L'ÉTERNITÉ EST TOUJOURS À L'HEURE
Tout à coup, ce matin, penché sur une églantine au bord du chemin, ce n'était plus un simple promeneur qui sentait le parfum d'une fleur mais bien plutôt l'univers entier qui respirait son propre parfum.
Une vache, longuement, m'avait regardé. Je plongeai mon regard dans le sien. Et puis, brusquement, il n'y eut plus qu'un seul regard entre nous.
Une légère brise souffla par-derrière et fit voler en éclats ce qui pouvait encore se prendre pour quelqu'un. Alors, un coucou chanta au coeur même de l'instant.
Le reste de la promenade, ce fut la routine habituelle du cosmos : le monde se déployait au feu de la conscience comme un chat qui s'étire dans un rayon de soleil pour exposer chaque millimètre de son corps.
Le promeneur de la vie se déplaçait dans le corps du monde, vibrant de conscience.
«Je» est une vitre inexistante que l'on ne connaît que par les baisers de sang de la vie, dont il est couvert de toutes parts.
C'était étrange, il y avait à la fois comme un air de deuil et d'ivresse dans l'air : une vie soumise à son image s'achevait ce matin-là. Elle avait effacé sa propre image. Quand toutes les deux se font face, il y en a toujours une de trop. Alors, il faut s'attendre au pire.
Et ce fut le chaos du monde dans toute sa splendeur. Sa beauté semblait faire signe. Mais ce qui faisait signe et ce à quoi il faisait signe étaient la même chose.
Et si, en se brûlant le corps au soleil du désir, en se brûlant le coeur au soleil de la passion, on ne cessait pas de se consumer au soleil de la conscience ?
Oui, c'est bien ça, cette incessante marée de l'oubli qui n'en finit pas d'aller et venir pour toujours, inlassablement, ramener le souvenir, non pas du passé qui n'existe pas, mais le souvenir du présent, la présence, tout simplement.
Dès le moment où l'on est dans le moment, cela s'appelle un événement. Alors, tout est à sa place. Personne ne peut faire cesser cet événement précisément parce qu'il n'y a personne dans ce moment.
Et si la vie de cet homme, qui était parti pour une simple promenade, et qui n'en reviendrait jamais, n'était que le sourire furtif que la vie se faisait à elle-même ?
C'est ainsi que, parfois, «je suis» se prend à répondre de la nécessaire futilité du monde. Dès cet instant, il est, à lui seul, la loi de gravitation universelle de l'amour.
L'éternité est toujours à l'heure. Ne la faisons pas attendre. Soyons exacts.
Avant de découvrir cet espace de liberté, ce que nous sommes ultimement, en amont de nos sensations, de nos émotions, de nos pensées, il est indispensable de commencer par reconnaître à quel point nous sommes déterminés par nos conditionnements, conscients ou inconscients. L’évidence s’impose alors de se donner les moyens, grâce à une vigilance incarnée, de se surprendre en flagrant délit de dépendance. Ce constat constitue un véritable choc. Tant qu’on ne l’a pas vécu, on vit dans son rêve. Si nous gardons la moindre illusion en ce qui concerne la force des déterminismes et leurs conséquences dans tous les aspects de nos existences, nous resterons prisonniers de notre mental, et aucun progrès vers la liberté intérieure, ce qu’on appelle la libération, la réalisation, ne sera possible.
D’où proviennent ces images, ces histoires ? Pourquoi apparaissent-elles avec autant d’insistance ?
Pouvons-nous nous libérer de ce bruit de fond, de ce parasitage permanent, pour accéder directement à « être », c’est-à-dire à ce que nous sommes déjà ? Ou bien sommes-nous condamnés à passer notre vie entière sous hypnose, esclaves de nos émotions et de nos pensées ?
En amont de tout ce qui constitue le contenu d’une existence, il y a être.
En amont de notre apparente identité, de notre nom, de notre sexe, de nos qualités et défauts, des sensations et des émotions que l’on éprouve, des pensées que l’on a, il y a être.