L'amour ne s'attarde ni sur l'âge ni sur rien qui ne soit l'amour.
Ils étaient assis sur un banc et grand-mère pris la tête du Rescapé entre ses mains, l'attira sur son coeur qui battait la chamade et défit les premiers boutons de son chemisier. Il caressa ses seins de ses lèvres qui souriaient. " Et si nous embrassions nos sourires ? " proposa grand-mère, alors ils échangèrent un baiser liquide, interminable, et le Rescapé lui dit ensuite que cette même idée, des sourires qui s'embrassent, était venue à Dante au chant cinq de " l'Enfer" pour Paolo et Francesca, qui s'aimaient et qui n'auraient pas dû.
"Dans chaque famille, il y a toujours quelqu'un qui paie son tribut pour que l'équilibre entre ordre et désordre soit respecté et que le monde ne s'arrête pas"
Il lui disait que la vie allait ainsi, avec des choses horribles, mais aussi avec d'autres, magnifiques.
Pour faire un tel sacrifice, disparaître pour le bien de l'autre, il faut l'aimer vraiment.
Et maintenant, la maison de la rue Manno et le piano combleraient le vide, le Rescapé prit grand-mère dans ses bras, murmurant à son oreille des sons de contrebasse, de trompette, de violon, de flûte. Il savait imiter un orchestre entier. ça pouvait sembler fou, mais durant les longues marches dans la neige ou quand au camp de concentration, il devait disputer sa nourriture aux chiens pour amuser les Allemands, c'étaient ces sonorités et les poèmes qui l'avaient aidé à tenir.
[...) au fond, en amour, il s'agit peut-être au bout du compte de se fier à la magie, on ne peut pas dire qu'on puisse trouver une règle, quelque chose à suivre, pour que tout se passe bien, par exemple obéir à des Commandements.
Grand-mère pensait que c'était à cause de la mer, et du ciel bleu, et de l'immensité qu'on voyait du haut des remparts, dans le mistral, tout était si infini qu'on ne pouvait pas s'arrêter à sa petite vie.
[...] elle n'était pas folle, simplement elle était une créature que Dieu avait faite à un moment où Il n'avait pas envie des femmes habituelles en série, Il avait eu une inspiration poétique et Il l'avait créée [...]
Elle s'était mariée sur le tard, en juin 1943, après les bombardements américains sur Cagliari, à une époque où une femme pas encore casée à trente ans était déjà presque vieille fille. Non qu'elle fût laide, ou qu'elle manquât de soupirants, au contraire. Mais un moment venait où les prétendants espaçaient leurs visites, puis disparaissaient de la circulation, toujours avant d'avoir demandé officiellement sa main à mon arrière-grand-père. Chère Mademoiselle, des raisons de force majeure m'empêchent ce mercredi, ainsi que le prochain, defai visita afustetti, comme c'était mon voeu le plus cher, mais hélas irréalisable. Ma grand-mère attendait alors le troisième mercredi, mais chaque fois se présentait une pipiedda, une fillette, qui lui apportait une lettre repoussant encore, et puis, plus rien.