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Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Tout d'abord, un grand merci aux éditions Presses de la Cité et à Babélio sans qui je n'aurais certainement pas découvert Jean Anglade… Anglade : le nom ne m'est pas inconnu, mais le prénom ? Jean ? Jean-Hugues ? Rien à voit, bien entendu…
Quoiqu'il en soit, c'est avec regret que je referme ce magnifique roman, "Le tour du doigt". Un roman à plusieurs niveaux de lecture :
Tout d'abord, l'histoire auvergnate de Jules Vendange, un fils de carrier que son aversion pour le fromage (un comble, voire un crime pour un auvergnat) prive de la possibilité de devenir agriculteur ; et sa faible constitution de la possibilité de suivre les traces du père…Il sera instituteur.
Ensuite, vu la période concernée, juste avant la Grande Guerre, un témoignage de la vie des poilus dans les tranchées d'où il sortira unijambiste, ainsi qu'un témoignage sur la dure réinsertion dans la vie civile des « Gueules Cassées ».
Enfin, et peut-être surtout, un témoignage sur la formation des enseignants de l'époque et sur l'enseignement tel qu'il était donné entre les deux guerres.
Tout cela porté par un style fluide et efficace qui n'est pas sans me rappeler Genevoix…ou Bazin… ou Bernard Clavel. Bref, une plume qui sent l'humus… Remarquable.
Une très bonne idée des éditions Presses de la Cité que cette réédition (première parution dans les années 70) à l'occasion du centième anniversaire de l'auteur. Je cours acheter son dernier opus : « le grand dérangement » qui vient tout juste de sortir.

Voilà !
C'est fait !
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Je remercie les éditions Presse de la Cité et Babélio pour ce partenariat et ce roman qui m'ont permis de découvrir un auteur que je ne connaissais pas, un roman qui, par certains épisodes n'est pas si loin d'une sorte d' autobiographie de l'auteur qui s'est certainement beaucoup inspiré de son propre parcours si on ne tient compte des années de décalage dans le temps : mort de son père dans la somme alors que Jean Anglade avait un an, cours complémentaire, école normale…un parcours riche au coeur de son Auvergne natale, ce qui en fait un également un roman de terroir très intéressant. Jules Vendange, qui n'aime pas le fromage, de faible constitution, devra envisager un avenir différent de celui de son entourage : il ne peut pas être fermier et encore moins carrier comme son père. Il décide de devenir instituteur. Ainsi commence son parcours avec le cours complémentaire puis l'école normale, études interrompues en raison de sa mobilisation et de son départ pour le front. Après cette « grande guerre » il reprend ses études et après bien des péripéties, il débute comme instituteur, avec son passé, ses attentes, ses questions, ses projets, sa jambe laissée sur le chemin des dames… Un histoire passionnante avec des épisodes que j'ai vraiment appréciés, la partie enseignement dans une classe unique qui me rappelle sans cesse aujourd'hui , on nous demande de différencier l'enseignement, ce qui n'est pas toujours simple, et qu'à l'époque on le faisait naturellement mais ça on pourrait en parler pendant des heures, des parents qui faisaient confiance à l'enseignant … les chapitres dédiés à la guerre dans lesquels L'auteur transmet parfaitement l'horreur de ce front sur lequel on a envoyé de la chair à canons, la fin, pleine de nostalgie d'une vie d' homme qui attend avec philosophie que la pendule s'arrête, très belle fin au cours de laquelle, Jean Anglade parvient à merveille à faire partager ce qu'il ressent au crépuscule de sa vie.
Lien : http://1001ptitgateau.blogsp..
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"Le tour du doigt" est un roman de 395 pages de Jean-Anglade, auteur auvergnat renommé et prolifique dont j'avais déjà lu et apprécié "La-soupe à la fourchette". Dans "Le-tour-du-doigt", l'auteur nous conte l'histoire de Jules Vendange, personnage imaginaire. Issu d'un milieu paysan, Jules pouvait vendre du fromage, travailler aux champs, être artisan, curé ou instituteur. Il choisira l'enseignement : il sait qu'il doit réussir le concours d'entrée à l'École normale et décrocher son Brevet Supérieur. Ayant fait son service militaire (3 ans), Jules entre péniblement à l'École normale (25ème et dernier) et en suit les cours jusqu'à ce que la Grande Guerre éclate. Mobilisé en juillet 1916 au 121° RI à Montluçon, Jules est envoyé au front. le 4 juillet 1917, blessé à Craonne par une grenade à manche, Jules est amputé : dorénavant, il aura une jambe de bois. Qu'à cela ne tienne : il reprend ses cours à l'École normale, échoue au Brevet Supérieur et est nommé par l'Académie comme instit' d'une classe unique pour un petit hameau sis à quinze kilomètres de Thiers, sous-préfecture de l'Allier. Il y restera jusqu'à ce qu'il atteigne 58 ans, âge de départ à la retraite, après avoir connu déceptions et joies. Ce livre est l'histoire de sa vie. "Le tour du doigt" constitue pour Jean Anglade un prétexte à plusieurs analyses : celle de la guerre, celle de la formation des maitres, celle de l'enseignement donné aux enfants et celle de la vie. Sur un ton simple, et usant quand il le faut d'expressions populaires de l'époque, l'auteur met en évidence certaines vérités criantes. Il ne dénonce pas : il donne à lire et à réfléchir sur la base d'éléments tirés de sa propre expérience. le trait n'en est pour autant pas moins acide et percutant !

Concernant la guerre, Jean Anglade ne fait pas les choses à moitié : « les généraux y lancent à pleines mains leurs régiments ainsi que des confettis sur le carnaval » (page 132) ; La guerre ? Un hachoir géant : on peut y débiter 200 000 bêtes par mois ». C'est que la guerre, il l'a vue de près (cf. plus haut) et ça n'était pas du joli joli, pour lui comme pour les autres : « des Sénégalais avec des gelures multiples ne pouvant monter à l'assaut qu'en criant faute de pouvoir tirer. Avec leurs mains pleines de pansements, c'était comme vouloir coudre avec des gants de boxe » (page 153). Planeurs allemands en observation, gaz moutarde ou au chlore, lance-flammes, baïonnettes semblables au rostre du poisson scie, crapouillots, hurlements, infirmiers rouges du sang des blessés qu'on ampute à la hâte, rats déchiquetant les charognes encore chaudes, puanteur, rationnement, explosions assourdissantes. Les gradés ? Des « buveurs de sang » (page 167) qui commandent par téléphone : « Attaquez ! Attaquez ! Quel qu'en soit le prix » et qui vont ensuite se mettre les pieds sous la table : « Baptiste ! A table ! Et servez chaud ! » Dans ce contexte, certains refusent d'obéir, désertent, se rebellent : ils seront exécutés par des français.

Concernant la formation des maitres, Jules Vendange et ses pairs étaient pris en mains par « de braves gens sans éclat mais sans reproche, qui faisaient ce qu'ils pouvaient pour nous décrouter » (page 79). le français repoussait le patois auvergnat dans ses retranchements. L'enseignement était solide : les punitions n'étaient pas rares (on vous donnait à recopier plusieurs dizaines de fois la même phrase), on apprenait la discipline et la morale, on ne prenait la parole que si on y était autorisé par le maître, lequel pouvait frapper les élèves (gifle, coup de baguette de coudrier) en cas de nécessité, avec la bénédiction des parents. Les maitres ne pensaient pas exclusivement à l'épanouissement de l'enfant : avant l'arbre, il y a le plant qui est d'abord une graine qu'on sème et qu'on entretient. Chaque chose en son temps ! Alors la méthode globale, la course aux programmes qui n'ont plus grand-chose à voir avec la vie, l'indiscipline généralisée, le respect des consignes syndicales avant toute démarche pédagogique ? A dégager ! O tempora, o mores !

Concernant la vie, elle irrigue tout l'ouvrage avec des personnages hauts en couleurs : Mrs Berlieux, Pamaret dit le Zig (ma citation), Gagneraud (ah, sa jolie femme : « elle me trouble » page 106), et tant d'autres dont Mrs Gatignol, Pinaud et Rossignol. La description de la vie rudimentaire de cette époque est quasi-cinématographique : un monde à 90 % rural, des échoppes d'artisans le long des rues municipales, des métiers et des jeux aujourd'hui disparus, une espérance de vie plutôt courte, le cinéma avec son jongleur à l'entracte et le triangle symbolique (église-école-cimetière). Jules Vendange traverse le cours de cette histoire, avec Vendredi, son chien, Automne, sa jolie Antillaise et son fils, Raoul. Vieillissant, il se retourne sur son passé et nous raconte ses souvenirs, une vie qui a filé à toute vitesse, à la même vitesse que celle qu'il faut pour faire le tour d'un doigt. Superbe mais raconté avec simplicité et authenticité : je mets 4 étoiles. Merci à Babelio et aux Presses de la Cité pour cette découverte.


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Jules Vendange, Auvergnat qui n'aime pas le fromage, ce qui constitue une honte pour sa famille et un déshonneur pour l'Auvergne, hésite entre devenir instituteur ou curé, ne pouvant être paysan. Il choisira le métier d'instituteur.

Mais avant cela, il y a la guerre infâme ; l'horreur des tranchées, les batailles imbéciles menées par des généraux incompétents et insouciants du sort de leurs troupes. C'est la plongée d'une jeunesse pleine d'espoir et de rêves de gloire dans l'enfer de la guerre.

De retour à l'École normale de Clermont-Ferrand , il lui est bien difficile à lui et à ses camardes de subir l'autorité des professeurs. Personne ne peut comprendre leur révolte, leur haine de la guerre, leur dégoût pour les armes. On ne leur fait pas de cadeaux à ces hommes qui se sont sacrifiés pour la patrie.

Ce roman est aussi un portrait de la France d'après-guerre, tout particulièrement l'Auvergne, qui panse ses plaies. le monde paysan et le monde de l'enseignement ont bien évolué !
L'autorité du maître était incontestée, il en profitait parfois en se conduisant en despote. L'épanouissement de l'enfant n'était pas la priorité. Éducation stricte, avec récompenses et sanctions. Ils vivaient dans un monde plus rude que le nôtre. On ne peut pas juger. Autres temps, autres moeurs. L'autorité du maître se substituait parfois à celle du père qui était mort à la guerre. Et, ce maître revenu miraculeusement de la guerre, avait bien du mal à se faire une place, à revenir à la vie normale.

Comme disait la grand-mère de Jules Vendange :
« Il ne faut pas plus de temps pour arriver du premier au dernier de nos jours que pour faire le tour du doigt. »
Et voilà Jules vendange presque arrivé à la fin de ce tour avec sa mémoire faite de plus d'oubli que de souvenirs. Laissant place à la jeune génération :
« À chaque génération, les jeunes ont toujours inventé la liberté, la fraternité, la contestation. »

Merci à la masse critique de Babelio et aux Éditions "Presses de la Cité" pour ce livre.



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Jean Anglade a cent ans !
Bien sûr cela devient moins rare, mais cent ans et cette forme, même s'il est en maison de retraite, c'est remarquable. Il continue d'écrire et vient de publier un nouveau roman.(Le grand dérangement). Cela met environ cent livres à son actif !
En parallèle, les éditions « Presses de la cité » rééditent un roman paru en 1977 et que je ne connaissais pas, malgré le nombre de ses livres que j'ai lus.

Jules Vendange, jeune auvergnat bien implanté dans un terroir très marqué n'aime pas le fromaage ! Sacrilège dans ce monde où l'on ne plaisante pas avec les traditions et les usages. Cela le conduira à devenir instituteur. Mais la première guerre mondiale va passer par là, et il y laissera outre bien des illusions, une jambe.
Le retour à la vie civile est compliqué d'autant plus qu'il lui faut repasser avec ses collègues par l'école normale pour terminer sa formation. Or l'administration n'est pas très compréhensive avec ces hommes cassés, meurtris qui ne sont pas près à accepter les décisions des « planqués ».
Cela les poussera à une sorte de révolte et ils le paieront de leur évolution de carriére.
Jules est donc muté dans un village perdu, avec une classe unique qu'il va s'employer avec toute son énergie à faire progresser, prenant chaque élève comme un individu unique.

Quel est le héros de ce livre ?
Le métier d'instituteur, la guerre est ses conséquences ou l'antimilitarisme ?
C'est en tout cas un vrai plaidoyer pour une éducation traditionnelle aussi bien familliale que scolaire. C'est d'ailleurs souvent le cas dans les romans de terroir traitant en plus de l'école.

Ce livre est un véritable livre d'histoire qui permet de passer en revue les évènements terribles du début du XXème siècle, décrits du point de vue des acteurs, qu'ils soient pauvres soldats, simples ruraux ou instituteurs, tous face à une écrasanrte machine qu'est le monde qui évolue autour d'eux.

C'est comme toujours avec Jean Anglade, un joli moment de lecture, très agréable et qui nous apporte à chaque fois quelques réflexions intéressantes.
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"Il ne faut pas plus de temps pour arriver du premier au dernier de nos jours, que pour faire le tour du doigt" (p208)
Voilà donc d'où vient ce titre énigmatique...
En sachant que Jean Anglade vient de fêter son centenaire en mars je pense que cette phrase ne le concerne pas vraiment.
Il y avait longtemps que je n'avais pas lu un livre de cet auteur, longtemps également que j'ai abandonné les romans dits du terroir. Il y a des passions qui s'émoussent.
Dans ce roman l'auteur nous fait vivre une bonne moitié du 20 e siècle à la suite de ce Jules Vendange, personnage attachant et plutôt sympathique. C'est l'histoire de son enfance à l'école normale, d'où il sortira très vite pour aller enseigner - on est en 1914 - puis la guerre et les tranchées avec son lot d'horreur qui amènent des réflexions pertinentes. Ensuite on retrouve les quelques survivants à nouveau "étudiants " Quelle époque où le parapluie faisait partie du trousseau obligatoire !! Où l'on doit sortir en costume...
Se retrouver "infantilisé" après avoir vécu le pire ce n'est pas supportable. Les futurs hussards noirs de la république feront preuves de pas mal d'impertinence...
Ainsi va la vie de Jules Vendange au fil des pages et des ans. Avec de l'humour, de la tendresse et des détails nombreux qui donnent une certaine longueur à cette histoire et quelques soupirs d'ennuis.
Une incursion dans une autre vie....Pas si lointaine mais tellement différente. Belle réflexion sur la guerre, l'auteur est un touche à tout. il connait bien son sujet visiblement et son écriture est élégante. Après qu'il regrette l'époque où les enseignants dressaient les gamins à coup de badines et de taloches...Ce n'est pas seulement être de la vieille école comme il le dit.
Un roman intéressant, qui trouvera son public à la bibliothèque très certainement. Jean Anglade est toujours très lu.
Jolie couverture qui m' a donnée envie de découvrir ce livre.

Merci à Babélio et son masse critique pour cet envoi.






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Fils d'un pauvre carrier, Jules Vendange est une jeune auvergnat affublé d'une particularité gênante : il déteste le fromage. A défaut d'être paysan, il sera donc maître d'école. Il n'en a pas fini avec l'école normale que déjà sonnent les clairons de la première guerre mondiale. Grièvement blessé et amputé d'une jambe au Chemin des Dames, il reprend ses études et rate le brevet supérieur, le béhesse comme il dit. Il n'en est pas moins affecté dans l'école à classe unique d'un tout petit village de montagne...
En quatre cent pages rééditées en l'honneur du centenaire du prolifique patriarche de la littérature dite de terroir, « Le tour du doigt » nous déroule toute la vie d'un personnage qui ressemble beaucoup à celle de l'auteur mais avec un décalage d'une vingtaine d'années. le lecteur y découvrira combien la vie d'enseignant de base pouvait tout à la fois être différente et combien plus difficile que maintenant tout en n'étant pas si éloignée que cela, ne serait-ce que par les joies et les peines de ce métier si beau et si difficile. Les personnages sont pratiquement tous de petites gens, honnêtes, courageux et touchants avec un cas à part, celui d'Automne, la belle quarteronne antillaise, dont Jules est tombé amoureux et qui semble ne pas daigner répondre à son attente. Inutile de rappeler les immenses qualités narratives de Jean Anglade. Un destin, une vie simple d'honnête homme. Un très beau texte.
Lien : http://lemammouthmatue.skyne..
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On prête longue vie à Jean Anglade pour nous servir encore de beaux textes comme celui-là. Il ne ravira certes pas les chantres de la modernité, les ultra connectés, mais il comporte tellement de belles vérités. Quand aujourd'hui notre quotidien baigne dans le surfait, le factice et le virtuel, il évoque une période du siècle dernier au cours de laquelle la modernité n'étouffait pas encore l'humanité des êtres. Alors que nous voici parvenus au curieux temps de ce début de 21ème siècle où le bonheur est fondé sur le pouvoir d'achat.
Jules Vendange, narrateur-acteur d'une vie d'instituteur, se souvient de ces temps anciens qui l'ont vu débuter dans son métier en Auvergne, au lendemain de la séparation de l'Eglise et de l'Etat. C'est un récit dévoré par la nostalgie que nous délivre Jean Anglade. de chapitre en chapitre, il ne cache pas son regret de voire dissoutes à jamais certaines valeurs, comme le respect de l'instituteur - devenu par la démagogie des temps modernes professeur des écoles - l'amour de la patrie, et autres "bons principes" que les hussards noirs de la République, dévoués corps et âme à leur métier, inculquaient à leurs élèves. Y compris avec l'aide pédagogique de la badine.
Regrettant le mépris affiché désormais pour toute règle, le rejet de toute autorité, alors que la provocation est devenue la norme, cet auteur inspiré par l'amour de sa terre, évoquant sa prime jeunesse, ne se dissimule même plus derrière son personnage pour déclarer qu'en "ce temps-là les pères étaient des pères, les fils étaient des fils, ils ne s'étonnaient pas de recevoir des coups de pied au derrière jusqu'au jour de leur mariage. Parfois au-delà. Cela n'empêchait ni l'amour, ni le respect. Au contraire."
Car à trop vouloir préserver la dignité humaine, notre société moderne est finalement tombée dans la négation de la personne. La soif de justice a été dévoyée par l'humanisme mercantile des médias souverains, au point qu'elle déresponsabilise l'individu. Elle est en quête de solvabilité, c'est bien plus avantageux. Liberté se confond avec permissivité. Tout se monnaie quand la morale est bannie du vocabulaire, même la vie humaine.
Ces travers méprisables suscitent le sentiment dominant de cet ouvrage : la nostalgie. On reçoit ce texte comme certainement le plus autobiographique de cet auteur régional, discret mais prolifique et talentueux.
La nostalgie, cet état de mélancolie qui vous porte à croire que la vie était mieux par le passé. Pourtant, où faut-il trouver le mieux dans l'histoire de ce modeste fils d'ouvrier, précipité dans le métier à 17 ans, que le devoir envers la patrie a trop jeune envoyé se faire broyer sous la canonnade de la grande guerre. Loin de son village natal, de son rêve d'un monde apaisé.
Il en reviendra au trois quarts, comme il se plaît à dire. Certes rescapé mais mutilé, amputé d'une jambe. Quelques kilos de lui-même laissés dans les tranchées glauques de Craonne en 1917. de retour sur les bancs de l'école normale, avec ses camarades de promotion ils font le décompte macabre de ceux trop nombreux qui ne sont pas revenus de l'horreur des champs de bataille. Scène surréaliste de nos jours, quand nos médias nous émeuvent des déboires d'une victime larmoyante d'avoir perdue ses biens, que nos gouvernants décernent la légion d'honneur à des virtuoses du ballon rond.
Dans ces pages, il n'est jamais question de lamentation, de jérémiade. Autres temps, autres moeurs, autres valeurs, alors que tout le monde se plaint de tout aujourd'hui. Pour qui a connu pareille évolution, pareille mutation en si peu de temps, c'est le grand écart intellectuel et affectif. Inconcevable pour le coeur d'un seul homme, en une seule vie.
Alors pourquoi cette propension de l'homme à regretter le passé, même lorsqu'il a été aussi rude. Assurément parce que ces temps douloureux coïncident aussi avec une période bénie, celle de la jeunesse. La période où le corps n'est pas encore un frein à l'esprit. Mais sûrement aussi parce que de ce passé il en connaît le lendemain. Car ce que craint l'esprit par-dessus tout, c'est l'inconnu du lendemain. N'est-il pas aussi celui qui rapproche de la mort.
Et pourtant ce personnage, Jules Vendange, au sortir de la der des der, désormais révulsé par le son du clairon du concierge qui règle encore la vie à l'école des maîtres, n'en a pas fini avec les guerres. Il se remémore sa fraternisation avec un prisonnier de guerre allemand, retenu dans l'attente des conclusions de l'armistice. Lorsque ce dernier lui montre la photo de ses enfants, il ne peut s'empêcher de penser que ce sont ceux-là même qui sont revenus en 1939, venger la honte de la reddition de Rethondes. Aussi ne peut-il que s'interroger : "Que fallait-il faire ? Au lieu de lui verser du vin, devions-nous lui faire boire du vitriol ? Et aller tuer les Kinder en Allemagne tant qu'ils étaient petits ?"
Voilà un fort beau roman ancré de plain-pied dans la France profonde, cette terre d'Auvergne chère à son auteur, dans ses traditions. Ancré dans la vérité des êtres, la sagesse des anciens, durs à la peine. On y respire les senteurs porteuses de souvenirs : l'encre, la craie et même quand "la maison sent la bouse, l'oignon sec, la pomme et le coing". Plus que tout autre sens, l'odorat est le plus évocateur, le plus fidèle porteur de mémoire. L'auteur en joue. On l'imagine fermer les yeux en couchant ses mots sur le papier en quête des effluves qui le transporteront au temps béni de cette époque glorifiée. Et néanmoins si difficile.
Mais rien de beau ne se conçoit dans la facilité et le confort. Tout est là. Tout est dit.
Et bien sûr dans cet ouvrage, il est question d'amour. D'amour pudique forcément. D'amour d'un maître pour ceux qui viennent s'éveiller au monde sous son autorité mal assurée. D'amour timide de ce jeune mutilé qui se sent bien amoindri pour séduire une jeune femme. D'amour et de fidélité. Car en ces temps bénis cela allait de pair.
La nostalgie sera-t-elle la même quand elle n'aura plus de valeur auxquelles faire référence ? La nostalgie sera-t-elle la même quand l'objet du désir est devenu bien matériel ? Un objet justement ?
Un fort beau texte, très émouvant, que je relirai pour m'assurer de bien percevoir tout le ressenti de cet homme vrai. Et respirer encore les arômes du terroir.
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Ce livre constitue ma première lecture participative à "masse critique" de Babelio. Je remercie Babelio et les éditions Presses de la Cité de la confiance accordée.

LE TOUR DU DOIGT

Je me suis régalée avec la lecture de ce livre de Jean Anglade, le "Pagnol auvergnat", auteur que je n'avais jamais lu. C'est un tort impardonnable car Jean Anglade est très prolifique avec plus de cent publications. Aussi parce qu' il nous livre une littérature de terroir, un véritable témoignage sur l'Auvergne et ses gens. Son style est clair, foisonnant d'anecdotes et riche en personnages campés avec excellence.

Jean Anglade écrit un roman sur Jules Vendange ( quel nom évocateur !), un enfant de l'Auvergne profonde (près de Thiers) qui sera admis à l'École normale d'instituteurs de Clermont Ferrand en 1913. Avec l'éclatement de la guerre 14-18 et à l'âge de 17 ans, Vendange sera propulsé instituteur remplaçant dans un petit village avec une classe de 48 élèves dont certains ont son âge.
Deux ans plus tard, en 1916, Jean Vendange est appelé sous les drapeaux et devra partir se battre du côté du Chemin des Dames où il perdra une jambe ainsi que beaucoup de connaissances du pays.
Lorsqu'il est démobilisé, il reprend ses études, mais rate son "béhesse"(Brevet Supérieur), probablement par vengeance car il s'était livré avec quelques camarades à quelques manifestations contre l'abus de pouvoir de la part du Rectorat.
Ainsi, l'instit Vendange démuni du titre qui donne droit aux promotions et autres largesses de l'administration, fera une carrière , connaîtra l'amour, formera une famille et découvrira sur le tard son don de rebouteux.
Une vie bien remplie dans un cadre montagneux, bien rude pour un unijambiste .

Ce roman est plein de mansuétude, plein de renseignements sur la période 14-18 en milieu rural, par moments plein de poésie et de cocasserie.
Une très bonne lecture.
Lien : https://pasiondelalectura.wo..
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Il aura fallu l'opération « Masse critique » pour que je découvre cet auteur discret et prolifique ! Jean Anglade est un écrivain auvergnat encore surnommé le Pagnol auvergnat. Après avoir lu ce roman, je comprends pourquoi…
le tour du doigt, expression imagée, indique combien une vie même bien remplie passe à une vitesse désespérément rapide : juste le temps de faire le tour d'un doigt...
Il s'agit ici de la vie de Jules Vendange, enfant issu d'une modeste famille paysanne qui voit dans l'accès à l'Ecole normale une solution pour s'élever dans la société et éviter ainsi de devenir un mangeur de fromage, chose illégitime pour un auvergnat de pure souche, mais qu'il déteste par-dessus tout !
La grande guerre le voit partir sur le front où il perdra une jambe et nombre de ses amis. Revenu vivant sur les bancs de l'école normale, il manifestera avec ses camarades sa réprobation devant le peu de considération dont l'administration et les professeurs font preuve à l'égard de ces anciens combattants mutilés dans leur chair et dans leur âme.
Il finit par être nommé instituteur stagiaire dans une petite commune où il passera le CAP d'instituteur et fera la connaissance d'une jeune femme d'origine antillaise, Automne, veuve de guerre à laquelle il fera la cour sans relâche jusqu'à obtenir sa main…
Jules Vendange est décrit comme un homme d'une grande humanité. Son passé de mutilé de la grande guerre lui pèse, tout comme sa jambe de bois arrivée si tôt dans sa vie. Sa passion pour son métier, cet amour pour les enfants dont il a la charge, ses difficultés à trouver l'amour de sa vie, ses doutes perpétuels et ses faiblesses font de lui un personnage d'une troublante et précise consistance qui m'a fait parfois venir la larme à l'oeil.
Sans pathos excessif, Jean Anglade décrit le héros avec la précision d'un roman autobiographique. Ayant été lui-même instituteur, et l'ayant été moi-même, ses descriptions d'une vie de classe et du quotidien pédagogique sont d'un réalisme parfait. Certes, l'époque permettait certaines méthodes aujourd'hui strictement interdites telles les punitions corporelles, mais l'essentiel est ailleurs, dans cette justesse de ton qui rend la lecture passionnante et chargée d'émotion. Les enfants, les parents, les collègues, les amis sont tous porteurs d'une époque révolue, dure mais joyeuse et construite sur les valeurs sûres et communes.
Il n'est pas question de nostalgie à bon compte. C'est un peu une page d'histoire que Jean Anglade a écrite, une histoire auvergnate qui va bien au-delà des frontières de l'Auvergne et restera comme un beau témoignage d'une époque dont la simplicité même participe à forger le destin d'une humanité en perpétuelle recherche de ses racines.
Je remercie vivement Babelio et les Presses de la Cité pour m'avoir permis de lire ce très beau livre et de participer modestement au centenaire d'un romancier majeur dans le paysage francophone qu'on surnomme le Patriarche des Lettres Auvergnates.

Michelangelo 2015

Lien : http://jaimelireetecrire.ove..
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