Un titre évocateur mais j'y reviendrai.
Mélodie Ambiel, déjà, je la croise sur les réseaux sociaux avec un concept plutôt sympathique, les Chroniques pressées, autrement dit résumer en quelques mots son ressenti de lecture pour ensuite approfondir si le lecteur décide d'aller plus loin. Un format idéal à l'ère du scrolling, qui a largement supplanté le zapping des années 90. Je me mets donc à suivre sa page, son profil, et c'est une grande lectrice. Je découvre récemment qu'elle sort un roman, qui n'est pas son premier titre puisqu'elle s'est déjà fait remarquer avec «
la tempête des coeurs » à l'occasion du prix des tendons du style.
On connaît
Barjavel pour ses récits précurseurs de la vague de SF après guerre, et on me le résumait presque en classe à ses quelques oeuvres marquantes pour son caractère imaginaire et le reflet des inquiétudes d'une époque qui sont restées les nôtres, sans pour autant voir émerger jusqu'ici une réelle action contre les menaces tangibles du nucléaire, de la surproduction industrielle, l'exode rural. Mais ce que j'ai surtout retenu de ses livres quand j'étais adolescent, ce sont ses histoires d'amour, véritable fil conducteur pour le lecteur, qu'il tient en tension tout le long de voir ou non se retrouver celles et ceux qui s'aiment. Ses personnages féminins sont intelligentes, indépendantes, charismatiques qui sonnaient juste, jusque parfois dans leur sacrifice.
Mélodie est aussi une inconditionnelle des mythes qui ont forgé notre littérature et notre philosophie. Elle oppose deux personnages dans une dystopie ou le bonheur est devenu une marchandise, la solution à chaque problème correspond à une pilule d'une couleur donnée. J'ai forcément repensé à Soleil Vert et à la « mange-machine » d'Éléa. D'autres concepts repris dans le livre renvoient à
la Nuit des Temps, outre son titre, comme l'intelligence artificielle qui associe les couples pour leurs compatibilités statistiques. Alors ? Un pot pourri et c'est parti, ça fait un roman ? Non, on n'écrit pas un roman en clonant une histoire existante et en changeant les lieux et les noms des personnages. Encore que si, on ne fait que ça en vérité, tout a déjà été écrit si on creuse un peu, du moins tout ce qui fonctionne.
Si Mélodie se détache du lot par son style, on touche au lyrisme pratiquement à chaque phrase. le travail qui se cache derrière chaque figure de style, l'insertion en filigrane de citations à propos, tout transpire d'une intelligence artistique, d'un esthétisme mûri. L'histoire entre Nathaniel et Isallys ressemble à celle de bien d'autres couples, Tristan et Iseult, Roméo et Juliette. La plupart des histoires d'amour de littérature se terminent toutes de deux manières, soit l'un meurt, soit les deux. La construction du récit est un échange entre deux narrateurs diamétralement opposés, l'une a le regard tourné vers le passé, le papier, l'amour des livres autour duquel son noyau familial vivait en orbite, jusqu'à ce que les dominos ne se mettent à basculer et renverser l'équilibre fragile des points de dentelle sur laquelle reposait le bonheur d'Isallys.
L'autre est dans son époque, corrige de nouveaux romans – des remakes de vieux mythes en fait – pour coller davantage aux attentes des lecteurs et offrir un dénouement pour produire du pur divertissement. Autrement dit, Nathaniel et Isallys n'ont proprement rien en commun, si ce n'est un goût partagé pour les mythes antiques, qui se taillent la part belle dans les pensées et les souvenirs de la jeune femme. le troisième personnage principal, c'est Sira, l'intelligence artificielle qui assiste tous les humains, de la plus insignifiante des tâches à l'étude statistique de la possibilité pour deux personnes d'être heureux ensemble.
Ce serait gâcher votre plaisir d'aller plus loin dans les détails mais ce récit est beau, poétique, intelligemment construit, et soulève bien des questions sur notre temps, notre avenir de « connectés », la place de notre intuition et de notre ressenti dans un monde où nous sommes de plus en plus pesés mesurés sous toutes les coutures par toutes sortes de machines, à chaque instant de notre existence. S'il fallait résumer le tout à la façon de Mélodie, en quelques mots, c'est la plus belle oeuvre littéraire que j'ai lue cette année et si vous me suivez régulièrement, vous savez qu'il y a eu du haut niveau déjà.