Etoiles notabenistes : *****
Respirar Por La Herida
Traduction : Claude Bleton
ISBN : 9782330056407
Ici encore, nous conviendrons que les amateurs d'intrigues simples, avec peu de personnages, se trouveront vite agacés et encore plus vite "largués", si l'on me permet le terme , devant cette histoire qui n'est que méandres diaboliquement labyrinthiques et nauséabonds. Quant aux adorateurs du minimalisme pur et sec, de grâce, passez votre chemin à moins que vous ne soyez complètement masochistes et ne souhaitiez vous punir par deux jours minimum de maux de tête terribles.
Cela n'empêche pas cette "Maison des Chagrins" - le titre espagnol est beaucoup plus parlant mais aussi beaucoup plus terrible - de créer un suspens profond, dans lequel le lecteur patauge et s'englue à plaisir même si, cet ouvrage étant pour une fois dépourvu de l'arrière-plan politico-historique qui existait dans "Le Testament du Samouraï" et que l'on retrouvera à nouveau, encore plus renforcé, dans l'admirable "Toutes les Vagues de l'Océan", cette tension manquera aux amateurs qui, comme moi, aiment voir L Histoire s'inviter au festin du Polar.
Je vais essayer de faire simple mais, sans rire, cela va être difficile . Et ne comptez pas sur moi pour vous découvrir la fin de tout cela parce que, d'abord, j'essaie quand même de réduire les "spoilers", ensuite parce que je ne pourrais le faire sans manifester le talent de l'auteur - et sans vous priver, bien entendu, cher lecteur, de votre plaisir.
Eduardo Quintana, peintre de renom, a passé quatorze ans en prison pour s'être vengé du chauffard responsable de l'accident de voiture où il avait perdu sa femme et sa fille. Lui-même avait été gravement blessé au genou et en avait gardé une jambe à jamais boiteuse et douloureuse. S'étant procuré le numéro d'immatriculation de la voiture du chauffard qui, après s'être arrêté en un premier geste pour apporter sans doute son aide, avait préféré fuir devant ce qu'il avait vu, il abat Teo, le propriétaire de la voiture incriminée - ergo, l'assassin de sa famille - qui se promène avec les siens en ville, les siens, c'est-à-dire sa femme, Maribel, professeur de danse, et leur fils adoptif de six ans environ, le petit Who, d'origine asiatique. Maribel reçoit une seconde balle, destinée à l'enfant, dans la colonne vertébrale, ce qui la laissera à demi paralysée. Et Eduardo se livre à la police.
Quand il sort de prison, il doit régulièrement visiter une psy, Martina, qui, contre l'entretien rituel, devant lequel renâcle d'ailleurs le patient blasé, lui fournit les ordonnances dont il a besoin. Quintana s'est mis à boire - qui l'en blâmera ? - et a renoncé à la peinture qu'il faisait "avant". Comme un don artistique renonce par contre rarement à celle ou celui qu'il a choisi, l'artiste n'en continue pas moins à "croquer" profils et paysages au gré de ses promenades désenchantées à travers la ville. Son ancienne galeriste, Olga, a d'ailleurs repris contact avec lui et organisé une nouvelle exposition, avec des toiles d'inspiration très différentes, qu'Eduardo eût préféré voir demeurer dans son atelier tant elles sont loin désormais de son ancienne manière - bien plus glauques, plus fantomatiques, plus oniriques aussi sans doute ... Néanmoins, certains clients en achètent.
Olga reçoit alors une étonnante commande : Gloria A. Tagger, la célèbre violoniste, souhaiterait que Quintana réalise le portrait d'Arthur Fernández, riche homme d'affaires qui, sous l'effet de l'ivresse, a renversé et tué son fils unique, Ian - ainsi d'ailleurs qu'une fillette de douze ans à peu près, Rebecca, qui se tenait comme par hasard à côté du jeune homme. Point important : la fille d'Arthur, Aroha, une adolescente aux fréquentations assez louche, a disparu. Condamné bien évidemment, Fernández, d'origine française et pied-noir, n' a fait que quatre ans de prison et vient de sortir pour se remettre aux commandes de ses nombreuses sociétés. Notons dès à présent que Fernández ne doit sa survie, dans cette prison où se trouvait aussi (mais pour des raisons bien différentes) l'Arménien, chef de gang célèbre et père de la jeune Rebecca, qu'à sa co-habitation (en tout bien, tout honneur) en cellule avec Ibrahim, Algérien musulman mais soufi échoué là après bien des avatars ...
Quintana accepte la commande, d'autant plus facilement que Gloria A. Tagger lui rappelle sa femme morte, Elena. Ce cadre et ces personnages posés, peut commencer l'action véritable. Déjà, tous ceux que nous avons cités sont liés mais pas fatalement par les liens que nous pouvons imaginer et / ou qu'eux-mêmes imaginent, certains de bonne foi. Et, si l'on excepte Quintana, tous ont déjà prononcé des mensonges ou accompli des actes irréparables qui ont eu - et auront encore - des répercussions tragiques.
Pour mieux lier la sauce, ajoutons à cela Guzmán, un mercenaire venu du Chili mais qui a "travaillé" jadis sous Pinochet, Chang, un Chinois d'âge certain mais qui exploite de la manoeuvre clandestine féminine, d'abord dans des ateliers de couture, puis dans des bordels - parmi ce troupeau, la jeune Meï, dont Who, devenu adulte, tombe amoureux - un homme d'affaires plus que douteux et cerné de toutes parts, Magnus Olsen, qui finira suicidé dans sa propre cuisine, sa veuve, innocente et honnête, dont le sort ne sera pas meilleur mais qui parviendra à sauver ses enfants, et un curieux vieux cinéphile, Dámaso, que connaissaient Ian et Olsen, et qui a permis au premier d'exercer un "art" bien particulier ... Ne pas oublier Graciela, la propriétaire de Quintana, qui est amoureuse de lui, mais sans espoir, sa fille, Sara, qui souffre de troubles de la personnalité et a hérité du "chat de la chance" abandonné par le métro, dès les premières pages et à l'intention d'Eduardo, par le jeune Who - le chat de la jaquette, japonais plus que chinois, et qu'elle a d'ailleurs nommé Maneki ...
L'ensemble est aussi sombre que "La Tristesse du Samuraï" et prouve que l'auteur catalan se sent des plus à l'aise dans le noir et le glauque. Cela prouve aussi qu'il possède un grand talent, peut-être plus, et que je serai toujours heureuse, personnellement, de lire ses nouveaux ouvrages. Si je n'accorde que quatre étoiles à cette "Maison des Chagrins", c'est parce que, depuis lors, j'ai lu "Toutes Les Vagues de l'Océan" et que je demeure persuadée d'une chose : en mêlant L Histoire au Polar, Víctor del Árbol atteint vraiment au statut de Maître du genre. ;o)
Commenter  J’apprécie         40