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EAN : 9782749215389
141 pages
Erès (26/01/2012)

Note moyenne : /5 (sur 0 notes)
Résumé :
Pour tous ceux qui sentent l'emprise grandissante du discours bête et qui cherchent à comprendre comment il fonctionne pour mieux y échapper, voici un texte philosophique qui procède d'une déambulation dans la ville, comme autrefois Socrate déambulait dans la Cité, en s'arrêtant dans certains endroits sensibles et en commentant à vif certains problèmes liés aux discours qui se profèrent et aux paroles qui s'échangent. Ici, la déambulation se fait avec le lecteur qui... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Cet ouvrage dont le titre à lui seul intrigue, mérite hautement qu'on s'y intéresse de plus près. En quoi donc consisterait la bêtise contemporaine et de plus, comment pourrait-on (re)devenir intelligent ? Telle est la gageure que soutient une enseignante de psychologie sociale à Paris et à Rio de Janeiro. Ce qui nous intéresse comme psychanalyste en cette affaire, c'est que l'auteure construit son questionnement essentiellement à partir de la langue ; elle nous promène dans la ville en interrogeant la façon dont le discours courant nous imprègne, la manière dont des énoncés - qu'elle qualifie de fusionnels - nous rétrécissent, nous contraignent sans le dire, nous aspirent vers la bêtise, voire nous acheminent vers la barbarie.

Pour ce faire, l'auteure s'appuie sur un corps de connaissances bien assurées même si ce ne sont pas nos fréquentations habituelles - ce sera par exemple le théoricien du langage Mikhaïl Bakhtine ou le linguiste Benveniste- mais ce qui spécifie ce livre, c'est qu'il est d'abord et avant tout celui d'une femme qui s'énonce à partir de ce qu'elle entend et observe au quotidien : les publicités, les notices qui accompagnent les médicaments, les consignes du magasin Carrefour de son quartier ou les enseignes du métro parisien... C'est à partir de ce banal quotidien que son analyse s'organise, que sa réflexion se construit et tout le mérite de ce livre est d'arriver à partir de l'énonciation de l'auteure de produire un savoir tant sur la bêtise contemporaine que sur la manière d'y remédier. Savoir d'ailleurs auquel nous ne pouvons qu'acquiescer tant il rejoint les préoccupations qui sont les nôtres.

Prenons en l'un ou l'autre exemple. Marilia Amorim repère que dans le métro parisien, ce n'est plus une voix - celle du conducteur - qui dit "faites attention à la fermeture des portes s'il vous plaît" mais un autocollant posé sur la porte de la rame qui précise : "Au signal sonore je m'éloigne des portes".

Quoi de plus anodin et d'apparemment insignifiant que de se soumettre ainsi à un slogan écrit en toutes lettres qui, de plus, économise de la voix au conducteur de trains ! Effectivement... sauf que l'auteure y décrypte une subversion de la scène énonciative ordinaire. Nous sommes passés d'une énonciation soutenue par une voix singulière à une forme de propos qu'elle qualifie "d'énoncé fusionnel" : ce n'est plus un "je" qui parle à un "tu", c'est un nous qui enrobe un soi-disant "je" qui n'en est, en fait, pas véritablement un : "un discours fait de mots d'ordre ou de consignes qui laisse transparaître une représentation de destinataire assez imbecillisé et un désir d'effacement de la hiérarchie et de l'asymétrie qui viserait à une prétendue "démocratisation" des rapports avec les consommateurs ou les usagers".

Marila Amorim poursuit en faisant remarquer que ce modèle de fonctionnement s'est généralisé sur Internet et que la forme fusionnelle d''énonciation comme elle l'appelle, fait le lit "d'un pouvoir totalitaire non autoritaire qui contraste avec la forme de pouvoir auquel nous étions habitués et que nous avions les moyens d'identifier, pour y résister, voire y échapper : l'autorité ostentatoire du chef qui exhibe sa force et sa virulence".

Une telle vaporisation - comme aurait sans doute aimé le dire Orwell -du signifiant-maître ne peut alors qu'aboutir à un effacement de la différence des places, et est en cela conforme avec l'idéologie ambiante de prescription démocratique - plus précisément "démocratiste" avons-nous avancé dans nos écrits - sans prendre la mesure de ce que c'est ainsi qu'est abrasé la possibilité du sujet de faire objection avec l'alibi d'accomplir ce qui est qualifié aujourd'hui de gouvernance ... sans gouvernement.

"Cette fusion/confusion des places énonciatives produit une suppression de la distance/différence et de la tension entre celui qui parle et son destinataire. Avec comme effet recherché, la disparition de l'asymétrie entre les places, ce qui convient parfaitement à toute tactique cherchant à diluer la voix de l'autorité et de toute instance injonctive."

Et effectivement, c'est sans doute bien là que se situe la violence de l'attaque postmoderne contre la langue : abraser tout indice de la différence de places pour occulter que commander est toujours au programme, pour ne plus laisser entendre que le collectif prévaut toujours - et donc dispose toujours de la légitimité de l'entamer - sur le singulier. Autrement dit encore, comment faire du collectif en laissant l'illusion de croire que ce dernier pourrait n'être que la collectivisation de tous les singuliers ? C'est là que comme le répète Marilia Amorim, la ruse s'impose. Ainsi en est-il du management qui commande bel et bien toujours, mais en escamotant qu'il commande, de telle sorte que se trouve aussitôt dissuadée l'opposition qui pourrait lui être faite.

Le prix à payer sera pourtant fort : "la bêtise qu'apportent ces transformations consiste en la perte d'un savoir que l'on désigne généralement par savoir narratif. Or ce savoir est précisément ce qui fait la spécificité du système symbolique de l'humanité comparé aux codes de signaux que l'on retrouve chez les animaux qui sont eux aussi capables de communiquer. Et l'auteure ajoute quelques pages plus loin : Eh oui, cher lecteur, vous avez tout compris : l'être humain est un être de récit. enlevez-l ui la possibilité de raconter des histoires et il ne sera plus humain."

Se soutenant alors du concept d'objet culturel ou objet parlant, Marilia Amorim poursuit son analyse toujours en déambulant dans la Cité : car effectivement, l'objet qu'elle identifie à l'oeuvre n'est pas l'objet comme tel, c'est un objet porteur de mémoire, toujours déjà pris dans un récit, qui s'inscrit dans une mémoire discursive. Et c'est sa charge d'objet toujours déjà saisi dans la culture qui fait qu'il ne peut jamais être considéré comme relevant seulement de la communication. A contrario dira encore l'auteure : "la parole qui rend intelligent est celle qui transmet de la culture"
.
Suivront encore de nombreux détours à chaque fois plus explicites sur les enjeux de la bêtise et de son antidote : les exposés avec Powerpoint, la présence saturante de la télévision, l'émergence d'un système sans sujet, les ravages de l'efficacité, la lecture comme condition du livre, le statut de la parole au journal télévisé, la péremption du discours critique...

Ce livre sur ce que parler implique nous mène en fait beaucoup plus loin car il contribue à sa façon de nous éclairer sur les impasses de la langue propres à notre temps. Et c'est la ruse intelligente de l'auteur que de le faire sur le mode de la soi-disant légèreté, en nous prenant par la main pour nous inviter à voir ce que nous voyons quotidiennement sans le voir, sans autre prétention que de nous dessiller les yeux, que de nous permettre d'un peu moins déconner. Mais laissons Marilia Amorim conclure : "Lacan n'a-t-il pas raison quand il écrit dé-connaît ? Parce que, quand quelqu'un déconne, c'est qu'il a cessé de connaître. La question qu'il faut alors poser est la suivante : que déconnaît-il ? Eh bien disons qu'à ma façon, j'ai essayé de trouver dans ce petit livre des éléments de réponse à la question suivante : que nous fait dé-connaître la parole qui rend bête ?"

Jean-Pierre Lebrun
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critiques presse (1)
Lhumanite
30 janvier 2012
« Ce n’est pas parce que je suis paranoïaque que je n’ai pas raison. » Forte de cette devise, Marilia Amorim nous promène à partir de là dans les aventures modernes du je, du tu, du il, du nous, et de leur déstructuration en divers domaines de la vie.
Lire la critique sur le site : Lhumanite
Citations et extraits (3) Ajouter une citation
Lacan n'a-t-il pas raison quand il écrit "dé-connaît" ? Parce que, quand quelqu'un déconne, c'est qu'il a cessé de connaître. La question qu'il faut alors poser est la suivante : que déconnaît-il ? Eh bien disons qu'à ma façon, j'ai essayé de trouver dans ce petit livre des éléments de réponse à la question suivante : que nous fait dé-connaître la parole qui rend bête ?
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La bêtise qu'apportent ces transformations consiste en la perte d'un savoir que l'on désigne généralement par savoir narratif. Or ce savoir est précisément ce qui fait la spécificité du système symbolique de l'humanité comparé aux codes de signaux que l'on retrouve chez les animaux qui sont eux aussi capables de communiquer.
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Eh oui, cher lecteur, vous avez tout compris : l'être humain est un être de récit. enlevez-lui la possibilité de raconter des histoires et il ne sera plus humain.
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