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EAN : 9782842055479
87 pages
1001 Nuits (01/03/2001)
4.12/5   4 notes
Résumé :

Abélard et Héloïse seraient le couple jumeau de Tristan et Yseult, incarnant l'idéal de l'amour en Occident ?

Malheureusement, le mythe des amants unis jusqu'à la mort est contredit par la version très prosaïque qu'en donne lui-même Abélard (1079-1162) dans cette longue lettre. Il s'y montre jeune dialecticien orgueilleux, avide d'asseoir sa supériorité intellectuelle et d'acquérir une position bien en vue.

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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Ce récit de type autobiographique est à rapprocher des Confessions de saint Augustin. le récit de vie sert d'exemple permettant de tirer de leçon pour pousser le lecteur vers le droit chemin. Et Abélard vante les mérites de la vie de retrait – ermitage ou monastère – pour la pratique de la philosophie. La vie mondaine qui lui a apporté la gloire, lui a aussi apporté la tentation, la jalousie et la souffrance. A cette vie citadine, il oppose la belle école du Paraclet, lieu utopique où les étudiants ayant suivi son exemple, se sont retirés et vivent de travail manuel et d'étude, dans une vie simple comparable à celle des épicuriens, des stoïciens... limitée aux besoins primaires. On pourrait également comparer cette cité d'étudiants ermites aux utopies. On peut également voir des parallèles entre la vie d'Abélard et ce qu'on sait de celle de saint Jérôme, très souvent cité : avec Paula, ils instituent un monastère double (monastère et abbaye en combinaison). Sauf qu'Abélard va constituer son école mais envoyer sa femme dans un couvent lointain, non construire avec elle.
Abélard critique dépeint des monastères où règne la perversion, et également des intrigues dans le clergé. C'est pourquoi la voie de la retraite, de l'isolement, l'ermitage, demeure celle de celui qui recherche la sagesse, le philosophe, davantage que les monastères.
Hormis la portée d'exemple, la vie d'Abélard est un remarquable témoignage sur les moeurs du Moyen-Âge, qui semblent tout à coup si proches des nôtres. le récit d'Abélard est très vivant, moderne, poétique à certains moments sans pompe et laisse imaginer les talents de rhétorique et de poésie dont il était capable. Sans manquer l'occasion de citer les textes de la Bible ou de ses commentateurs, saint Jérôme en premier lieu, il privilégie d'abord une langue accessible, agréable, claire. Tel que le fera Rousseau, il ne néglige en aucun cas le récit de ses mauvaises actions, qui lui servent d'appui pour tirer la logique de son parcours, sans toutefois s'en délecter. Il ne censure pas non plus les scènes qui pourraient paraître dérangeantes comme la description de ses amours parfois violents avec Héloïse, la violence de la vengeance de l'oncle...
Bon complément à la correspondance avec Héloïse, cette Histoire de mes malheurs permet de vraiment comprendre les relations qu'ils avaient ensemble. Leur histoire d'amour est celle de la jeunesse, de l'inconscience, de l'imprudence, et elle s'oppose à la relation platonique qu'ils ont par la suite, relation qui se voudrait tournée vers Dieu, mais qui n'est telle que par l'impossibilité d'un amour terrestre pour Abélard.
Lien : https://leluronum.art.blog/2..
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Citations et extraits (2) Ajouter une citation
Dès qu'on eut connaissance de ma retraite, les élèves commencèrent à accourir de toutes parts. Abandonnant villes et châteaux, ils s'enfonçaient au désert ; délaissaient leurs maisons confortables, ils venaient se construire de petites cabanes où les herbes des champs et du pain grossier leur tenaient lieu de mets plus délicats ; le chaume et la mousse remplaçaient pour eux la douceur des lits ; ils amoncelaient des mottes de terre, qui leur servaient de table. Ils paraissaient imiter les anciens philosophes au sujet desquels saint Jérôme écrit, dans le second livre Contre Jovinien : « Les vices pénètrent dans l'âme par les sens comme par des fenêtres. La métropole et la citadelle de l'âme sont inexpugnables, tant que l'armée ennemie n'en a point forcé les entrées. Mais qui se plaît aux jeux du cirque, aux combats des athlètes, aux gesticulations des histrions, à la beauté des femmes, à la splendeur des pierres précieuses, des étoffes et de tout ce luxe, a perdu la liberté de l'esprit, car son âme est envahie par les fenêtres des yeux. La parole du prophète s'accomplit alors : « La mort est entrée par vos fenêtres. » Dès que par ces ouvertures l'ennemi pénètre dans la forteresse de notre âme, où se réfugie sa liberté ? Où, son courage ? Où, la pensée de Dieu ? Plus encore : l'imagination se dépeint les plaisirs passés, le souvenir d'actions perverses contraint l'esprit à s'y complaire, et à s'en rendre coupable lors même qu'il ne les commet pas. » C'est pourquoi de nombreux philosophes préfèrent s'éloigner de la turbulence des villes, et abandonner même ces jardins de plaisance où la fraîcheur des terrains arrosés, le feuillage des arbres, le gazouillis des oiseaux, les fontaines miroitantes, le murmure des ruisseaux et tant d'autres délices sollicitent le regard et l'oreille : ils craignent que le luxe ou l'abondance n'amolisse leur force d'âme et ne souille leur pureté. […]
Mes disciples agissaient de même. Ils édifiaient leurs cabanes sur les rives d'une petite rivière nommée l'Arduzon, et, par la vie qu'ils menaient, ressemblaient davantage à des ermites qu'à des étudiants. Plus leur affluence devenait considérable, plus l'existence à laquelle je les contraignais était dure, plus mes rivaux sentaient croître ma gloire, et leur propre honte. Ils avaient tout fait pour me nuire, et se plaignaient de tout voir tourner à mon avantage. Selon le mot commun de saint Jérôme et de Quintilien, la haine vint me relancer, loin des villes, des procès et des foules. Mes ennemis se plaignaient, et gémissaient en leur cœur. « Voici que le monde entier le suit, se disaient-ils. Nos persécutions ont été inutiles ; elles ont plutôt profité à sa gloire. Nous voulions étouffer son nom, nous l'avons fait resplendir. Des étudiants, qui ont sous la main, dans les villes, tout le nécessaire, dédaigneux des commodités urbaines, vont chercher les privations du désert et embrassent volontairement une vie misérable. »
Seule mon extrême pauvreté me poussa à ouvrir une école. Je n'avais pas la force de labourer la terre et je rougissais de mendier. A défaut de travail manuel, je dus avoir recours à l'art où j'étais expert : je me servis de la parole. Mes élèves pourvoyaient en revanche à mes besoins matériels : nourriture, vêtements, culture des champs, construction, de sorte que les soins domestiques ne me distrayaient aucunement de l'étude.
(éd. Babel 2008, trad. Paul Zumthor, p. 183)
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Qu'ajouterais-je ? Un même toit nous réunit, puis un même cœur. Sous prétexte d'étudier, nous nous livrions entiers à l'amour. Les leçons nous ménageaient ces tête-à-tête secrets que l'amour souhaite. Les livres restaient ouverts, mais l'amour plus que notre lecture faisait l'objet de nos dialogues ; nous échangions plus de baisers que de propositions savantes. Mes mains revenaient plus souvent à son sein qu'à nos livres. L'amour plus souvent se cherchait dans nos yeux l'un de l'autre que l'attention de les dirigeait sur le texte. Afin de mieux détourner les soupçons, l'amour me poussait parfois à la frapper : l'amour, non la colère ; la tendresse, non la haine, et la douceur des coups nous était plus suave que tous les baumes. Quoi encore ? Notre ardeur connut toutes les phases de l'amour, et tous les raffinements insolites que l'amour imagine, nous en fîmes aussi l'expérience. Plus ces joies étaient nouvelles pour nous, plus nous les prolongions avec ferveur, et le dégoût ne vint jamais.
Cette passion voluptueuse me prenait tout entier. J'en étais venu à négliger la philosophie, à délaisser mon école. Me rendre à mes cours, les donner provoquait en moi un violent ennui, et m'imposait une fatigue intolérable : je consacrais en effet mes nuits à l'amour, mes journées à l'étude. Je faisais mes leçons avec négligence et tiédeur ; je ne parlais plus d'inspiration, mais produisait tout de mémoire. Je me répétais. Si je parvenais à écrire quelque pièce en vers, elle m'était dictée par l'amour, non par la philosophie. Dans plusieurs provinces, vous le savez, on entend souvent, aujourd'hui encore, d'autres amants chanter mes vers…
(éd. Babel 2008, trad. Paul Zumthor, p. 155)
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