Un petit livre qui remet les idées en place ! L'actualité nous assène chaque jour les réunions étranges du Conseil européen, les déclarations normatives de tel ou tel commissaire, les éclats de voix du parlement de Strasbourg. Et l'Europe dans tout cela, quel est son dessein, quelle est sa trajectoire? L'oeil vif de HM Enzensberger nous livre une analyse féroce mais lucide de ce qui transforme doucement l'Europe en navire incontrôlable. Il n'y a dans ce texte aucune démagogie nationaliste ou antieuropéenne (ultime non d'oiseau étiqueté à celui qui conteste la vision euroepéenne!). Au contraire, un cri d'alerte à tous ceux qui, embarqués sur ce bateau, le voient dériver tranquillement, sans violence. Il attaque la bureaucratie, la folie normalisatrice, et sans doute un peu l'intention qui sous-tend tout cela. Mais plus que tout, il pointe le dessein post-démocratique de l'Europe, au nom d'un incontestable rationalisme éclairé. Je ne partage pas tout sans doute, quelques facilités par-ci par-là, mais au final, un texte tout à fait passionnant !
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A plus de quatre-vingts ans, [Hans Magnus Enzensberger] s’est imposé comme l’un des grands auteurs du continent. Son réquisitoire mordant n’en a que plus de force.
Lire la critique sur le site : LeSpectacleduMonde
David Stasavage montre que, du Moyen-Age à l'ère moderne, les cités-Etats ont bénéficié d'un meilleur accès au crédit que les grands États territoriaux (France, Angleterre). Pourquoi ? Grâce à la présence d'assemblées représentatives puissantes, efficaces et composées d'une élite marchande
Lire la critique sur le site : NonFiction
L'auteur va droit au but, dans ce que les chiffres et les sigles ont de concret, dégainant un pamphlet bien aiguisé contre la bureaucratie bruxelloise qui décapite la lourde tête de l'Union européenne.
Lire la critique sur le site : Telerama
"Rien n'indique pour le moment que les Européens inclinent à se défendre contre leur mise sous tutelle politique. Certes, les manifestations de mauvaise humeur ne manquent pas, ni les sabotages silencieux ou patents, mais au total le célèbre déficit démocratique ne provoque pas de révolte, plutôt du désintérêt et du cynisme, le mépris pour la classe politique, et une dépression collective."
P63 : L’ « acquis communautaire », monstrueux recueil de normes que jamais personne n’a lu. En l’an 2004, il comptait déjà 85000 pages ; aujourd’hui il doit dépasser les 150 000. Dès l’année 2005, le Journal officiel de l’Union européenne pesait au total plus d’une tonne, autant qu’un jeune rhinocéros. (…) On estime que 85% des lois n’émanent plus des Parlements, mais de Bruxelles. (…) Il [toutes les règles édictées par l’UE] s’agit d’un recueil d’environ 1 400 000 documents. S’il faut parler du coût de cet appareil réglementaire, les traitements et pensions si volontiers critiqués par les médias sont ce qui pèse le moins lourd. Là-dessus, il y a déjà un certain temps, un commissaire nommé Verheugen avait vendu la mèche. Il avait convenu que les règlements de » l’UE pour l’économie européenne coûtaient quelque 600 milliards par an. Ce qui équivaut au PIB des Pays-Bas.
P61 : Voilà l’analyse de Robert Menasse, à laquelle il n’y a pas grand-chose à ajouter. Les conclusions qu’il en tire vont beaucoup plus loin que les objections qu’on entend formuler dans le bla-bla général sur la crise. « C’est le point, dit-il, où peut-être l’on devrait être prêt à reconnaître que c’est aujourd’hui un progrès, un pas vers la libération, si l’on ne se prononce justement plus par scrutin populaire sur les conditions qui font le cadre de notre vie… Et c’est seulement là, en observant de près la structure et le mode de fonctionnement de l’UE, que m’est venue l’idée que la démocratie classique, modèle qui au XIXe siècle s’est développé en donnant des organisations raisonnables à des Etats nationaux, ne saurait être transférée tout simplement sur une union supranationale, et que même elle l’entrave. »
C’est mettre le doigt sur le problème central de l’Union. Officiellement on le désigne par un euphémisme, le « déficit démocratique » : il est considéré comme une maladie de carence, chronique et manifestement difficile à traiter, qu’à la fois l’on déplore et l’on minimise. Pourtant, cela n’a rien d’une énigme médicale, c’est bien plutôt une décision de principe parfaitement délibérée. Comme si les luttes constitutionnelles des XIXe et XXe siècles n’avaient jamais eu lieu, le conseil des ministres et la Commission se sont mis d’accord dès la fondation de la Communauté européenne pour que la population n’est pas son mot à dire sur leurs décisions. Que cette rechute dans des décisions antérieures aux Constitutions puisse se soigner en maquillant les choses, personne désormais ne le croit plus. Ce déficit n’est donc rien de plus qu’une formulation distinguée pour dire la mise sous tutelle politique des citoyens.
L’Union européenne peut se targuer d'exercer une forme de pouvoir qui n'a pas d'antécédent dans l'histoire. Son originalité consiste à procéder sans violence. Elle fait la chattemite. Elle se donne pour aussi humaine qu'inexorable. Elle ne veut que notre bien. Comme un tuteur plein de bonté, elle se soucie de notre santé, de notre savoir-vivre et de notre morale. L'idée ne l'effleure pas que nous sachions ce qui est bon pour nous ; nous sommes à ses yeux bien trop désemparés et trop mineurs. C'est pourquoi il faut nous prendre en charge, de fond en comble, et nous rééduquer.
"Qui d'autre que la Comission ira décider de la forme des prothèses dentaires ou des cuvettes de toilettes en Europe? N'aurait-on pas à redouter une désastreuse pagaille si ces questions étaient tranchées à Stockholm ou à Londres, au lieu de Bruxelles? [...] L'Union européenne sait tout mieux que nous."
Hammerstein ou l'intransigeance
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