Rien de tel que la paix versée par une chute de neige dans l'âme d'un randonneur. Une pluie battante m'aurait indisposé et fait accélérer le pas, une chaleur accablante aurait mobilisé mes réserves. Là, mon état intérieur était aussi léger que la douceur avec laquelle la neige tombait.
Un air blessé et irrité flottait autour de sa bouche pincée, comme pour goûter une sauce. Voilà ce qu'il était, un gourmet, un chef cuisinier du soupçon. Et comme s'il fallait constamment souligner le trait autour de sa bouche, le triangle de sa moustache rousse dégarnie la surplombait comme un accent circonflexe.
Comme ça ne donnait pas de résultat, il prit mon passeport, tournant les pages, curieux et dégoûté à la fois, visiblement irrité d'avoir en face quelqu'un qui était allé dans tous ces pays étrangers suspects et qui désirait maintenant qu'on le laisse entrer en Amérique.
Il semble que, pour être perceptible, la beauté doive faire écho à une blessure, éveiller une douleur légère, irrésistible.
Il fallait partir. Une fois de plus j'avais tout vu, j'avais tout entendu, j'étais le dernier client. Il fallait que quelqu'un éteigne la lumière, ferme et laisse les esprits parler tranquillement toute la nuit de leurs anciennes batailles. C'était bien.
Vertige du fromage fondu à Sioux City:
Lorsque la pizza arriva, je ne la reconnus pas mais je l'avais cherché.Elle avait été victime, en cuisine, d'un attentat. Le cuisinier avait enfoui mon repas sous une avalanche de fromage fondu. Lui ne trouvait rien à redire, il faisait toujours comme ça et ne donnait à ses clients que ce qu'ils désiraient. Tu aurais du t'en douter, me dis-je. N'as-tu pas été déjà surpris, dans la Prairie, par l'amour des Américains pour le fromage,ce fromage fondu,épais comme le doigt, dans l'assiette des clients des diners ? Ils en étaient comme possédés. Il était difficile de trouver un plat sans une épaisse couche de fromage. Je commençai à l'ôter avec le couteau, me montrant bientôt d'une adresse de chasseur.p97
Si le rêve s'effondrait,, ils laissaient tout et ils allaient plus loin. Nous avons beaucoup de villes fantômes parce que nous avons beaucoup de rêves, qui se sont effondrés. Nous allons toujours plus loin et c'est pareil aujourd'hui.p36