Elle m'a pris beaucoup de temps cette lecture. Pas qu'elle soit laborieuse ou difficile à l'écriture ou au scénario. Je pourrais oser et dire que j'ai eu autre chose à lire pour les études ou qu'une certaine flemme m'a envahit et à rallonger ma lecture. Je pourrais surtout annoncer une vérité et dire que Toni Morrison a tendance à guider son lecteur dans son livre et qu'il a toujours du mal à s'en défaire et éviter de le finir. Prix Pulitzer 1988 pour son auteur, il ne me manquait plus que la lecture de « Beloved » pour m'avouer vaincue et faire de Toni Morrison une grande dame et surtout la figure de la mama noire qui vous transporte dans ses histoires avec une odeur de cheminée, du chocolat chaud et quelques notes du banjo de l'oncle Sam.
« Beloved » c'est avant tout une histoire d'amour. C'est aussi un prénom, un murmure et une immense perte dans le coeur d'une mère. L'histoire commence en 1873 dans une maison qu'on appelle le 124. Il n'est jamais bon de passer à coté de cette maison. Parce qu'on l'a dit hantée et mauvaise.
Au 124 vivait Baby Suggs, une mamie noire ancienne esclave qui a laissé plus que son corps et son esprit derrière elle pour profiter des dernières années de sa vie. Avec elle habitait Sethe, une jeune fille même pas encore une femme, épouse d'Halle, le fils de Baby Suggs, et esclave en fuite. Avec elles encore habitaient les deux fils de Sethe, une petite fille qui rampe déjà et la petite dernière, Denver. Tous se sont enfuis de Bon Abri, une ferme tenue par le couple blanc Garner, qui encourageait le respect, la gentillesse et la rémunération pour le travail bien fait envers ses esclaves. Quand Monsieur Garner partit les pieds devants, Baby Suggs fut rachetée par Halle et partit vivre au 124 dans une ville bien éloignée du Bon Abri. Quand Monsieur Garner et Baby Suggs partirent, Bon Abri devint une ferme qui ne respectait ni avait de la gentillesse envers ses esclaves noirs et inutiles. Fatigués, Sethe et ses enfants, Halle, Paul.D et Paul. A deux frères, ainsi que N°Six décidèrent de s'enfuir. Baby Suggs attendit avec espoir tous ses enfants et petits-enfants. Ce fut d'abord les deux garçons et la petite fille de Sethe qui arrivèrent en premier. Sethe avait accouché pendant le voyage de sa petite dernière et arrivèrent à leur suite. Ce fut les seuls qui arrivèrent à bon port. Il ne fallut pas longtemps à Baby Suggs pour perdre tout espoir de voir revenir son fils Halle et surtout de garder une étincelle d'humanité envers ce monde qui ne lui en avait jamais donnée. Après la mort de Baby Suggs et après la fuite des deux garçons, Sethe et Denver se retrouvèrent seules au 124. Parce que le 124 est habitée par un fantôme, celui de la petite fille qui rampait déjà et que Sethe a tranché la gorge quand elle a vu les blancs venir les chercher pour les ramener à Bon Abri. Parce qu'elle refusait de voir ce qu'elle avait fait de plus beau au monde devenir l'inhumaine qu'elle était devenue, Sethe a tranché la gorge de sa petite Beloved. Et depuis, elle hante les murs du 124, fait fuir ses deux frères, fait perdre tout espoir à Baby Suggs et rappelle à Denver que sa mère est capable de tout. Un jour, Paul.D rencontre Sethe qu'il avait aimée en secret à Bon-Abri. Ni Denver, ni le fantôme voient cette arrivée d'un bon oeil au contraire de Sethe. Et alors que Paul.D pense s'installer et vivre les dernières années humaines qu'ils ont a vivre tous les trois ensemble, une jeune femme les attend sur leur véranda, perdue, affamée. Elle s'appelle Beloved.
Il faut savoir se mettre dans le contexte historique pour comprendre la moitié de ce que la population noire-américaine à du vivre pendant cette période. Morrison raconte avec violence toute l'horreur et la folie que Sethe, Baby Suggs, Paul.D ont du vivre jusqu'au moment ou ils doivent combattre leur propre folie. Le texte n'est pas linéaire et beaucoup de passages nous ramènent en arrière et nous apprennent le passé de chacun, laborieux, douloureux et à la limite de l'inhumanité. Je pense que chacun aura la vision la plus horrible de ce que l'humain peut endurer et de ce qu'il peut faire endurer. Chaque femme noire aura son viol à raconter, ses coups de fouets à ressentir de nouveau, ses enfants arrachés ou qu'elles s'arrachent à elles-mêmes. Chaque homme noir aura dans l'esprit tous les moments qui l'ont rabaissés à rien, entre le morse, les chaines, les cordes ou le feu. Les blancs ne sont rien d'autre qu'une incompréhension, un peuple qui tient le fusil.
Ce livre bouleverse beaucoup avant, par le résumé, par l'annonce que cette histoire est inspirée d'un fait réel. Pendant, par cette lecture non linéaire, par cette envie encore une fois que chacun des personnages trouvent un semblant d'humanité et de vitalité derrière tout ce qu'ils endurent. Et enfin après, parce qu'il reste des questions sans réponses, parce qu'un fantôme qui revient à la vie cela n'existe pas, parce que personne ne peut dire ce qui est advenu de Halle qui n'est jamais réapparu devant Sethe ou ce que sont devenus ses fils.
Après « Sula », je m'étais dit que c'était bien. Après « Jazz », j'avais soupiré d'aise devant un grand talent du récit. Après « Beloved », je ne peux que m'avouer vaincue, Morrison sera à jamais l'une des grandes écrivaines américaine du XXème siècle.
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