Avec Marielle Macé, Clémence Azincourt, Jacques Bonnaffé, Léon Bonnaffé & le petit Paulo
Et en duplex : Valérie Rouzeau, Régis Lefort & Béatrice Bonhomme
« Ce qui se fait entendre est aussi la poésie de Valérie Rouzeau,, entre nos récepteurs et son espièglerie, à nous de l'attraper. C'est simple comme Carême (Maurice
), savant comme Roubaud et fouillé comme Desnos, sans fin sans fond comme qui vous voudrez. Par la mouvement les souffles, son ombre persistante. » »
Jacques Bonnaffé
Voilà près de trente ans que Valérie Rouzeau (née en 1967) a décidé de vivre en poésie, de ses révoltes et de sa plume. Elle a attiré l'attention des lecteurs après la publication en 1999 de Pas revoir, son recueil de deuil. Depuis, parallèlement à ses ouvrages de poésie, elle traduit notamment des poèmes de Sylvia Plath, de Ted Hughes et de William Carlos Williams. Lauréate du prix Apollinaire en 2012, elle compte parmi les voix contemporaines les plus attachantes.
Le revue Nu(e) lui consacre un numéro complet à l'occasion de la sortie de Éphéméride aux éditions de la Table Ronde.
À lire Valérie Rouzeau, Éphéméride, La Table Ronde, 2020 Revue NU(e), Valérie Rouzeau, n°70, coordonné par Régis Lefort, avec la collaboration de Béatrice Bonhomme et Danielle Pastor, 2020. Disponible en ligne sur Poezibao.
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Le lendemain, la chose atterrit en Australie.
BOUM !
Le choc ébranla le globe comme un véritable tremblement de terre : à Londres tous les services à thé se mirent à trembler ; en Californie, les tableaux se décrochèrent des murs ; et en Russie, les statues tombèrent de leurs piédestaux. La chose avait bel et bien atterri, et c'était un terrible dragon ! Horriblement noir, atrocement couvert d'écailles, terriblement bossu, épouvantablement cornu, infernalement poilu, effroyablement crochu et insupportablement griffu !
(p. 42)
Qui se souviendra de tes doigts?
Leur vie légère ? Ils semblaient voler,
Suivre la lumière de ton regard.
(" Birthday Letters")
Nature morte
La pierre qui affleure est avare
Avec le vent. Elle accumule ses riens,
Le laisse courir entre ses doigts :
Elle veut faire croire que le manque l’a tuée.
Même sa grimace est vide,
Verrues des cailloux de quartz issus des entrailles de la mer.
Elle croit que son loyer n'est pas payé,
Elle si large dans les calculs d’été du soleil.
Sous la pluie, son exultation noire miroite
Comme si elle percevait des intérêts.
De même, elle tolère parfaitement la neige.
Peu échappe à cette borne vigilante
De la danse de mouche des planètes,
Du paysage qui se meut dans son sommeil,
Elle compte bien assister au dénouement de l'histoire.
Inconsciente de cette autre, cette campanule,
Qui tremble comme sous des menaces de mort,
Dans la chaleur croissante de la tourbe en été,
Et dans laquelle – emplissant des veines
Que tout nom connu de bleu meurtrirait
Jusqu'à l'anéantissement – dort, retrouvant ses esprits,
Le créateur de la mer.
(p. 116-117)
Le monde connut la paix. La musique avait pénétré le cœur des hommes, les rendant aussi paisibles que les cieux étoilés, heureux au-delà de leurs petites querelles. L'étrange douceur qui émanait de cet univers sonore transforma les êtres de ce monde : ils arrêtèrent de fabriquer des armes. Tous les pays vécurent en bonne entente et renoncèrent à se faire la guerre. Tout ce que les hommes désiraient à présent, c'était écouter l'étranger et magique mélodie que le gigantesque musicien de l'espace leur chantait.
(fin)
J'ai vu
La rêveuse en elle qui était tombée
amoureuse de moi, et elle ne le savait pas.
A ce moment le rêveur en moi
est tombé amoureux d'elle, et je le savais.
Crow Communes
"Well," said Crow, "What first?"
God, exhausted with Creation, snored.
"Which way?" said Crow, "Which way first?"
God's shoulder was the mountain on which Crow sat.
"Come," said Crow, "Let's discuss the situation."
God lay, agape, a great carcass.
Crow tore off a mouthful and swallowed.
"Will this cipher divulge itself to digestion
Under hearing beyond understanding?"
(That was the first jest.)
Yet, it's true, he suddenly felt much stronger.
Crow, the hierophant, humped, impenetrable.
Half-illumined. Speechless.
(Appalled.)
Grives
Terrifiantes sont les grives élégantes et attentives sur la pelouse,
Plus d'acier enroulé que vivant - un
œil sombre et mortel, ces jambes délicates
Déclenchées par des agitations au-delà du sens - avec un sursaut, un rebond,
un coup de poignard
Dépassez l'instant et traînez quelque chose qui se tord.
Pas de procrastinations indolentes et pas d'états de bâillement,
Pas de soupirs ou de grattements de tête. Rien que rebondir et poignarder
Et une seconde vorace.
Est-ce leurs crânes de la taille d'un seul esprit, ou un
corps entraîné, ou un génie, ou un nid de gosses
Donne à leurs jours cette balle et ce
but automatique ? Le cerveau de Mozart l'avait, et la gueule du requin
qui affame l'odeur du sang jusqu'à sa propre fuite
Côté et dévorant d'elle-même : efficacité qui
frappe trop carénée pour qu'aucun doute puisse l'arracher
ou détourner l'obstruction.
Avec un homme, il en va autrement. Héroïsmes à cheval,
Devançant son journal de bureau sur un large bureau,
Sculptant sur un minuscule ornement d'ivoire
Pendant des années : son acte s'adore - tandis que pour lui,
Bien qu'il se penche pour être fondu dans la prière, combien fort et
au-dessus de quoi
Furieux espaces de feu font les démons distrayants
Orgie et hosannah, sous quel désert
Des eaux noires et silencieuses pleurent.
[…]
Si la bouche pouvait ouvrir sa falaise
Si l’oreille pouvait se déplier de ses strates
Si les yeux pouvaient fendre leur rocher et regarder enfin au-dehors
Si les mains plissements de montagne
Pouvaient se procurer un appui sûr
Si les pieds fossiles pouvaient se soulever
Si la tête eau de lac et climat
Si le corps horizon
Si le corps entier et la tête en balance
Si la peau d’herbe pouvait prendre les messages
Et faire son métier proprement
Si les vertèbres de fœtus terre
Pouvaient se dérouler
Si l’ombre homme là-bas en avant se mouvait suivant mes mouvements
Le discours qui agit l’air
Pourrait me parler
Le renard de la pensée
J'imagine la forêt de cet instant de minuit :
Quelque chose d'autre est vivant
A côté de la solitude de l'horloge
Et cette page blanche où bougent mes doigts.
Par la fenêtre je ne vois aucune étoile :
Quelque chose de plus proche
Bien que plus profond dans l'obscurité
Entre dans la solitude :
Froide, délicatement comme la neige sombre
Le nez d'un renard touche une brindille, une feuille ;
Deux yeux servent un mouvement, que maintenant
Et encore maintenant, et maintenant, et maintenant
Pose des empreintes nettes dans la neige
Entre les arbres, et avec méfiance une
ombre boiteuse traîne par souche et dans le creux
D'un corps qui est audacieux pour venir
À travers les clairières, un œil ,
Un verdissement qui s'élargit et s'approfondit,
Brillamment, concentré,
Venant à ses propres affaires
Jusqu'à ce que, avec une soudaine odeur brûlante de renard,
Il pénètre dans le trou sombre de la tête.
La fenêtre n'a toujours pas d'étoiles ; l'horloge tourne,
La page s'imprime.
Le merle
Tu étais la geôlière de ton meurtrier -
Qui te gardait emprisonnée.
Et puisque j'étais ton infirmier et ton protecteur
Ta peine était la mienne aussi.
Tu faisais semblant de te croire en sécurité. Je te nourrissais.
Tu mangeais, buvais, avalais,
Me glissant des regards ensommeillés, comme un nourrisson
De sous tes paupières.
Tu nourrissais la fureur de ton prisonnier, dans le donjon, A travers le trou de la serrure -
Puis subitement, tu bondissais et remontais
L'escalier en spirale, sans lumière.
D'immenses visages rouge coquelicot brûlés, carbonisés, À la fenêtre. « Regarde !»
Tu as tendu le doigt, un merle trimbalait
Un ver dépassant de son gosier.
La pelouse s'étendait comme une page blanche prête Pour le rapport de la prison.
Qui serait celui qui écrirait sur elle
Je ne m'en suis jamais soucié.
Une créature muette, gardant la porte du fourneau
Sur ton trident de démon,
Un crayon entrain d'écrire déjà
Le faux est le vrai, le vrai est le faux.