"Battement de tambour, clics, grincement,
Le tonnerre des canons, le piétinement, le hennissement, le gémissement,
Et la mort et l'enfer de tous côtés."
(A. S. Pouchkine, "Poltava")
Un auteur russe. Victor Petrovitch Astafiev : "Пастух и пастушка" ;
Berger et bergère", sous-titré très ironiquement "Pastorale moderne".
L'auteur a mis quatre ans pour écrire ce menu livret, et l'avait encore plusieurs fois retravaillé après sa première parution. A sa sortie, les critiques littéraires étaient choqués. Astafiev était connu avant tout pour ses contes, aventures et descriptions réalistes de la rude vie sibérienne, et le voilà qui publie une histoire avec une thématique de guerre ! C'était en 1971.
En découvrant les premières scènes de la bataille anonyme, le lecteur pense immédiatement que l'auteur a dû être un "frontovnik", qui a contemplé de près toutes ces images sanglantes, et qui connait intimement tout ce qu'il est en train de décrire. Mais la Pastorale ne sont pas que des descriptions naturalistes de la guerre ; le langage unique de l'auteur (qui va probablement se perdre dans la traduction, si un jour quelqu'un se donne cette peine) la transforme en quelque chose de plus. Allitérations, assonances et répétitions donnent une troublante illusion des bruits de la bataille, du déferlement des chars et du sifflement des katiouchas. D'autant plus grand est le soulagement quand on arrive aux passages lyriques et contemplatifs de la campagne russe, ou aux souvenirs du beau ballet pastoral au Bolchoï, que Boris aime raconter à Lusya. Astafiev ne fait pas la différence entre les Russes et les Allemands, pour lui la guerre représente la souffrance, le chaos et la mort qui fauche des milliers de gens innocents de chaque côté.
On suit le destin de Boris Kostyaev, un commandant de peloton d'à peine vingt ans. Une banale histoire d'un soldat qui s'arrête dans un village paumé, tombe amoureux d'une fille, mais doit partir ; puis meurt d'une petite blessure quelque part au milieu de la Russie, où il n'y a même pas de cimetière.
La pastorale d'Astafiev, ce ne sont pas les images poudrées roses et vertes des tableaux de Poussin, où les jeunes et beaux bergers arcadiens côtoient les nymphes et les joyeux satyres de Pan :
"Derrière l'étuve étaient étendus un vieil homme et une vieille femme, morts tous les deux. Ils s'étaient précipités de la maison vers la fosse qui a déjà dû les sauver plus d'une fois, et où ils étaient habitués de passer le temps, car la femme a pris un panier de nourriture et une pelote de grossière laine colorée, filée à la maison. Ils y étaient allongés, se cachant l'un l'autre. On a appris des villageois qu'ils étaient venus de la région de la Volga, lors des "années affamées". Ils faisaient paître des troupeaux du kolkhoze.
Berger et bergère."*
L'idylle de la pastorale traditionnelle prend un goût amer, avec l'adjectif "moderne". Les gens simples sont tués, détruits, et leur amour avec eux. D'ailleurs, ce n'est pas sa blessure physique qui va tuer Boris ; elle est dérisoire. C'est le découragement, le désespoir, la tristesse et son amour impossible pour Lusya.
Le berger et la bergère morts sont l'un des plus forts symboles de l'absurdité de la guerre que je n'ai jamais rencontrés en littérature. 5/5
(*traduction approximative)