage gronde. Henri, ancien officier qui vit reclus en son château, reçoit Conrad, un ami qu’il n’a pas revu depuis plus de quarante ans. Nous allons progressivement apprendre au cours de ce huis clos ce qui a poussé Conrad à quitter soudainement un ami de longue date, l’armée et son pays.



L'auteur aborde une histoire d’amitié entre deux hommes que tout oppose : Henri, un général issu d’une famille aristocratique et fortunée, dont la vie est fondée sur les valeurs de l’armée ; Conrad, cultivé et d’origine plus modeste, qui n’est pas attiré par l’armée mais plutôt par la musique et les arts. Nous découvrons peu à peu de quelle manière Conrad est l’obligé de son ami, qui mène la conversation lors de cette soirée.



Sandor Marai dépeint à merveille son pays et en filigrane le démantèlement de l’empire austro-hongrois.





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Le Premier Amour

J'ai aimé ce livre car il m'a bouleversé.

L’écriture fouille, dissèque les états d'âme d'un professeur de latin qui , à la cinquantaine, se sent un homme vieux , n'ayant rien vécu et n'ayant plus plus rien à attendre de l'avenir.

C'est le retour sur des lieux de sa jeunesse qui va engendrer chez cet homme le besoin de faire un retour sur lui-même au travers de l'écriture d'un journal intime.

Ce livre fait réfléchir sur les limites de l'introspection.

Au fur et à mesure de la lecture j'ai pensé que l'occasion était donnée à cet homme de trouver un moyen de sortir de sa solitude, de son négativisme en en prenant justement conscience. Et de fait l'homme va peu à peu se métamorphoser physiquement (j'ai adoré ces passages là et je vous laisse les découvrir ).

C'est le côté positif et exaltant de l'introspection.

Mais il y a aussi un autre versant beaucoup plus sombre lié au fait qu'une réflexion excessive sur soi-même peut conduire à un comportement paranoïaque.

A lire pour le portrait psychologique extrêmement juste d'un homme qui à force de se chercher finit par se perdre.





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Métamorphoses d'un mariage

N'avez-vous jamais fait l'expérience d'un souvenir, par vous oublié, mais rapporté par celui ou celle qui l'a vécu avec vous ? Chacun de ceux qui nous ont connu détient une part de notre vérité. de notre histoire. Ma mémoire c'est les autres. 



Né avec le XXème siècle, à Košice (Cassovie), dans l'actuelle Slovaquie, cet immense écrivain hongrois, mort en exil en Californie, signe ici un roman psychologique subtil autour de son thème de prédilection : les chassé-croisé amoureux d'une bourgeoisie déclinante.

“Méfiez-vous de la vérité : elle commet toujours des erreurs” écrivait Romain Gary. La vérité est morcelée, comme une porcelaine brisée. Les Métamorphoses d'un mariage s'évertuent à recoller les morceaux. Certes, l'amphore ne retrouvera jamais son unité, il restera quelques fragments perdus dans la nuit de l'oubli. 




L'histoire débute avec l'ex-épouse, Ilanka, se poursuit avec l'ex-époux, Péter, et laisse enfin la parole à Judit, celle qui s'est invitée à la table de la bourgeoisie, celle qui a transgressé les lois d'airains des codes de classe et des sacrements du mariage.



De Pest à Buda, le lecteur recueille les souvenirs de ces personnages à travers les trois longs chapitres du livre. Il est le confident de l'intimité bourgeoise de ce mariage, mais davantage encore. Que ce soit autour d'une glace à la pistache dans un café de Budapest, autour d'un vin hongrois à la fermeture d'un bar ou lové dans les draps fins d'une garçonnière de Rome, le procédé littéraire, qui consiste à placer le narrateur face à un interlocuteur muet, crée tout de suite une intimité et une quasi absence d'intermédiation entre les « confessions du bourgeois » et le lecteur. Nous suivons ces vies sur plus de trente ans, de l'ambiance feutrée des salons mondains de l'entre-deux-guerre à l'occupation allemande puis bolchevik de la Hongrie. Le temps de l'écriture n'en est pas moins long puisque l'auteur débute son roman en 1949, à Pausilippe et en termine l'épilogue en 1979, à San Diego. Márai, aujourd'hui célébré dans son pays, mourra en exil, avant de voir le mur de Berlin s'effondrer, l'année de sa mort.



L'épure de la bourgeoisie s'étiole, s'érode, guerre après guerre, Péter en étant le dernier représentant, sous les yeux de l'écrivain, Lazar, chroniqueur du crépuscule. Malade de l'injustice, malade d'être un artiste sans spécialité, Péter est hanté par la solitude et le remords. Ilanka, finit à son tour par souffler sur “les braises” du souvenir de Judit, la bonne de la famille, et celle qui pensait faire une belle union ne récolte qu'un « divorce à Buda ». 



Márai Sandor se vit-il comme un passeur de flambeaux, forcé de témoigner du « monde d'hier » ? Ou est-ce la nostalgie qu'il expie tout au long des 500 pages de ce livre. Toujours est-il que l'auteur magyar surprend, il habite ses différents narrateurs de façon singulière et vraisemblable et ainsi donne à chacun des chapitres une tonalité et un caractère propre. 



« Le corps humain, tu sais, contient soixante-dix pour cent d'éléments liquides et trente pour cent d'éléments solides. de même, la vanité représente soixante-dix pour cent du caractère humain, le reste étant partagé entre le désir, la générosité, la peur de la mort et l'honnêteté.” Si le début du livre est plein d'intrigue, il arrive un moment où la subtilité des émotions, le suspense (car il y a du suspense) ne suffisent plus et il y a une sorte de répétition sourde qui se fait sentir, et parfois même un sentiment de banalité, car la langue (à tout le moins la traduction) n'est pas d'une aussi grande singularité que celle, très riche et raffinée d'un Zweig ou celle chirurgicale, précise et scientifique d'un Musil, deux autres monuments littéraires de la Mitteleuropa.



Ces répétitions, en partie imputables à la structure du livre, les différents personnages ayant vécu partiellement les mêmes évènements, sont moins digestes lorsque les considérations fleuves sur l'art, la culture, le rôle de l'écrivain, la mission du bourgeois et sa critique tournent un peu sur elles-mêmes. Au contraire, lorsque les répétitions nous permettent de voir le même évènement sous un prisme différent, avec des informations que nous ignorions ou une interprétation plus nuancée, alors Márai nous emporte dans le courant danubien d'une jouissance littéraire redoutablement efficace.



Cette chronique du sentiment d'être “passé à côté” porte le nom original de “Az igazi, Judit…és az utóhang”, et c'est sans doute cette dernière partie du titre “…et l'arrière-goût”, qui définit le mieux l'odeur douce-amère du passé, l'odeur de foin sur la peau, de cet art de vivre et d'aimer bourgeois, avec ses conquêtes et ses névroses.



Derrière la mélancolie non pas d'un âge d'or mais plutôt d'une époque pleine de promesses finalement non tenues, on devine toute l'ambivalence de l'auteur vis-à-vis de la bourgeoisie hongroise, dont il se fait tour à tour dépositaire et fossoyeur.

C'est toujours « l'arrière-goût » qu'écrit Márai dans cette incapacité à rencontrer l'autre, cette solitude à deux, cet échec du “vouloir-saisir”, comme l'eut dit Roland Barthes dans ses “Fragments d'un discours amoureux”. 



Qu'en pensez-vous ?
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Mémoires de Hongrie

Dans ses « Mémoires de Hongrie » Sándor Márai revient sur des années sombres de l’histoire de la Hongrie, petit pays d’Europe centrale, envahi par les Allemands pendant la seconde guerre mondiale, puis tombée aux mains des Soviétiques.



Ecrivain, considéré comme bourgeois, il va tout perdre : d’abord son logement et toute sa bibliothèque, détruits par des bombardements puis peu à peu avec la bolchevisation de la société, la possibilité de vivre de sa plume. Partagé entre le désir de rester pour continuer à défendre sa langue, sa culture, son peuple, il finit par se rendre à l’évidence : plus rien n’est possible dans un pays dominé par la terreur, ou plus aucune liberté n’existe, où les valeurs d’humanisme qu’il a défendu sont devenues suspectes, voir criminelles.



N’étant plus autorisé à se déplacer librement, ayant abandonné son travail de chroniqueur, voyant disparaître une à une ses connaissances, seul dans une ville en ruines, ressentant la solitude d’un petit pays oublié de tous, il prend la décision en 1948 d’émigrer.



Il nous fait partager l’histoire de son pays, ses combats de naguère contre les envahisseurs ottomans, autrichiens, sa littérature encore peu connue mais riche, les difficultés liées à une langue rare, très peu parlée dans le monde. Des anecdotes également sur la vie en Hongrie, avant, pendant et après la guerre, avec les Allemands puis l’arrivée des Russes. Enfin l’instauration d’un régime qui nie toute humanité. Il prend conscience au fil des pages qu’il va devoir partir pour éviter la mort ou le renoncement au sentiment d’appartenir à un peuple libre. Un très beau livre.

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Les braises

Un ancien général de l'armée Austro Hongroise s'apprête à recevoir dans son domaine son ami de jeunesse qu'il n'a pas vu depuis 41 ans . La séparation a été très douloureuse , malgré par un incident inexplicable .



Très beau roman , tout en finesse , où le temps semble s'écouler avec une infini lenteur .



Au delà du remarquable face à face des deux "amis" qui nous tient en haleine de part tous les secrets et les non dits entre eux deux , ce livre est aussi un trait d'union entre le monde tel qu'il va devenir et l'empire Austro Hongrois. Il est question d'honneur , de fidélité , de devoir...Sentiments avouons le légèrement bafoués de nos jours.

La description de la chasse est saisissante , les relations entre individus remarquablement bien évoquées.

L'écriture est brillante, tout en restant d'une fluidité impressionnante.

C'est un petit bijou, fin , intelligence, laissant la place à l'honneur et au non dits , tout en nous plongeant dans la fin de l'empire , les horreurs de la guerre et les mœurs de la "haute" société

.
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Le miracle de San Gennaro

Naples, à la fin de la deuxième guerre mondiale . Les gens survivent sous le soleil, au milieu des odeurs et des couleurs , ils parlent, s'emballent, magouillent. Parmi eux , deux étrangers qui traversent la scène et dont on ne sait trop rien mais sur qui on suppute autour du vin d'Ischia.



Roman à la construction particulière puisqu'il est longtemps question des Napolitains , de leur vie, leur difficulté, leur rapport à la terre , à la mer . Sans réelle histoire. Mais sans doute inspiré de la vie de Sandor Marai qui a passé quelques années en Campanie.

Et puis on plonge dans la vie de l’étranger , pourquoi il est là et on en vient à évoquer les désastres des dictatures, quelles soient fascistes ou communistes . De façon absolument remarquable. Une vision de l'homme ballotté par les tyrans , de la mise en place du communisme qui se présentait comme la solution et qui fut une punition et un asservissement pour des millions et des millions de gens .

Et Naples, toujours , les Napolitains et leur saint fétiche , San Gennaro, dont le sang se liquéfie deux fois ans, les Napolitains qui demandent des miracles quotidiennement, le soleil , les fleurs, les odeurs, la mer . une belle écriture.

Une grande découverte, que je dois à plusieurs critiques lues ici sur cet auteur .



Je finirai par un moment que j'ai adoré.

Pourquoi l'être humain au bout du rouleau, qui ne croit plus en rien , ne serait pas comme San Gennaro? pourquoi son sang ne bouillonnerait il pas à nouveau ?

Peut être parce que les miracles , c'est surtout dans les églises ?
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Dernier jour à Budapest

Ma passion pour la Hongrie a commencé il y a près de dix ans grâce à un roman de Sandor Marai. Depuis, après un voyage à Budapest et plusieurs autres romans de cet auteur et d'autres, cette passion n'a cessé de croître. Ainsi, la lecture de Dernier jour à Budapest s'inscrit dans cette lignée. Cette fois-ci, Marai livre un vibrant hommage à un autre auteur hongrois, Gyula Krudy. Il ne le nomme jamais directement mais c'est assez clair : il l'appelle Sinbad, du nom d'un personnage récurrent de ses nouvelles. Je ne connaissais pas Krudy, je n'ai jamais lu de ses oeuvres. Pour l'amateur de littérature hongroise que je suis en train de devenir, le nom est bien paru à quelques reprises mais je ne m'y étais pas encore mis. Au sortir de ce roman, Dernier jour à Budapest, je ne suis pas certain avoir acquis une très grande connaissance de Krudy. C'est un dandy, un homme qui aime les plaisirs de toutes sortes, mais qu'est-ce qui le distingue ? Qu'est-ce qui le motive à écrire ? Où trouve-t-il l'inspiration ? En quoi son oeuvre est originale ? Plutôt, le lecteur a droit à son flânage, le temps d'une soirée, d'une nuit. Au lieu d'aller acheter une robe pour sa fille, comme il l'a promis, il se laisse constamment distraire, entrainer d'un café à un club. Et il recommence.



Toutefois, malgré cette légère déception, le roman a réussi à me captiver. Marai ne voulait pas rédiger une biographie, son but était tout autre : faire revivre une époque à travers la lentille d'un de ses personnages littéraires parmi les plus originaux, intéressants. Et c'est tout un exploit. Il a réussi à continuer à me faire rêver de la Hongrie et de sa capitale. Grâce à Dernier jour à Budapest, j'ai pu déambuler avec Sinbad dans une ville qui me devient presque familière, empruntant les mêmes rues, les mêmes passages, le même pont, me rendant dans les mêmes quartiers, rencontrant des amis dans des cafés, etc. Comme j'aurais aimé flâner en compagnie de Krudy ! Aussi, j'ai rencontré une quantité incroyable d'auteurs et d'artistes en tout genre. Même si la plupart m'étaient inconnus, ça n'a pas dérangé. Bien sur, il y a plusieurs notes de bas page (tant de l'éditeur que de la traductrice) ainsi que, à la fin, une liste des écrivains cités. Et, malgré tous ces noms de personnages et de lieux, tous aussi improbables les uns que les autres, je ne me suis jamais senti perdu. Au contraire, j'avais l'impression de constamment découvrir. Tellement que je referme ce roman avec une longue liste d'auteurs et de livres à lire. Trop longue, sans doute, mais qu'importe.



Encore plus, par moment, j'avais l'impression de me sentir Sandor Marai qui, lui-même, se prenait pour Gyula Krudy. Et, avec eux, j'éprouvais une nostalgie pour une époque révolue, un monde magique. Quel émerveillement !
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Les braises

Dernières décennies du 19ème siècle, l’Empire austro-hongrois est gouverné par François-Joseph 1er, également roi de Hongrie. Henri et Conrad, deux amis que seule sépare une différence de fortune, vont grandir ensemble comme deux frères à l’école militaire et devenir officiers. Conrad est accueilli comme un de leurs membres dans la famille d’Henri, dans un château au cœur de la forêt hongroise. Le mariage d’Henri avec Christine ne semble pas perturber cette amitié, les jeunes gens continuant à vivre dans une harmonieuse complicité. Jusqu’à cette journée de juillet 1899, où, après une partie de chasse, Conrad démissionne de l’armée et disparait à jamais.



Août 1940, quarante et un ans plus tard, Henri vit seul dans son château isolée en compagnie de sa vieille nourrice. Sa femme est morte depuis de nombreuses années et il se prépare à recevoir enfin la visite qu’il attend depuis si longtemps : celle de son vieil ami auquel il a tant de choses à dire…



Dans ce roman puissant, tragique, confrontation de deux vieillards dont le monde s’est effondré avec l’Empire qui les avait vus naitre, Sándor Márai nous offre une réflexion très profonde sur l’amitié, l’amour, les relations entre les êtres, la destinée humaine soumise à la violence sans limite des passions qui s’oppose aux règles et contraintes de la vie en société…Jusqu’au jour où les dernières flammes ayant tout consumé, ne subsiste que la nostalgie. Une très belle découverte.

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Les braises

Il y a des auteurs dont on connaît le nom, dont on sait que leur œuvre a conquis des millions de lecteurs et qui vous demeurent inconnus.

C’était en ce qui me concerne le cas pour Sandor Marai, dont je n’avais jamais ouvert un livre.

Je serais bien incapable d’en donner la raison.

J’ai été, je dois le dire conquise dès les premières lignes de ce magnifique roman.



Dans un château isolé, Henri, général à la retraite âgé de soixante-quinze ans dîne avec Conrad, un ami perdu de vue depuis quarante et un ans.

De nombreuses questions se posent lors de ces retrouvailles et c’est à un quasi monologue que se livre Henri évoquant une série d’anecdotes, de souvenirs, de silences et de faux-fuyants.

La tension est palpable et l’auteur réussit à doser savamment les révélations pour replonger ses personnages dans leurs ressentiments alors que l’on croyait qu’une réconciliation était possible.

J’ai été happée par cette écriture d’une intensité remarquable retraçant l’atmosphère et les usages de l’Empire austro-hongrois.



Sandor Maria m’est apparu comme un peintre de l’âme humaine pour démontrer les rouages psychologiques de drames intimes dans un huis-clos haletant et nous donne à lire une magnifique étude des rapports de classes, de l’amitié et de la trahison.



J’ai bien l’intention de poursuivre très rapidement ma découverte de l’œuvre de l’auteur.



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Les braises

Août 1940, dans un château de la campagne hongroise, Henry, ancien général à la retraite de l'armée austro-hongroise, attend Conrad, dont il n'a plus eu de nouvelles depuis plus de 40 ans. Précisément depuis ce jour funeste de 1899, au cours duquel une partie de chasse a failli très mal tourner, et où Conrad a rompu les ponts avec Henry, sans aucune explication.

Et pourtant, jusqu'alors, les deux hommes avaient été très proches, se côtoyant depuis leur enfance et leur rencontre à l'école militaire. Leur amitié très pure, sans faille, semblait indéfectible malgré les différences de classe sociale. En effet, Henry est issu d'une riche lignée de militaires, tandis que les parents de Conrad se sont saignés aux quatre veines pour que leur fils puisse intégrer l'école de l'armée impériale. Cette amitié au long cours avait même subsisté après le mariage d'Henry avec Christine, Conrad étant régulièrement invité au château. Jusqu'à la fameuse partie de chasse précitée, donc.

Mais aujourd'hui, alors qu'il attend Conrad, Henry espère obtenir enfin les réponses à toutes les questions qu'il se pose depuis 40 ans, depuis que Conrad s'est volatilisé. Ou plutôt, il attend, de la part de celui-ci, la confirmation (ou pas) de ses soupçons, des conclusions auxquelles il est arrivé après autant d'années passées à réfléchir et à s'interroger sur leur amitié.

La première partie du roman est consacrée à l'enfance et la jeunesse des deux amis, tels qu'Henry se les remémore alors qu'il attend l'arrivée de Conrad. La deuxième partie décrit la confrontation entre les deux hommes, séparés par un gouffre de rancoeur, d'amertume et de questionnements. En fait de confrontation, il s'agit surtout d'un quasi monologue d'Henry, émaillé de quelques interventions de Conrad assez peu significatives. Dans ce huis clos oppressant et théâtral, l'empathie qu'on éprouvait éventuellement pour Henry s'amenuise à mesure qu'on prend conscience de sa personnalité : imbu de sa personne, sûr de lui (voire borné) et de ses valeurs conservatrices qu'il n'a jamais estimé utile de remettre en cause, condescendant, égocentrique. On découvre peu à peu qu'en réalité il n'a jamais rien compris à ce que pouvaient éprouver sa femme ou son ami, qu'il n'a rien compris à l'amitié ni à l'amour. Et on en vient à se demander s'il s'agissait réellement d'amitié, et quelle histoire on aurait lue si elle avait été racontée du point de vue de Conrad. Celui-ci ne suscite pas l'empathie pour autant, tant son rôle est inconsistant dans ce monologue dans lequel il sert à peine de ponctuation.

Malgré un style classique impeccable, cette dissection des liens d'amitié et d'amour est longue et répétitive, à l'image du ressassement d'Henry pendant 40 ans.

Sur fond d'une part, d'empire austro-hongrois à l'agonie et d'autre part, d'un monde à nouveau sur le point de basculer dans un conflit mondial, « Les braises » est une lecture sombre, étouffante, un peu laborieuse et au final, peu ardente.
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Le Premier Amour

Avec un titre pareil, je m’attendais à l’histoire d’amour d’un jeune homme, sa première, à peine sorti de l’adolescence. Toutefois, le roman s’ouvre sur un homme d’âge mûr (et casanier) qui tient un journal. Alors, je me suis dit qu’un événement, les pages de son journal, le ramèneront en pensées à une histoire d’une autre époque, de sa jeunesse. Eh bien non. Deux fois non. Cet homme, le narrateur, passe quelque temps dans un hôtel puis retourne à son travail, dans une ville quelconque de Hongrie. Là, il est professeur au lycée. Le temps s’écoule lentement. On découvre ses amitiés (si on peut qualifier ainsi le type de relation distante qu’il entretient avec les gens de son entourage, surtout des collègues) puis ses élèves. On découvre surtout un homme qui a toute l'apparence de la normalité et de la stabilité - du moins, c'est ce que laissent supposer ses observations dans son journal - mais qui cache au fond de lui un je-ne-sais-quoi de troublé.



J’ai ressenti une certaine lassitude vers le milieu du roman. Les choses semblaient s’étirer, sans trop savoir où elles s’en allaient. Les descriptions des faits et gestes des collègues et des élèves, bof. Ce n’était pas mal écrit, au contraire. Après tout, c’est du grand Sandor Marai qu’il s’agit! En effet, je sentais une sorte d’oppression, une aura lugubre qui flottait au-dessus d’eux. Une menace? C’était curieux parce que ça semblait inusité compte tenu du caractère et de l’occupation du narrateur. Je supposais qu’un drame allait suivre. Et, puisque l’écriture était bien, je continuais. Il faut dire que, depuis quelques années, j’ai développé une passion pour la Hongrie, surtout celle de l’Âge d’or de Budapest. En blaguant, je dis souvent que j’ai dû vivre là-bas dans une vie antérieure, si je croyais à ce genre de trucs.



Dans tous les cas, pour revenir au roman, tout se met en branle vers la fin. Le narrateur, lors d’une de ses promenades solitaires en soirée, croise le chemin de deux de ses élèves, Madar (qui passe pour son préféré, bien qu’il ne l’apprécie pas beaucoup) et Margit. La relation entre ces deux-là provoquera une obsession chez le professeur : pourquoi cette fille-ci apprécie-t-elle ce garçon-là? Il ne comprend pas et ça devient une idée fixe chez lui. Ajouté aux remises en question d’un homme vieillissant et désillusionné par son entourage et la société, cela crée un roman plus complexe qu’il ne le semblait à première vue. Puis, le dénouement est tout à fait inattendu vient tout ramasser. C’est que l’introspection à laquelle il s’est prêté, au lieu de l’amener à sortir de sa solitude, l’amène plutôt à sombrer vers des comportements négatifs, presque inexplicables. Voire inexcusables. Cette fin compense amplement pour le rythme lent (et habituel) auquel Marai a recouru pour déployer son intrigue. Ce roman ne constitue pas un de mes préférés de l’auteur mais je l’ai bien apprécié.
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Métamorphoses d'un mariage

Comment ne pas s’attacher à ce chassé - croisé amoureux dense, empreint d’une mélancolie subtile, mélange historico - social - politique, riche de réflexions , «  L’histoire » , sorte de récit- confession , trois monologues maîtrisés , trois personnages , trois versions d’un même drame ?



Ce roman met en scène trois personnes : l’épouse amoureuse , belle, intelligente, honnête et cultivée, sensible, une bourgeoise issue de la classe moyenne , Ilonka, épouse délaissée et trahie, le mari Péter , un bourgeois aisé cédant à la passion, la femme au ruban violet , la domestique ambitieuse qui brise le couple ——Judit——-

Les monologues prenant le lecteur à témoin ou adressés à une amie , longtemps après les faits , donnent en premier la parole à Ilonka : elle tente de percer à jour et de conquérir son mari , inaccessible , occupé ailleurs ou indifférent, cette «  Solitude à deux » , cette froideur , ces convenances, le manque de sincérité et de naturel propres à la bourgeoisie , les Fameuses  «  apparences »un mur qui conduisit à l’échec.,



Ensuite Peter évoque ses deux mariages soldés par un échec , son enfance , sa jeunesse, ses voyages, son désir secret, son regret intense de ne pas être un écrivain ou un artiste .

Puis Judit , la servante devenue maîtresse de maison par son mariage avec Peter en secondes noces, elle a vécu une enfance misérable.



Au départ , une vie de domestique , oui , comme bonniche, affirme t- elle chez des bourgeois aisés qu’elle méprisait au plus haut point , tout en les enviant et les moquant avec une ironie amère doublée de cruauté et de froideur réfléchie, ce qui donne de longs paragraphes jubilatoires , qui dissèquent finement les antagonismes de classe .



Peter décrit longuement ses échecs conjugaux successifs, les travers de la bourgeoisie et les idées préconçues de l’époque pour les hommes.

L’auteur analyse le désarroi d’une bourgeoisie qui périclite , les sentiments et l’état d’esprit des protagonistes avec une finesse et une profondeur saisissantes, un jeu de miroirs cernant au plus près la Vérité des personnages, leurs états d’âme montrant la solitude des êtres qui s’enferment dans un carcan.



Il dissèque minutieusement la fin d’un monde et d’une société hiérarchisée —- le déclin inéluctable de la bourgeoisie Hongroise de l’entre- deux guerres, le climat d’une époque.

Une fresque sociale politique, sociale, métaphysique évoquant les mutations , les soubresauts et les changements qui suivirent la deuxième guerre mondiale .

J’ai beaucoup aimé ce roman psychologique qui rappelle Stefan Zweig et Schnitzler.: élégant, tendre , à la fois dans l’intimité des êtres et la mutation d’une société entière , posant des questions éternelles et de multiples interrogations avec une lucidité exemplaire .

Magnifique .

Encore un ouvrage qui dormait dans ma bibliothèque !



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Libération

Sándor Márai nous raconte une très belle histoire, qui a des parfums d’autobiographie tant il réussit à communiquer au lecteur l’atmosphère étouffante de ce huis-clos, pendant lequel une quarantaine de personnes se retrouve dans une cave, sous les bombes communistes, tandis que les derniers nazillons continuent à chasser le juif avec des délateurs toujours actifs.



On voit évoluer les personnages, les espoirs que certains mettent dans la libération par les communistes, les nostalgiques du nazisme, chacun tentant de de survivre s’entraidant au départ, puis la méfiance émerge… On retrouve tous les types d’individus qu’une société peut rencontrer.



« Que se passe-t-il dans l’âme des hommes à présent qu’ils ont perdu ce qui fait d’eux des êtres humains? Que se passe-t-il dans l’âme d’un être resté fidèle à un pacte implicite et explicite entre les hommes et la solidarité, dans un monde qui renie toute loi humaine et qui, pris d’une rage insensée se détruit? » P 49



Elisabeth est une héroïne passionnante, on la voit évoluer dans ses gestes mais aussi dans sa pensée, la manière dont elle écoute les autres, le raisonnement que s’affine de plus en plus. Elle résiste car elle doit survivre et retrouver son père qui se cache, emmuré vivant dans l’immeuble d’en face.



Sándor Márai nous livre un dialogue extraordinaire entre Elisabeth et un autre « réfugié » de la cave, où il est question d’amour, de haine, de folie entre autres, et le mot libération qui sert de titre au roman est à prendre dans tous les sens du terme: se libérer de l’emprisonnement dans cette cave où l’hygiène et la nourriture font défaut, se libérer du joug des nazis et de leur sympathisants hongrois, se libérer aussi de l’enfermement psychologique dans des idées toutes faites et qu’il convient de nuancer. La libération vient-elle de l’extérieur ou de l’intérieur? Les Russes vont-ils libérer ou vont-ils enfermer davantage?



Je ne connaissais pas cet auteur au destin tragique: antifasciste dans une Hongrie proche des nazis, puis mis au ban par le gouvernement communiste, il a dû s’exiler en 1948 et s’installer en1952 aux USA où il se suicidera en 1989, ce qui fait penser bien-sûr à Stefan Zweig. Son style m’a beaucoup plu, ainsi que sa manière de penser, d’analyser de l’intérieur un personnage féminin subtil, tout en finesse auquel je me suis beaucoup attachée.



Très belle découverte, due complètement au hasard qui me donne l’envie d’explorer l’œuvre de l’auteur. J’espère vous avoir donner envie de lire ce roman ou un autre de Sándor Márai qui est devenu un auteur culte de la jeunesse hongroise et dont la réputation s’étend au monde entier.
Lien : https://leslivresdeve.wordpr..
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Le Premier Amour

Son premier amour, on ne l'oublie jamais. C'est le titre de ce roman de Sandor Marai, écrivain hongrois du XXème siècle, que j'ai beaucoup aimé !

L'histoire est assez "basique" : un professeur de latin, âgé de cinquante-quatre ans, tient un journal dans lequel il délivre toutes ses pensées, se rappelle ses jours heureux ou malheureux, et nous embarque dans une sacrée aventure !

En effet, le professeur, en proie à une profonde mélancolie, mène une vie ennuyeuse, dans une petite province hongroise. Or, alors qu'il est le professeur principal d'une classe de terminale, il va petit à petit s'intéresser à deux élèves de sa classe, et connaître ainsi l'amour...



J'aime particulièrement le genre littéraire du journal, ce qui permet de s'attacher au personnage principal, et même de s'identifier à lui. C'est ce que j'ai ressenti en lisant cette brillante chronique de la vie mondaine au début du siècle ; finalement, le mode de vie de l'époque n'est pas si différent du nôtre, individualiste et quelquefois hypocrite.



Par ailleurs, la plume de l'auteur est véritablement passionnante, fluide, semblable à celle de Stefan Zweig ; ce n'est donc pas étonnant si j'ai aimé cette lecture...



Ainsi, Le Premier Amour a été un très beau livre, simple, sans grande originalité, mais terriblement touchant, grâce à son personnage principal sympathique et humain...



A lire !!
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