Le temps qui reste

Patrick Boucheron s'est fait le chantre d'une histoire globale, non européo centrée notamment avec la publication d'une "Histoire mondiale de la France."
Le tout en confrontation avec une histoire où le récit "roman national" prime. "Le temps qui reste" est un opuscule publié dans la collection Seuil Libelle. Patrick Boucheron écrit magnifiquement bien. C'est d'ailleurs pour cette raison que je lis toujours, avec un grand plaisir, ses textes. Je ne souscris pas, loin s'en faut, à tous ses engagements qui sont dans cet opuscule, très politique, mais je pense que le lire est important ne serait ce que par curiosité intellectuelle. Patrick Boucheron brasse une culture phénoménale, très orientée à gauche (l'homme a pourtant sous-entendu un vote pour Emmanuel Macron en 2017). Au delà de ces combats intellectuels, de ces querelles, se priver de lire cet opuscule serait dommage. 60 pages. J'ai particulièrement aimé la citation de Stefan Zweig sur nous les hommes qui n'avons qu'un seul coeur : "un petit coeur étroit qui ne peut enfermer qu'une certaine dose de malheur. Ce n'est pas nous qui sommes peu sensibles, non, c'est ce qu'il se passe trop de choses en ces "temps historiques". On ne saurait dire mieux. Les intellectuelles de la trempe de Patrick Boucheron ne sont pas légion. Il exprime des idées qui suscitent le débat et c'est un enjeu important en ces temps de crispation. Je vous invite vraiment à le lire.

« Les choses n'arrivent jamais comme on croit. » (Claude Sautet)

L'historien Patrick Boucheron exprime son inquiétude face à une double catastrophe en cours : celle du réchauffement climatique et celle de la progression de l'extrême droite en France et en Europe. Et d'autres catastrophes.
Il ne veut pas jouer les prophètes mais présente ce que l'historien peut dans ce débat sur la catastrophe qui rôde. “On ne prévient pas un désastre par la crainte des fins dernières”, en accumulant les renoncements.
Les catastrophes sont déjà là parce qu'on nous la présente comme inéluctables
L'histoire ne connaît ni commencement ni fin, seulement « le film accidenté d'un drame que l'on continue de vouloir amadouer en le flattant du nom de crise alors qu'il n'est rien d'autre qu'une trajectoire ». Dans celle-ci, rien n'est jamais totalement perdu, et l'historien peut consigner les traces de nos devenirs plutôt que noter exclusivement les pertes.
Penser contre la fatalité

Comme dans « Les choses de la vie » de Claude Sautet.
Michel Piccoli meurt mais le film retarde l'inévitable, voire le réinvente.
Un appel à ……se réveiller ?
Ou un exercice de style ?

Elle est là, elle arrive, elle aura lieu, c'est sûr. Patrick Boucheron n'est pas un devin, il ne prophétise pas. Il n'est pas Cassandre qui a le don de voir l'avenir, mais aussi la malédiction de n'être jamais crue - à cause de la punition d'Appollon, n'ayant pas supporté qu'elle résiste à sa tentative de viol. Ce qui va avoir lieu - contrairement à la guerre de Troie, c'est la catastrophe. Catastrophes climatique, politique, guerrière, sanitaire, démocratique... Patrick Boucheron est un historien du temps. Il refuse d'être cantonné à des dates, des périodes : un historien travaille sur les durées, les continuités et les ruptures. Notre temps s'accélère, l'humanité avance vers la catastrophe comme le mesure l'horloge de l'apocalypse. Patrick Boucheron écrit donc pour nous alerter, parce qu'il nous reste encore quelques possibilités d'agir. Il nous reste donc du temps, pour ne pas se précipiter vers l'inéluctable - l'arrivée de l'extrême-droite, et surtout, pour ne pas croire que le pire est inéluctable.
C'est donc un texte engagé, un manifeste, une prise de position. L'écriture est érudite mais claire et stimulante. On ne sort pas forcément plus rassuré, mais on a réfléchi.

Opus bref mais dense. Comment agir et réagir face aux catastrophes annoncées qu'elles soient climatiques ou politiques? D'abord vivre ce "temps qui reste", le présent , éviter d'être paralysé, observer, réfléchir grâce aux livres et à L Histoire. Mesurons qu'une catastrophe surgit rarement sans signe avant-coureurs, "elle est continuation du pire". L'effondrement moral est préparé par la déchéance du parler juste.
Ayons conscience toutefois qu'il est difficile de vivre intensément les événements qui se déroulent sous nos yeux, leur compréhension est souvent remise à plus tard. C'est pourquoi, il est plus que jamais nécessaire de ne pas se laisser engourdir, d'être attentifs, éveillés et ne pas manquer au temps qui reste.
Des concepts, une écriture souvent obcurs

Ce texte est bref, dense et clair, c'est-à-dire accessible au commun des mortels malgré son érudition et ses multiples références historiques bien sûr, mais aussi politiques et philosophiques.
Une grande part est accordée au changement climatique ; et comme chaque fois que je lis des essais sur le changement climatique j'en ressors frustré avec la question : que puis-je faire à mon niveau ? Trier mes pots de yaourt vides et donner 23,50€ à une association de défense de l'environnement ? Ce texte vise néanmoins à lutter contre le catastrophisme et le syndrome du Titanic associé (autant poursuivre la fête jusqu'à la fin puisque tout est foutu !). Objectif atteint ? Pas sûr ....
Cet ouvrage n'en est cependant pas moins éclairant sur notre époque.