Un livre jubilatoire! Il nous dit que le regard extatique de deux enfants curieux de tout, est la chose qui a le moins changé, depuis le récit d'Augustine Fouillée.
« Le tour de France par deux enfants » paru en 1877 a bercé des générations entières d'enfants, « livre de lecture courante », vantant la variété et la richesse de notre pays, il a été un vrai best-seller. En faisant parcourir les routes de France à deux frères orphelins, encadrant le récit de valeurs républicaines et morales, l'auteure proposait d'en détailler les ressorts, géographiques et historiques, et la diversité de ses régions.
Un des mérites du livre de nos deux auteurs contemporains, est donc de nous ramener en mémoire ce premier tour de France, qui a compté énormément dans l'inconscient collectif Français, bien avant celui de la grande boucle cycliste du mois de Juillet, inspiré par Henri Desgranges.
Natifs de Phalsbourg, comme André et Julien, Pierre et Philibert, se lancent en franchissant la même porte de la ville, dans un parcours bucolique, avec le projet de broder leur parcours plus ou moins sur le motif originel, en gardant l'esprit de ce voyage initiatique.
La ferveur, l'enthousiasme, la curiosité des deux intéressés sont autant présents dans la vieille édition scolaire, que dans ce nouveau opus.
Nos deux sympathiques zozos ne sont pas des disciples inconditionnels de la modernité furieuse. Bien que jeunes, ils portent des couches de sédimentation culturelles, ont un goût prononcé pour le baroque, l'empreinte du temps; leur voiture d'une autre époque, une 204 Peugeot, en étant le premier symbole.
Ce regard amoureux, mais critique et distancié sur les saccages inhérents à la mondialisation est précieux. Ils s'attache à faire parler les anciens acteurs du pays qui se voient supplantés.
Ils passent dans des villes naguère prospères, dont ils saisissent qu'elles sont passées dans une autre dimension, avec leurs commerces fermées, leur boutiquiers faisant de la résistance.
Les récits de voyageurs, nous en disent au moins autant sur les pays qu'ils traversent, la personnalité de leurs auteurs, et l'air du temps, que sur la géographie, et l'histoire.C'est un exercice qui a le mérite de susciter beaucoup d'images et de sensations en nous.
C'est vif, drôle, et très bien écrit. Il y a de l'
Alexandre Vialatte, du
Prévert et du
Charles Trenet dans ces deux garçons sympathiques qui écoutent les morceaux d'IAM sur le cassette archaïque, sur les décombres de la nationale 7 .
J'ai trouvé les cent premières pages extrêmement toniques, retraçant bien l'entrain de nos deux voyageurs. de même quelques expériences tenant autant de la poésie que de la chanson de geste. Ainsi cet épisode chez une fleuriste de Dijon, et l'achat impulsif d'un vieux jeu de croquet installé dans la devanture de la boutique, qui allait malheureusement bientôt fermer. Les reminescences sur
Henri Vincenot, chântre du pays profond, m'ont aussi particulèrement touché. Mais chacun trouvera ici ses éblouissements. C'est l'auberge Espagnole de la France pittoresque et de ses travers, sur les chemins de traverses.
Qui n'a pas tenu un journal, fait des photos, pour se remémorer ces moments fragiles et fugaces, les rencontres, les découvertes qui sont l'esprit du
voyage, surtout quand il se fait aventureux et nomade ? Un paysage n'est pas tout. Il faut encore le regard pour le sublimer, et voir la beauté là où elle n'apparaît pas dans les guides de tourisme.
A deux, c'est mieux, comme dit la chanson. On varie les points de vue, et sans aucun doute, comme dit à un moment l'un des deux protagonistes, on ne voit jamais tout à fait la même chose que l'autre.
Dans ses années de jeunesse, sensiblement au même âge que nos deux héros,
Gustave Flaubert et son copain
Maxime du Camp écrivirent un témoignage à quatre mains sur la Bretagne, en 1847, qui n'a rien perdu de son sel. « Par les monts et les grèves » abondent lui aussi de ces rencontres de voyage, et de tous ces petits événements à la fois drôles et attachants, qui comme des croquis faits sur le vif, et sont autant de vérités temporelles sur le pays que de savantes compositions d'érudits.
Ce qui n'a pas changé, finalement, c'est donc cet esprit de jeunesse, toujours alerte, ouvert d'autres aventures, à pied, en bateau ou à vélo.
Nicolas Bouvier, dans les années 50, écrira un livre référence «
L'usage du monde » qu'ont sans doute lu aussi nos deux héros. Bouvier laissera à
Thierry Vernet, son compagnon, le soin des dessins. Il aurait été épatant que ce livre soit accompagné lui aussi d'illustrations, afin de rester dans la veine du premier tour de France par deux enfants. Mais le résultat est tout de même excellent.
On peut se demander si
Selma Lagerlöf, qui a écrit « les merveilleuses aventures de Niels Holgerson à travers la Suède », publié en 1906, ne s'est pas inspiré elle aussi de ce petit classique de l'éducation Française. L'auteure Suédoise, avait en effet reçu en 1902 une commande de l'association nationale des enseignants, afin d'écrire un livre de géographie, à destination lui aussi des enfants de l'école publique.
On a envie de tirer des rallonges après un tel livre ! Partir...Ou alors pourquoi ne pas imaginer un nouveau tour de France ?...Celui de deux jeunes migrants par exemple. Mais il sera difficile de se mettre dans la peau des personnages et d'endosser leurs difficultés. Un livre à venir écrit par deux jeunes gens ayant vécu eux mêmes ce périple ?