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EAN : 9782842300661
94 pages
Hoëbeke (01/04/1998)
5/5   1 notes
Résumé :
Aby Warburg et la science sans nom
L'orgine et l'oubli`
Le cinéma de Guy Debord
L'image immémoriale

Les quatre essais réunis ici cherchent, chacun dans leur domaine spécifique, à définir le rôle et la fonction de l'image. Pour Agamben, les images de notre culture sont comme "des photogrammes chargés de mouvements qui proviennent d'un film qui nous manque". cette quête, autour du sens de l'image, réunit quatre personnages clés, l'h... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
J'ai choisi ici de ne mentionner que le premier article de l'ouvrage de Giorgio Agamben. Il s'agit du texte intitulé "Aby Warburg et la science sans nom". Ce livre a été publié en Italie en 1984 et traduit par les édition Hoëbeke en 1998. On retrouve ce texte d'une part dans "Image et mémoire, écrit sur l'image, la danse et le cinéma" édité en 2004 (Desclée et Brouwer ) mais aussi, je crois car non consulté, avec une autre traduction dans "La puissance de la pensée" (Rivages 2006).
J'ai découvert "Image et Mémoire" et le texte sur Aby Warburg en 1998. Peu de textes de ou sur Aby Warburg existaient en français. On peut noter toutefois, la parution, la même année, du livre de Yves-Alain Michaud "Aby Warburg et l'image en mouvement" (Macula, 1998). Mais le texte de Giorgio Agamben, en quelques dizaines de pages, montraient la "puissance de pensée", l'épaisseur, la capacité d'invention de cet immense historien de l'art qui bouleverse l'approche formelle et traditionnelle de cette discipline.
En quoi ce texte qui reste fondateur pour moi est-il si important?
Giorgio Agamben présente non seulement la recherche inouïe de Aby Warburg mais il l'associe également à l'âme et la personnalité de son auteur. L'une et les autres sont intrinsèquement liées. Il n'y a pas séparation.
Pourrait-on dire que Aby Warburg, dans son interrogation quasi vitale sur l'image aurait été un des tous premiers historiens de l'art à introduire, avec son concept de "pathosformel" la dimension de l'affect que peut contenir l'image? Je l'ignore. Mais, en rendant impossible la séparation de la forme avec le contenu, "il désigne l'indissoluble intrication d'une charge émotive et d'une formule iconographique" (G.A., p.11).
Dans sa thèse sur "Le Printemps et La Naissance de Vénus" Aby Warburg met le doigt sur le profond conflit spirituel dans la culture de la Renaissance qui devait concilier les contenus orgiaques des "pathosformeln" de l'antiquité classique d'une part et le christianisme d'autre part. Quelque chose d'inconciliable. Son étude approfondie de la nymphe devient "la marque d'une polarité pérenne de la culture occidentale, scindée par une schizophrénie tragique". Cette schizophrénie est fixée par Warburg dans une des notes les plus denses de son journal : "il me semble parfois qu'en historien de la psyché, j'ai essayé de faire la diagnostic de la schizophrénie de la civilisation occidentale à travers son reflet autobiographique : la nymphe extatique (maniaque) d'un côté et le mélancolique dieu fluvial (dépressif) de l'autre..."" (G.A. p. 30). Bien sûr, nous sommes là sur les traces de Nietszche et tout particulièrement de "La Naissance de la Tragédie".
Ce qui m'intéresse plus encore est l'Etude de Aby Warburg sur les fresque du Palais Schifanoia à Ferrare où il découvre (dans l'intérêt des détails) la présence de figures astrologiques et donc, à nouveau, de l'ambiguïté de la culture de la Renaissance. Lors d'un congrès en 1926 où il présente des images astrologiques, Warburg dit que ces images montraient" au-delà de toute contestation que la culture européenne est le résultat de tendances conflictuelles, un procès dans lequel, en ce qui concerne ces tentatives astrologiques d'orientation, nous devons chercher ni des amis ni des ennemis, mais à la rigueur, des symptômes d'un mouvement d'oscillation pendulaire entre deux pôles distants, celui de la pratique magico-religieuse et celui de la contemplation mathématique" (cit. G.A.p.31).
La science sans nom comme diagnostic de l'homme occidental.
Et aujourd'hui ?
Le diagnostic me semble garder toute son actualité. Pouvons nous parler d'une "oscillation entre deux pôles" ? entre rationalité et irrationalité, entre poésie et philosophie, art et science? certainement encore... Même si.
Pourtant, en ces années 2020 je vis cette ambiguïté. Très curieuse et intéressée d'une part par les connaissances parallèles aux savoirs officiels, de tous ces écrits et images qui ont largement nourries poètes, écrivains et artistes et d'autre part, attirée par une connaissance qui occupe un terrain plus balisé, officiel et institutionnalisé : Une grande intelligence parfois, une sécurité certaine.
Dans ces "oscillations pendulaires"entre ces pôles qui nous sont quasiment consubstantiels, les "vies posthumes" ou survivances, païennes (Nachleben) ou non, semblent réclamer leur part d'existence.
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Citations et extraits (4) Ajouter une citation
Le mot anthropologie aurait pu apparaître plus souvent tout au long de cette étude. Sans doute le point de vue d'où Warburg considérait les phénomènes humains coïncide singulièrement avec celui des sciences anthropologiques. La façon la moins infidèle de caractériser sa "science sans nom" serait peut-être de l'insérer dans le projet d'une future "anthropologie de la culture occidentale", dans laquelle la philologie, l'ethnologie, l'histoire et la biologie convergeront vers une "iconologie de l'intervalle" : le "Zwischenraum" où travaille sans cesse le tourment symbolique de la mémoire sociale. L'urgence d'une telle science, pour une époque qui doit se décider, un jour ou l'autre, à prendre acte de ce que Valery constatait déjà il y a trente ans, en écrivant "l'âge du monde fini commence"*, cette urgence n'a donc pas besoin d'être soulignée. Seule cette science pourrait en effet permettre à l'homme occidental, sorti des limites de son ethnocentrisme, de se munir de la connaissance libératrice d'un "diagnostic de l'humain", pouvant le guérir de sa schizophrénie tragique.
A cette science qui, après presque un siècle d'études anthropologiques, n'en est malheureusement qu'à son début, Warburg, "à sa manière érudite, un peu compliquée", a apporté des contributions non négligeables, qui nous permettent d'inscrire son nom à côté de Mauss, Sapir, Sptzer, Kerenyi, Usener, Dumezil, Benveniste et quelques autres, peu nombreux toutefois. Il est probable qu'une telle science devra rester sans nom jusqu'au jour où son action aura pénétré si profondément dans notre culture qu'elle aura fait sauter les fausses divisions et les fausses hiérarchies qui maintiennent séparées non seulement les disciplines humaines entre elles, mais aussi les oeuvres d'art et les "studia humaniora ", la création littéraire et la science.
* L'affirmation de Paul Valery (dans "regards sur le monde actuel,"Paris, Gallimard, 1945) va bien au delà du simple sens géographique.
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On peur suivre un pareil élargissement progressif de la spirale herméneutique à travers le thème des images astrologiques. Le cercle plus étroit, proprement iconographique, coïncide avec l'identification du sujet des fresques du Palais Schifanoia à Ferrare, dans lesquelles Warburg reconnut, comme nous l'avons rappelé, les figures des décans de l'"Introducturium maius" d'Abu Ma'shat. Sur le plan de l'histoire de la culture, cette découverte devient ainsi celle de la renaissance de l'astrologie dans la culture humaniste à partir du XIVème siècle, et, donc, de l'ambiguïté de la culture de la Renaissance, que Warburg fut le premier à percevoir à une époque où la Renaissance était encore considérées comme l'âge des Lumières par rapport à la sombre période du Moyen Age. Dans l'extrême volute de la spirale, l'apparition des images des décans et la nouvelle vie de l'Antiquité démoniaque au tout début de l'âge moderne deviennent le symptôme du conflit dans lequel s'enracine notre civilisation, et de son impossibilité à maîtriser sa propre tension bipolaire. Warburg dit, dans la présentation d'une exposition d'images astrologiques au Congrès de l'Orientalisme en 1926, que ces images montraient "au delà de toute contestation que la culture européenne est le résultat de tendances conflictuelles, un procès dans lequel, en ce qui concerne ces tentatives astrologiques d'orientation, nous ne devons chercher ni des amis ni des ennemis, mais à la rigueur des symptômes d'un mouvement d'oscillation pendulaire entre deux pôles distants, celui de la pratique magico-religieuse et celui de la contemplation mathématique ."*
Le cercle herméneutique de Warburg peut-être ainsi représenté comme une spirale qui se déroule sur trois niveaux principaux : le premier est celui de l'iconographie et de l'histoire de l'art ; le deuxième est celui de l'histoire et de la culture ; , le troisième, le plus vaste, est précisément celui de la "science sans nom", qui vise à un diagnostic de l'homme occidental à travers ses fantasmes, à la configuration de laquelle Warburg a consacré toute sa vie. Le cercle dans lequel se dévoilait le bon dieu caché dans les détails n'était pas un cercle vicieux, ni nom plus au sens nietzschéen, un "circulus vitiosus deus".
* "Orientaliserende Astrologie, Zeitschrift der Deutschen Morgenländischen Gesellschaft", N.F. 6, Leipzig, 1927. Puisqu'il faut toujours et à nouveau préserver la raison des rationalistes, il est bon de préciser que les catégories qu'utilise Warburg pour son diagnostic sont infiniment plus subtiles que l'opposition courante entre rationalisme et irrationalisme. Le conflit est, en effet, interprété par lui en terme de polarité et non de dichotomie. La redécouverte de la notion de polarité, qui vient de Goethe, utilisée en vue d'une compréhension globale de notre culture, est parmi les héritages les plus féconds laissés par Warburg à la science de la culture. Il est d'une extrême importance du fait que l'opposition du rationalisme et de l'irrationalisme a souvent faussé l'interprétation de la tradition culturelle de l'Occident.
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Même le thème de la "vie posthume"* de la civilisation païenne, qui définit l'une des principales lignes de force de la méditation de Warburg, ne se comprend que si on le replace dans cet horizon plus vaste : là les solutions stylistiques et formelles, adoptées chaque fois par les artistes, se présentent comme des décisions éthiques définissant la position des individus et d'une époque par rapport à l'héritage du passé, et l'interprétation du problème historique devient, par là même, "un diagnostic" de l'homme occidental luttant pour guérir de ses contradictions et pour trouver, entre l'ancien et le nouveau , sa propre demeure vitale.
* le mot allemand "Nachleben" utilisé par Warburg ne signifie pas exactement "renaissance", comme il est parfois traduit, ni non plus "survivance". il implique l'idée de cette continuité de l'héritage païen qui était essentielle pour Warburg.
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L'oeuvre entière de Warburg "historien de l'art", y compris la célèbre bibliothèque qu'il avait commencé de rassembler en 1886, n'a de sens que si on la comprend comme un effort, accompli à travers et au delà de l'histoire de l'art, vers une science plus vaste; s'il ne put jamais lui trouver un nom définitif, il travailla avec ténacité, jusqu'à sa mort, à sa configuration. Dans ses notes pour la conférence de Kreuzlingen sur le rituel du serpent, il définit sa bibliothèque comme "une collection de documents concernant la psychologie de l'expression humaine". dans ses même notes, il répète son aversion pour une approche formelle de l'image, approche "incapable de comprendre la nécessité biologique de l'image, au croisement de la religion et de la pratique artistique""
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Vidéo de Giorgio Agamben
Lundi 8 août 2022, dans le cadre du banquet du livre d'été « Demain la veille » qui s'est déroulé du 5 au 12 août 2022, Yannick Haenel tenait la conférence : L'amour, la littérature et la solitude.
Il sera question de cette attention extrême au langage qui engage notre existence. C'est-à-dire des moyens de retrouver, à travers l'expérience poétique de la solitude, une acuité, une justesse, un nouvel amour du langage. Écrire, lire, penser relèvent de cette endurance et de cette précision. C'est ce qui nous reste à une époque où le langage et la vérité des nuances qui l'anime sont sacrifiés. Écrire et publier à l'époque de ce sacrifice planétaire organisé pour amoindrir les corps parlants redevient un acte politique. Je parlerai de Giorgio Agamben, de Georges bataille, de László Krasznahorkai, de Lascaux et de Rothko. Je parlerai de poésie et d'économie, de dépense, de prodigalité, et de la gratuité qui vient.
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