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sur 4707 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Je m'inscris en faux contre l'opinion assez courante qui veut que les gens coincés dans un salon austenien entre une assiette de scones, une table de whist et une théière en argent s'ennuyaient à périr.

Au contraire... Leur mutuel intérêt étant d'occuper les heures de conversations et les mondanités, ces "coincés de salon" étaient bien plus à même que nous de développer une analyse très fine de la nature humaine, une observation aiguë de leurs concitoyens et un sens de la psychologie frôlant l'expertise. Jane Austen elle-même, tout comme certaines de ses héroïnes - Elinor, Elizabeth, Anne - était une femme de tête qui savait à la fois raisonner et exprimer ses sentiments.

Je ne vénérerai jamais assez la liberté de ton, l'humour, la finesse et la tournure d'esprit, l'ironie, l'objectivité et le jugement de Jane Austen qui, bien qu'étant née femme en 1775, a su brosser de tels portraits d'hommes et de femmes, tenant compte de leur psychologie, de leur tempérament, de leur condition sociale, de leurs aspirations personnelles, de leurs sentiments et par dessus tout cela de la complexité de l'âme humaine pour nous offrir ces concentrés d'émotion et de pénétration que sont ses malheureusement-trop-peu-nombreux romans.

"Sense and sensibility" est un diamant, tout simplement.
Plus cérébrale que "Pride and Prejudice", cette oeuvre se caractérise pourtant elle aussi par les parcours croisés de deux soeurs et si Elinor et Marianne sont moins intimes et soudées qu'Elizabeth et Jane, cela n'a pour effet que de renforcer encore davantage l'aspect dramatique du récit. Jane Austen réussit la prouesse de tisser une trame qui tient compte des particularités et des comportements de très nombreux personnages ayant leurs propres codes de conduite issus de leur position sociale et de leur éducation tout comme leur propre personnalité et leurs propres défauts et qualités. Alors que chez d'autres auteurs, une telle densité et de telles particularismes mèneraient au désordre et à la dispersion, miss Austen, elle, parvient à en faire un puzzle harmonieux, structuré et spirituel quoique définitivement poétique et exaltant.

Je ne dirai rien ici de l'histoire, je me contenterai seulement de louer une fois de plus l'écriture inimitable d'un auteur que j'encourage tout lecteur à découvrir au moins une fois dans sa vie. Cependant, pour celles et ceux qui, résolument, prendraient peur devant une littérature classique, je les encourage alors à visionner la superbe adaptation qu'Emma Thompson a réalisée pour le film d'Ang Lee en 1995 que je tiens à ce jour pour l'adaptation la plus soignée, précise, esthétique et fidèle de tout ce que le cinéma et la télévision ont pu produire dans la catégorie "austeneries".
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Cette fois encore le titre contient deux termes antinomiques. L'un s'applique à la fille ainée de la famille Dashwood, Élinor, le second à la cadette Marianne. La benjamine Margaret encore trop jeune pour être concernée par le mariage apparaît peu. le testament d'un oncle ayant favorisé l'enfant né d'un premier mariage, Mrs Dashwood et ses trois filles doivent quitter leur propriété à la mort du père. La façon dont leur demi-frère déjà riche, se convainc sous l'influence de sa femme, qu'il ne peut rien faire pour elles, est déjà un régal. Et l'on sait qu'on va retrouver l'esprit caustique de l'auteur. Installées dans un cottage dans un autre comté, les deux soeurs vont bien sûr vivre des émois amoureux, mais sur des modes différents ainsi que le suggère le titre.
Miss Jane Austen semble décidément douée pour créer des caractères, et singulièrement des caractères ridicules. Comme dans Orgueil et préjugés avec Mrs Bennet, Mr Collins et lady Catherine, nous avons ici quelques portraits de personnes stupides et impolies. A se demander où elle prenait ses modèles. Celui de sir John « Homme bénévole et philanthropique ! Il lui était pénible de garder pour lui seul, même un cousin au troisième degré. », de sa belle-mère Mrs Jennings qui bénéficie toutefois de réelles qualités de coeur, de Mr et Mrs Palmer et bien d'autres à divers degrés. Ainsi Mrs Parker ne trouve rien d'étrange à répondre à Elinor qui l'interroge sur Willoughby : « Oh oui ma chère, je le connais extrêmement bien. Non pas que je lui ai jamais parlé, mais je l'ai souvent vu en ville. » Croiser quelqu'un dans des réunions mondaines ne m'avait pas jusqu'alors paru la meilleure façon de le connaître intimement. Ou son mari répondant à sa femme en présence de sa belle-mère : « Je crois ne contredire personne en disant que votre mère est mal élevée. » Moi qui croyais que les conversations bourgeoises, surtout il y a deux siècles étaient compassées.
C'est vraiment l'étude des caractères et de leur évolution qui constituent de la volonté même de l'auteur l'intérêt de ses livres. le dénouement est en effet rapporté sobrement sur quelques pages.
J'ai ressenti, plus que dans d'autres romans du même type, le drame que constitue dans n'importe quelle civilisation, à n'importe quelle époque, le fait pour les femmes de n'exister que pour et par le mariage. Je ne pense même pas aux mariages forcés et aux femmes maltraitées, simplement au fait de ne pouvoir avoir d'autre but dans la vie. Pas d'autre source d'épanouissement, bien que j'aime peu ce terme.
Contrairement à beaucoup, j'ai préféré ce titre à Orgueil et préjugés, nonobstant une causticité moins apparente.

J'ai été étonnée de lire dans une critique parue pendant ma lecture, que les romans de Jane Austen et des soeurs Brontë étaient l'équivalent au début 19ème des Musso, Levy et Gavalda d'aujourd'hui. Je ne peux comparer, n'ayant lu aucun de ces trois auteurs. Mais y trouve-t-on vraiment la même finesse d'analyse psychologique ? Les descriptions ne sont pas très longues chez Austen, mais y en a-t-il chez les auteurs précités ? Or cela me semble faire partie des éléments indispensables pour s'imprégner d'une atmosphère. Enfin les oeuvres d'il y a 200 ans bénéficiaient elles d'une telle publicité, de l'équivalent des têtes de gondoles ?
Mais encore une fois, je n'ai pas les éléments pour comparer.


Challenge 19ème siècle 2015
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Comme beaucoup d'entre nous sans doute, je me souviens avoir aimé Raisons et sentiments, le film (Ang Lee 1995), mais de Jane Austen la prose m'était jusqu'ici inconnue, such a shame (Talk Talk 1984).

Fort heureusement quelques éminents janéites – oui, ainsi se nomment les admirateurs de l'oeuvre austenienne à travers le monde, je me suis renseignée – encensent ici fréquemment leur auteure chérie, bien assez pour me faire envie.

Autant commencer dans l'ordre, je me suis donc lancée dans cette première oeuvre majeure de la britannique romancière, et cette perle d'intelligence et de sensibilité m'a comblée. En totale immersion j'ai partagé les émotions de Marianne, Elinor, Edward et consors dans leurs atermoiements sentimentaux, exploré la campagne anglaise et les salons compassés de la gentry en cette fin de XVIIIème siècle, conquise par une écriture sophistiquée et néanmoins parfaitement évocatrice dans ses descriptions et dans son analyse ironique et très fine des comportements humains.

Obviously, charmée je suis (et c'est pas fini).

Lien : https://minimalyks.tumblr.com/
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Ne croyez pas que Raison et sentiments soit un roman désuet pour quelques vierges effarouchées et dévotes, jeunes ou vieilles, tout droit sorties d'un salon de l'époque victorienne, avec encore un peu de naphtaline collée aux mitaines que je me suis empressé de saisir dans mes mains pour les empêcher de trembler..
Le coeur a ses raisons que la raison ne connaît point, disait un certain Blaise Pascal.
J'aurais très bien pu écrire ces trois mots, raison OU sentiments, car ces deux manières d'appréhender la vie nous semblent si antagonistes, cependant Jane Austen ne choisit pas, couturant un chemin entre deux versants qui semblaient jusqu'ici s'opposer, mais c'est connaître bien mal l'âme humaine et Jane Austen...
C'est un peu comme si on vous demandait de choisir entre les soeurs Brontë et justement Jane Austen.
D'ailleurs, j'ai comme l'impression de connaître depuis toujours cette fameuse Jane Austen, comme une vieille copine avec laquelle j'irais boire un verre au pub un vendredi soir.
Ma première incursion dans l'univers romanesque de cette grande dame de la littérature anglaise fut par une autre porte d'entrée, - je ne saurais dire si elle fut plus facile, mais ma lecture d'Orgueil et Préjugés fut un enchantement.
Je trouve bien plus exquis le titre anglais Sense and Sensibility, rassemblant des mots bien plus proches par leurs racines et dont l'allitération relève presque de la sensation d'un effleurement facétieux et sensuel sur la peau.
Raison et sentiments, c'est l'intelligence d'un texte, je n'aurai pas l'affront de dire qu'on y trouve en plus de l'humour, car l'humour est pour moi une forme d'intelligence et de grâce, à condition toutefois qu'il ne tombe pas dans la vulgarité, mais dès lors cela ne s'appelle plus de l'humour.
Au commencement de ma lecture, perdu dans le jardin d'un cottage anglais, je lisais et j'entendais des rires, des voix venir à moi, bien sûr des voix féminines, celles de deux soeurs, dont l'une, - oui vous me voyez déjà venir avec mes grands sabots -, incarnerait la raison et l'autre bien sûr... l'autre, oui ? - il y en a trois qui suivent, merci... l'autre donc incarnerait le côté des sentiments comme de bien entendu ! Mais pour Jane Austen, vous l'aurez compris si vous me connaissez un peu, les choses sont bien plus subtiles et nuancées.
Venez, je vais vous présenter les deux soeurs Dashwood, à présent que je les connais un peu, le portrait sera plus facile à esquisser...
Elinor et Marianne Dashwood sont les deux aînées d'une modeste famille anglaise. Elles vivent avec leur mère et leur jeune soeur Margaret.
Elinor, l'aînée, a dix-neuf ans, elle est une jeune femme sensée, responsable, peu encline aux débordements émotionnels. Elle est tout le temps dans le contrôle d'elle-même. Certains diront qu'elle incarne le parfait flegme anglais. Marianne, qui elle a seize ans, est tout son contraire. Passionnée et impulsive, d'une sensibilité à fleur de peau, elle a des idées arrêtées et définitives sur tout, le monde, les gens, forcément l'amour qui ne peut qu'être grand, romanesque, idéal...
Leur père, Henry Dashwood, qui a eu un garçon d'un précédent mariage, vient de décéder. En raison de la loi anglaise ainsi faite et dont Jane Austen ne manque pas de dénoncer les maux par son merveilleux ton ironique dès le début du roman, ses trois filles, Elinor, Marianne et Margaret, ainsi que leur mère se trouvent privées de leur part d'héritage par leur demi-frère John. Pour cette raison, elle doivent quitter le Sussex et se réfugier pour le lointain Devon, où un généreux parent, Sir John Middleton, leur a proposé de venir habiter sur ses terres, à Barton Cottage. Les jeunes filles sont rapidement acceptées au sein de cette nouvelle société qu'elle découvre chacune avec leur manière différente de percevoir ce nouvel environnement...
Un beau mariage serait donc l'aubaine pour ces deux aînées, Elinor et Marianne qui, au demeurant, sont jeunes, belles et intelligentes, mais sans le sou. Autant dire qu'à cause de ce dernier point elles ne représentent pas vraiment un bon parti pour d'éventuels prétendants au mariage. L'amour viendra cependant vers elles avec son cortège d'illusions, de joie et de blessures, mais je ne dévoilerai rien des intrigues sentimentales.
Dans cette peinture sociale sans concession, l'amour viendra bien assez tôt à la rencontre de ces deux jeunes filles, l'amour viendra confronter leurs caractères, bousculer les certitudes et les apparences. Jane Austen, refusant tout manichéisme, croise peu à peu les parcours et les méandres des deux jeunes soeurs unies par une indéfectible affection, mais si différentes, elle est à la manoeuvre un peu comme sur un métier à tisser et c'est là que le texte acquiert toute sa subtile saveur, apportant nuances, complexité et maturité à l'intrigue. J'ai vu alors les personnalités des deux jeunes filles se transformer sous mes yeux séduits. J'ai vu les masques glisser, j'ai vu le caractère d'Elinor dont la raison gouverne parfois avec tant de rigueur, s'assouplir et laisser entrer en elle l'émotion d'un coeur qui parle... J'ai vu la sensibilité de Marianne apprendre à mieux apprivoiser l'imprudence et l'impatience si dévastatrices... J'ai vu deux chemins se rejoindre, s'entrelacer, se nourrir...
J'oscillais dans ce texte comme sur une balançoire, à peine distrait par le vol d'une libellule s'échappant de quelque marais du bocage anglais.
Et sur cette balançoire, traversant le ciel de ce livre gorgé d'amours, je suis allé cueillir d'une main désinvolte quelques fleurs disparates pour en faire un bouquet harmonieux.
Jane Austen construit ce récit sans mièvrerie, sans naïveté, avec parfois de la malice et souvent beaucoup d'ironie, dans les flèches qu'elle décoche contre certains personnages de la bonne société anglaise de ce début du XIXème siècle, pour en dénoncer les maux qui malmènent tant les femmes, notamment lorsqu'il s'agit de mariage, d'argent ou de famille... J'ai aimé la finesse de ses portraits psychologiques. J'ai aimé son regard acéré, ciselé d'élégance, pétillant c'est toujours fin, j'ai aimé l'émotion qu'elle sait convoquer avec la même légèreté et je vous avoue que la compagnie de ces dames dans la paisible campagne du Devonshire ne m'a dès lors pas du tout pesé...
Bon, je vous laisse, j'ai rendez-vous au pub avec une copine de longue date...
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Grâce à Fuyating je découvre enfin ce classique, merci ! Etant déjà une fan d'orgueil et préjugés, je savais à quoi m'attendre. J'ai d'ailleurs trouvé beaucoup de similitudes entre les deux romans, des personnages assez similaires ( Wickam / Willoughby par exemple). J'avais oublié les quelques longueurs qu'il peut parfois y avoir mais c'est parce que je suis une lectrice impatiente et que je veux connaitre le dénouement de situations compliquées ça ! Mais j'ai tout de même apprécié les personnages très secondaires comme les Palmer, ils m'ont fait sourire au milieu de toutes ces peines que connaissent les soeurs Dashwood. Je ne vais pas épiloguer sur un roman qui a déjà connu son succès mais juste apporter une voix de plus aux fans des romans de Jane Austen !
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A la mort d Henri Dashwood, par les injustices du droit des successions de l époque, sa deuxième femme et ses 3 filles se retrouvent chassées de leur demeure au profit d un fils né d une première union. C est ainsi que ces 4 femmes sont contraintes de quitter le Sussex pour le Devon pour s établir à Barton Cottage grâce à un parent de la famille.
L ainée des filles laisse plus qu' un endroit adoré. Elinor renonce à son amour pour Edward Ferrars. Mais elle le fera en toute discrétion sans cri ni crises de larmes. Car Elinor incarne la raison. Discrète, douce, mesurée.
Tout l inverse de sa soeur Marianne, entière, passionnée, incapable de masquer ses sentiments.
Bientôt Marianne se laisse séduire par John Willoughby rencontré dans une situation hautement romanesque.
J ai adoré l amour indéfectible que se portent ses deux soeurs qui vivent les mêmes tracas. J ai vibré pour ces deux héroïnes. Au début je me suis beaucoup attachée à Elinor. Puis j ai tremblé devant le désespoir de Marianne.



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Je connaissais Jane Eyre, mais pas Jane Austen. Voilà, c'est fait. Il n'est jamais trop tard pour bien faire. Je me suis plongée avec délectation dans ce roman, pire qu'une midinette. Je l'ai lu en une journée. Je vais faire des heureuses dans mon club de lecture.

Comme quoi ! Ah le charme du romantisme, des peines de coeur, des amours contrariées ! de la fourberie des uns, de la trahison, de l'amour sincère des autres, du pouvoir des parents sur les enfants ! Tout y est. C'est désuet, mais j'adore.

Je ne veux pas décrypter par le menu ce roman. D'autres l'ont déjà fait et certainement mieux que moi.

Un pur dépaysement. N'en doutez pas un instant. On change d'époque et de moeurs. Et surtout quelle écriture !

Bon, je dois vous laisser, j'ai un autre roman de Jane Austen à lire moi. A bientôt.
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Alors que notre époque commence, sur certains points, par sérieusement peser sur mon moral, quoi de mieux que de s'échapper avec délice au début du XIXe siècle pour y goûter, non pas une tranquillité humaine dans un monde parfait, mais de tumultueux sentiments ironiquement étalés, détaillés et décortiqués par l'irrésistible regard acéré de Jane Austen ?
Les bontés de coeur côtoient les âmes calculatrices, le bon esprit se heurte au mauvais ton bien déplorable, la discrétion à l'exubérance, la droiture à l'inconstance… La liste est longue !

Le bonheur d'un héritage n'est pas toujours acquis même si, avec tous les bons soins prodigués et des coeurs aimants il aurait été juste que Mme Dashwood et ses filles puissent, financièrement, couler des jours heureux sur les terres du vieil oncle. Eh bien non, c'est finalement le frère John Dashwood, sa femme et leur fils, une bien jolie petite famille pas du tout partageuse, qui jouiront du domaine. C'est l'occasion d'attaquer ce délicieux roman avec le portrait bien loin d'être flatteur de la future maîtresse de Norland Park : un concentré d'égoïsme, des nerfs exacerbés à la moindre atteinte à sa bourse et des manipulations verbales mielleuses que son mari n'a aucun courage de démentir (Ah, la faiblesse des hommes !) Il en découle que doter ses soeurs qui ne sont d'ailleurs que des demi-soeurs serait une absurdité à laquelle il va échapper grâce à l'excellent coeur de sa chère femme. Celle-ci a cependant un petit intérêt, c'est celui d'avoir un frère M. Edward Ferrars qui paraît avoir pour Elinor, la fille aînée des Dashwwod, un attachement grandissant qui laisserait présager un beau mariage. Car il faut bien garder à l'esprit qu'avoir des filles à cette époque, et dans ce milieu plus ou moins rentier, fait tourner tous les projets vers la même finalité : leur assurer un beau mariage, les établir pour la vie de préférence avec un jeune homme bon sous tous rapports et pesant quelques milliers de livres de revenus. Mais les mères, qu'elles se placent d'un côté ou de l'autre d'une probable alliance, ne sont pas systématiquement en phase et lorsque l'une d'entre elles détient la fortune, les réticences peuvent se transformer en mépris et la valeur d'une jeune fille dépendra également, et majoritairement, de son nom et de sa position.
Sur ce, Mme Dashwwod s'exile avec ses filles dans le Devonshire où une chaumière, modiquement louée par un parent, présentera les attraits simples et consolants recherchés, du moins pour un temps. C'est l'occasion de faire la connaissance avec d'autres aspects plus ou moins adorables, ou horripilants, ou hypocrites de nouveaux caractères humains se donnant rendez-vous sur les collines de ce comté. Nous pousserons même jusqu'à Londres où ce beau monde va y traîner sa oisiveté les mois d'hiver.

La navigation dans les espoirs amoureux d'Elinor et de sa soeur Marianne nous fait louvoyer dans une mer plus ou moins agitée, présentant des écueils que l'on voit poindre à l'horizon mais qui n'en sont pas moins charmants, grisants et délicieusement distrayants.
Elinor, tempérée, prenant les sages décisions, sa raison primant sur l'emportement, n'en sera pas moins ravagée par ses sentiments et l'auteure a su merveilleusement exploiter cette retenue tout en montrant parfaitement le retentissement intérieur qu'elle peut ressentir face à ses désillusions amoureuses.
Marianne, l'animée et fougueuse Marianne, laisse exploser ses émotions, revendique comme vitale sa franchise. Son enthousiasme amoureux ne peut que se satisfaire d'une personne comme Willoughby, le beau, l'élégant, l'infatigable et jeune Willoughby. Les goûts littéraires, musicaux, artistiques doivent être à l'unisson. C'est ainsi que, face à ses impulsions romanesques, elle ne verra chez le colonel Brandon que « l'air si grave, si sérieux, et qui sent déjà les infirmités de la vieillesse » à trente-cinq ans !

Jane Austen a un talent extraordinaire pour exposer les douleurs intérieures, les souffrances déchirantes de l'amour, les agitations des sentiments. Elle déploie également ici une douce moquerie des petits anges, enfants gâtés décrits comme de véritables petits démons. Les portraits de tous sont poussés avec brillance sans aucune lassitude. Ils sont tantôt élogieux, voire dithyrambiques, tantôt mortifiants et affreusement négatifs. Ils sont à l'image de cette société pleine d'esprits étroits et dédaigneux mais aussi de bonté teintée parfois de naïveté. Les fortunes des uns et des autres achètent leur place dans ce milieu sectaire où il est bien difficile de se faufiler, même par amour ou peut-être surtout par amour.
Les espoirs cachent de cruelles déceptions. Il faut se méfier des fausses amitiés et ne pas juger trop vite certains merveilleux traits de caractère. Un savant mélange de raison et de sentiments arrivera-t-il à caser les soeurs Dashwood ?

Loin de nous et de notre époque, je n'avais qu'une envie, me délecter de ce monde si artistiquement, psychologiquement et humoristiquement mis en scène et, par delà les années, j'en remercie infiniment Jane Austen !
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Et bien, j'étais déjà conquise par la plume d'Austen avec la lecture d'Orgueil et préjugés, mais mon amour ne s'est confirmé par Raison et sentiments. Fidèle à elle-même, l'auteure nous livre une oeuvre baignée d'amour, de dialogues savoureux, de personnages féminins tellement riches et une histoire vraiment bien ficelée. Et cette campagne de l'Angleterre juste magnifiquement dépeinte. Un tant soit peu plus cérébral qu'Orgueil et préjugés, ce livre est un véritable page-turner !!! C'est plein d'amour, plein d'humour, plein d'émotions. J'ai adoré la relation entre Marianne et Élianor, deux soeurs dont les caractères sont diamétralement opposés, en apparence, mais tellement touchante, complémentaire... Plein de scènes, d'ailleurs, avec ces deux personnages, ont mouillées mes yeux. Bref, c'est du très bon et je recommande la lecture de cette oeuvre magistrale !
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Elinor, la prudente, mènera-t-elle mieux la barque de ses amours que sa soeur Marianne, beaucoup plus dans l'exaltation du romantisme naissant et adepte de l'amour absolu et indéfectible ?

Il faudra arriver à la toute fin de ce premier roman de Jane Austen pour faire le bilan de leurs épreuves et juger des comportements, des aveuglements parfois, des uns et des autres. Les deux soeurs ne sont pas gâtées par le Destin car elles s'éprennent d'hommes vraiment peu fiables ! On ne sait lequel, du flamboyant Willoughby de Marianne ou du pâlichon Edward Ferrars d'Elinor, est le moins pire… A moins que le séduisant colonel Brandon (un vieillard de trente-cinq ans) ne réussisse à convoler avec l'une d'entre elles ?

Beaucoup de personnages secondaires font que ce grand roman de la Comédie Sociale n'est jamais ennuyeux ou seulement platement sentimental. La grande affaire de tous c'est la course à la position et l'argent. Y compris pour les soeurs Dashwood, même si elles avancent avec plus de finesse et quelques principes moraux qui semblent manquer à beaucoup d'autres.

L'ironie de Jane Austen est déjà très présente dans ce premier roman. Mais peut-être pas encore pleinement aboutie. Pour avoir lu il y a peu « Emma », j'ai trouvé ce « Raison et sentiments » un peu moins corrosif. Mais attention, ça reste quand même un chef d'oeuvre, terriblement actuel plus de deux cents ans après sa parution.

Cette édition propose une nouvelle traduction de Sophie Chiari, qui sans vouloir être péjoratif, est « modernisée ». Elle conviendra donc particulièrement bien à qui voudrait découvrir cette écrivaine mais qui craindrait d'affronter un style vieilli. Une préface (qu'on peut ne lire qu'après le roman), des notes, des dossiers permettent aussi de ne pas se perdre dans des usages ou des nuances sociales d'un autre temps et d'un autre pays. Franchement, tentez l'aventure de la lecture, même si vous avez déjà vu des adaptations pour la télévision ou le cinéma. Car on entre alors vraiment dans une autre dimension.
#RaisonEtSentiments #NetGalleyFrance
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