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EAN : 9782330038441
269 pages
Actes Sud (01/10/2014)
4.09/5   81 notes
Résumé :
Le Septième Jour propose une méditation sur le destin et sur le sens de la mort en même temps qu’une critique sociale et politique de la Chine d’aujourd’hui. Où en plus de l’humour, de l’émotion et de l’aisance narrative déjà à l’œuvre dans les précédents ouvrages de Yu Hua, émerge une véritable poésie onirique qui transporte le lecteur dans un univers d’une beauté prégnante.
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Critiques, Analyses et Avis (30) Voir plus Ajouter une critique
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Quelle lecture étrange ! Étrange dans le sens où ce livre arrive à entremêler la dénonciation de la société et de la politique chinoise contemporaine, une vision onirique et touchante de ce qui se passe après la mort, une pointe d'humour complètement décalée, des images poétiques d'une grande sensibilité. Ces éléments sont combinés par l'auteur avec une certaine grâce mais d'une façon si étonnante que la lecture de « le septième jour » est un pas de côté, une expérience en quelque sorte pour le lecteur occidental, et une façon pudique d'aborder la dénonciation sociétale … à la chinoise ? Comme le souligne @Gonewithgreen, grâce à qui j'ai eu envie de lire ce livre, c'est à se demander si le fait de faire parler un mort autorise davantage l'auteur, Yu Hua, à faire passer des messages : faut-il être mort pour oser parler ?
Il n'empêche, à sa sortie en Chine en 2013 ce livre a fait l'objet de nombreuses critiques et polémiques.

Notre protagoniste, Yang Fei, est mort. le livre s'articule autour de sept chapitres correspondant aux sept jours suivant la mort de notre homme. Sept jours pour une genèse funeste. Dès les premières pages, Yang Fei vient de mourir et est ainsi convoqué au funérarium. Nous découvrons que, malgré la mort, les différences de patrimoine et de revenus sont toujours présentes et conditionnent la façon et le lieu où vont reposer les personnes après leur incinération. Les riches attendent sur des fauteuils et les pauvres sur des chaises en plastique. Des urnes décorées et estampillées pour les uns, des urnes aux slogans kitch (« Retour au bercail ») pour les autres. Sauf que Yang Fei n'a aucune urne donc pas de sépulture, rien pour trouver le chemin du repos. Il doit donc partir de ce funérarium et errer.

« le septième jour » est l'histoire d'une errance, une errance dans un silence ouaté, une quête avec la pluie et la neige qui tourbillonnent, enveloppant sans le toucher notre personnage. Divagation dans les limbes d'une mémoire coupée du monde, faite de fragments disparates. L'errance à la lisière de la vie et de la mort où « On ne voit pas s'élever d'arbres, on ne voit pas couler de rivière, on n'entend pas souffler le vent dans les herbes, on n'entend aucun bruit de pas (…) où aucun oiseau ne vole dans les airs, aucun poisson ne nage dans l'eau, aucun être vivant ne croît sur la terre ». L'ambiance est particulière, comme si nous étions dans un rêve ou dans un tableau de Münch, tant nous avons l'impression d'évoluer dans une ambiance veloutée et cotonneuse aux sons étouffés comme un clapotis de vagues.

C'est l'occasion pour Yang Fei de rencontrer des personnes comme lui mortes sans sépulture, voire de retrouver des personnes de sa vie d'antan. de ces rencontres émergent des souvenirs. Et à chaque fois, à chaque souvenir, à chaque histoire, des facettes terribles de la société chinoise contemporaine sont mises à jour. C'est par moment réellement glaçant. C'est l'occasion également pour lui de rechercher son père mystérieusement disparu. Et Yang Fei de nous relater son enfance incroyable avec ce père adoptif, un amour entre père et fils d'une grande beauté.

« Ici errent de tous côtés des silhouettes sans sépulture. Ces formes qui ne peuvent trouver de lieu de repos ressemblent à des arbres en mouvement. Tantôt ce sont des arbres isolées, tantôt des pans de forêt. Je passe au milieu d'eux, comme si je marchais dans un bois dont les arbres ont été coupés de leurs racines. Je guette l'apparition de la voix de mon père. Devant, derrière, à gauche, à droite. J'attends l'appel de mon nom ».

Touchant cette façon qu'a l'auteur d'imaginer ce monde, d'imaginer la tristesse de ces gens subitement disparus laissant dans le monde des vivants des êtres chers. L'histoire de ces jeunes parents ayant laissé leur petite fille de onze ans m'a profondément émue. Touchant de découvrir ces personnes humbles, simples, laborieuses, écrasés par le système communiste. Touchant enfin ce monde imaginé par l'auteur, sa vision singulière de la mort, dans lequel nous laisser porter.

Pour donner des respirations au lecteur qui non content de découvrir cette errance funeste, soulève le voile des dysfonctionnements de la société chinoise, Yu Hua distille un humour corrosif surprenant, voyez plutôt :

« - Tu ne ressembles pas à Yang Fei.
Je palpe mon visage. L'oeil gauche est sur la pommette, le nez à côté du nez, et le menton sous le menton.
- J'ai oublié de me retoucher le visage.
Elle tend ses mains et, avec précaution, elle replace mon oeil dans son orbite, remet à sa place mon nez qui est sorti de son axe, et relève d'un coup sec mon menton qui pend. Puis elle recule d'un pas et m'examine attentivement.
- A présent, tu ressembles à Yang Fei »

Une belle lecture, très singulière, parfois déroutante, tantôt grave, tantôt légère, tantôt philosophique et poétique, tantôt cocasse, voire burlesque, qui propose une vision de la mort que je ne suis pas prête d'oublier. Une genèse funeste qui imagine un monde verdoyant et lumineux où les morts sans sépulture, c'est-à-dire les pauvres, errent dans une vie éternelle de toute beauté, plus réjouissante que le repos et l'oubli des plus riches. Les derniers seront en réalité les premiers.
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Charmée par Les jours, les mois, les années de Yan Lianke, lu précédemment, j'ai eu envie de prolonger mon escale en Asie par la rencontre d'une autre figure majeure de la littérature chinoise contemporaine. Bien m'en prit puisque cette première incursion dans l'oeuvre de Yu Hua s'est révélée absolument fascinante. de nouveau, un coup au coeur immense.

S'inspirant de la Genèse biblique et d'anciennes croyances populaires, il nous invite à suivre les pérégrinations d'un jeune homme qui vient de quitter les berges de la Vie pour rejoindre l'autre monde. de prime abord déconcertant, le septième jour est un roman d'une grande beauté que je ne saurai oublier tant il m'a profondément émue.

*

Victime d'un terrible accident, Yan Fei a trouvé la mort. Attendu au funérarium, il découvre que si les plus favorisés sont en mesure d'accéder au repos éternel une fois incinérés, les autres comme lui sans famille ni urne ni tombeau, sont condamnés à déambuler au coeur des limbes en portant le deuil d'eux-mêmes. 

Notre narrateur emprunte dès lors le chemin de l'errance dans un silence feutré et un brouillard s'étirant à perte de vue, enveloppé par les flocons de neige qui dansent autour de lui et s'évanouissent après son passage. Décor vaporeux, sensation d'apesanteur, instants suspendus.

Sept jours d'errance, au terme desquels il peut espérer gagner sa dernière demeure : Îlot de paix, de verdure et de sérénité. "(...) là-bas, il n'y a ni pauvres, ni riches, il n'y a ni chagrin ni douleur, il n'y a ni rancune ni haine (...)." Un monde fantasmagorique que nous souhaiterions tant réel où se retrouvent les défunts sans sépulture.

"Un monde se déploie devant mes yeux étonnés : de l'eau qui coule, de l'herbe qui couvre le sol et des arbres luxuriants dont les branches sont chargés de fruits à noyaux et dont les feuilles en forme de coeur frissonnant au rythme d'un coeur qui bat. Je vois plein de gens qui vont et qui viennent, beaucoup ne sont plus que des squelettes, quelques uns ont gardé leur chair."

*

Au cours de cette marche fantomatique, notre personnage est amené à remonter le fil de son histoire - revisiter le passé pour mieux s'en libérer, et croise proches ou simples connaissances parfois perdus depuis longtemps. L'occasion en est donnée de poursuivre les recherches d'un parent mystérieusement disparu, une quête initiée de son vivant pour laquelle il n'a jamais obtenu de réponse. 

"Ici errent de tous côtés des silhouettes sans sépulture. Ces formes qui ne peuvent trouver de lieu de repos ressemblent à des arbres en mouvement. Tantôt ce sont des arbres isolés, tantôt des pans de forêts. Je passe au milieu d'eux, comme si je marchais dans un bois dont les arbres ont été coupés de leurs racines. Je guette l'apparition de la voix de mon père, devant, derrière,  à gauche, à droite. J'attends l'appel de mon nom."

Rencontres et souvenirs affleurant à la surface de sa mémoire exhalent une dualité saisissante. Aux scènes d'amour et d'infinie douceur succèdent l'évocation de terribles tragédies individuelles voire collectives. Toutes rendent compte avec force de la violence, de l'arbitraire, de la corruption, de l'injustice, de la course à l'argent qui règnent dans le pays.

*

Voyage poétique et onirique au royaume des morts, le récit se fait également critique féroce,  sans concession, de la société chinoise d'aujourd'hui. Plusieurs niveaux de lecture, une richesse, profondeur et humanité remarquables. Sans oublier les pointes d'humour subtilement dosées qui offrent aux lecteurs des respirations salutaires.

Oserais-je le qualifier de chef-d'oeuvre?

En tout cas, un livre magnifique et mémorable qui sur mon île déserte m'accompagnera…

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Yang Fei vient de mourir, mais continue à vivre dans une sorte d'entre-deux où il rencontre des gens qui ont de quoi se payer une sépulture et vont vraiment disparaître et les autres, trop pauvres, condamnés à errer en se décharnant peu à peu jusqu'à devenir des squelettes, en attendant peut-être en vain qu'un vivant qui se souvient de lui ait de quoi lui payer un tombeau. Car le prix est élevé : « de notre côté, celui des chaises en plastique [le coin des pauvres ; les riches ont droit à des fauteuils], les bruits de conversation n'ont pas cessé, on continue à discuter des sépultures. On soupire sur leur prix, qui excède désormais celui des maisons. Pour une place d'un mètre carré dans un cimetière situé au diable vauvert et surpeuplé, il n'en coûte pas moins de 30 000 yuans, et encore pour une concession limitée à vingt-cinq ans. » Comme le dit un personnage : « — On n'a même plus les moyens de mourir ! » le récit nous raconte les sept jours qui suivent sa mort, avec de nombreuses analepses le concernant lui-même et aussi les gens qu'il croise dans ces limbes. ● le récit nous propose ainsi une magnifique histoire d'amour paternel et filial entre Yang Fei et son père adoptif, qui n'a vécu que pour son fils. Cette partie est vraiment très touchante, après la rocambolesque histoire de la naissance de Yang Fei qui prête plutôt à sourire. « Plus tard, […] j'ai souvent repensé avec tristesse à ce quai, ce matin d'été. Il avait vingt et un ans quand j'avais fait irruption dans son existence, et je l'avais remplie tout entière, si bien qu'il n'était plus resté la moindre place pour le bonheur auquel il avait droit. » ● Il permet aussi de mettre en évidence les nombreux dysfonctionnements de la société chinoise : disparités sociales énormes, injustices, passe-droits, personnes qui vivent « comme des rats » dans un immense souterrain insalubre… ● Des immeubles anciens sont abattus malgré les protestations de leurs habitants : « D'autres décrivaient la terreur qu'ils avaient ressentie quand, en pleine nuit, on avait détruit leur maison : ils avaient été tirés de leur sommeil par d'énormes grondements, les murs vacillaient, et ils avaient cru à un tremblement de terre. Mais au moment où ils s'étaient précipités dehors, ils avaient découvert les bulldozers et les pelleteuses en train d'abattre leur demeure. » Il arrive même que certains restent coincés et meurent dans l'opération de démolition… ● Ceux qui ont le pouvoir ont tous les droits : « Une fois, il [le patron d'un restaurant] m'avait expliqué que les gens de la Sécurité publique, ceux du service de la Prévention des incendies, des services sanitaires, des services de l'Industrie et du Commerce, ou bien des services des Impôts venaient souvent se goberger chez lui, mais qu'ils partaient sans jamais rien payer, en demandant qu'on inscrive ce qu'ils devaient sur leur note. En fin d'année, c'étaient des entreprises privées qui réglaient la facture pour eux. Au début, avait-il poursuivi, la situation était encore tenable, puisque soixante-dix à quatre-vingts pour cent des dettes étaient soldées, mais ces dernières années, l'économie étant moins prospère, de nombreuses sociétés avaient fait faillite et il y en avait de moins en moins pour payer les dettes de ces messieurs, ce qui n'empêchait pas ceux-ci de continuer à venir se goberger. Ses affaires à lui avaient beau paraître florissantes, avait-il conclu, en réalité il n'arrivait plus à joindre les deux bouts : mais qui aurait pris le risque de déplaire à des gens des services officiels ? » ● Certains n'ont plus d'autre choix que de vendre un rein, dans des conditions épouvantables, pour gagner rapidement un peu d'argent (30-35 000 yuans, soit 4 000-4 800 euros, le prix d'une sépulture…), pour le dépenser dans des gadgets que leur propose la société d'hyperconsommation chinoise : « Tous vendaient un rein dans l'intention de gagner de l'argent le plus vite possible. Ils expliquaient que même en travaillant dur pendant plusieurs années ils n'arriveraient jamais à gagner autant. Ils rêvaient de leur vie d'après : ils s'achèteraient de beaux vêtements ou un téléphone portable Apple, ils iraient dormir dans un palace ou dîner dans un restaurant de luxe. » Une des personnages se suicide parce que son petit ami lui a offert un iPhone de contrefaçon et pas un vrai… ● A cet égard on peut se demander s'il n'est pas mieux de ne pas avoir d'argent pour sa sépulture car le monde des morts-vivants paraît plus agréable que le néant où l'ensevelissement conduit. L'argent est peut-être un miroir aux alouettes… ● le roman nous propose ainsi une méditation sur la nature de la mort et sur la société chinoise, qui peut être vue comme composée pour une large part de morts-vivants, à la fois dans leur soumission obligée au régime et à ses privilégiés et dans la poursuite des chimères de l'argent et de la consommation qu'elle leur offre. ● C'était le premier livre de Yu Hua que je lisais et je l'ai trouvé profondément original, parfois poétique, parfois loufoque, toujours intéressant.
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Le septième jour, est-ce un voyage ? Un aller simple ? Un voyage sans retour ?
J'ai vécu cette très belle lecture comme une oscillation enivrante entre plusieurs mondes, celui des vivants et des morts tout d'abord, mais ce serait trop réducteur de définir ce livre seulement ainsi.
Nous sommes en Chine, dans une Chine à la fois contemporaine et intemporelle. Un homme vient de mourir dans une explosion. Il s'appelle Yan Fei, il a quarante-et-un ans. Il est désormais attendu au funérarium. Ne disposant pas d'urne funéraire, il doit donc patienter, errer... Il découvre très vite que les inégalités qui l'avaient marqué de son vivant entre riches et pauvres continuent de se prolonger dans le monde des morts. Les riches attendent ainsi confortablement leur sort, si on peut dire les choses ainsi, tandis que les pauvres attendent dans des conditions plus rustiques, attendent et attendent encore, devenant parfois squelettes, à force d'attendre... Vous savez ce que c'est que d'attendre...
L'auteur, Yu Hua, que je découvre par la même occasion, nous entraîne dans l'exode de défunts sans sépulture, condamnés à errer dans l'antichambre du repos éternel.
Ce récit est construit en sept chapitres, chaque chapitre étant dédié à un jour, nous suivons donc l'errance de Yan Fei durant les sept jours qui ont suivi sa mort...
C'est l'histoire d'une déambulation, d'une errance parmi l'univers des morts, parmi les histoires de ces morts dont nous découvrons quelques bribes de leurs existences, scènes de vie parfois touchantes, parfois cocasses, avec ce paysage social, sociétal qui se dessine, d'une violence souterraine qu'on devine terrible. Des vies touchantes juste avant que la mort ne les fauche.
C'est comme une danse macabre avec l'étonnement d'une douceur qui s'y pose.
Forcément Yan Fei revoit sa dernière scène dans l'autre monde, celui d'avant.
Passer d'une rive à l'autre, c'est aussi pour Yan Fei se souvenir du passé, le sien, celui des autres, ses proches. Des histoires s'invitent, s'entremêlent, remontant de la mémoire proche ou lointaine.
Il y a le souvenir d'une idylle naissante qui devint un amour qu'on croyait éternel, avec la jeune Li Quing.
Il y a le récit d'une jeune femme qui se suicide.
Il y a le récit de son père, l'évocation de ce père qu'il retrouve ici est forcément émouvante, le ramène à sa propre histoire, sa naissance, ses origines. Être cet enfant né et aussitôt tombé sur la voie ferrée par le simple trou des toilettes d'un wagon, avouez que le destin est parfois insolite. J'ai adoré cette relation entre le père et le fils qui se retrouvent dans cette antichambre de la mort...
Tant d'autres récits aussi, des fragments de vies. Des morceaux d'un puzzle qui viennent construire une constellation avec les voix de tous ces morts qui disent et crient la vie, d'où ils viennent, où ils ont cheminé, où ils vont.
Le thème de la mort est traité avec délicatesse, avec douceur, il y a en effet une douceur infinie dans les mots qui sont dits ici. Qui sont dits de manière onirique aussi.
Mais la mort, est-ce finalement le thème central de ce roman ?
N'est-ce pas le destin ? Ou bien alors la filiation ? Ou bien encore si tout ceci n'était pas prétexte pour nous inviter à ce pas de côté tendu comme une ellipse, une manière de regarder la Chine non plus cette fois intemporelle mais bien vissée corps et âmes dans sa réalité contemporaine, la Chine d'aujourd'hui, tragique et terrifiante.
N'est-ce pas la vie finalement ? La vie qui manque tant dans cette Chine contemporaine au travers de ce monde chaotique qui nous parvient dans le récit ? Un chaos sans limite.
Fouiller. Fouiller au fond de sa mémoire pour reconstituer des bribes de vie, des fragments disparates, comme des morceaux de continents à la dérive. La mort serait-elle ce chemin qui les rassemble ?
J'ai aimé ici la pluie et la neige flottant dans ce paysage en apesanteur. J'ai aimé entrer en apesanteur comme cela dans ce récit, être touché aussi par cette pluie et cette neige que j'ai senties si présentes dans ces pages.
J'ai aimé dans un passage du livre cette image saisissante d'une route asphaltée interrompue qui laisse brusquement place à un chemin de terre cabossé. Je ne saurais dire pourquoi cette image du récit m'a tant troublé. Et si c'était cela la vie ?
Errer entre l'aube et le soir. Un vide silencieux, où avancer...
Alors, ce pas de côté, ce serait quoi finalement ? Peut-être un plaidoyer pour la liberté... ?
La liberté, la liberté d'expression, la liberté tout court, est-ce qu'elle dérive ainsi, elle aussi à son tour, dans les limbes d'un endroit improbable, non encore identifié, la liberté en Chine ? Parlons-en.
Ou bien quelque chose de plus fort encore, disant et dénonçant le malheur là-bas sous l'oppression d'un pouvoir qui favorise les inégalités sociales, la misère, les scandales politiques et économiques, les sévices infligés aux prisonniers, les avortements forcés, les suicides, la répression contre l'homosexualité et d'une manière générale toutes les atteintes aux différences...
Et si ce récit d'une beauté onirique était l'antichambre d'un espoir à venir pour une partie de l'humanité ?
Bref ! C'est un instant sur la terre décrit un mardi soir, le temps d'une chronique à propos d'un roman qui m'a donné, non pas envie de mourir, mais celui de demeurer attentif, attentif à la vie sous toutes ses formes... Vivre, quoi !
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« le Septième Jour » conseillé par gonewiththegreen m'attendait depuis un petit moment déjà. L'univers de ce roman est original, sombre et lumineux à la fois, malgré l'évocation de la mort.
Selon la coutume funéraire décrite par Yu Hua, un corps doit être incinéré et enterré dans sa propre tombe pour accéder au repos éternel. Sans cela, il est condamné à errer dans un espace à la lisière de la vie et la mort.
Le thème développé par l'auteur autour de la transition entre la vie et la mort m'intriguait, mais m'effrayait également. Au final, j'ai été séduite par la douceur du récit, par le talent de l'auteur à tisser de belles histoires autour de son personnage principal. Au-delà de la thématique, il y a de belles émotions, beaucoup d'amour, d'empathie, d'entraide.

« La mort ne me fait pas peur, pas du tout. Ce dont j'ai peur, c'est de ne plus te voir. »

*
Yang Fei se réveille un peu désorienté et prend conscience, petit à petit, à la découverte de son corps couvert de plaies et de son visage défiguré, qu'il est mort. Il ne se rappelle pas des circonstances qui ont entraîné son décès.
Yang Fei se rend tout d'abord à une convocation au funérarium pour sa crémation. Mais sans personne pour le pleurer, sans personne pour lui acheter une concession funéraire, l'homme est condamné à errer dans l'antichambre de l'au-delà. Commence alors pour lui un voyage solitaire où il découvre que de nombreuses âmes sans sépulture partagent le même destin que lui.

« Ces formes qui ne peuvent trouver un lieu de repos ressemblent à des arbres en mouvement. Tantôt ce sont des arbres isolés, tantôt des pans de forêt. Je passe au milieu d'eux, comme si je marchais dans un bois dont les arbres ont été coupés de leurs racines. »

Avec une délicatesse inattendue, ce roman retrace, dans une ambiance feutrée et fantomatique, les sept premiers jours de son errance dans les limbes.

« Des ombres flottaient dans le brouillard. Des sons vivants me parvenaient comme un clapotis de vagues. »

Sur le chemin de la mémoire, Yang Fei se rappelle des moments les plus importants de sa vie, son enfance heureuse, les âmes des personnes décédées qu'il a connues et perdues dans son passé.
J'ai été touchée par ces tranches de vie qu'on découvre toute en finesse, tout en retenue, celle de sa mère de coeur, de son ancienne épouse, ou de ses jeunes voisins. Mais celle qui m'a touchée tout particulièrement est l'évocation de son père adoptif, un personnage magnifique.

« … mon père disparaissait sans crier gare. Il s'en alla sans bruit, sans même laisser un mot. Il partit loin de moi avec ce qui lui restait de vie. »

*
Yang Fei est un personnage qui m'a beaucoup plu. Au gré de ses rencontres, nous remontons le fil de ses souvenirs qui se délie. le lecteur ne peut qu'apprécier cet homme tendre et généreux, élevé par un homme tout aussi bon et affectueux.
Le chagrin, la douleur et la solitude sont présents mais ne dominent pas le récit, atténués par des émotions plus douces et peut-être plus surprenantes, comme l'amour, la joie, l'optimisme, la solidarité, le réconfort.

*
C'est un roman très étrange où la réalité côtoie un monde surréaliste et effrayant. Cependant, la narration, non dénuée d'humour noir, est délicate, douce, touchante, profondément poétique. On ressent, malgré sa noirceur et sa dureté, de l'espoir et beaucoup d'empathie.

*
Cette galerie de personnages permet à l'auteur d'aborder des thématiques autour de la mort, de l'au-delà et du sens de la vie, « cette vie qui paraît si longue quand on est en train de la vivre, et si courte quand on se la remémore plus tard. »

Mais en arrière-plan, Yu Hua dresse un tableau affligeant de la Chine contemporaine. A travers ce voyage entre deux mondes, le lecteur perçoit la dure réalité de la vie quotidienne : l'auteur ne manque pas de dénoncer la politique dans une Chine ravagée par les scandales de corruption des hommes politiques et de la police, la structure en classes source d'injustices sociales, les sévices infligés aux prisonniers, les avortements forcés, les suicides, la destruction des habitations laissant la population dans la misère la plus totale et obligeant les plus démunis à vendre leurs organes.

« Nous marchons dans ce silence qui s'appelle la mort. Nous ne parlons plus car notre mémoire n'avance plus. C'est une mémoire coupée du monde, faite de fragments disparates, à la fois vide et réelle. Je sens à mes côtés la marche muette de cette femme qui semble perdue et je soupire sur la tristesse de ce monde enfui. »

*
« le septième jour » est un roman vraiment unique. Teinté de réalisme magique, il est magnifiquement écrit. Je vous le recommande.

« Va donc là-bas, là-bas les feuilles des arbres te feront signe, les rochers te souriront, les eaux de la rivière te salueront ; là-bas, il n'y a ni pauvres ni riches, il n'y a ni chagrin ni douleur, il n'y a ni rancune ni haine… là-bas, tous sont égaux dans la mort. »
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critiques presse (1)
Liberation
12 novembre 2014
Ce livre inspiré de la Bible pouvait aussi bien s’intituler «les dix plaies de la Chine». Il n’y est pas question de grenouilles mais bien de sang et de mort, et l’auteur nous entraîne dans l’exode de défunts sans sépulture, condamnés à errer dans l’antichambre du repos éternel.
Lire la critique sur le site : Liberation
Citations et extraits (26) Voir plus Ajouter une citation
Une petite fille en anorak rouge était assise toute seule sur une plaque de béton, des deux côtés de laquelle dépassaient des barres d'armature tordues. Son cartable appuyé contre ses genoux, son manuel et son cahier d'exercices ouverts sur ses jambes, tête baissée, elle écrivait quelque chose. Elle avait quitté la maison le matin pour se rendre à l'école, et quand elle était rentrée l'après-midi, la maison avait disparu. Comme elle n'avait retrouvé ni sa maison, ni ses parents, elle s'était assise sur les gravats en attendant que ces derniers reviennent, et elle faisait ses devoirs en frissonnant dans la bise aigre.
(...)
J'ai regardé cette petite fille en anorak rouge. Avec elle assise au milieu, cet amas de blocs de béton paraissait soudain plein de douceur.
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Lorsque j'étais passé quelques jours auparavant, ils étaient toujours là. Des vêtements séchaient aux balcons et des banderoles blanches couraient le long des façades sur lesquelles on lisait, en lettres noires : "Non aux démolitions", "Pas d'explusions forcées" (...).
J'ai contemplé ces ruines. On apercevait des bouts de vêtements parmi les blocs de béton armé.(...)
Une petite fille en anorak rouge était assise toute seule sur une plaque de béton, des deux côtés de laquelle dépassaient des barres d'armature tordues. (...) Elle avait quitté la maison le matin pour se rendre à l'école, et quand elle était rentrée l'après-midi, la maison avait disparu . Comme elle n'avait trouvé ni sa maison, ni ses parents, elle s'était assise sur les gravats en attendant que ces derniers reviennent, et elle faisait ses devoirs en frissonnant dans la bise aigre.
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Je me trouve à nouveau au milieu du brouillard et des flocons qui tourbillonnent, mais je ne sais où aller. Je suis en proie au doute: je sais que je suis mort, mais j'ignore de quelle façon.
Je marche dans la ville qui se dévoile par intermittence. Mes pensées tentent de s'orienter dans les entrelacs de la mémoire. Je me dis qu'il faudrait que je remonte à la dernière scène à laquelle j'ai assisté de mon vivant, car elle doit se situer au bout du chemin de ma mémoire. Dès que je l'aurais trouvée, j'aurais trouvé également le moment de ma mort. Mes pensées, guidées par le mouvement de mon corps, traversent un grand nombre de scènes qui voltigent comme des flocons de neige, et enfin parviennent à ce jour-là.
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Par un épais brouillard, je suis sorti de la maison que je louais, et j'ai divagué dans la ville irréelle et chaotique. Je devais me rendre dans cet endroit qu'on appelle le funérarium, et qu'on appelait jadis le crématorium. On m'y avait convoqué, avec obligation de me présenter là-bas avant 9 heures du matin, ma crémation était prévue pour 9h30.
(incipit)
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Par un épais brouillard, je suis sorti de la maison que je louais, et j'ai divagué dans la ville irréelle et chaotique. Je devais me rendre dans cet endroit qu'on appelle le funérarium, et qu'on appelait jadis le crématorium. On m'y avait convoqué, avec obligation de me présenter là-bas avant 9 heures du matin, ma crémation était prévue pour 9h30.


(Incipit)
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0:14 Introduction 0:49 **La Cité de la victoire** de Salman Rushdie 5:54 **Montevideo** d'Enrique Vila-Matas 10:26 **La Ville introuvable** de Yu Hua 19:45 **Je voudrais leur demander pardon mais ils ne sont plus là** de Mikoaj Grynberg
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Plus d'informations : https://www.actes-sud.fr/recherche/catalogue/collection/1299/date_de_publication/2023-09/rayon/1236?keys= #rentréelittéraire #litteratureetrangere
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