Ce tome comprend les épisodes 25 à 29 de la série, parus en 2009. Il fait suite à La rage aux tripes (épisodes 19 à 24). Tous les scénarios sont de
Jason Aaron. Il faut impérativement voir commencé la série par le premier tome Pays indien.
Épisode 25 (illustrations de
R.M. Guéra) - Après 4 pages introductives sur le sort des amérindiens à la fin du dix-neuvième siècle, le lecteur fait connaissance avec Wesley
Willeford, tricheur professionnel qui vient se renflouer les poches aux frais du casino Crazy Horse, en ayant conscience que s'il se fait prendre, les videurs de Lincoln Red Crow seront sans pitié. Épisode 26 (illustrations de
Davide Furnò) - le temps est venu d'en apprendre plus sur Britt Fillenworth (Diesel Engine) qui possède un seizième de sang Kickapoo. Épisode 27 (illustrations de
Francesco Francavilla) - Qu'est ce qui motive Baylis Earl Nitz ? Épisode 28 (illustrations de
R.M. Guéra) - Que s'est-il passé la nuit du 26 juin 1975 ? Épisode 29 (illustrations de
R.M. Guéra) - Quelqu'un fait chanter Dashiell Bad Horse.
Pour une personne non avertie (qui aurait l'idée saugrenue de commencer la série par ce tome), voilà 5 histoires courtes (dont 2 sont liées) qui mettent en scène des individus qu'il convient de qualifier de criminels, au comportement brutal, qui utilisent la violence comme solution privilégiée, n'hésitant pas à aller jusqu'au meurtre de sang froid, en passant par un bel éventail de comportements à risques. En fait, même déconnectés de la narration au long court de Scalped, chaque nouvelle (= chaque épisode) possède une saveur particulière et présente une unité qui en fait une histoire complète.
Jason Aaron épate à nouveau son lecteur en variant les techniques narratives pour continuer de décrire la noirceur de l'âme humaine. le premier épisode constitue un cas d'école. Aaron introduit un nouveau personnage qui arrive pour la première fois sur le sol de la réserve Prairie Rose en autocar. Il papote avec son voisin sur le sort des indiens, ce qui fournit l'occasion à Aaron de développer élégamment ce thème qui état sous-jacent au travers des spécificités de la réserve (la double juridiction du bureau des affaires indiennes et le FBI), des questions culturelles et des croyances religieuses. Il augmente la profondeur de champ sur la condition amérindienne, et donc sur la part comportementale des individus liée à leur culture, à leur éducation. Puis Aaron introduit la voix intérieure du personnage dans un premier temps pour expliquer son objectif et son point de vue. Dans une séquence suivante, il se sert de ces textes de pensée pour exposer le décalage entre ce que le personnage dit et ce qu'il pense réellement. L'effet produit est d'une noirceur exceptionnelle, encore accentuée par le fait que les personnages continuent d'effectuer leurs actions pendant ce temps. Cette histoire bénéficie des illustrations toujours aussi ciselées de
R.M. Guéra. Au fil des pages, le lecteur est invité dans l'intimité de
Willeford la plus physique, ainsi que dans ses déplacements et ses activités. Cet individu dispose d'une morphologie spécifique, d'un visage inoubliable, chacun de ses maquillages donne naissance à une nouvelle apparence qui reste cependant indubitablement lui-même. du grand art. Chunka (Uday Sartana) n'apparaît que le temps d'une case (uniquement sa tête de profil, et pourtant il est inoubliable.
Avec ce premier épisode exceptionnel, Aaron démontre qu'il est capable de raconter une histoire palpitante et malsaine en 1 épisode. En 24 pages, il a campé un personnage crédible, étalé sa vie et son histoire, ses petites habitudes, et ses névroses, son destin inéluctable. L'épisode consacré à Diesel est tout aussi efficace, même s'il est moins surprenant pour le lecteur régulier de la série. À nouveau pour l'hypothétique lecteur de passage, il dispose d'une histoire complète, campant un individu singulier, tout aussi pathétique et dangereux que le précédent, né dans le camp des perdants du rêve américain. Les dessins de David Furnò sont moins riches et substantiels que ceux de Guéra, mais ils possèdent cette brutalité viscérale inhérente à la série. Ce petit miracle de concision se renouvelle avec l'épisode consacré à Baylis Earl Nitz. Les illustrations de Francavilla sont moins crues, moins brut de décoffrage, mais elles disposent d'un cachet qui évoque les films d'action poisseux des années 1970 qui génère un climat malsain du début jusqu'à la fin. À nouveau Aaron réussit à présenter une vie faite de violence et de souffrance, en 1 épisode qui est aussi satisfaisant pour lui-même que pris dans le contexte du récit global de Scalped.
Les 2 derniers épisodes marquent le retour de
R.M. Guéra, toujours aussi en forme. Il se montre tout aussi convaincant qu'il dessine un jeune agent du FBI imbu de lui-même et totalement déconfit par un policier indien usé par des années de métier, qu'un quadragénaire résigné à une vie sans horizon en tant que prisonnier à vie, ou un individu en plein dans les vapes de la dope. Guéra sait tout dessiner de manière crédible. Au travers d'un jeu d'acteurs en retenu, il est capable de rendre palpable la tension qui règne dans la cour de la prison, sans effet de manche ou exagération. Il est l'un des rares illustrateurs qui me viennent à l'esprit qui ait réussi à transcrire l'attitude d'un homme agissant complètement défoncé. Sans aucune aide de dialogue ou de cellules de pensée, le lecteur voit l'état second du drogué au travers de ses gestes, de son regard, de ses mouvements d'une manière réaliste. Cette séquence mérite à elle seule 5 étoiles pour cette transcription visuelle d'un état qu'il est facile de railler ou de caricaturer, mais qui représente un défi pour le dessiner de manière crédible.
Aaron continue de raconter des histoires qui se suffisent à elles-mêmes. Celle revenant sur la nuit du 26 juin 1975 constitue une histoire convenue sortie du contexte globale. Celle mettant en scène Dashiell Bad Horse combine des scènes d'action remarquables, avec un tourment psychologique viscéral d'une rare intensité.
Mais bien sûr, la majorité des lecteurs ne sont pas arrivés là par hasard : ils ont commencé par le premier tome et ils savent qu'Aaron écrit l'équivalent d'un roman, avec une fin bien arrêtée. Dans le contexte du récit complet, ces épisodes montent encore d'un cran en intensité. Tous les développements bâtis précédemment apportent leur contribution à ces 5 récits. La connaissance de la soirée inaugurale du casino et de son importance pour Lincoln Red Crow transforme l'histoire du tricheur en un enjeu majeur pour le casino, dans la mesure où il révèle un point de fragilité. L'histoire de Diesel consolide ce personnage, aux caractéristiques jusqu'alors un peu trop grosses pour être plausibles. Il en devient un individu plausible et tragique ; le lecteur comprend l'importance qu'il attache à ses racines amérindiennes. Si l'histoire de Baylis Earl Nitz est plus classique, elle donne un poids dramatique exceptionnel au personnage. de la même manière le récit de cette fameuse nuit apporte une réponse au lecteur, à une question posée dès le premier tome, un passage particulièrement gratifiant.
Cet épisode met également en évidence le degré de maîtrise d'Aaron pour sa narration. Il doit faire avec le mode de publication américain : 1 épisode par mois. Pour une série de 60 épisodes, cela correspond à 5 ans de publication. Son lectorat se compose de ceux qui lisent les épisodes mensuellement (partie du lectorat indispensable, s'il s'amenuise de trop, la série cesse de paraître), ceux qui lisent les recueils au fur et à mesure (soit un tous les 5 ou 6 mois en moyenne), et ceux qui découvrent la série après coup qui pourraient lire tous les tomes d'un trait ("pourraient" parce que 60 épisodes de 22 pages chacun, ça fait quand même 1.300 pages, assez dense. Même si un page de BD se lit plus vite qu'une page de roman, les images apportent une quantité d'informations substantielles qu'il faut assimiler.). Aaron use donc d'un dispositif narratif artificiel qui consiste à revenir à plusieurs reprises au fil des tomes sur un même moment (la nuit du 26 juin 1975) pour en dire à chaque fois juste un petit peu plus ; ça peut sembler très convenu comme façon de raconter et peu adroit. En fait à l'usage, cette méthode se révèle très astucieuse : elle permet à Aaron de rappeler régulièrement les personnages à la mémoire du lecteur, tout en faisant avancer l'intrigue.
Et le dernier épisode est une tuerie, à la fois pour le plaisir de l'action, mais aussi pour l'évolution d'un personnage central. Pour un peu le lecteur se surprendrait presque à reprendre espoir (pas tout à fait quand même parce que la dernière fois, la chute avait suivi de peu). Magistral ! La descente aux enfers se poursuit dans Rongé jusqu'à l'os (épisodes 30 à 34).