Citations de Yu Hua (127)
Lorsque Youqin eut six mois, Jiazhen rentra à la maison. Elle n'avait pas pris le palanquin. Elle avait marché une dizaine de lis, son fils ficelé comme un paquet sur son dos. Youqin, les yeux fermés, balançait sa petite tête sur l'épaule de sa mère.
Jiazhen était très belle ce jour-là avec sa robe chinoise couleur cerise et son balluchon, à fleurs blanches sur fond bleu, au bras. Dans les champs, le long de la route, le colza doré était en fleur et les abeilles bourdonnaient dans un va-et-vient incessant. En arrivant devant la maison, Jiazhen resta un instant à la porte et sourit à ma mère.
Papa, dit-il encore, si j'étais ton vrai fils, tu m'emmènerais manger des nouilles, n'Est-ce pas?
- Si tu étais mon vrai fils dit Xu Sanguan, le doigt pointé sur lui, tu serais mon préféré.
C'est dans une fosse à merde que son père s'était noyé, il était tombé dedans par mégarde alors qu'il tentait d'apercevoir le derrière d'une fille aux toilettes.
"Nous marchons dans ce silence qui s'appelle la mort. Nous ne parlons plus car notre mémoire n'avance plus. C'est une mémoire coupée du monde, faite de fragments disparates, à la fois vide et réelle. Je sens à mes côtés la marche muette de cette femme qui semble perdue et je soupire sur la tristesse de ce monde enfui."
Les mères ont toujours le coeur plus sensible.
- Je vais bientôt mourir, me dit-elle. Je suis satisfaite de ma vie, car tu m'as beaucoup aimée. D'ailleurs, je t'en ai rendu grâce en te donnant deux enfants. J'espère que nous nous retrouverons dans notre vie future.
Sa dernière phrase me tira des larmes, qui tombèrent de mes yeux sur son visage. Elle sourit.
- Puisque mes enfants sont morts avant moi, je pars en paix, poursuivit-elle. Je n'ai plus à me soucier d'eux. Quoi qu'il en soit, ils m'ont respectée de leur vivant. Qu'est-ce qu'une mère peut souhaiter de plus ?
....les rires fusèrent: des gros rires, des rires discrets, des rires pointus, des rires perfides, des rires bêtes, des rires secs, des rires mouillés et des rires contraints. Quand la forêt est grande, on y trouve toutes sortes d'oiseaux: quand la foule est nombreuse, on y entend toutes sortes de rires.
- Il y a quatre principes dans la vie qu'un homme ne doit jamais oublier : ne pas dire de bêtises, se tromper de lit, ne pas se tromper de porte et ne pas mettre la main dans la poche d'autrui.
La Révolution culturelle faisait rage en ville. Les murs étaient couverts de dazibaos. Ceux qui les placardaient étaient des paresseux. Ils ne se donnaient même pas la peine d'arracher les vieux pour coller les nouveaux. Ainsi superposés, les dazibaos finissaient par ressembler à des poches, tellement ils étaient gonflés. Erxi et Fengxia avaient leur porte entièrement couverte de slogans. Et on imprimait des citations du président Mao sur les objets d'usage courant. C'est ainsi que l'on pouvait lire sur un oreiller qu'"Il ne faut jamais oublier la lutte des classes", et sur un drap de lit qu'il faut "Naviguer dans les grandes tempêtes révolutionnaires". Erxi et Fengxia couchaient donc sur les citations du président Mao.
-Rien à faire , répondait-il, ma femme m'a pris en défaut.Comme on dit : "Un instant d'aventure , une vie de torture".
Nous sommes tous membres de la société, et donc tous responsables de ses maux. Quand la société est malade, moi aussi je participe à cette maladie. Dans la société chinoise, il n'y a que des malades, et il n'y a pas de médecin. J'écris à la manière d'un malade.
[propos rapporté par Télérama n°3388]
Le mariage, la maison, ça se paye avec l'argent qu'on a gagné en vendant notre sang. Celui qu'on gagne dans les champs nous permet tout au plus de ne pas mourir de faim.
_ Il n'est pas mon fils, nom de Dieu. Je ne peux pas le battre comme je veux, dit-il.
- J'ai peur qu'il apprenne qu'il est seul à labourer, alors je crie plusieurs noms pour le tromper. Quand il entend qu'il y a d'autres buffles qui travaillent comme lui, il ne peut plus se permettre d'être mécontent et il tire la charrue avec plus d'ardeur.
Je marche dans la ville qui se dévoile par intermittence. Mes pensées tentent de s'orienter dans les entrelacs de la mémoire. Je me dis qu'il faudrait que je remonte à la dernière scène à laquelle j'ai assisté de mon vivant, car elle doit se situer au bout du chemin de ma mémoire. Dès que je l'aurai trouvée, j'aurai trouvé également le moment de ma mort. Mes pensées, guidées par le mouvement de mon corps, traversent un grand nombre de scènes qui voltigent comme des flocons de neige, et enfin elles parviennent à ce jour-là.
Ce jour-là, c'était apparemment hier, ou avant-hier, ou bien aujourd'hui. Ce qui est sûr, c'est que c'était le dernier jour de mon existence dans l'autre monde, Je me vois marchant dans une rue, face au vent froid.
A compter de ce jour, ils ne mangèrent plus de brouet de maïs que deux fois par jour, une fois le matin, une fois le soir. Le reste du temps, ils le passaient au lit, sans un mot, sans un geste. Dès qu'on bougeait, le ventre se mettait à gargouiller et on avait faim. Calmement étendu sur le lit, sans dire un mot, sans faire un geste, on s'endormait.
Une bicyclette Forever, qu'est-ce-que c'était ? A l'époque, l'équivalent d'une Mercedes ou d'une BMW, et notre district n'en touchait que trois par an. En ce temps-là, même quand on en avait les moyens financiers, on ne pouvait pas s'en procurer une neuve.
Assis dans ce cercle silencieux, j'entends le bruit du feu, un bruit de frétillement ; j'entends le bruit de l'eau, un bruit de battement ; j'entends le bruit de l'herbe, un bruit de bercement ; j'entends le bruit des arbres, un bruit de rugissement ; j'entends le bruit du vent, un bruit de chuchotement ; j'entends le bruit des nuages, un bruit de flottement.
C'est comme si ces bruits se confiaient à nous.
Bien que j'ai la tête baissée je continue à la voir en imagination se diriger vers le lieu de son repos en traînant sa longue jupe semblable à une robe de mariée - je la vois partir, je ne vois pas le crématoire ni la sépulture, ce que je vois c'est qu'elle se dirige vers un lieu où dix mille fleurs s'épanouissent.
Je suis déjà mort de fatigue au bout d'une seule journée de travail, pensai-je, mais mes ancêtres eux, combien de journées de travail ont-ils dû endurer pour ramasser tout cet argent ?