Parfois des critiques enthousiastes concernant un livre dormant dans ma pile à lire peuvent provoquer des déconvenues (cf. « L’île des oubliés » par exemple), je redoutais une bluette en ouvrant ce livre que j’ai abordé avec un peu de méfiance.
En fait, après un démarrage un peu difficile car je découvrais le style de l’auteure, je me suis vite attachée à Moïra, cette jeune écorchée vive, douée en sciences, en mathématiques, aux résultats scolaires brillants et évidement ce qui va avec : les camarades de classe la rejettent car elle est différente, c’est une handicapée des sentiments qui se trouve inintéressante, laide avec ses grandes mains et ses grands pieds, sa maigreur, on l’appelait « Sac d’os ».
Comme toujours, dans de pareilles circonstances, elle rejette les autres avant d’être rejetée. Elle est dure envers elle-même et envers les autres, sans concession ce qui la rend attachante : « Mais toi, plus que quiconque, tu sais ce qu’il y a de dur en moi. Un cœur de silex, et des yeux de silex. Une fille de pierre, cette pierre dont on fait les murs. Qui fait battre sa queue de sirène. » P 203
Elle raconte son enfance sans encombres jusqu’à la naissance d’Amy qu’elle a vécu comme une trahison de la part de ses parents, et elle a d’emblée détesté ce bébé qui faisait irruption dans sa vie, lui volant la première place. Elle aurait pu aller dans une école près de chez elle mais elle a choisi l’exil, ne rentrant à la maison que pour les vacances.
Elle a subi stoïquement les brimades des autres élèves, parfois très proche du masochisme et sans se rebeller car elle avait une mauvaise image d’elle-même. Alors, elle fait ce qu’elle sait faire de mieux, fuir dans les études. Apprendre, connaître tout sur tout. Cette soif d’apprendre lui permet de faire face.
Derrière l’armure se cache une personnalité hypersensible qui ne veut pas montrer ses faiblesses et qui ne sait pas comment aller vers les autres, comment leur parler. Elle a toujours un air méfiant, maussade : « Non, pas maussade…mais sérieux : comme si l’objet de mes pensées étaient la paix mondiale, ou le remède à toutes les maladies. Comme si j’étais un puits de sagesse, dépositaire de secrets enfouis dans les tréfonds. » P 117
Au début, assise près d’Amy, elle lui parle parce qu’on lui a dit qu’il était bon de stimuler une personne dans le coma et elle ne sait pas quoi dire. Comment parler de cette jalousie quasi maladive, de son désir de voir disparaître le bébé qu’elle éprouvait autrefois. Elle s’aperçoit qu’elle est passée à côté de la vie, à côté de cette petite sœur dont elle ne sait rien mais aussi à côté de la vie de ses parents : sa mère lui écrivait en pension mais elle ne répondait jamais.
Deux personnes ont su se frayer un chemin : sa tante Til, comédienne à Londres, fantasque autant que Moïra est sérieuse et bien-sûr Ray son époux, artiste peintre, si différent d’elle. « Je me dis qu’elle (Til) était comme le vent, et que le vent, ce n’est pas une chose sur laquelle on peut compter.»P 143
Parfois, l’auteure emploie le « Je », parle au nom de Moïra et parfois, elle revient à la troisième personne pour décrire la vie de cette famille, ce qui est déroutant au départ. Et au fur et à mesure que l’histoire se déroule, on s’habitue à ce style particulier qui évoque l’ambiance d’un cabinet de psychanalyse, Amy jouant l’analyste muet, neutre dans son lit, tandis que Moïra raconte.
La nature est omniprésente dans ce roman, l’auteure décrit de façon magistrale la mer, les paysages sauvages, le rythme des saisons.
J’ai bien aimé ce roman car l’auteure nous décrit avec une écriture énergique, rythmée comme les marées abruptes, une héroïne a une forte personnalité et s’analyse sans concession. Il y a une petite musique Susan Fletcher qui entraîne le lecteur loin, l’interpelle. Bref j’ai passé un bon moment avec ce livre et je renouvellerai volontiers l’expérience avec, notamment « Un bûcher sous la neige ».
Note : 7,6/10
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