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EAN : 9782081217843
176 pages
Flammarion (03/10/2008)
3.47/5   15 notes
Résumé :
Paul Valéry, pressentant la catastrophe où menait le nazisme, constatait dès 1939 une « baisse de la valeur esprit ». Aurait-il pu imaginer dans quel état de déchéance généralisée tomberait l'humanité quelques décennies plus tard - là où nous en sommes ? En 1939, seulement 45 % des Français écoutent la radio, et la télévision n'existe pas encore. En ce début de XXIe siècle, les objets communicants poursuivent les temps de cerveaux disponibles où qu'ils aillent, du l... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Un formidable manifeste philosophique et politique de 2006 pour mieux appréhender et combattre l'emprise de l'imaginaire capitaliste – conquérant ou persistant – sur nos vies réelles et numériques.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2024/02/25/note-de-lecture-reenchanter-le-monde-bernard-stiegler-ars-industrialis/

Bernard Stiegler (1952-2020) est certainement l'un des plus importants philosophes contemporains. Avec son parcours puissamment atypique, sa plongée relativement tardive (à vingt-six ans) en philosophie, avec le soutien notable de Jacques Derrida, philosophie découverte dans l'ascèse de la prison toulousaine où il purgea de 1978 à 1983 sa peine pour braquage (entrepris pour sauver son bar rock de la faillite), il représente une voix puissamment distinctive, fort peu académique et néanmoins nourrie en profondeur du travail de ses prédécesseurs, au sein de la pensée actuelle, à la charnière de la philosophie politique et de la pensée du numérique. Préoccupé ô combien légitimement par ce que nous fait la généralisation ubiquitaire de la digitalisation de nos vies sous emprise capitaliste et consumériste, il crée en 2005 le collectif Ars Industrialis et en 2006 l'Institut de recherche et d'innovation à Beaubourg, héritier moral si ce n'est spirituel du Centre de création industrielle qui, de 1969 à 1992 et sa fusion en forme de disparition au sein du Musée National d'Art Moderne (où Bernard Stiegler assurera néanmoins le commissariat de l'exposition « Mémoires du Futur » en 1987), portait sa voix (de fait, principalement par le canal de la revue Traverses) résolument pluri-disciplinaire et déconstructiviste avant l'heure dans le design (et pas uniquement au sens utilitaro-esthétique du terme) et la récupération des imaginaires par des entreprises qui n'incarnaient pas encore « officiellement » le « Nouvel esprit du capitalisme » déchiffré en 1999 par Luc Boltanski et Eve Chiapello.

Publié en 2006 chez Flammarion, sous son nom propre associé à celui du collectif Ars Industrialis, « Rééchanter le monde », dont le sous-titre « La valeur esprit contre le populisme industriel » explicite largement toute l'ironie induite par le titre lui-même, fait figure à la fois de manifeste et de premier point d'étape d'un travail au long cours, toutefois brutalement stimulé en 2005 lorsque le Medef réunit en 2005 son « université d'été » sous le slogan « Réenchanter le monde », précisément. Droit de réponse indispensable, l'ouvrage va bien entendu infiniment plus loin que ce que laissaient supposer un an plus tôt les tâtonnements d'une « pensée corporate » toujours aussi utilitaire et incertaine.

S'il n'est à aucun moment envisageable de résumer en un ouvrage (ou a fortiori en une brève note de lecture) une pensée aussi complexe, évolutive et en prise sur les urgences du réel (on se souviendra de sa fort précoce prise de conscience de l'urgence climatique, par exemple) que celle de Bernard Stiegler, il n'en reste pas moins que ce « Réenchanter le monde » propose une lecture rare et tonique de ce qui est à l'oeuvre dans nos imaginaires de travailleuses et de travailleurs (salariés ou non) comme de consommatrices et de consommateurs, depuis une bonne trentaine d'années. En étudiant aussi bien le consommateur déchargé de son existence, les nouveaux appareils de l'esprit, le devenir-barbare du capitalisme pulsionnel que les changements nécessaires de paradigmes en matière de savoir et d'industrie comme d'information et de contrôle, Bernard Stiegler et Ars Industrialis nous offrent ici des munitions organisées et pensées, profondément salutaires, pour continuer à tenter de conquérir une émancipation toujours moins d'actualité en apparence.
Lien : https://charybde2.wordpress...
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Citations et extraits (3) Ajouter une citation
Nous savons que, dans les décennies qui viennent, la Terre et ses habitants, les êtres humains, devront faire preuve comme jamais, individuellement et collectivement – de l’intelligence du monde et du sens des responsabilités qui, en principe, les définissent comme êtres humains plutôt que comme limaces ubuesques.
L’humanité est confrontée à d’innombrables défis, dont nous craignons que, s’ils n’étaient pas relevés, ils ne conduisent à transformer les êtres humains en ces êtres inhumains (et non seulement « posthumains ») que sentait déjà venir Alfred Jarry. Et nous savons que, face à ces défis, il n’y a pas d’autre issue possible que la formation et la culture d’une nouvelle conscience humaine. Récemment, Laurence Toubiana, directrice de l’Institut du développement durable, déclarait que « le changement nécessaire est tellement profond qu’on se dit qu’il est inimaginable. »
Et Robert Lyon, annonçant « l’âge du moins » – moins de ressources, moins de marges de manoeuvre, moins de confiance, moins d’espoir (sinon le désespoir) – écrivait de son côté que la communauté humaine planétaire « ne s’en sortira » que si elle sait « se situer du côté de l’être plutôt que de l’avoir. »
L’humanité ne survivra, autrement dit, que si elle sait dépasser l’âge de la consommation. C’est là le programme d’une nouvelle croissance, qualitative, et contre l’idée d’une décroissance, ne serait-ce que parce que « nous ne survivrons pas si, au-delà des mers et des sables, des milliards d’êtres humains s’abîment dans les pénuries, les disettes et la précarité. »
La croissance qualitative, c’est la croissance qui ne repose pas sur le « toujours plus », mais sur le « toujours mieux », et, qualitativement, avec moins – c’est-à-dire, aussi, par une meilleure redistribution, en particulier entre le Nord et le Sud. Affronter ces défis, ce serait, selon Robert Lyon, entrer dans l’âge d’une nouvelle modernité.
Nous savons que nous n’avons pas le choix si nous voulons survivre, disent donc Laurence Toubiana et Robert Lyon avec tant d’autres – et malgré les dénégations de lobbies irresponsables, ou d’hommes et de femmes politiques peu scrupuleux, ou dont l’intelligence du monde est elle-même limitée. Et nous savons que de telles évolutions ne pourront se faire pacifiquement qu’à la condition d’élever le niveau de conscience individuel et collectif, et, par là, de former une volonté politique digne de ce nom : une volonté des peuples. Nous savons également qu’une nouvelle guerre mondiale serait désormais fatale à toute survie des êtres humains.
Or, nous savons tout aussi certainement que le temps de la conscience, qui est celui de l’intelligence, de la volonté et de l’action, de la lucidité et de la responsabilité, est ce que les industries de programmes tendent à systématiquement remplacer par le temps des audiences grégaires, des cerveaux sans conscience et des systèmes nerveux transformés en systèmes réflexes, c’est-à-dire pulsionnels, en vue de les rendre disponibles à toutes les sollicitations du marketing qui renforcent systématiquement des comportements dont nous savons pourtant qu’ils sont devenus à terme mortellement toxiques pour les êtres humains.
Nous savons donc à la fois :
1. qu’un changement n’est possible qu’à la condition d’élever le niveau de l’intelligence,
2. que la régression mentale, l’avilissement moral qui l’accompagne, et l’anesthésie de l’intelligence et donc de la volonté qui traduit l’intelligence en actes, sont désormais ce qui gouverne le monde hyperindustriel – et, pour une très large part, le discours de ceux qui, prétendant aux fonctions gouvernementales, s’adaptent à cet état de fait au lieu de le combattre.
Nous sommes donc obligés de conclure qu’il faut changer radicalement et sans délai cet état de fait, et lui opposer un nouvel état de droit : un droit tel qu’il empêche que se poursuive la « baisse de la valeur esprit » qui est devenue le principe même du capitalisme reposant sur l’augmentation illimitée, aveugle et suicidaire de la consommation.
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Paul Valéry, pressentant la catastrophe où menait le nazisme, constatait dès 1939 une « baisse de la valeur esprit ». Aurait-il pu imaginer dans quel état de déchéance généralisée tomberait l’humanité après lui en quelques décennies – là où nous en sommes ?
Même en 1993, lorsque Jacques Derrida et moi-même nous entretenions de l’avenir possible de la télévision, nous n’avions pas pu imaginer une seconde ce qui devait conduire, peu d’années après cet entretien, à ce qui se présente désormais comme ce qu’il faut appeler la télévision pulsionnelle – celle où la téléréalité se constitue comme l’ob-scène de la « pulsion scopique » qui est à l’origine des diverses formes de voyeurisme et d’exhibitionnisme que la plupart des programmateurs des chaînes de télévision, sans la moindre vergogne, sollicitent désormais systématiquement.
Entre 1939 – où seulement 45 % des Français écoutent la radio, où la télévision n’existe pas encore – et notre début du XXIe siècle – où les objets communicants poursuivent les temps de cerveaux disponibles où qu’ils aillent, du lever au coucher – s’est imposé un capitalisme que l’on dit tantôt « culturel », tantôt « cognitif », mais qui est avant tout l’organisation ravageuse d’un populisme industriel tirant parti de toutes les évolutions technologiques pour faire de la conscience, cest-à-dire du siège de l’esprit, un simple organe réflexe : un cerveau rabattu au rang d’ensemble de nuerones, tels ceux qui contrôlent le comportement des limaces. Un tel cerveau dépouillé de sa conscience est ce qui peut devenir une simple valeur marchande (qui ne cesse cependant de baisser, qui vaut de moins en moins cher – et qui ne vaudra bientôt plus rien) sur le marché des audiences.
Par l’intermédiaire des objets temporels audiovisuels qui alimentent les industries de programmes, et qui s’écoulent en même temps que s’écoule le temps des consciences dont ils sont les objets, les épousant intimement, au point de les phagocyter et de les vider de toute conscience en tant que ces cerveaux qu’elles sont aussi, le XXe siècle aura été marqué par le développement systématique de technologies de contrôle (de ces temps de cerveau dont le contrôle détruit la conscience).
Si Walter Benjamin et Sigmund Freud, contemporains de Paul Valéry, pressentirent très tôt qu’avec les technologies industrielles de communication commençait une nouvelle histoire de la conscience et de son inconscient, facteurs de ce que Valéry appelle donc de l’esprit, et facteurs de sa valeur, ils ne virent pas clairement que se mettait ainsi au cœur même de l’activité industrielle une nouvelle organisation du capitalisme autour de la figure du consommateur qui devait constituer une forme très particulière d’économie libidinale, c’est-à-dire de canalisation des désirs : ils étaient surtout préoccupés de la montée des diverses formes de fascismes et de totalitarismes qui préparaient la ruine de l’Europe, Benjamin, en particulier, parlant de l’esthétisation totalitaire de la politique, ne voyait pas que se mettait également en place l’esthétisation de l’économie à travers les technologies de contrôle et de fabrication du consommateur.
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Cet épisode de l’histoire de l’économie libidinale, c’est-à-dire de l’organisation et de la production du désir, mais qui deviendrait, en détruisant la conscience, une destruction du désir, c’est un chapitre de ce que Max Weber a décrit beaucoup plus généralement comme le désenchantement du monde caractéristique du capitalisme.
Or, au cours de l’été 2005, le Medef a réuni son « université » sous ce titre (qui est aussi une sorte de slogan) : Le réenchantement du monde. Cette formule, qui ne doit rien au hasard, avait pour objectif de promouvoir les thèses de la direction du Medef (qui était alors en train de changer) sur le capitalisme cognitif et les industries de la connaissance (et Denis Kessler, en présentant cette université d’été, se référa en ce sens à Tony Blair, lorsque celui-ci avait proposé de réorienter les fonds de la Politique agricole commune vers la recherche et le développement dans le domaine des technologies cognitives, la Grande-Bretagne présidant alors l’Union européenne).
Cependant, réenchanter le monde par les technologies de la connaissance, c’est nécessairement revisiter le rôle de l’esprit dans l’organisation de l’économie, et les causes évidemment néfastes de la baisse de sa valeur annoncée par Valéry précisément comme effet majeur du désenchantement.
On verra dans les pages qui suivent que là où Ernest-Antoine Seillère, dans l’année qui précède cette université d’été qu’il aura lui-même voulue juste avant de quitter la direction du Medef, tient des propos, dans la préface d’un ouvrage devenu célèbre depuis (Les Dirigeants face au changement), très proches de ceux de Denis Kessler sur le capitalisme à venir, et comme économie de la connaissance, il introduit justement le texte où Patrick Le lay explique que, comme producteur et vendeur de temps de cerveau disponible, il organise à un niveau de déchéance tel que Paul Valéry n’aurait même pas pu l’imaginer la baisse de la « valeur esprit », c’est-à-dire, précisément, le désenchantement du monde – et pour le dire dans des termes plus clairs, le règne de la bêtise.
Le réenchantement du monde que le Medef aura dit se donner comme projet pour un avenir du capitalisme en 2005 est-il, au sein du monde économique, un sursaut de la valeur esprit contre le populisme industriel ? Ou bien est-ce au contraire le projet de créer les conditions d’une production industrielle de connaissances sans esprit, comme on tente désormais de produire du cerveau sans conscience, imposant du même geste ce règne de la bêtise ?
Mais qu’est-ce alors que l’esprit, si des connaissances sont possibles sans esprit, c’est-à-dire sans élévation de l’esprit, et sans augmentation de sa valeur ? Et qu’est-ce donc que la connaissance dans un tel contexte, et une connaissance sans esprit est-elle raisonnablement possible ?
Le présent ouvrage, qui prend le Medef au mot, et qui lui propose de réenchanter le monde avec la valeur esprit, par son augmentation, et contre le populisme industriel, illustre les questions qui animent Ars Industrialis, association internationale pour une politique industrielle des technologies de l’esprit.
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